Episode 10

Write by Mona Lys

10


***INAYAH

 

Je ne retrouve pas Chris dans la chambre quand j’arrive. Son petit sac par contre y est. J’ai aussi aperçu sa voiture dans le garage. Je jette un coup d’œil dans la salle de bain. Non plus. Je lance un appel sur son numéro. J’écoute sonner sans qu’il ne prenne. Je veux relancer quand la porte s’ouvre sur lui.

 

— Où étais-tu ? je lui demande en le scrutant.

— Que veux-tu ?

 

Il est en colère. 

 

— Tu es rentré sans moi.

— Je t’avais pourtant prévenue. 

— Il s’agit de mon…

 

Je ravale le mot quand il lève les yeux sur moi.

 

— Tu oses encore le considérer comme ton mari après tous les changements qui ont été dans ta vie.

— Je parle plus sur le plan juridique que sentimental. Tu le sais. 

— Que veux-tu, Inayah ?

— Lui venir en aide. Rien que ça. Et aussi… entamer une procédure de divorce pour ne plus être liée à lui. Parce que là, je suis votre femme à tous les deux.

 

Il jure en russe. Il me dévie et range son sac.

 

— Jamais aucun IVANOV n’a rien partagé avec qui que ce soit. Ça ne commencera pas aujourd’hui. Je retourne. Tu me feras signe lorsque tu auras mis les choses en ordre. Dans le cas contraire tu recevras les papiers du divorce et toutes tes affaires. Tu feras de ta boutique ce que tu voudras.

 

Le ton sur lequel il m’a parlé ne m’encourage pas à poursuivre cette conversation. C’est donc impuissante que je le regarde s’en aller. Je m’assois toute triste sur le lit. Je ressens un tel vide que je m’endors sans dîner.

 

Le lendemain matin, avant de me rendre au chevet de mon père, je fais un arrêt à l’endroit où j’avais rencontré Sébastien hier. Je vois des hommes de différents âges aider des conducteurs de voitures personnels à se garer dans un espace qu'on pourrait définir comme un parking. Ceci monnayant quelques pièces. C’est donc ça que Sébastien fait comme boulot ? J’identifie l’homme qui avait rapporté la pièce d’argent hier. Je descends de ma voiture et me rends vers lui, assis sur un banc et observant les autres travailler. Il tire sur sa cigarette dont il ne reste plus rien.

 

— Bonjour. Savez-vous où se trouve Sébastien ?

— Il n’est pas venu aujourd’hui hein, me répond-t-il sans lâcher les autres des yeux.

— Pouvez-vous me dire où le trouver, s’il vous plaît ?

 

Il me regarde enfin et glisse son regard sur moi.

 

— Il a pris votre argent ? Si c’est ça, hum nous ne sommes pas dedans hein. On ne le connaît même pas bien oh. Ça fait une semaine seulement qu'il a commencé le bara (le travail).

— Non, rien à avoir. Je suis juste une ancienne connaissance. J’étais hors du pays, je suis rentrée et j’aimerais le voir. C’est moi qui discutais avec lui hier soir lorsque vous lui avez apporté de l’argent.

— Anhann je vois maintenant. Bon, moi je ne le connais pas hein. C’est l’un de mes bons petits qui l’a fait entrer dans le mouvement des djosseurs de naman (ceux qui aident à garer les voitures). Je vais l’appeler et il va vous dire où il est.

— Merci !

 

Il siffle trois fois et fait des signes. Un homme arrive vers nous en courant. Tout aussi débrayé et suant comme les autres. Les deux hommes dans le jargon ivoirien, le nouchi. Le nouveau venu se propose de m’accompagner chez Sébastien. Je sors deux billets de dix mille FCFA que je tends au chef des travailleurs, selon ce que j’ai cru comprendre. 

 

Je gare ma voiture devant une cour familiale sous la demande du jeune.

 

— C’est ici, la vielle mère. C’est chez son oncle.

