Eaux Troubles

Write by imalado

Le lendemain, elle retrouva le courrier sur la table de séjour. Une enveloppe fleurie attira son attention, la confirmation du bal de printemps. Elle l’avait complètement oublié. Le bal était annoncé pour ce week-end, dans la salle du majestueux Westminster. Et comme chaque année, les invitations étaient lancées le premier du mois de janvier. Il ne regroupait que la grande société de Londres, ceux dont les noms de famille sont inscrits parmi les plus fortunés. Elle en avait reçu  une. Seulement, cette invitation était pour deux, au nom du couple Crawford de Brian et Elisabeth Lans. Ils voulaient pour cette année, y aller ensemble. Ça aurait été la soirée ‘d’officialisation’. Mais tout ceci n’est plus d’actualité. Elle irait tout de même, pourquoi se priver d’une nouvelle robe signée de chez Armani? Sa marque préférée. Leurs créations ont l’art de sublimer le corps de la femme, des merveilles, disait-elle. Pourquoi ne pas y aller seule ? Ce n’est pas comme si d’un coup, Brian allait laisser « Anna Bolton ». Une pointe de jalousie. Elle traina son sac dans les escaliers jusque dans sa chambre. Une douche vite fait, et elle se plongera dans les paperasses que Florence lui avait envoyées ce matin. La pauvre était déjà débordée de travail avec les affaires à Paris, mais elle ne se lassait jamais d’aider Elisabeth pour l’ouverture de Londres L-Galery. Elle y passa la nuit.

         Quelques jours après… Brian se tenait face à la fenêtre de son bureau, les mains dans les poches. Il sortait d’une opération et a malheureusement perdu son patient. D’habitude, il s’empressait d’appeler Lise. Elle avait les mots pour le réconforter. Chose qu’il aurait voulu faire, ou même tout simplement la voir et la serrer dans ses bras. Sa présence seule, lui semblait magique. Au lieu de ça, ce tableau au mur lui servait de réconfort, au lieu de Lise… Il retira de sa poche, son portable et composa son numéro, sans avoir la force de l’appeler. Il finit par le faire, et lui proposa un déjeuner qu’elle accepta sans surprise. Elle a dû deviner.

         Assis au fond du restaurant, regardant nerveusement sa montre, comme un adolescent pour son premier rencard, il attendait Lise. Il ne s’expliquait pas la raison pour laquelle il a agi ainsi, c’est sûrement l’habitude, on ne s’en défait pas si facilement. Mais qu’allait-elle penser ? Qu’il essayait de forcer les choses ? Ou même de lui demander de lui donner une chance ? A ses pensées, il décida de la rappeler et d’annuler, feignant une urgence à l’hôpital. Même si, elle lui manquait terriblement, il respectait sa décision. Il saisit sa veste de sa main gauche quand il la vit, arrêtée au seuil de la porte, parcourant le restaurant du regard. Il sourit, leva le bras pour lui faire signe et se rassied, gêné. Elle a sûrement dû le remarquer…

         Mais quand il la vit vraiment, il ne put s’empêcher de la regarder. Cela lui semblait une éternité qu’il ne l’a pas vue. Il en resta figé. Sa présence avait suffi à faire taire en lui, toute la tristesse qu’il éprouvait. Et elle resplendissait de plus belle. Ses cheveux étaient relâchés et de magnifiques boucles se posaient sur ses épaules. Une chemise couleur cyan, et un jean. D’une élégante simplicité. Chaque détail en elle, jusqu’à la couleur foncée de son rouge à lèvres, lui faisait de l’effet. Elle sourit, s’assied et d’une main délicate enleva une mèche de son front.

  • Brian ?

Sa voix était restée la même, douce et apaisante avec cette pointe d’inquiétude. Il sourit. Elle est juste magnifique…

  • Tu étais au bloc c’est ça ?

Elle le connaissait si bien, il n’avait pas besoin de parler. Elle comprenait les mots sous son silence, et les sentiments derrière ses yeux. Elle avança une main sur la table qu’il saisit, et resta un moment sans parler.

  • Tu as fait tout ce que tu pouvais Brian. Tu ne peux sauver tout le monde et ça tu le sais. Arrête de te rejeter la faute, cesse de te torturer…

  • Tu es… Magnifique Lise. Ça fait si longtemps. Tu as changé de coiffure ?

  • Oui. Merci.

Elle retira sa main et sourit au serveur qui venait de lui apporter une tasse de café.

