CHAPITRE XXII : Les coups de la vie
Write by dotou
Au fur et à mesure que les jumeaux grandissaient, Cora se consacrait de plus en plus à son travail. Sa renommée dans le milieu de la mode était établie. De hauts couturiers s’arrachaient ses services. A cinq ans, Anna débuta les cours élémentaires tandis que les jumeaux entrèrent à la maternelle. Cora et Steve avaient fait bâtir un magnifique duplex qui attirait immanquablement le regard.
Ils vivaient heureux.
Un week-end, Steve amena les enfants au bord de la lagune Ebrié. Il les avait initiés aux plaisirs de la pêche.
- Papa, je veux un hameçon, réclama Lucas qui venait de perdre le sien.
Steve qui essayait d’appâter une truite lui fit savoir par un geste de lui donner la sacoche dans laquelle se trouvaient les nécessaires pour la pêche. D’une main il fouillait la sacoche lorsqu’il ressentit une cuisante douleur dans la paume. Il la retira aussitôt, mais le mal était déjà fait et sa main saignait.
- Tu t’es fait mal papa ? S’enquit Anna.
- Oui, mais ce n’est pas grave. C’est juste un hameçon qui m’a blessé. Je vais me soigner dès notre retour à la maison.
Rassurée, la fillette s’absorba à nouveau dans la surveillance de sa ligne qui d’ailleurs frémissait.
Au cours de la nuit, la main de Steve s’enfla et Cora s’inquiéta :
- Tu aurais dû aller te faire soigner aussitôt. Tu es chirurgien et tu ne dois négliger aucune blessure à la main, même la plus anodine.
- J’ai appliqué un désinfectant à mon retour. Je suis sûr que dans quelques jours il n’y paraîtra plus.
Trois jours après, la main était si enflée qu’il lui était à présent impossible de s’en servir. Lorsqu’il se laissa enfin examiner par un de ses collègues, celui-ci ne cacha pas son inquiétude.
- la plaie est infectée docteur Lawson. Il aurait fallu vous faire examiner immédiatement. Cet hameçon devait contenir des microbes.
- Vous avez sans doute raison, mais avec une bonne dose d’antibiotiques, cela devrait aller.
- J’en suis sûr.
Mais, malgré toutes les dispositions prises, la main de Steve ne désenfla pas. Il était à présent inquiet et Cora aussi.
- Tu crois que c’est grave Steve ?
- Je n’en sais rien. J’ai tout essayé. Je devais même faire une intervention hier, mais je n’ai pas pu à cause de cette satanée main.
- Fais une radiographie, on sera mieux fixé.
Mais, malgré toutes les analyses et traitements suivis, Steve perdit l’usage de sa main droite infectée par quelque bactérie tropicale. Un traitement immédiat aurait pu être efficace, lui avait révélé un de ses confrères. Mais en soixante-douze heures, les dégâts étaient déjà considérables. Steeve subit deux interventions qui lui permirent de retrouver l’usage partiel de sa main. Mais, il ne pourrait plus jamais tenir un bistouri. Il ne prit guère en compte les conseils de plusieurs personnes qui lui suggéraient une reconversion professionnelle en tant que médecin généraliste ou professeur dans son domaine. Il sombra peu à peu dans une dépression profonde qui se muât en une violence qui éclatait à la moindre occasion.
Alors, la vie du couple bascula.
Anna et ses deux frères, à cause de leur jeune âge n’arrivaient pas à comprendre pourquoi leur père avait tant changé. Ayant à plusieurs reprises assistés à ses excès de colère, ils ont fini par le craindre. Parfois, lorsque Cora se levait au milieu de la nuit, elle percevait les sanglots de sa fille et essayait de la consoler.
- Pourquoi papa est devenu méchant ? Lui avait demandé la fillette une nuit alors qu’elle la serrait dans ses bras.
- Papa a connu un grand malheur. Sais-tu que sa main est malade et qu’il ne peut plus opérer ?
- Oui maman, répondit-elle.
- Il adore son métier et c’est parce qu’il ne peut plus opérer qu’il est si malheureux.
- Tu crois qu’il ne nous aime plus ? Hoqueta la fillette.
- Il nous aime ma chérie ; mais il est malheureux, alors il oublie parfois de nous montrer qu’il nous aime.
- Dis maman, est-ce tu crois que si sa main guérit, il redeviendra comme avant ?
- Oui ma chérie.
- Alors je vais prier fort pour que les anges guérissent sa main.