— Merci beaucoup. 

 

Je lui tends vingt mille FCFA et un billet de mille FCFA pour son transport. Un large sourire déforme sa bouche.

 

— Merci beaucoup la vieille mère.

 

Il descend de la voiture. Je reporte mon attention sur la maison. Je vois des gens aller et venir dans la maison. Certains sont en pleurs. Je me rends compte que les bruits que j’entendais depuis que je m’étais garée étaient des pleurs depuis l’intérieur. Je prends mon courage à deux mains et j’y vais. Il y a peut-être un décès dans la famille. Mais je dois voir Sébastien. J’accoste une jeune fille qui entrait.

 

— Bonjour ma chérie ! C’est ici que vit Sébastien ? Puis-je le voir ?

 

Elle pousse un soupir.

 

— Bonjour tantie, c’est ici. Mais tonton Sébastien est mort.

— Qu… quoi ? Comment ça ?

— Fhum ! On ne sait pas ce qui s’est passé oh. Hier nuit quand il est rentré, il était vraiment bizarre. Il s’est enfermé dans sa chambre et il n’a même pas mangé. C’est ce matin que mon grand frère a trouvé son corps. On dirait qu'il s’est suicidé. En tout cas c’est ce qu’on pense. 

 

Mes pieds manquent de se dérober sous moi. Ces informations me font l’effet d’une douche froide

 

— Pourquoi pensez-vous à un suicide ? j’arrive à demander malgré l’amertume qui me comprime la gorge.

— Parce qu’il y avait à côté de lui beaucoup de plaquettes de comprimés. Et j’ai entendu qu’il avait aussi laissé une lettre pour son ex-femme.

 

Je relève subitement la tête. 

 

— Une lettre ? Pour moi ?

— Hein ? Pour toi ?

— Je suis… Inayah, sa femme. Enfin, je l’étais. 

 

Elle glisse son regard sur moi de haut en bas et inversement. Elle ouvre la bouche quand un homme que je reconnais s’approche. C’est l’un des cousins de Sébastien. 

 

— Inayah ? C’est bien toi ?

— Oui, Moussa. C’est moi.

— Où étais-tu toutes ces années ? Sébastien nous a dit qu’on t’avait sans doute enlevée après qu’on lui ait tiré dessus.

— C’est une longue histoire. Est-ce vrai qu’il…

— Oui. Tu devrais rentrer te montrer à toute la famille. Tu dois des explications sur ton absence tout ce temps aux côtés de ton mari. Ta famille lui avait tourné le dos.

 

Je le suis à l’intérieur. Je salue au fur à mesure que nous avançons. Puis dans le salon, je reconnais la mère de Sébastien. Elle ne fait que pleurer en parlant dans son dialecte. Quand Moussa m’annonce. C’est la surprise générale. Certains me demandent ce qui m’était arrivé quand les autres me lancent carrément que je réapparais aujourd’hui après avoir abandonné mon mari pendant deux ans. Sur la base de la thèse du kidnapping de nos agresseurs, je rajoute que j’ai pu m’échapper avant de rencontrer une famille qui m’a accueillie et m’a fait quitter le pays avec eux. Chacun fait son commentaire. Son oncle, qui est l’aîné de la famille prend la parole.

 

— Nous avons voulu porter plainte contre toi parce qu'on croyait que c’était toi qui lui avais tiré dessus. Mais à son réveil, il nous a dit le contraire. C’est ainsi que nous avons laissé tomber. Quand es-tu revenue ?

— Il y a quelques jours. Je le croyais mort mais hier nous nous sommes rencontrés en ville. J’ai voulu lui parler mais il a pris la fuite.

 

Son oncle baisse la tête. 

 

— Je comprends maintenant la lettre.

 

Il sort un bout de papier dans la poche de son pantalon. Il me la tend.

 

— Il a laissé ça pour toi.