  • Au lait et sans sucre. Je me suis dit que tes habitudes n’ont pas changé. Désolé de t’avoir déranger, c’est stupide. Je ne sais pas pourquoi j’ai appelé…

  • Je suppose que tes habitudes n’ont pas changé aussi… Ce n’est pas grave, je n’avais rien de prévu de toutes les façons.

  • Je suis désolé, pour tout ce qui se dit dans les journaux.

  • Tu ne devrais pas. Tu mérites de refaire ta vie et tu ne me dois pas d’explications.

  • Je mérite aussi d’être avec celle que j’aime Lise.

  • Brian… S’il te plait. Ne rend pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont. Je suis venue car je savais que tu ne te sentais pas bien.

  • Je sais. Merci d’être venue. Je ne savais pas qui appeler.

Elle voulut se taire, maintenir le silence sous ses mots, qui lui disaient, qu’il avait besoin d’elle, mais ce serait tout simplement tourner le dos à la situation. D’une voix peu sûre d’elle, elle fixa sa tasse, comme pour y trouver la force de parler…

  • Si tu veux avoir une chance de tourner la page, si tu veux vraiment construire quelque chose avec… Elle. C’est la seule personne que tu dois appeler.

  • J’avais cru un instant en regardant ton tableau au mur, qu’il me suffisait de passer cet appel, pour me réveiller. Comme si tout ça n’était qu’un cauchemar. Elle n’est pas toi Lise. Aucune autre ne peut l’être. Mais tu as raison, ça prouve seulement à quel point il est difficile de tourner la page.

  • Ce n’est pas l’impression que tu donnes en t’affichant ainsi et en te promenant dans toute la vie avec elle à tes bras !

Elle avait laissé éclater sa jalousie. Une chose qu’elle s’était promis de ne pas faire. Elle ne supportait pas de le voir avec une autre, c’est au-dessus de ses forces. Elle se ressaisit alors de ce qu’elle venait de dire.

  • Je suis désolée… Je ne voulais pas dire ça.

  • Ne le sois pas. Je prends les mauvaises habitudes de mon frère. En parlant de lui, il m’a dit que vous, vous êtes vus. Je ne savais pas que vous vous entendiez aussi bien.

  • Ce n’est pas le cas. Je veux dire on s’entend bien c’est ton frère, mais il voulait juste me voir pour affaire.

  • Pour affaire ? Christopher voulait faire des affaires avec toi ? Je suis étonné j’avoue, qu’est-ce qu’il y connait à l’art ?

  • Je n’en sais rien. Il voulait me parler de ses immeubles pour ma nouvelle galerie… Rien de plus.

  • C’est bien. Je suis content que ton projet prenne enfin vie.

Voilà maintenant qu’il aborde le sujet de Christopher,  c’est peut-être l’occasion de tout lui dire ?

  • Brian, il faut que je te dise quelque chose…

  • Vas-y je t’écoute.

  • Je ne t’ai pas tout dit sur moi, sur mon passé…

  • Lise, je ne t’aime pas pour ton passé…

  • Je sais. Mais c’est ce passé qui me hante aujourd’hui et qui détruit tout ce que j’ai mis longtemps à construire…

  • Tu me fais peur là, qu’est-ce qui ne va pas ?

  • Il s’agit de…

Un bip. Une urgence à l’hôpital. Brian attrapa sa veste sur la chaise à côté.

  • Je suis désolé Lise, une urgence. Je dois y aller. C’était bon de te revoir. Ça te va bien les boucles aussi. Prend soin de toi.

Il posa une bise sur son front et s’en alla, pressé…

Elle déposa une main sur son cœur et respira un bon coup. Elle était sur le point de lui dire la vérité, une partie de la vérité. Car de sa grossesse, elle est la seule à connaitre. Mon Dieu, il lui avait tant manqué, énormément. Si les paroles qu’elle lui a dites, semblent l’éloigner, elle voudrait qu’il revienne, toujours et toujours. Elle savait à quel point, c’est pour lui, une épreuve terrible que de perdre un patient. Elle aurait tellement voulu le prendre dans ses bras, lui caresser les cheveux et lui dire tout bas qu’elle sera toujours là pour lui. Mais au lieu de ça, elle l’a repoussé encore. Quelle idiote, suis-je, pensait-elle. Quelle idée de lui demander d’aller voir ailleurs ! Elle n’est que seule, fautive de son malheur… Alors qui blâmer ?

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