Épisode 12
Write by Mona Lys
Episode 12
DARNELL
Je monte les escaliers le sourire aux lèvres. J’ai passé une nuit fantastique dans les bras de Kayla. Elle peut se montrer insistante quand elle le veut. Elle m’a rendu deux fois plus amoureux d’elle cette nuit. J’aurais bien voulu rester encore avec elle et les enfants, mais le devoir m’appelle. J’entre dans la chambre de Kayla où je dois prendre une douche avant de rentrer chez moi changer de vêtement. Je pose mon jean plus mon tee-shirt sur le lit quand je remarque une enveloppe. Je n’y prête pas tout de suite attention mais je tique en voyant mon nom inscrit. Je regarde de plus prêt et je peux lire “Retrouver la mère et la sœur de Darnell’’. Ça m’intrigue. J’ouvre l’enveloppe histoire d’être sûr qu’il ne s’agit pas de moi puisque normalement ma mère est censée être morte. Je n’ai pas de sœur non plus. Je regarde une à une les photos qui se trouvaient à l’intérieur de l’enveloppe. Je me vois, étant enfant, au premier coup d’œil arrêté entre un homme et une femme enceinte. Je sais que c’est moi parce que ma grand-mère a des photos de moi quand j’étais enfant. Les photos qu’elle n’a pas, ce sont ceux de mes parents. Je regarde le dos de la photo, il y a écrit “Famille MENSAH. John, Joëlle et Darnell’’. Je regarde attentivement l’homme. Il ressemble à celui que je vois dans mes cauchemars qui continuent jusqu’à ce jour. Je regarde toutes les photos et j’ai froid dans le dos. Je regarde avec beaucoup plus d’insistance cette femme qui serait ma mère. Je n’ai jamais su à quoi ressemblait ma mère et là je la vois. Je vois un document où on parle de ma sœur qui aurait été abandonnée devant un orphelinat et de ma mère qui avait été hospitalisée dans un hôpital où elle a donné naissance. Il y a aussi un acte de décès de mon père, mais pas celui de ma mère. Il est marqué sur l’acte que mon père John MENSAH est mort par noyade. C’est quoi tout ça ? Que font toutes ces choses me concernant ici chez Kayla ?
Non, ce n’est pas ce à quoi je pense. Ma mère ne peut pas être en vie. Mamie me l’aurait dit sinon. Non je refuse de le croire. Tout est pourtant clair. Tout est sous mes yeux. Ma mère est en vie ? Depuis tout ce temps ? Non, c’est faux. Je me rhabille et retrouve Kayla à la cuisine avec l’enveloppe et tout ce qu’elle contenait.
Moi : Kayla, c’est quoi ça ?
Elle me fait face avec un sourire qui disparait quand elle voit ce que je tiens en main.
Kayla : Darnell…
Moi : Est-ce que ma mère vit ? Ai-je une petite sœur ?
Kayla : Darnell je…
Moi : Dis-moi pourquoi il y a écrit “Retrouver la mère et la sœur de Darnell’’ sur cette enveloppe et pourquoi diable as-tu les photos de moi petit avec ces gens nommés comme mes parents ?
Tout mon être se met à trembler de colère. Son silence me met hors de moi parce que ça confirme mes soupçons. Elle ferme les yeux et laisse couler une ligne de larme.
Kayla : Je suis désolée Darnell.
Je pète un câble.
Moi : Je ne te demande pas d’être désolée. Mais de me répondre. Pourquoi tu as des photos de moi et mes parents alors que moi je n’en ai jamais vu aucune ?
Kayla : C’est mamie Kossia qui me les a donné. Elle veut que je l’aide à retrouver…
Elle se pince les lèvres.
Moi : RETROUVER QUI ?
Kayla (baissant la tête) : Ta mère et ta sœur.
Moi : Donc, elles sont en vie ?
Kayla : Oui !
Cette révélation me fait un très gros choc. J’ai l’impression de recevoir une bombe en plein visage.
Moi : Tu le savais et tu ne m’a rien dit.
Elle relève la tête.
Kayla : Je l’ai appris que hier.
Moi : ET TU NE M’AS RIEN DIT !
Elle sursaute et se met à pleurer.
Kayla : J’avais promis à mamie garder le secret jusqu’à sa mort. Elle n’arrête pas de dire que son heure est proche. Je ne voulais pas te mentir. Je voulais aider une femme mourante à réaliser son dernier vœu.
Moi : Et as-tu pensé à moi ? Tu ne t’es pas dit que je devais savoir que ma mère, que je croyais morte toutes ces années, est en vie ? Je t’ai parlé de la solitude dans laquelle je suis depuis enfant, mais tu n’as pensé que cette information pouvait… MERDE ! Je me suis laissé une fois de plus avoir par toi. Tu as donc fait tout ce cinéma hier par pitié.