 

Il n’y a que trois phrases : Je ne pourrai continuer à vivre avec cette énorme honte que j’ai ressentie en te voyant hier. Tu es devenue deux fois plus belle et en plus de la honte, un regret sans nom m’a pris aux tripes. Je te demande pardon pour tout, Inayah.

 

Une larme s’écrase sur la feuille. Je la plie et m'essuie le visage.

 

— La balle qu’il avait reçue dans sa tête lui a paralysé les membres inférieurs. Je l’ai pris ici avec moi pour que tout le monde puisse l’aider. Lorsqu’il s’est remis, sa vie avait basculé. Plus personne ne voulait l’embaucher dans son entreprise malgré son palmarès. Même son ancien employeur lui avait tourné le dos. Moi je suis à ma retraite et c’est déjà difficile de joindre les deux bouts, surtout avec toutes ces personnes que j’héberge. Sébastien a commencé à faire les petits boulots mais avec sa condition, c’était plutôt difficile. Il n’était plus le même. Il était devenu très misérable.

 

L’amertume se lit dans sa voix. Je regarde la mère de Sébastien et il me semble qu’elle soit devenue aveugle pour cause de sa vieillesse. Je regrette sincèrement que la vie de Sébastien se soit terminée ainsi. Je m’en veux surtout d’être la cause de son suicide. La première fois il avait survécu, mais cette fois, il est réellement parti.

 

— J’aimerais être tenu informée de tout pour les obsèques. Mon père est hospitalisé et je dois m’occuper de lui. Je ferai l’effort de passer constamment. 

 

L’oncle acquiesce. 

 

UNE SEMAINE PLUS TARD

 

Je reste couchée près de mon père qui lit sa Bible. Il s’y est mis depuis la semaine passée. Le Docteur serait un fervent chrétien et il prie souvent pour mon père. Pour tous ses patients je dois dire. Mon père n’a pas vu d’inconvénient à reprendre ses anciennes habitudes perdues après la mort de ma mère. Il a repris des couleurs. Sa plaie n’est pas tout à fait guérie mais il y a du mieux. Elle n’est plus aussi dégoûtante qu’elle l’était, alors les infirmières ont pris la relève pour les soins. Mon père en avait de toute façon marre de voir la tête de Pauline. Il m’a demandé de lui interdire à elle et ses enfants de venir le voir. Il ne voulait plus voir leurs faces d’hypocrites maintenant qu’il va mieux. Parlant d’eux, je les sens très heureux et confiants ces jours-ci. Limite s’ils ne me narguent pas. Je ne sais pas d’où leur sort cette subite assurance mais je reste sur mes gardes.

 

Le Docteur nous rejoint dans la chambre avec en main une enveloppe. Je devine ce que s’est.

 

— Les résultats du test ADN sont arrivés, nous annonce-t-il. 

 

En effet, pour avoir l’esprit plus clair sur ce sujet, j’ai demandé à ce qu’on nous fasse un test ADN à mon père et moi. Lui, il n’en voyait pas l’importance. Moi si. Je voulais être certaine à mille pour cent que je suis bien sa fille.

 

— Et qu’est-ce que ça dit ? je lui demande avec anxiété. Lisez-la s’il vous plaît. 

 

Il ouvre l’enveloppe et sort une feuille. Il la lit silencieusement avant de lever les yeux sur nous.

 

— C’est positif. Vous êtes bel et bien père et fille.

 

Je ferme les yeux et souffle de soulagement. La main de mon père se pose sur moi. Je lui tombe automatiquement dans les bras. Moi qui croyais être sans identité, sans famille, je finis par apprendre que ce n’est pas le cas. Je suis bien la fille de mon père et ma mère n’était rien de ce qui s’était dit sur elle. Deux bonnes nouvelles qui me redonnent la paix intérieure. 

