DT - 4

Write by Nobody


Point de vue Sarah

Non, mais il était sérieux ? Il croyait vraiment que j’allais lui obéir au doigt et à l’œil ?
Ce serait vraiment ingénieux de ta part, me susurrait ma conscience.

— Pfff, sale conscience, me fis-je intérieurement.

Je me levai, mais mes muscles, engourdis d’avoir subi un si mauvais traitement à force d’être restés dans la même position, me rappelèrent que j’étais tout sauf en forme. Je serrai les dents pour réprimer l’assaut de douleur qui montait à ma gorge, puis je me redressai, la tête toujours haute, dans n’importe quelle situation. J’avais appris cela avant même de pouvoir dire mon nom en entier.

— Suis-moi, répéta-t-il.

— Alors, comme ça, Ahmed Ben Khalifa était aussi, d’une part, un kidnappeur ? Passionnant, dites donc.

— FERME TA GUEULE, Sarah, sinon ça va aller vite !

— ME CRIE MÊME PAS DESSUS !

Je le vis se rapprocher de moi ; il était si furax qu’une aura l’accompagnait. Enfin, façon de parler, bien sûr.

— MOI, TU ME CRIES DESSUS ? JE SUIS QUOI, MOI, POUR QU’UNE FILLE ME CRIE DESSUS ? rire nerveux

Et là, je n’aurais jamais pu imaginer qu’il oserait. Je ne vis absolument rien venir. Il m’asséna une gifle si violente que ma tête tourna jusqu’à Bamako là-bas. Ensuite, tout se passa si vite que je ne pourrais le relater en détail. Il me rua de coups en répétant qu’il n’était pas un pd. Moi ? Je pleurais en silence. Jamais je ne le supplierais, JAMAIS.

Ce n’est pas trop le moment de jouer la fière, tu sais. Encore une fois, c’était ma conscience.

— CRÈVE, SALE CHIEN ! réussis-je à lui crier entre deux coups.

À ce moment précis, je crus voir toute ma vie défiler. Il redoubla l’intensité et la vitesse de ses coups. Il me battait comme si j’étais un homme, ou mieux, comme si j’étais son pire ennemi.

— JE SUIS DÉSOLÉE, lui criai-je après un moment.

Je ne parvenais plus à supporter, certes, mais jamais de ma vie je ne lui ferais le plaisir de m’avouer vaincue. Une idée germa dans mon esprit.

Il se baissa à mon niveau, un sourire mauvais étirant ses lèvres.

— Alors, on joue moins la mali…

Ni une ni deux, je saisis le col de sa chemise et je l’attirai brusquement contre moi. L’effet de surprise, combiné à toute la force que j’y mis malgré mon état, lui fit perdre l’équilibre. Avant qu’il ne s’écroule sur moi, je plantai mes dents dans la chair tendre de son épaule et je la mordis violemment. Il hurla et essaya de m’étrangler, mais je ne desserrai l’étau de mes dents qu’une fois qu’un liquide âcre coula dans ma gorge. Alors, seulement là, je le libérai, m’attendant déjà à ma fin.

Ma dernière pensée fut pour ma mère. Bientôt, on se reverra. Alors je souris, mais rien ne vint.

Quand j’ouvris les yeux, je vis un type tenir Ahmed fermement par les bras, et une fille fonçait justement sur moi. Mais qui était donc cette folle ? Dans quoi étais-je embarquée, nom de Dieu ?

Il était absolument hors de question que je me laisse faire docilement et me fasse battre à nouveau par cette personne. Alors, quand elle se jeta sur moi, je tirai violemment sur ses cheveux et je lui griffai l’arrière du cou par la même occasion. Elle répliqua tout aussi rapidement et me donna un énorme coup de tête qui faillit, je dois bien l’avouer, me faire perdre connaissance.

Puis le type, qui jusque-là retenait l’autre fou furieux, vint la soulever et la jeter par terre sans aucun ménagement.

