Chapitre XIV
Write by Tiya_Mfoukama
Chapitre XIV
« BOUM, BOUM, BOUM »
« —Tiya ! crie Dylan en m’agrippant de nouveau par le bras.
—T’entends pas qu’elle est en train de se faire battre ? ! je hurle en tentant de dégager mon bras.
—Et tu penses qu’en venant cogner à leur portail comme une hystérique, ça va calmer les choses ? Tu ne penses pas que ça va l’énerver un peu plus si tu cherches à intervenir ?
—Je m’en fous que ça l’énerve plus ! je lance en tambourinant sur le portail avec ma main libre.
—Donc tu t’en fous des conséquences que ça peut engendrer sur sa femme ? Tu t’en fous qu’il continue à s’acharner sur elle, parce que tu l’auras mis plus en colère ? Tu t’en fous ?! »
Je n’avais pas vu ça sous cet angle…
Mon cœur bat à tout rompre et je n'ai qu’une envie ; casser ce maudit portail pour faire sortir Katy.
Depuis que je suis installée ici, je n’ai discuté avec personne excepté elle, Katy, ma voisine. Nous avons commencé à discuter il y a un peu plus de deux mois à cause de nos sacs. Nous le portions dans des coloris différents, et nous nous en sommes rendues compte un jour où je retournais dans la maison, après avoir oublié mon portefeuille. Elle, elle sortait en passant par son petit portail. Elle a enclenché la discussion en me faisant la remarque. J’étais d’humeur sociale à cet instant, et ai répondu avant d’approfondir ma discussion avec elle. En plus de notre amour pour les sacs, nous nous sommes découvert beaucoup d’autres points communs, dont le fait d’être toutes les deux jeunes mariées, même si son histoire est plus « belle » que la mienne. Germain, son mari, est son amour de jeunesse. Ils sont ensemble depuis 9 ans bien que leur histoire ait été ponctuée de hauts et de bas, de ruptures et de retours. J’aurais pu m’émouvoir face à cette relation, et à la force qu’elle a l’air de dégager, si je n’avais pas surpris Katy à plusieurs reprises, avec un visage tuméfié. Conséquence des coups portés par son très cher mari qui a la main lourde.
Les fois où j’ai pu deviner sous son maquillage les preuves des violences qu’elle subissait, elle faisait comme s’il ne s’agissait de rien, que l’acte était banal. Et il l’était devenu, ce que je trouvais et trouve toujours triste.
Je n’avais jamais été témoin d’une scène de violences conjugales, jusqu’à aujourd’hui.
Les cris qu’elle a poussés, la douleur qu’ils transportaient m’ont serrée le cœur.
Je voulais l’aider.
« —Qu’est-ce qu’il y a ?! demande Germain les yeux ronds injectés de sang. »
Je ne l’avais pas entendu ouvrir le portail… Sa mâchoire serrée laisse voir à quel point il a du mal à se retenir. Même , ses narines frémissantes. Son rythme cardiaque saccadé et sa posture droite, le confirme.
J'ai peur de ce qu’il est en train de lui faire, et un flot de larmes brouille ma vision, mais également mes pensées.
« —Franchement Tiya, c’est qu’une paire de chaussures ! Tu peux attendre demain pour la lui montrer ! tonne Dylan. »
A la fois surprise et confuse, je sors de ma torpeur et bégaie des propos incompréhensibles en essayant de trouver mes mots, et il poursuit sur un ton dur :
« —Demain tu lui montreras la paire de chaussures. À une heure décente ! C’est clair ? »
Comprenant où il veut en venir, j’hoche la tête et le laisse présenter des excuses à Germain, qui me fusille du regard avant de refermer son portail, m'obligeant à suivre docilement Dylan jusque dans la maison.
« —Je voulais …
—Quand est-ce que tu comprendras que tes caprices de petite fille gâtée, ce n’est pas avec tout le monde que tu peux le faire ?! il hurle en me faisant face. Quand est-ce que tu comprendras que tes actions ont des répercussions au-delà de ta petite personne ? Tu penses que c’est de cette manière qu’il faut intervenir ?
