Eh... Bamako... Djenné... Le Mali!

Write by Louise Pascale

Farida …

            Deux semaines déjà que Azalea étaient partie en Australie.

Dans le taxi qui nous avait ramené du mariage, elle avait pris un billet. J’avais compris qu’elle ait besoin de prendre de l’air. Trois jours après que Sade et David se soient envolés pour les Maldives, elle avait pris l’avion sans prévenir sa mère.

Je m’ennuyais d’elle… comme à chaque fois qu’elle décidait de voyager. Mais nous avions déjà nos petites habitudes et avions appris à gérer notre amitié sans tenir compte des décalages horaires.

Je passais mes journées dans mon appartement à éplucher les petites annonces dans l’espoir de trouver une annonce. J’envoyais mon curriculum vitae à chaque fois que je tombais sur quelque chose.

J’en étais arrivée à ne plus seulement me concentrer sur les annonces concernant des chefs de projets. A cette étape, j’aurai accepté n’importe quoi. La vie en France est chère ! Dans le but de vivre décemment, j’avais mis un de mes talent au service de la gente féminine. Je confectionnais des perruques pour mes sœurs africaines à mes heures perdues. Je dois avouer que c’est un marché très lucratif. Et aujourd’hui que je ne trouvais rien à faire, je me plongeais dans cette activité nuits et jours.

Moi : Tchuiips, faut vite que tu reviennes, j’ai envie d’aller me trémousser.

Azalea : Tu sais que ce n’est vraiment pas mon truc les clubs!

Moi : Pardon, tu peux pas dire « les boîtes » comme tout le monde ?

Azalea : Tu me fatigues… Toi continues à dire « boîtes ».

Moi : En tout cas toi viens seulement.

La sonnerie de mon Skype retentit.

Moi : Han ? Donc y a encore des gens c’est Skype qu’ils connaissent !

Azalea, rieuse : Ils ont manqué le train du développement.

Moi : Attends je guette quand même. Je suis sûre que c’est un ancien et rare dragueur.

Je me levais pour attraper mon vieux HP sur la table. Je faillis faire un infarctus quand je vus « Baba » afficher sur l’écran de quinze pouces. C’était mon père !

Prise de panique, je déposais mon téléphone en mode haut-parleur et je répondis enfin.

Moi : Salem Baba,

Mon père : Salem Farida.

Sa voix était dure.

Mon père : Je ne te vois pas pourquoi ?

Qui est folle ? J’avais répondu sans activer la vidéo. Mais pourquoi voulait-il me voir ?

Moi : Je regarde ce qui ne va pas.

Tout en demandant des nouvelles de la famille, je fouillai partout à la recherche d’un voile que j’enfilais à vitesse grand « V » avant de faire semblant de bidouiller la caméra.

Moi : Mais je ne comprends pas ce qui se passe. Ah, voilà, ça devrait aller maintenant.

Mon père : Je ne vais pas passer par quatre chemins Farida, tu vas rentrer au pays !

Quoi ? Mon père venait-il de me dire que je devais retourner au Mali ?

Je suis malienne et je ne m’en suis jamais cachée. Mais le Mali pour moi représentait la douleur et la souffrance. De plus, ça ferait bientôt sept ans que j’avais quitté le pays pour venir poursuivre mes études dans la « plus belle ville du monde ». C’est clair qu’au départ j’avais pas mal galéré. Je n’étais qu’une gamine à cette époque et je n’avais jamais vu le métro et des tas d’autres choses. La plus grande avenue que j’avais connue jusque là était celle de l’indépendance.

J’avais mis du temps à m’accommoder aux hivers rigoureux et à la ponctualité. Nous les africains ne sommes-nous pas les champions du retard ?

J’avais tout de suite voulu être différente des autres africaines sans pour autant me transformer en un « Bounty renversée ».

Paris avait pour moi un goût de liberté.

Moi : Baba, pourquoi maintenant ? J’ai très peu de chance de trouver quelque chose à Bamako. Ici enc…

Mon père la mâchoire serrée : Ne discutes pas avec moi. Tu penses que je ne sais pas ce que tu fais à Paris ?

Moi, les yeux grands ouverts me demandant ce que j’avais bien pu faire.

Mon père : Tu m’as humilié Farida. Tu ne portes plus le voile depuis longtemps. Ne cherche pas à me mentir. Wahim m’a montré tes photos sur le Facebook. Walaï, tu veux me tuer ou quoi ?

Je ne comprenais pas ce qui était en train de se passe.

Je crois que j’ai oublié un détail. Je suis musulmane.

En fait c’est un peu compliqué.

Je suis issue d’une famille musulmane. Très tôt, j’ai appris les cinq piliers de l’Islam. J’étais alors très petite pour poser des questions et pour remettre en cause. A onze ans, ma vie bascula et à mesure que je plongeais dans le monde des « grands », je me rendais compte de tout ce que je ne voulais pas pour ma vie.

A mon arrivée en France, je me suis faite des amis, à la fac, dans le quartier et autres. Ils me firent découvrir beaucoup de choses parmi lesquelles les réseaux sociaux. J’avais fini par créer un compte Facebook où comme beaucoup, je partageais mes photos. Compte que j’avais créé sous un faux nom pour échapper à l’espionnage des membres de ma famille présents sur le même réseau. Au fait, pourquoi disait-il « le Facebook » ? Il venait de découvrir le pot-aux-roses.