— T’es fou, Karim, laisse-moi tuer cette suceuse, là ! s’écria-t-elle en essayant de se débattre.

— Viens, et c’est ton sang que je vais sucer jusqu’à extinction, lui répondis-je du tac au tac.

— Salope, je vais te…

Et puis là, paf. Je ne m’y attendais tellement pas que j’éclatai de rire. J’essayai tant bien que mal de me relever. À en juger par les différentes douleurs, Ahmed m’avait sacrément amochée. Je me remis droite devant eux.

— Plus jamais de votre vie, à tous les deux, vous ne me touchez encore. Surtout toi, machin chose là, lançai-je en direction de la fille.

Je pris un temps pour rigoler, histoire de rendre le moment encore plus dramatique qu’il ne l’était déjà.

— Tu me touches encore, et sur la tête de ma tante, je vais pas blaguer avec toi. Et crois-moi, je ne jure jamais sur la tête de la tante pour rien. En plus, tu risques de te manger des claques à chaque fois.

Je m’assis en tailleur et les regardai tour à tour. Ahmed était énervé, mais quand nos regards se croisèrent, un voile passa sur ses iris. Je n’arrivais pas forcément à le décrypter. Était-ce du regret ? De la honte envers lui-même ? Du respect pour moi parce qu’il se rendait compte que j’étais un sacré bonhomme ? Je ne saurais le dire, mais là, à cet instant précis, je n’en avais vraiment rien à faire.





La fille lui tournait autour. Je remarquai que le haut de son habit était tacheté de sang, précisément au bas de son cou. Je regardais mes ongles et constatai qu'il y avait un peu de sang à l'intérieur de ceux-ci. Comme un enfant qui aurait remporté une bataille à la cour de récré, j'étais très fière de moi, mais j'aurais aimé que cela soit son visage laid, afin qu'il soit encore plus amoché. L'autre homme qui m'avait secourue essayait tant bien que mal de dissimuler un sourire. Je regardai fixement Ahmed puis la fille et crachai sans absolument aucune gêne. Tout de suite après, ma conscience me rappela que ce n'était pas très glamour tout ça.

Ahmed sortit en trombe, suivi de près par sa petite chienne. Mon héros me regarda un moment, puis finit par me gratifier d'un sourire que je devinai sincère.

— T'as un sacré caractère, dis-moi.

— Ça, tu peux le dire.

Point de vue Ahmed

Je n'étais pas un gentleman, ça, je ne m'en étais jamais caché. Une forme de rage m'habitait quand je la frappais et qu'elle encaissait sans crier. Je pouvais même affirmer que c'était cela qui m'avait le plus énervé. J'aurais pu donner une énorme somme afin de l'entendre émettre ne serait-ce qu'un cri de douleur. Non mais comment on l'avait formée ?

— Putain, Kaina, t'es folle ou quoi ? Ne serre pas trop fort !

— Désolée, Ahmed, minauda Kaina.

Je la connaissais depuis qu'elle était toute petite, et plus elle grandissait, plus je me rendais compte qu'elle n'avait décidément aucun caractère, cette fille.

— C'est avec des canines qu'elle t'a fait ça, ou c'est comment ?

Je regardai fixement Karim qui venait de rentrer et qui avait fait cette remarque inutile, et celui-ci leva les bras au ciel.

— C'est bon, c'est bon, je ne dis rien. Mais c'est quand même profond. Je ne serais pas étonné si on devait t'amputer le bras.

— MAIS FERME TA SALE BOUCHE, ESPECE DE SAL BÂTARD VA !

— NON, C'EST TOI QUI VAS FERMER TA PUTAIN DE BOUCHE. Tu es là, tu fais le nerveux. Qu'est-ce que tu crois ? Tu crois que ce que tu viens de faire là, c'est un acte d'homme, ça ? T'as battu une fille, et tu joues encore le nerveux ? Mais explique-moi pour qui tu te prends, Ahmed.