—Mais je pensais simplement…
—Ne pense plus , réfléchis avant d’agir ! il me balance avant d’emprunter les escaliers. »
Celle-là, je reconnais que je l’ai un peu mérité, mais mon intention n’était pas mauvaise. Je me suis laissée guider par l’impulsion et je n’ai pas pensé un instant que je pouvais aggraver son cas. J’ai beau être une tête dure, je suis pleine d’empathie face à une personne victime de violences conjugales. Je ne voulais pas lui faire de tort, je me dis en essuyant une larme qui a fini par couler…
C’est le cœur lourd que je pénètre dans ma chambre.
Assise sur le bord du bas du lit, je visionne mentalement le déroulé de cette soirée, plus que mitigée. Emeraude qui entretient une relation avec Jesse, alors qu’elle est en couple avec Héritier. Je comprends mieux pourquoi il était inquiet de cette distance qu’il m’a dit ressentir en discutant avec elle. Et quand je pense que je lui ai répondu qu’elle devait être prise par son travail, et qu’il n’avait rien à craindre, je me sens bien stupide, parce que lui au moins, même à distance, a su voir ce que je n’ai pas vu.
Quant à ma mère et mon père qui se présentent ensemble bras dessus bras dessous et sourire aux lèvres, ils m’ont donné envie de vomir. Ça montre à quel point ma mère était vraiment atteinte par ce qu’il m’a fait. Et ya Annie qui me disait qu’elle était restée à Brazza pour moi, je devrais lui envoyer une photo du plus beau couple de l’année tien.
C’était une soirée surréaliste à tous les égards et il fallait bien évidemment qu’elle se termine avec cette scène ! je soupire en l’allongeant sur le lit.
« —Je ne sais pas ce que je t’ai fait Seigneur, mais je t’assure que si tu me rends ma vie d’avant, je m’évertuerai à corriger le tir. je marmonne les yeux embués de larmes.»
Je me suis endormie sans m’en rendre compte, toujours vêtue de mes vêtements, et c’est la caresse d’un rayon de soleil qui me chatouille le visage pour me réveiller malgré mes grognements. J’ai le sentiment qu’il le fait exprès, qu’il veut me narguer.
A travers les rideaux ouverts, je peux voir que dehors il faut beau. Un ciel bleu clair sans nuage fait briller le soleil, et moi je ne veux que rester dans mon lit, jusqu’à ce que je me réveille de ce mauvais rêve.
Je rabats, les draps sur mon corps, et tourne le dos à la fenêtre avant de fermer les yeux de nouveau.
« —Je vois que tes journées sont palpitantes ! J’entends alors que j’ai encore les yeux clos. »
Je reconnais la voix d’Emeraude, sec et cassante, signe qu’elle n’est pas contente.
« —Il faut que l’on parle. Ce qu’il s’est passé hier était totalement irrespectueux. Les propos que tu as tenus à l’égard de Jesse étaient irrespectueux et je veux que tu lui présentes des excuses. Et ne fais pas comme si tu ne m’entendais pas, je sais que tu ne dors pas.
—…»
Je me lève du lit, passablement agacée par son entrée et les conneries qu’elle débite, puis passe dans la salle de bains sans faire cas de sa présence.
Je noue mes cheveux à l’aide d’un élastique tout en contemplant les dégâts causés par mon maquillage et mon abus de cocktails la veille. Faut dire qu’ils étaient plutôt bons et m’ont aidé à tenir.
« —J’espère que t’as entendu ce que je viens de te dire ? elle me dit appuyée contre l'embrasure de la porte. Tu vas vraiment lui présenter des excuses Tiya.
—Hey, tu sais quoi ? J’ai pris une résolution ce matin. Je lui dis faussement enthousiaste en me retournant vers elle. J’ai pris la ferme résolution de ne plus rien foutre aujourd’hui et tous les jours qui suivront tant que je ne serai pas de retour chez moi dans mon bel appartement à Paris. Et en attendant que ça se fasse, je vais rester ici, dans cette chambre, à m’empiffrer de gâteaux devant des films nigérians ou ghanéens, ça va dépendre du titre, et je vais laisser toutes les conneries qui ont à trait à cette ville et ce pays devant le seuil de la porte. Ce qui veut dire que tes conneries d’excuses vont rester devant la porte !