 

— Nous allons devoir le préparer maintenant pour l’opération, reprend le Docteur après avoir rangé les résultats. Comme je l’ai dit tantôt, il va certes mieux physiquement mais le mal est toujours présent et nous devons essayer de le neutraliser avant qu’il ne se déclenche de nouveau. Nous allons retirer de sa jambe les morceaux d’os infectés afin d’éviter une totale contamination.

 

J’acquiesce.

 

— Nous aurons aussi besoin d’une transfusion sanguine. Vous m’aviez dit avoir le même groupe sanguin que lui ?

— Oui Docteur. Je donnerai mon sang.

— Bien. Ne perdons donc pas de temps.

 

Je veux descendre du lit quand mon père me retient. 

 

— Docteur, permettez-moi de m’entretenir cinq minutes avec ma fille, s’il vous plaît !

— Allez-y !

 

Lorsqu’il nous laisse seuls, mon père prend un air très sérieux.

 

— Je voudrais te donner quelques instructions à suivre. Je voudrais que ce soit toi qui m’enterres.

— Hum ? Enterrer ? Pourquoi parles-tu ainsi ? Tu ne vas…

— Ecoute-moi juste. Ne laisse pas mes frères se faire de l’argent sur ma dépouille. Occupe-toi de tout et cela si possible en une semaine. Ne gaspille pas de l’argent en faisant durer les choses. Ma parcelle de terre et mon champ qui se trouvent au village, laisse mes frères s’entretuer dessus. Ne tente rien sinon ils risquent de s'en prendre à toi mystiquement. Tout ce que tu dois prendre, c’est la maison qui est dorénavant en ton nom et j’ai fait de toi l’unique bénéficiaire de mon compte en banque. Ce n’est certes rien devant ta nouvelle vie, mais je veux que tu gardes quelque chose de moi. Ne laisse pas Pauline s’en accaparer. Je ne veux pas de grandes obsèques. Quelque chose de sobre mais pour le caveau, tu peux mettre le paquet, sourit-il. Faudrait qu'on sache que j’ai été enterré dignement par mon unique enfant. 

— Papa… c’est quoi…

— Je m’en vais sans remords. Je vais avec la joie au cœur. Quant à toi, ne laisse personne te rendre malheureuse comme c’était le cas des années en arrière. Sois maîtresse de ta vie et de tes humeurs. Ton bonheur ne doit dépendre de personne à part toi. Hum ?

— D’accord papa, dis-je la gorge sèche.

— Ça fait longtemps que je te l’ai dit, mais je t’aime ma Inayah chérie.

 

Je ne peux m’empêcher d’écraser une larme. Je ne comprends pas pourquoi il parle comme s’il partait mourir alors qu’il s’agissait juste d’une opération de sa jambe.

 

— Je t’aime aussi papa.

 

Ça fait trois heures de temps que je patiente dans la salle d’attente. Mes doigts me font mal à force de les triturer. Les paroles de mon père me hantent encore. Je crains le pire. Je suis soulagée en voyant le Docteur venir dans ma direction. Je le rejoins en cours de route.

 

— Comment ça s’est passé ? Comment va-t-il ?

 

Il baisse la tête. 

 

— Je suis sincèrement désolé. Il nous a quitté. 

— Non !

— Je suis navré. Tout s’était pourtant bien passé. Nous nous apprêtions à le réveiller quand son cœur s’est subitement arrêté de battre. Je pense qu’il était temps pour lui. 

 

C’était donc pour ça qu’il m’a dit toutes ces paroles. Il savait qu’il ne me reviendrait pas. Ce n’est pas juste. Nous nous retrouvions à peine. Dieu aurait pu me laisser profiter encore de lui. J’étais en manque de son affection. Maintenant je le serais pour toujours. 

 

— Je ne sais pas si ça pourra atténuer votre douleur mais… nous avons découvert pendant l’analyse de votre sang que vous étiez enceinte. 

 

Je bug. Moi enceinte ? Je suis partagée entre la tristesse, la joie et la peur.

 

— J’avais prévu vous en parler après l’opération sans savoir que les choses se passeraient ainsi. Encore désolé pour votre père.