Il marqua un temps d'arrêt et ses yeux s'écarquillèrent.

— Attends, attends, tu m'as vraiment traité de bâtard ou c'est moi qui ai mal entendu ? Ahmed, tu m'as traité de bâtard ?! C'est chaud...

Et là, il monta en direction des chambres.

— Fais pas attention à lui, me dit Kaina.

Je ne lui répondis pas et me pris la tête entre les mains. Zeubi, qu'est-ce que j'avais fait, là ? Moi, j'avais frappé une femme ! J'avais un passé assez moche en ce qui concerne mes relations avec les femmes, j'ai toujours été violent mais j'avais commencé à travailler sur moi, j'avais pris conscience et je m'étais juré de ne plus jamais lever la main sur une femme à part Kaina car pour moi elle était comme une petite sœur. Je croyais que c'était déjà derrière moi, tout ça, mais apparemment non. 

Et pour couronner le tout, j'avais traité mon meilleur ami de bâtard. Cela peut paraitre normal entre amis, mais pas en sachant ce que je sais sur lui. Je pourrais le traiter de tous les noms, il avait un sens de l'humour incroyable pour accepter ça, mais pas ce qualificatif péjoratif. Il me l'avait dit à de nombreuses reprises, il m'avait mis en garde que c'était quelque chose qu'il n'aimait pas entendre même si c'était de l'humour.

Karim redescendit, un sac sur ses épaules.

— J'ai fait sortir Sarah. Moi, je m'en vais. Je reviendrai chercher les affaires qui me restent.

— Karim, reste, s'il te plaît.

— T'es qui pour me traiter de bâtard ? Ça, ça ne passe pas et tu le sais très bien. Je ne te tourne pas le dos, mais peut-être est-ce parce que je suis chez toi que tu te permets de réveiller des souvenirs qui auraient été mieux enfouis à leur place.

Je n'étais pas un fragile, je n'allais pas essayer de le retenir. S'il ressent le besoin de s'en aller, qu'il le fasse donc tiens ça me fera des vacances !

— KARIM !

Je me tournai, en fait, nous nous tournâmes tous vers le haut comme un seul homme. C'était Sarah. Son visage commençait à enfler dangereusement. En plus de cela, elle boitait et se tenait une côte.

— Karim, s'il te plaît, aide-moi.

Ce furent ses derniers mots avant de s'écrouler sur la dernière marche de l'escalier. Karim et moi eûmes le même réflexe. J'accourus près d'elle et voulu la prendre dans mes bras, mais Karim me devança.

— Tu as bien conscience qu'elle n'ira pas à l'hôpital ?

— Okay...

Ça me foutait la haine que Karim me fasse la gueule, mais ça lui passerait, j'en étais sûr. Pour le moment, je le regardai monter avec Sarah dans les bras, semblant ne guère se soucier de ses formes généreuses.
Qu'est-ce que j'avais fait ?

Trois heures plus tard

Le docteur que j'avais fait venir était reparti deux heures plus tôt. Apparemment, elle était dans un mauvais état : elle avait une côte et le genou gauche cassés. Karim l'avait amenée à l'hôpital sans me lancer un seul regard malgré ma désapprobation. Je n'avais certes pas un manuel de kidnapping mais il me semblait que quand on kidnappe quelqu'un, on ne le ramène pas à l'hôpital tout de même ! 

Je me levai en poussant négligemment la tête de Kaina, qui s'était endormie sur mes pieds. Je montai dans ma chambre. Là, je me glissai dans ma salle de bain. Mon épaule me faisait atrocement mal, mais je serrai les dents. Je finis tant bien que mal de me doucher, puis je sortis et enfilai mon costume. Ce n'était pas parce que j'avais une fille kidnappée chez moi que je devais me permettre de délaisser mon entreprise. En plus, j'avais pris la fille pour cette cause.