—T’es vraiment qu’une sale conne. elle répond les bras croisés.
—Et toi une putain de menteuse infidèle. je rétorque calmement. Je comprends mieux maintenant pourquoi tu tenais TANT à ce que je m’INVESTISSE dans cette famille, c’était pour mieux couvrir ton infidélité ! Bah sache que je t’aie démasquée et que tu pourras pas te servir de moi comme alibi !
—Tu te fourvoies complètement. Entre Jesse et moi, ça a…
—Je m’en moque. je la coupe durement. C’est avant qu’il fallait chercher à m’expliquer les choses. »
Je me tourne vers le lavabo, appuie énergiquement sur la pompe à savon, et récolte plus de nettoyant que j’en ai besoin. Je me badigeonne grossièrement le visage avec, faisant mine de ne pas voir le surplus se répandre dans le lavabo puis me rince, juste après avoir entendu la porte se refermer.
Je lui en veux énormément pour ce qu’elle a fait, c’est la raison pour laquelle je suis aussi odieuse avec elle. Qu’elle couche avec Jesse est une chose, et pour être honnête je m’en moque un peu, même si ça me dérange vis-à-vis d’Héritier, mais qu’elle ne m’en ait rien dit c’est autre chose. On se dit tout, absolument tout depuis que nous nous connaissons elle et moi. De la chose la plus banale à la plus sérieuse. Il n’y a rien qu’elle ne sache pas de moi et vice versa. Pourtant, elle a une jumelle, et est très proche d'elle, mais ça ne change rien. Pour certains, il doit y avoir des choses qui doivent rester secrètes, qui ne se racontent pas à tout le monde, et c’est totalement vrai, mais pas en ce qui concerne Emeraude et moi, c’est la règle. Mais j’ai l’impression que les règles sont en train d’être changées, surtout depuis que nous sommes ici.
Entre elle et moi tout change, et je ne m’y fais pas.
Je finis de me rincer le visage, passe sous silence ma mine déconfite, puis retire mes vêtements pour me doucher. Je crache un juron en voyant la tâche de vin sur ma robe, juste au niveau de ma hanche droite, et le trou béant à côté. Je repense au connard qui, après avoir abusé sur le vin, a tenté de s’accrocher à ma robe en chutant. Ma robe a été atteinte par les éclaboussures du verre et déchirée par sa brutalité. Je n’aurais pas été affectée si elle n’avait pas été l’une de mes robes préférée. J'ai toujours aimé la façon dont elle enveloppait mes formes. Quand je la porte après avoir pris un peu de poids, elle m’affine et fait de mes courbes des avantages, et lorsque je suis à la bonne taille, elle m’illumine un peu plus. C'est un peu pour ça que j'ai accepté de la mettre quand Dylan me l’a demandé.
J’aurais été à Paris, J’aurais pu trouver un couturier vers le marché Saint Pierre pour me la rafistoler, et un bon teinturier pour effacer cette tâche de vin, mais je suis ici. Soupir.
Après avoir fini de me doucher, je récupère ma robe et entreprends d’aller fouiller les placards de la cuisine à la recherche de vinaigre pour au moins faire partir cette tâche de vin. Ce sera au moins ça de fait et il ne me restera plus qu’à trouver un bon couturier quand je serai de retour à Paris.
Je pose ma robe sur une chaise, puis ouvre le premier placard, suivi du deuxième, et du troisième sans rien trouver. Je ne connais pas le système de rangement qu’elle utilise et en y pensant, même si je le connaissais, je doute fortement que j’en trouverai.
« —Je peux vous aider ? me demande Murielle qui vient d’entrer dans la cuisine.
—Non, pas vraiment. J’étais à la recherche d’un produit, mais je ne crois pas qu’il y en ait. Tant pis.
—De quoi il s’agissait, si ce n’est pas indiscret ?