Mon père : Wallah Farida, tout le monde m’avait prévenu de ne pas t’envoyer là-bas chez les « toubabs », que tu allais devenir une bordelle et c’est ça qui est là.

Je commençais à sentir les larmes monter, mes yeux picotaient.

C’est vrai que chez nous, c’était toujours un drame de quitter le cercle familial. Ils avaient tous une peur panique de ce que l’on pouvait rapporter de l’extérieur. Je n’avais jamais vu des personnes avoir autant peur du changement, de la nouveauté.

Mon père : Ta mère, paix à son âme doit se retourner dans sa tombe.

Moi : Baba, est-ce que je n’ai pas eu mon diplôme ? Est-ce que je n’ai pas travaillé dur pour t’alléger les dépenses de mes frais de vie ? Est-ce que…

Mon père, la voix orageuse : Tu te permets de me répondre ? Ce n’est pas dans la maison de Faha qu’on fait ces choses-là.  

Il se racla la gorge avant de continuer. « Tu connais Adoum, le cousin de Noura, tu le connais ? »

Pourquoi me parlait-il de celle-là. Noura était sa deuxième femme. Mon poison de belle-mère venait faire quoi dans cette histoire ?

Mon père : Celui qui est à Djenné !

Moi : Oui baba !

Mon père : Par la grâce de Dieu, il est venu ici à Bamako demander ta main.

Moi : Quoi ? Comment ça il a demandé ma main. Il a déjà deux femmes non ?

Mon père : Il faut te taire. Les femmes ne se mêlent pas de ces histoires. Tu es ma fille et je te donnerai à qui je veux. Tu pensais te cacher sur l’internet en changeant ton nom ? Tu es là, tu t’affiches avec des pantalons et depuis quand une fille musulmane porte les cheveux des blancs avec les vernis ? C’est où qu’on t’as appris à porter des chaussures grandes comme la tour Eiffel ? Soubanala… il faut que je prie beaucoup que jamais Adoum ne soit au courant de la vie de débauche que tu es allée mener là-bas.

Je suis fatiguée de te voir. Il faut rentrer ramasser tes affaires et partir chez ton mari.

Il coupa l’appel sans même me dire au revoir.

Je restais là sentant l’inquiétude et la peur me monter au ventre. J’étais paralysée par tout ce que mon père venait de dire.

Il venait de découvrir ma vie. Celle que j’avais décidé de mener.

J’avais pourtant toujours pris mes dispositions. Je m’habillais « décemment » à chaque fois que j’envoyais une photo à la famille. J’allais même jusqu’à porter le voile. Pendant la période de jeun du Ramadan, je leur envoyais des versets que je prenais sur une application. J’avais tout fait comme il se devait mais apparemment, ça n’avait servi à rien !

Azalea qui avait tout entendu brisa le silence du petit studio que je louais depuis déjà trois ans dans une petite rue de Saint-Denis.

« Fafa. » Sa voix était petite.

Moi en reniflant : Mais pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait Aza ? N’ai-je pas le droit de m’épanouir comme je voudrai ?

Je poussais violement mon vieil ordinateur qui tomba en fracas et ôtai sans ménagement le fichu bout de tissu qui enserrait ma tête.

Aza : Farida, arrête !

Moi : Non, pourquoi il me fait ça ?

Je venais de crier en m’écroulant au sol. Je sanglotais en demandant sans cesse pourquoi ?

 

Azalea…

J’avais été témoin du malheur qui s’abattait sur ma meilleure amie.

Elle qui m’avait toujours dit qu’elle ne se laisserait jamais embarqué dans une histoire de mariage forcé allait bientôt se retrouver au rang de troisième épouse d’un certain Adoum.

Farida était musulmane. Elle m’avait toujours dit que quitter Bamako avait été une des plus belles opportunités que la vie lui ait offerte et là, elle devait y retourner.

J’imaginais sans aucun mal comment elle devait se sentir. Elle qui depuis l’obtention de son diplôme s’acharnait à trouver un emploi.

Pourquoi la vie était-elle si cruelle ? Pourquoi est-elle si injuste ?

Il y a dans Paris seulement des centaines de maliens prêts à tout pour retourner vivre dans leur pays et là, il fallait qu’une jeune femme qui avait la vie devant elle se retrouve obliger de tout abandonner pour y aller.

Je n’avais jamais été au Mali. Tout ce que je savais du Mali se résumait à ces quelques histoires que Farida m’avait racontées de son pays natal. Quelques fois sur internet, je faisais une recherche rapide sur Google. Je me rappelais nos fous rires lorsque pour son vingt-deuxième anniversaire, j’avais tenté de lui faire du « mafé ». Un plat à base de purée de cacahuètes.

Personnellement, je n’avais pas aimé. Mais Farida en avait eu la larme à l’œil.

Nos soirées dans Paris et ses environs me revenaient en mémoire. Nos peines et nos joies.

Qu’allais-je devenir sans ma Farida ? Paris serait fade sans elle. Ma sœur de cœur.

Il fallait que je prenne le prochain vol pour être avec elle. Je l’appelais en vain mais elle ne prenait pas.

 

 

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