- J’espère qu’ils t’écouteront. Il faut dormir maintenant ma chérie.
- Maman je t’aime.
- Moi aussi, répondit sa mère en la recouvrant de sa couverture.
Cora considéra Steve couché sur la moquette sur laquelle ils avaient tant de fois fait l’amour. Elle aurait voulu le réveiller, lui dire de venir se coucher à ses côtés. Mais elle n’osa pas, sachant qu’il la repousserait une fois encore. Couchée en chien de fusil, elle se sentait désespérée, malheureuse.
Un soir, elle revint plus tard que de coutume de l’agence, car elle avait reçu une cliente à la dernière minute. Ses enfants étaient depuis longtemps couchés, mais elle découvrit Steve au salon qui l’attendait.
- C’est à cette heure-ci que tu rentres ? Jeta son mari d’une voix hargneuse.
- J’ai dû recevoir une cliente de dernière minute, tenta-t-elle de lui expliquer en ignorant son agressivité.
- Ou ton amant ? Ricana son mari d’un air suspicieux.
Choquée, Cora le considéra d’un air furieux.
- Ne me parle plus jamais ainsi, Steve.
- Ah, voilà que madame monte sur ses grands chevaux à présent ! J’avais donc raison.
- Lâche-moi, s’emporta la jeune femme alors que l’homme empoignait son bras de sa main valide.
- Tu ne supportes même plus que je te touche, n’est-ce pas ? Je te dégoûte à ce point ?
- Tu délires, jeta Cora en se dégageant.
Depuis deux ans que sa main avait été atteinte, leur relation n’avait cessé de se détériorer. Ils étaient même arrivés à éviter tout contact intime. Steve était à présent pour sa famille un étranger. Elle s’apprêtait à se coucher lorsque le téléphone sonna dans le séjour. Sachant que Steve ne le décrocherait pas, elle s’y précipita.
- Allô, fit la jeune femme aussitôt le combiné en main.
- Cora ? C’est Dean.
- Tu appelles bien tard, remarqua Cora les sens soudain en alerte.
- J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer.
- Qu’y a-t-il ? S’enquit-elle le cœur battant.
- Cora, surtout garde ton calme. Tu me le promets ?
- Mais qu’y a-t-il ? Maman a quelque chose ?
- Non.
- C’est papa alors ?
- Oui Trésor.
- Dis-moi, il est malade ?
- Il est décédé il y a juste une heure.
- Mon Dieu, papa est décédé ? s’écria la jeune femme en chancelant.
- Il a souffert durant deux jours d’une grippe.
- Oh papa, murmura Cora en se mettant à pleurer.
- Cora, sois forte. C’est dur pour nous tous.
- Maman est avec toi ?
- Non, elle se trouve dans leur chambre. Elle est trop bouleversée pour te parler.
- J’ai l’impression de vivre un mauvais rêve.
- Tu penses pouvoir être à Cotonou pour les obsèques ?
- Oui, bien que je ne puisse pas assister à l’enterrement qui doit se faire tôt demain matin selon les rites musulmans. Avertis maman et dis-lui que je suis de cœur avec elle, conclut la jeune femme en déposant le combiné.
Elle se retourna vers Steve qui s’approcha d’elle.
- Je suis désolé, Cora.
- Oh Steve !
Brisée, elle se jeta dans ses bras. Il l’enlaça et Cora malgré son chagrin pensa qu’il était peut-être encore possible de sauver son couple.
Elle passa une nuit très agitée et se réveilla le lendemain les traits tirés. Elle dut expliquer aux enfants la cause de son départ subit. Après avoir bouclé ses valises, elle héla un taxi en compagnie de Steve.
- Normalement c’est à moi de t’y conduire, mais cette satanée main fait de moi un invalide.
- Un malheur peut arriver à tout le monde. Essaie de te reprendre. De plus tu seras seul avec les enfants pour quelques jours ; pourquoi ne pas en profiter pour te rapprocher d’eux ?
- Je suis un étranger pour eux à présent, n’est-ce pas ?
A cette remarque, Cora ne trouva rien à redire et le taxi qui apparut juste à ce moment l’empêcha de répondre
- Prends bien soin de toi, recommanda Cora à son mari qui se tenait immobile.
Elle fit un pas vers lui mais s’arrêta, le sentant quelque peu distant. En s’installant à l’arrière du taxi, elle eut l’impression que les moments durant lesquels il l’avait réconfortée dans ses bras n’étaient plus qu’un rêve.