—De rien d’important. je réponds en sortant de la cuisine pour aller ouvrir la porte d’entrée après avoir entendu des coups frappés. »
Je tombe sur Katy, qui aussi surprenant soit-il, ne porte pas de maquillage aujourd’hui pour cacher les traces de violences comme elle a coutume de le faire. Son visage est totalement bouffi, son œil droit fermé est entouré d’un cercle violacé tirant sur le noir. Quant à ses lèvres, elles sont boursouflées et fendues à certains endroits, comme lorsqu’elles sont trop sèches et pas assez hydratées. Mais là, ce n’est pas une question d’hydratation. Et ce n’est certainement pas l’empreinte de la main imposante qu’elle porte sur tout le côté gauche de son visage qui va l’aider à mentir, encore moins son teint clair, qui ne lui permet de rien dissimuler.
« —….Salut. j’arrive à articuler en essayant de me concentrer sur elle et non sur son visage déformé.
—Je vais te le dire qu’une seule fois, alors écoute-moi bien. C’est la première et la dernière fois que tu viens toquer chez moi à des heures aussi tardives. Je ne vais pas tolérer ce genre d’amitié. Je te croyais assez responsable et mature pour ton âge, mais on dirait que je me suis trompée sur ton compte.
—Pardon ?
—C’était la première fois, donc je ne vais rien dire, mais maintenant, tu es avertie, alors que ce soit pour la première et la dernière fois que tu te permettes ce genre de chose.
—Ce genre de chose ? Il était en train de te battre et tu hurlais de douleur ! je réponds, le choc passé.
—Et alors ? Où était ton problème ? Je t’ai demandé de l’aide ? Je t’ai même dit que j’avais besoin d’aide ? »
Me voila comme une conne, pantoise face à ses mots.
Aux cris qu’elle poussait hier soir, on aurait pu penser qu’elle allait passer de vie à trépas et aujourd’hui la voilà qui bombe le torse devant moi comme si le problème venait de moi. Je dois être en train d’halluciner. Y’a pas d’autres explications.
« —Mais t’es sérieuse ? Hier soir tu criais à la mort !
—Que je cris à la mort ou pas, est-ce que je t’ai demandé de l’aide ?elle répète calmement.
—Oh excuse-moi d’être intervenue. je dis avec sarcasme. Je voulais simplement éviter qu’il te tue ! Mais je n’aurais pas du, vraisemblablement. Maintenant je le sais !
—C’est tout ce que je voulais entendre. A l’avenir, pour ton bien, apprends une chose :Toute relation est différente, mais dans tous les cas, il ne faut jamais mettre son doigt entre l’écorce et l’arbre. »
Et sur ses mots, elle me tourne le dos, mettant fin à notre discussion. Si on peut l’appeler comme ça.
J’en reviens pas. J’en reviens vraiment pas, c’est tellement ….Wahou, j’ai pas les mots.
J’aperçois Dylan en face de moi, qui descend les escaliers et l’interpelle de façon spontanée.
« —Wahou, je suis sous le choc ! Tu devineras jamais qui…. »
Il pose à peine un regard sur moi et entre dans la cuisine, puis en ressort quelques minutes plus tard, toujours en m’igorant.
« —Je suis en train de te parler ! je lui fais remarquer
—Et je ne suis pas obligé de t’écouter, encore moins de te répondre. il me répond sans même s’arrêter. »
Okay ! Parfait. C’est parfait ! je me dis en souriant. Tout est parfait !
*
* *
L’année dernière, à une période similaire à celle d’aujourd’hui, je me souviens avoir assisté à une formation sur le langage des couleurs. Quatre couleurs, le rouge, le jaune, le vert et le bleu. Une de ces couleurs était prédominante et déterminait mon profil. Moi c’était le rouge, puis le jaune. Le rouge signifiait que j’étais déterminée, indépendante, rigoureuse, et elle était complété par le jaune que signifiait que j’étais sociable, communicative et tonique. Il y avait autant de défauts associés à ces couleurs, comme le fait d’être égoïste, individuel, trop centré sur une chose au point de ne pas avoir l’esprit ouvert pour finir par s’isoler et j’avais ri de tout cela.
