Direction Abidjan
Write by Gioia
Madina Bara
Me lever est un combat quotidien. Dans ma situation, on ne sait jamais
comment mes journées seront et celle-ci ne commence pas bien. Mes articulations
me font tellement souffrir que parfois je crie dans l’intimité de ma chambre,
pour un tant soit peu me soulager. Ça ne change pas grand-chose physiquement,
mais je pense que mentalement ça m’aide, ou peut-être c’est le fameux effet placebo
qui me fait penser ça. Je fournis un effort colossal pour me doucher et m’apprêter
ce matin. Être mal à l’intérieur n’est pas une raison pour que mon extérieur le
reflète, du moins je me suis efforcée d’appliquer ce mantra en grandissant. Je
m’apprête rapidement et prends la direction du CHU Ste Justine où j’exerce comme
biochimiste clinique depuis un an. La journée suit son cours et à 17 h, je
vais rencontrer mon rhumatologue Denis Cote à la clinique sur Côte-Vertu pour mon
checkup mensuel. Je suis un peu appréhensive. Il avait demandé une IRM de mon
bassin et mes bras il y a quelques semaines, et les résultats sont probablement
disponibles. Je prie mentalement dans la salle d’attente, le temps que l’une
des secrétaires m’interpelle pour le protocole habituel. Vérification de nom,
adresse, téléphone, personne à contacter en cas d’urgence, puis elle me
retourne à la salle d’attente avec la confirmation que le Dr Cote me recevra
sous peu. Une dizaine de minutes plus tard, Denis me reçoit avec le sourire,
mais avec lui ça ne veut absolument pas dire que c’est un signe de bonne
nouvelle. Et comme je m’y attendais, il me délivre la nouvelle assommante quelques
minutes plus tard.
— Madina, je sais que tu es une personne très positive, mais ça
n’exclut pas que tu doives rester raisonnable, on est d’accord ? Et comme je
t’ai dit la dernière fois, si ton état continue de s’aggraver, il vaut mieux
que tu arrêtes de travailler. Tu sais qu’en attendant, tu peux recevoir une
allocation pour invalidité.
— Ce n’est pas une question d’argent Denis, je dis d’une voix
vacillante. J’ai persévéré pour en arriver où je suis. Ce n’est pas le
moment pour moi d’abandonner.
— Ne le vois pas comme un abandon, mais plutôt une pause pour te
donner du temps et mieux sauter, il essaie de me rassurer. Tu as déjà fait
d’énormes progrès en dépit de ta situation. Je reste impressionné par le fait
que tu marches sur tes deux jambes, et honnêtement tu devrais te donner
plus de grâce.
— Oui je sais et je veux aussi travailler, je sais que je le peux. Si
tu me prescris quelque chose de plus fort, peut-être que ça irait. D’ici là, ma
foi va me sauver, je sais que tu n’es pas trop sur ça, mais je t’assure que
c’est grâce à Dieu que je me tiens ici.
— Tu prends déjà trop de morphine à mon goût. Je peux te prescrire
autre chose pour que tu alternes quelques fois, mais je t’assure que la
meilleure option dans ta condition c’est de limiter tes activités. Je voulais
normalement réduire ta consommation médicamenteuse parce qu’à ce rythme, je
crains qu’une dépendance se rajoute à ton dossier. Tu sais que les opiacés à
action rapide peuvent être........
Oui je le sais. Tout ce qu’il me raconte là je le connais par cœur. Mais je
sais aussi une chose. Si Dieu m’a laissé en vie en dépit des pronostics
négatifs que j’ai récoltés au cours de mon existence, j’ai la foi qu’il me
préservera au moins de l’addiction. De retour à mon appartement, j’ai jeté les
résultats des examens dans ma pile à cet effet avant de me diriger devant mon
miroir. Le destin m’a brutalement arraché 80 % de ma source de joie il y a
quelques années. Je ne vais pas en plus le laisser me prendre mon travail et m’isoler.
J’ai pris un long bain pour me détendre l’esprit et j’allais commencer le
massage de ma cuisse gauche qui pose problème dernièrement quand Laure m’appela.
— Allô, Madidi, tu es où la ?
— Euh chez moi pourquoi ?
— Whatsapp vidéo chérie.
— Ah non je ne veux pas montrer ma face, je ne ressemble à rien.
— Pardon allume la chose, je me promène ici avec un masque sur ma face.
J’allume et explose de rire quand je vois sa tête. Elle tourne sur le côté
et je rigole davantage. La fille a fait un trou dans les deux côtés de son
masque coréen pour y passer des fils qu’elle a attachés derrière sa tête.