 

J’ai complètement perdu mon latin. Je porte le bébé de Chris dans mon sein.

 

— Voulez-vous le voir avant que son corps ne soit placé à la morgue ?

 

Je fais oui de la tête et ramenant mon regard perdu vers lui. Il me fait signe de le suivre. Ce que je fais. Il m’ouvre une porte qui donne sur une pièce qui n'a que pour seul occupant, mon père. Un drap blanc le couvre jusqu’au cou. Son visage a l’air si paisible. Le voir ainsi me retire toute envie de pleurer sa brusque disparition. Il est parti avec la paix du cœur. J’ai mal de le perdre maintenant mais je pense qu’il était mieux ainsi. Plus personne ne lui fera de mal.

 

— Je t’aime mon petit papa.

 

Je pose un baiser sur son front. Je ressors le cœur serré. Je ne venais pas enterrer mon père mais le soigner. Il sera la deuxième personne que j’enterrerai. C’est moi qui ai réglé toutes les dépenses concernant ses obsèques et j’ai remis de l’argent pour les soins de sa mère qui se retrouve malade après le décès de son unique fils.

 

Je donne des instructions au Docteur et je rentre à la maison. Durant le chemin retour, mes pensées ne sont assaillies que par une chose. La grossesse que je porte. Comment Chris réagira-t-il étant donné qu’il n’a jamais été question de relation entre nous, à fortiori d’un bébé qui nous lierait. Je crains qu’il ne refuse la grossesse tout comme j’espère de toutes mes forces qu’il l’accepte. Comme ça sera parfait que nous formions une famille avec notre bébé. Un petit bout de tous les deux. La famille IVANOV. Je souris en me caressant le ventre. C’est mon plus grand rêve. Avoir enfin une vraie famille. Je regarde le numéro de Chris dans mon portable, hésitante. Et si je l’appelais maintenant ? Je me lance mais tombe tout de suite sur sa boîte vocale. Je raccroche. Je réessayerai plus tard. Lorsque nous arrivons à la maison, c’est avec surprise que je vois la voiture de Chris. Il est revenu ? Sans me prévenir de sa présence ? Je m’approche de Ben.

 

— Bonjour. Mon mari est-il revenu ?

— Oui Madame. Il est là-haut, dans votre chambre.

— Ok merci.

 

La joie et l’anxiété luttent dans mes entrailles. Comment je lui annonce la nouvelle ? Bon ok, je verrai une fois devant lui. J’entre dans la maison et Pauline éclate de rire dès qu’elle me voit. Elle se met à chanter dans son patois. Je monte les escaliers sans lui accorder d’attention. Je ferai une réunion de famille pour annoncer le décès de papa. Ils n’en ont d’ailleurs tous rien à foutre. J’ouvre la porte de la chambre. Aucune trace de Chris. Il doit être dans la salle de bains. En entrant totalement, je remarque des vêtements par terre et aussi sur le lit. Je reconnais ceux de Chris sur le lit. Ceux au sol sont ceux de…

 

La porte s’ouvre sur Chris. Son visage se déforme quand il me voit. La seconde d’après c’est à Rose de faire son apparition. Toute nue et en sueur, exactement comme Chris qui a juste couvert sa nudité d’une serviette.

 

Les lèvres de Rose s’étirent dans un très grand sourire.

 

Je garde mon regard sur ‘‘mon mari’’. Je le sens troublé malgré son grand calme. La seule chose qui me passe par la tête c’est de sortir mon arme et de les flinguer tous les deux. Un tiraillement sorti de nulle part trouble mon bas-ventre. S’en suit une sensation d’écoulement. Je serre les dents pour ne rien laisser paraître. Pour l’avoir vécu un bon nombre de fois, je suis certaine à mille pour cent que…

 

Je suis en train de perdre le bébé.