Aujourd’hui, devant ma fenêtre, celle qui donne sur le jardin, je n’en ri plus comme avant. Je n’avais jamais autant subi la solitude que j’ai pourtant toujours trouvée salutaire. Je me sens comme enfermée, complètement isolée et tiraillée. Parce qu’une voix s’amuse à me dire que c’est de mon fait et qu’une autre me dit le contraire. Peu m’importe dans le fond de savoir laquelle a raison, je voudrais simplement arrêter de subir et vivre, comme avant.
Cette situation me déprime tellement que j’en pleure à certains moments. Moi, Tiya, celle qui n’a peur de rien, s’en fout de tout, et avance coûte que vaille.
Plus je reste ici, et plus j’ai l’impression de me perdre, ça peut plus durer. Ça ne peut plus durer, je me répète en essuyant mes larmes.
« TOC,TOC,TOC »
« —Madame, le frère de monsieur est là.
—Je ne sais pas où se trouve son frère, probablement au travail.
—C’est vous qu’il cherche à voir. »
Je n’ai pas envie de le voir, ni lui ni personne. Ça fait trois semaines que je ne suis pas sortie, que je n’ai échangé avec personne et je pourrais faire des semaines en plus sans rentrer en contact avec qui que ce soit vivant ici, ça ne me dérangerait pas. Parce que la seule chose dont j’ai besoin, c’est de m’éloigner de ce pays, partir et ne plus jamais revenir. Tout ici est néfaste pour moi.
« —Dites lui que je ne suis pas là.
—Mais je sais que tu es là. j’entends de l’autre côté de la porte. Je ne prendrai pas plus de cinq minutes, je t’assure. Et puis je ne suis pas venu les mains vides. Même si tu estimes par la suite avoir perdu ton temps, tu auras au moins ça pour compenser. »
Je n’ai pas envie de lui répondre, mais pour une raison que j’ignore, je vais quand même lui ouvrir la porte et l’observe avec une boite en carton jaune dans les mains. C’est étrange mais plus le temps passe et plus je vois Dylan en lui ou devrais-je dire que je le vois en Dylan.
« —Bonjour.
—…. »
Je le regarde de haut en bas, ignorant la main qu’il me tend puis sans se démonter face à mon silence et mon attitude il poursuit :
—J’ai cinq minutes donc je vais aller vite. Voilà, je voudrais te présenter mes excuses, pour ce qu’il se passe entre Emeraude et toi. Je ne cherche pas à rentrer dans cette histoire ou à t’expliquer quoi que ce soit. C’est avec elle que tu dois régler ça, je le sais et le comprends. Mais je crois comprendre que vous êtes toutes les deux butées et qu’il faut pour le coup un intermédiaire pour vous poussez à discuter, et je me porte volontaire pour jouer ce rôle, quitte à me faire lyncher par la suite. Elle ne m’a rien demandé de faire, c’est de mon plein gré que je viens… Ça ne fait pas longtemps qu’on est ensemble, tu dois beaucoup mieux la connaitre que moi, mais je suis certain d’une chose, c’est que tu lui manques et qu’une semaine encore à ce régime n’est pas une option envisageable pour elle.
—….
—Donc je suis venu te proposer un week-end avec elle, à Sibiti, pour mettre les choses à plat et vous retrouver.
—Et selon toi je vais accepter ? D’ailleurs pourquoi je devrais accepter ?
—Parce que je prie fortement pour que cette dépendance qu’elle a pour toi soit réciproque.
—….
—Je te laisse la journée pour y réfléchir. Je serai demain matin à 6h30 devant le portail, j’espère que tu y seras aussi.
—…..Sinon, qu’est-ce qui peut compenser le temps que j’ai perdu à t’écouter ? je le questionne pour ne pas qu’il perçoive mon trouble. »
Un large sourire aux lèvres, il me tend le carton jaune qu’il tenait jusque là.
« —Qu’est-ce qui te fait croire que ce carton pourrais faire office de compensation?