Je sortis dans mon garage et déverrouillai ma BMW. J'y grimpai et pris la direction d'Ahmedy Compagnie. Quand j'y entrai, l'agitation était à son comble.

— Qu'est-ce qui se passe, Nadia ? demandai-je à une employée qui passait.

— Ah, Mr Ben Khalifa, n'aviez-vous pas entendu les nouvelles ?

— Visiblement non, mademoiselle, répondis-je sèchement.

— Il paraît que Mlle Sarah Harwood a été enlevée.

— Enlevée ?

— Enlevée.

- Enlevée ? répétai-je mécaniquement, dissimulant mon trouble.

- Oui, apparemment, sa disparition a été signalée ce matin même. Toute la presse en parle. 

Un frisson me parcourut. Cette histoire prenait une tournure que je n’avais pas anticipée.

- Merci, Nadia, dis-je d’un ton neutre avant de me diriger vers mon bureau.

Une fois à l’intérieur, je claquai violemment la porte derrière moi et m’affalai dans mon fauteuil en cuir. Sarah… Cette situation… Ce qui s’était passé. Tout cela me hantait plus que je n’osais l’admettre.

Je jetai un coup d’œil rapide par la fenêtre. Les rues grouillaient de voitures, de passants, de bruits incessants. Pourtant, tout cela me paraissait distant, presque irréel. J’avais l’impression de perdre pied. La situation m’échappait complètement. Pourquoi avais-je perdu mon sang-froid à ce point ? Kidnapper une femme, la frapper, puis… cette morsure. Je portai machinalement ma main à mon épaule, où la douleur lancinante ne me laissait aucun répit.

Je restai ainsi, immobile, pendant plusieurs minutes, à réfléchir à ce que je devais faire

- Ahmed, t’as merdé comme jamais, murmurai-je pour moi-même.

Un coup léger sur la porte me fit sursauter.

- Entrez, lançai-je brusquement.

C’était Karim. Il avait cet air impassible, mais son regard me transperçait comme une lame.

- Je l’ai déposée à l’hôpital. Ils vont la garder quelques jours. Son état est grave, mais elle est hors de danger pour l’instant, dit-il calmement.

Je hochai la tête sans répondre.

- Écoute, Ahmed, on doit parler. Cette histoire va te retomber dessus si tu ne fais rien. Sarah n’est pas une fille ordinaire. Si elle parle, tu es foutu.

- Elle ne parlera pas, rétorquai-je sèchement.

Karim éclata de rire, mais ce n’était pas un rire amusé.

- T’es sérieux, là ? Elle ne parlera pas ? Ahmed, elle te déteste. Si elle sort de là vivante, elle fera tout pour te détruire. Et honnêtement, je ne la blâmerais pas. T’as déconné, mon pote. Grosse erreur.

Je me levai brusquement, sentant la colère monter en moi.

- Alors quoi ? Tu veux que je fasse quoi, Karim ? Que je m’agenouille devant elle et que je lui demande pardon ? grognai-je.

Karim croisa les bras et me fixa, impassible.

- Ce serait un bon début, ouais. Mais je doute que ça suffise.

Je soupirai, agacé, avant de me laisser retomber dans mon fauteuil.

- J’ai besoin de réfléchir, lâchai-je finalement.

Karim resta un moment silencieux, puis hocha la tête.

- Fais ça, Ahmed. Mais réfléchis bien. Parce que si tu te plantes, cette fois, je ne serai pas là pour te rattraper.

Il quitta la pièce sans un mot de plus. Je restai là, seul avec mes pensées. Mes poings se crispèrent sur les accoudoirs du fauteuil.

Comment avais-je pu en arriver là ? Moi, Ahmed Ben Khalifa, l’homme d’affaires redouté, réduit à cette situation pitoyable ? Une part de moi savait que Karim avait raison. Mais l’autre refusait de l’admettre.

Je passai une main sur mon visage, tentant de calmer le tumulte qui grondait en moi.





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