Tous genres de pensées me traversent l’esprit en cet instant précis. Mais surtout toutes sortes de réactions. L’envie me tente de péter un câble et faire un scandale. Mais je peux aussi bondir sur Rose et la tabasser comme pas possible. Et si plutôt je lui mettais une balle dans les jambes pour la rendre infirme toute sa vie ? L’empoisonner ne serait pas si mal. Quant à Chris, je ne peux rien lui faire de spécial. C’est le patron du mal. Mais je peux néanmoins mettre le feu à ses affaires. Tout comme lui montrer la face cachée des femmes africaines. Celle-là où nous passons en mode chat en griffant ceux que nous ne pouvons battre normalement. Le défigurer momentanément l’empêcherait sans doute de promener sa queue entre les cuisses de filles toutes aussi dégoûtantes les unes que les autres. Une rage sans nom bouillonne en moi. Un brasier de colère me consume. Si j’étais à bord de ma voiture, je leur aurais roulé dessus. Je peux descendre me chercher un couteau pour l’enfoncer dans leurs poitrines à tous les deux.

 

Chris se retourne vers elle. Comme s’il lui avait passé un message muet, elle se précipite de ramasser ses vêtements et de sortir comme si elle avait le feu aux fesses. Elle claque la porte derrière elle. 

 

— Ina…

— Mon père est mort, dis-je dans un calme qui me surprend moi-même.

— Je suis désolé. Mais…

— Je suis rentrée prendre une douche avant de ressortir entamer les démarches pour les obsèques. 

— Gab peut s’en…

— Je vais rester encore une semaine pour terminer tout ce que j’ai à faire. 

 

Je le dévie et me rends devant l’armoire me prendre des vêtements de rechange et une serviette hygiénique, sans oublier une serviette. Je me rends dans la salle de bain située dans le fond du couloir me prendre une douche rapide. Il n’est pas question que je me lave là où ils ont fait leur merde. Les caillots de sang que je vois dans mon dessous me confirment la fausse couche. A peine j’apprends que je suis enceinte que je perds déjà la grossesse. Je sens mes larmes monter. Non ce n’est pas le moment. Je les retiens jusqu’à terminer de me préparer. Quand je reviens dans la chambre, Chris est assis sur le lit.

 

— Inayah, ta sœur…

— Elle est bonne. Je le sais.

— Je ne l’ai pas touchée. 

 

C’est à moi qu’il veut faire croire ça ? Je n’ai pas le temps d’écouter ses balivernes.

 

— De retour à New-York, tu trouveras le moyen de me libérer sans que je n’aie affaire à la justice. J’en ai marre de toute cette merde. Je mérite le respect, diantre !

 

Je ramasse mon sac à main, sors et claque la porte derrière moi. Je tombe en bas sur Pauline et ses filles qui font des messes basses. Elles se taisent en me voyant.

 

— Mon père est mort, dis-je de but en blanc. Pauline, appelle tous ses frères. Qu’ils rappliquent pour les obsèques qui auront lieu ce week-end. Donc dans quatre jours. 

— Pourquoi aussi vite ? Nous devons faire des réunions et tout pour…

— Réunir de l’argent ? Je me charge de tout. Contente-toi de les appeler.

— Mais comment tu peux nous annoncer ainsi sa mort ? Nous sommes…

 

Je tourne les talons sans attendre la suite de son cinéma. Je me rends dans un hôtel car j’ai vraiment besoin d’évacuer cette rage et cette douleur au fond de ma gorge. Une fois seule dans la chambre, je me sers un verre de liqueur. Je n’en ai jamais bu, mais là, j’ai besoin de quelque de fort. Je bois un coup sec, m’en sers un autre. Je fais ce manège trois fois et la quatrième, je balance le verre contre le mur de toutes mes forces.

 

— AARGH !!!