—Regarde ce qu’il y a à l’intérieur. »
J’ouvre le carton et découvre plusieurs rangées de tartes au citron. Je retiens de justesse un éclat de rire mais c’est trop tard.
« —J’avais raison ? il dit plus par rhétorique qu’autre chose.
—….
—A demain j’espère. Il lance avant de descendre les escaliers.»
*
* *
« —Je croyais que ça devait être un moment entre filles ?
—Et ça le sera. Nous on va également passer un moment entre frères et comme nous allons au même endroit, nous allons faire du covoiturage, c’est pour la planète. »
Dylan a l’air tout aussi sceptique que moi à croire qu’il n’était pas informé de ma présence tout comme je n’étais pas informée de la sienne.
Je me sens un peu grugée et en temps normal, j’aurai probablement fait demi-tour mais, mon sac est déjà fait, je suis là et… je m’étais mentalement mise en tête que j’allais faire la paix avec Emeraude.
Quand Jesse se penche pour récupérer mon sac, comme pour me demander si je viens toujours, je réponds silencieusement à sa demande en le laisse le prendre.
« —Bonjour tout le monde, vous en mettez du temps. Lance Emeraude qui vient de nous rejoindre dans la cour.
—Hey ! Mademoiselle Nzozi ! crie Dylan, visiblement heureux de la voir.
—Comment va le plus beau des Buaka ?
—Roh Em’ arrête de lui mentir comme ça. grogne Jesse l’air faussement bougon. »
Elle se dirige vers Dylan et lui fait la bise avant de rester quelques minutes dans ses bras.
J’avoue être surprise et un tantinet agacée. Je ne la savais pas aussi proche de lui encore moins si familière. J’ai l’impression pour le coup d’être la personne de trop, celle que l’on doit se coltiner et je n’aime pas cette sensation.
« —Bonjour Tiya. elle dit en venant vers moi. »
Je fais un pas en arrière, prétexte arranger mes lacets pour ne pas l’embrasser, et lui murmure un « S’lut ».
Un silence s’installe entre nous, que Jesse s’empresse de briser en nous invitant tous à monter en voiture.
« —C’est quoi tous ses sacs dans le coffre ? demande Dylan assis à l’avant.
—La nourriture pour ces trois prochains jours.
—Tu trouves pas que ça fait beaucoup ? »
Jesse se retourne à moitié vers Emeraude qui s’enfonce dans son siège en croisant les bras.
« —Une certaine personne était prête à remplir le coffre de nourriture.
—Tu parles comme si tu ne mangeais pas beaucoup. elle argumente. Je suis même certaine que rien ne va rester. »
Ils se mettent à rire, se font des privates jokes et je me sens encore plus étrangère. Je suis avec eux, mais c’est comme si je n’étais pas là.
Excédée, je vise mes écouteurs et penche ma tête contre la vitre avant de fermer les yeux. Je me félicite d’avoir prie mon mp3 à pile et d’avoir ramené un paquet non utilisé de piles. Je vais pouvoir tenir durant les cinq heures de trajet et au-delà.
« —Tiya, tu ne veux pas te dégourdir un peu les jambes ? me demande Jesse à travers la vitre.
—Non, ça va.
—Okay. »
Je me frotte les yeux, l’esprit encore embrumé et avise l’heure sur mon téléphone. Il est 10h50, ce qui signifie qu’on roule depuis un peu plus de trois heures. Pourtant, j’ai l’impression que ça fait beaucoup plus longtemps. Je retire mes écouteurs, qui étaient installés plus pour la forme et me mets à jouer à un jeu sur mon téléphone. Je ne ressens pas le besoin de les rejoindre dehors, d’autant plus qu’ils sont toujours dans leur bulle.
La portière arrière s’ouvre sur Emeraude qui prend place avec un sandwich à la main.
« —Tu en veux ? elle me demande en le coupant en deux.
—Non. je réponds le nez dans mon téléphone.»
Je sens son regard sur moi pendant de longues secondes avant qu’elle ne soupire et sorte de la voiture.
Je sais que c’était l’occasion de briser la glace et entamer une discussion mais… je n’y arrive pas, je ne sais pas faire semblant quand j’en veux à quelqu’un.