— Les gens t’ont fait quoi pour que tu les exposes à ta folie ?
— Laisse-les, au lieu de se presser pour rentrer chez eux, ils
regardent le cinéma gratuit sur mon visage.
— Il faut m’expliquer la science du masque dehors pardon, je ne veux
pas mourir bête, dis-je avec humour.
— Ce n’est pas affaire de mariage vous avez dit ? Je vais
tellement briller que Yannick n’aura d’yeux pour personne d’autre durant les
cent années à venir.
— Le Dr Koumah n’a déjà pas le temps de quelqu’un en dehors de sa
petite Yapo et ça sera ainsi pour l’éternité des siècles.
– Hayyyymeennn ma chérie. Prie en même temps qu’on trouve la robe ce
soir.
— Qu’on ? Attends, tu es où exactement ?
— De retour à Saint-Hubert pour chercher la robe donc je t’emmène
virtuellement avec moi.
— Laure, fis-je touchée par son attention.
C’est ainsi qu’elle et moi depuis mon salon partîmes à la recherche de la tenue.
Après différents essais, nous trouvâmes finalement la bonne. On n’avait pas de
mots après l’essayage. Une fille du magasin tenait l’appareil pour me permettre
de l’admirer. Ma poitrine se remplissait de sensations chaleureuses, tandis
qu’elle tournait sur elle, avec un immense sourire radieux sur le visage.
— Tu vas les éblouir Laulau, j’imagine les larmes de tes parents et Yannick,
continué-je à m’exciter bien qu’elle soit déjà de retour chez elle.
— Lol, papa encore je le vois pleurer, c’est un cœur d’artichaut,
maman elle ne sera que cris de joie, mais tu connais Yannick. Toujours à
jouer au type cool qui maîtrise tout.
— Laisse, il aura à peine le temps de comprendre que la larme coulera
du coin de l’œil pendant que papa te conduira vers lui.
— La dame de la mariée a parlé, se marre-t-elle.
— Encore toi avec ton affaire de dame de la mariée hein, me marré-je
en retour. Dépêche-toi d’en trouver une vraie comme maman t’a dit.
— Laisse la daronne et son
protocole. C’est toi la seule digne de porter ce titre à mes côtés. Même si tu
es loin et que tu ne peux pas faire le déplacement à Abidjan tu seras dans mon
cœur ainsi que celui de Yannick.
L’émotion est à son comble. Les images joyeuses défilent déjà dans mon
esprit donc j’ose rêver.
— Et si je pouvais ? fis-je davantage excitée.
— Ne me dis pas que, enfin tu veux dire que........
— Je n’y suis jamais allée c’est vrai. C’est la CEDEAO non, donc le Burkina
n’a pas besoin de visa ou........
— Ah attends d’abord ! m’interrompt-elle avant de se lever et sauter
tout en criant puis reprendre le téléphone d’où on pouvait entendre mon rire.
Non ce n’est pas possible. Donc tu descends avec nous sur Babi ? Tu es sûr
que tu pourras supporter le long voyage avec la douleur ? La Laure
prévenante était de retour bien que la petite pointe d’espoir demeurait dans sa
voix.
— Oui t’inquiète, je lui réponds motivée avant tout par la joie.
On va seulement improviser sur place. Ma meilleure amie ne peut pas se
marier loin de moi et je vais rester dans mon appartement à dormir sur Whatsapp
attendant avec ferveur photos et vidéos.
— Ah ça ! Madidi et Laulau sur Babi. Qui nous pourra, elle
dit après un second tour de danse. Je commence la liste des coins à te faire
visiter.
— Calme-toi hein ma chère on part pour ton mariage, pas pour jouer aux
touristes.
— Rho faut laisser ça. Je vais t’emmener manger un Garba digne de ce
nom parce que sans te vexer je doute du Garba que tu as dit avoir mangé quand
tu vivais à Bobo. Pas que j’ai quelque chose contre vous les burkinabés hein,
mais bon quoi. Garba d’Ivoirien est imbattable.
— Lol gardez votre Garba on a compris.
Quelques phrases encore et je commençai à être étourdie à cause de la
morphine que j’avais pris juste à la sortie de douche. Elle aussi devait s’apprêter
pour aller retrouver Yannick, donc nous avons raccroché et je me suis mis au
lit. En temps normal j’ai toujours évité les longs trajets à cause de ma
condition. En plus je ne connais personne en Côte d’Ivoire hormis les parents de
Laure que j’ai rencontrés les deux fois qu’ils l’ont visité ici. Mais pour Laure,
je suis prête. Elle m’a accordé tellement de considération depuis qu’on se
connait que rien ne me semble exagéré quand je dois le faire pour elle.