 

Le vase près du canapé suit la même trajectoire. S’en suivent d’autres objets. Ça fait un mal de chien. Je n’avais plus ressenti pareille douleur depuis les maltraitances de Sébastien. Je dirai plutôt que cette douleur fait beaucoup plus mal. Je portais pourtant son enfant. Nous allions devenir une famille. C’était sans compter sur sa verge de merde. Il n’est pourtant pas un homme à femme, alors pourquoi m’avoir fait ça ? Rose est-elle aussi irrésistible ? Au point où même le grand Dark ne puisse se retenir ? J’ai perdu mon bébé par leur faute. J’ai la rage. J’étais tellement heureuse de porter enfin une grossesse après tant de fausses couches. Rose, je m’en balance complètement. Mais Chris ! Comment a-t-il pu me rabaisser de la sorte quand il connaît mon histoire avec cette dernière dans le passé ? Il a brisé quelque chose en moi par cet acte.

 

Ayant marre d’entendre mon portable sonner, je le prends dans l’optique de l’éteindre. Mais je me ravise en voyant le numéro de Shelby. Je me dépêche de décrocher. Lui parler me fera sans doute un bien fou.

 

— « Hey darling! Comment vas-tu ? »

— Mon père est mort, je lance en me servant un verre.

— « Oh God ! Je suis sincèrement désolée pour toi. »

— Chris a couché avec ma demi-sœur, Rose, dis-je en buvant cul sec la boisson. 

— « Oh ! What the fuck ? »

— J’ai fait une fausse couche quand je les ai surpris alors que j’apprenais à peine que j’étais enceinte. 

— « Waouh !!! Tout ça pour ton petit cœur en une seule journée ? Je ne sais pas quoi dire. »

— Oh ce n’est rien.

 

Je renifle.

 

— Je suis habituée à subir tout le temps des merdes. Ma vie a toujours été que de la merde. Je suis née pour subir encore et encore et encore. Le bonheur n’est pas inclus dans ma destinée.

 

Je renifle.

 

— « Tu es saoule ? »

— Non, j’ai mal. Mais j'en ai marre surtout.

— « Tu as le droit de te libérer. C’est vraiment vache tout ce qui t’es tombé dessus aujourd’hui. C’est deux fois plus vache de la part de Chris. »

— Qu’est-ce qu’elle a que je n’ai pas ? je demande, la voix tremblante. Juste quelques jours et il est tombé dans ses filets. Moi ça fait deux ans que j’espère. Pourquoi aucun homme ne veut m’aimer ? Qu’ai-je fait de si atroce ?

 

Je finis par éclater en sanglot. En parler me fait deux fois plus mal.

 

— « Pleure, ma puce. Libère-toi ! Ça te fera un grand bien. Ne reste pas dans cet état longtemps. Tu es une femme forte. Une guerrière qui a surmonté bien d’épreuves. Tu le peux encore. »

— C’est trop dur. J’ai perdu mon bébé à cause de cet homme. Pourtant j’en suis folle amoureuse.

— « Je te comprends. Je suis aussi passée par là. Ne commets pas la même erreur que moi en acceptant de subir dans le silence. Je veux que tu te relèves et décides de ne plus laisser qui que ce soit te pourrir la vie. Tu dois être maîtresse de ta vie. Ne donne plus l’opportunité aux hommes de te briser le cœur. Tu n’as pas besoin de Chris. C’est plutôt lui qui a besoin de toi. Cesse de lui courir après. Cesse de te montrer faible devant lui. Il faut qu’il sache que sans lui, ta vie continue d’avoir un sens. Inayah, relève-toi ! Tu es une déesse. Et pas n’importe laquelle. »

 

Je m’assois par terre, dos contre le mur, à écouter les paroles de Shelby. Mes larmes continuent de ruisseler. Mais elle a pleinement raison. J’en ai marre de pleurer pour des hommes. Je ne suis pas un pantin. Je mérite le respect même si on ne m’aime pas. Chris a fait tomber la goutte d’eau de trop. Il ne me reconnaîtra plus parce que je vais lui faire ça dur.

Dark 2