Une dizaine de minutes plus tard, nous reprenons la route, toujours dans le même optique, et parce que je suis toujours en bordure de route, je me replonge dans les musiques rétro, que diffuse mon lecteur de musique.
Quand nous arrivons à destination, je suis un peu surprise par le lieu, je l’imaginais moins riche en végétaux, plus terne, alors qu’il ressemble à ce que l’on attend d’un endroit rural. Il me fait même penser à certains coins de France quand on y regarde de plus prêt. Dans tous les cas, ce n'est absolument pas mon délire.
Je sors de la voiture, et m’étire comme un chat, contente d’enfin pouvoir me lever ! Je fais quelques pas autour de la maisonnette-cabane où il semble que nous allons séjourner.
Il n’y a pas grand-chose si ce n’est de la verdure, du bois, des tas de feuilles mortes, encore de la verdure, des arbres dénudés, d’autres fournis et toujours de la verdure.
Faut vraiment pas être allergique à la nature pour vivre ici. Ça change complètement de Paris et son centre.
« —Y’a trois chambres. explique Jesse en déchargeant la voiture. Je vous laisse choisir qui prend quoi. Tiya, voila ton sac. »
Je récupère mon sac, et entre dans la maison, étonnamment propre.
Je pensais qu’on m‘obligerait à prendre le balai pour nettoyer un peu, et suis rassurer de ne pas avoir à le faire.
Je m’avance vers la première porte que je trouve et qui s’avère être une chambre. Pas très grande mais correcte, elle dispose d’un lit de taille moyenne et les draps qui le recouvre sentent le frais. Je dépose mon sac prêt de la seule chaise se trouvant dans la pièce, et m’assieds sur le lit. Côté gauche. Je laisse le côté droit intacte parce que c’est celui que prend Emeraude.
Je retourne à l’extérieur proposer mon aide pour décharger le coffre, mais il semble que ce soit déjà fait puisqu’ils sont tous déjà assis dans le petit espace qui fait office de salon.
« —Fait important pour vous mesdames. commence Jesse en s’adressant à Emeraude et moi, il n’y a pas de douche dans les chambres, il faudra sortir de la maison et se laver dans le petite cabine avoisinante.
—C’est une blague ? lance Emeraude les yeux ronds.
—Jesse tu n’aimes pas là vie. ricane Dylan.
—Ça va, c’est pas comme s’il n’y avait pas de douche, il faut juste y aller en extérieur. il se justifie.
—Pfff, c’est n’importe quoi, manquerait plus qu’on doive se laver au seau.
—….
—Non Jesse, non ! Me dis pas que ... ! »
Dylan explose de rire devant la tête horrifiée d’Emeraude et manque de tomber à la renverse. Jesse s’explique sur le choix de la maison et la cabine de douche extérieure puis enchaine sur le planning qu’il a concocté pour ces trois jours.
Je m’abstiens de lui faire remarquer qu’il m’avait dit que, je «passerais un week-end avec Emeraude ». Pour le coup, ça ressemble plus à un week-end avec Emeraude mais également avec Dylan et lui-même.
Après son mini discours, chacun est invité à se familiariser avec les lieux, et tandis qu’Emeraude décide d’entrer en cuisine, je décide d’aller m’installer sur la chaise longue que j’ai aperçue en faisant le tour de maison. J’ai besoin de m’isoler et repenser ce week-end.
« —On est tous en cuisine, tu pourrais venir avec nous. me propose Jesse.
—Je pourrais. je réponds en agitant le bout de bois ramassé quelques minutes plus tôt.»
Je n’aime vraiment pas la façon qu’ils ont tous de me faire passer pour celle que l’on doit intégrer. Et il me tarde de le dire à Emeraude, mais plus le temps passe et plus elle m’ignore. Elle fait tout bonnement comme si je n’étais pas là, qu’elle était simplement en présence de Jesse et Dylan. Et c’est pas ce dernier qui arrangerait les choses. Seul Jesse prend le temps de me questionner et de m’inclure dans leur discussion quand, il remarque que je suis totalement mise à l’écart.
A la fin de cette journée, alors que je suis allongée dans mon lit, et que je les entends rentrer de leur sorti nocture pour visiter la ville, je prends la décision d’écourter le week-end et de partir à l’aube. Je demanderai à Jesse de me déposer au centre ville et je me débrouillerai pour rentrer, je me dis avant de fermer les yeux.
Après m’être réveillée et avoir pris ma troisième douche au seau depuis mon arrivée, j’entrepose mon sac de voyage devant l’entrée et vais me préparer un petit déjeuner.
Je trouve Emeraude attablée, avec une biscotte à la main et un bol de thé devant elle.
Je ne suis pas une grande cuisinière, tout le monde le sait, et je rame énormément en cuisine, ce qui explique mes difficultés à allumer un foyer à gaz sans me brûler. Chez moi j’ai fait le choix de prendre une induction simplement parce qu’elle ne brûle pas, et qu’elle a l’option booster. Ça me fait gagner beaucoup de temps pour faire cuire mes pattes.
Je suis plutôt fière de moi, quand enfin je réussis à allumer le feu et mettre la petit casserole de case sur le foyer.
« —Bonjour tout le monde. lance Jesse d’une voix rocailleuse, que je trouve extrêmement sexy.
—Bonjour
—Bonjour chéri ! lui répond Emeraude, d’un air enjoué, pour ne pas dire sur-joué. Bien dormi ?
—Hum mouais… Euh Tiya, c’est ton sac que j’ai vu à l’entrée ? Tu ne l’avais pas rangé hier ?
—Oui, il l’était et je l’ai volontairement placé là, je veux rentrer d’ailleurs, je voulais te demander de me déposer au centre ville. De là je me débrouillerai pour rentrer.
—Tu veux rentrer ? il me demande en nous regardant tour à tour Emeraude et moi.
—Oui. »
Il reste silencieux pendant de petit temps, le regard fixé sur Emeraude qui continue de petit-déjeuner.
Et ils ont même eu le temps de se créer un langage silencieux entre eux, je me dis avec un pincement au cœur.
« —D’accord. il finit par dire. Je vais prendre mes clés de voiture.
—Ok. Merci. »
Je laisse tomber le thé que je voulais me faire, et pars récupérer mon sac que j’installe dans le coffre.
« —Alors c’est bon, madame s’en va ?lance Emeraude depuis le seuil de la porte.
—…comme tu peux le voir.
—Ça ne m’étonne même pas, c’est totalement ton genre. T’as même pas fait une journée que t’es déjà prête à rentrer.
—Et je ne rentrerai pas pourquoi ? Je suis venue ici pour m’expliquer avec toi et toi tu passes ton temps à faire comme si je n’existais pas.
—Parce que tu penses que je n’ai que ça à faire de te courir après ? Tu passes ton temps à blesser les gens autour de toi, et c’est encore ces mêmes personnes qui doivent te demander pardon. Tu trouves ça logique ?
—Parce que tu penses que tu ne m’as pas blessé.
—Je n’ai jamais dit ça, mais contrairement à toi, je ne le fais pas volontairement.
—Même pas quand tu as décidé de dormir avec Jesse?
—Sauf, cette fois là. elle dit en grimaçant.Pour ma défense tu m’avais envoyé bouler à plusieurs reprises, je voulais un peu te rentre la pareille….. On la tient cette discussion? »
Je vais m’asseoir dans la voiture et l’invite à me rejoindre. Nous gardons le silence pendant de longues secondes, puis elle se met à me raconter ses débuts abec Jesse. Elle m’explique comment elle s’est retrouvée attirée par lui,qu’elle pensait que cette attirance était du à ses attentes qu'Héritier n’arrivait pas à répondre et qu’elle avait fini par reporter sur Jesse. Elle espérait très vite passer à côté de cette attirance mais ça a été tout le contraire. Elle a voulu m’en parler mais je ne me montrais pas disponible, trop focalisée sur ma situation.
Je reconnais en l’entendant que je n’ai pas su être présente et comprends la gêne dans laquelle elle était.