Kayla : Non, non Darnell. C’est par amour. Je t’aime.
Elle essaie de me toucher.
Moi : Je vais te faire sacrément mal si tu poses tes mains sur moi.
Kayla : Darnell…
Moi : Tu sais quoi ? Je ne veux plus te voir. Si tu as été capable de me cacher une chose aussi importante, je ne sais pas qu’elle autre chose tu pourras me cacher.
Kayla (pleurant) : Darnell je t’en prie, ne me repousse pas. Je veux être là pour toi. Je t’aime.
Moi : Toi tu me répugnes.
Je sors de la cuisine et retourne au salon enfiler mes chaussures. Kayla me supplie en pleurant mais je n’ai que faire de ses émotions. Je me sens mal au plus profond de moi. Ma mère est en vie. J’ai donc été séparé d’elle. A moins que ce soit elle qui m’ait abandonné. Il faut que je sache ce qui s’est passé. Je repousse Kayla qui essaye de me retenir. Il faut que je sache.
J’arrive enfin chez ma grand-mère après avoir passé plus d’une heure dans les embouteillages. Elle est déjà réveillée. Je déboule dans le salon où elle est assise à regarder dans le vide. Je jette l’enveloppe à ses pieds.
Moi : Tu m’expliques ?
Elle regarde l’enveloppe. Quand elle la reconnait elle s’attrape la tête.
Mamie : Darnell. Mon chéri.
Moi : JE NE SUIS PAS TON CHERI. JE DIS, TU M’EXPLIQUES ?
Elle se laisse tomber au sol en pleurant. Elle n’arrive pas à parler. Elle ne fait que s’attraper la tête et marmonner des mots en Ashanti. Je tourne sur moi-même pour essayer de me calmer.
Moi : Où est ma mère ?
Mamie : Darnell…
Moi : Est-elle en vie ?
Mamie : Oui. Darnell. Je te demande pardon.
Moi : Pourquoi tu m’as menti tout ce temps ? Que t’ai-je fait ? C’est elle qui m’a abandonné c’est ça ?
Mamie : Non oooh. Tout est de ma faute. Je te demande de me pardonner.
Elle reprend les pleurs de plus belle. Quelqu’un déboule dans la maison. C’est Kayla.
Kayla : Darnell…
Moi : Toi, ne m’approches pas. Mamie, je veux tout savoir et maintenant. Si dans les minutes qui suivent tu ne me racontes pas tout ce qui s’est passé, je te jure que je mets le feu à cette maison. J’ai vu que mon père était mort par noyade alors que toi tu m’as dit que c’était par un accident de la route. Explique-moi donc.
Je tire une chaise sur laquelle je m’assois. Kayla rejoint mamie Kossia qui gratte le sol qui est mouillé de ses larmes. Elle se nettoie le visage du bout de son pagne.
Mamie : Avant tout, je te demande de me pardonner. Je vis dans le regret depuis 30 ans. Tout ce que je te demande, c’est de trouver la force en toi de me pardonner.
Je ne lui donne aucune réponse. J’ai juste hâte qu’elle se mette à parler.
Mamie : J’étais une veuve avec deux fils. Mon premier, ton père, avait épousé une Ivoirienne, malgré mon refus. Je ne voulais pas d’une étrangère dans ma famille parce que je voulais que nos cultures se perpétuent. Avoir une étrangère dans la famille signifiait avoir à accepter des cultures étrangères. Personne ne voulait de ta mère. Ton père a donc déménagé en Côte d’ivoire avec sa femme pour l’éloigner de nous. Mais ça ne m’empêchait pas de toujours la persécuter dans les appels et quand je venais passer du temps avec eux. Mais ta mère, qui était très douce, ce qui me surprenait vu qu’elle était Bété qui eux sont reconnus pour avoir le sang chaud, ne m’avait jamais manqué de respect ni répondu. Ton père la défendait tout le temps à chacune de nos attaques. Puis vint ce jour sombre.
Elle replonge dans les pleurs.
Mamie : Darnell pardonne-moi.
Moi : Continue.
Kayla : Darnell, vas-y doucement s’il te plaît.
Moi : Où as-tu laissé mes enfants ?
Kayla : Ils sont avec mon père.
Moi : Vas donc les rejoindre et laisse-moi résoudre mes problèmes.
Kayla : Darnell…
Moi : FERME-LA, KAYLA, FERME-LA.
Elle ferme les yeux. Je serre les poings pour garder mon calme.
Mamie : Tu avais trois ans. Ta mère était enceinte et presqu’à terme. Ton oncle, mon deuxième fils était venu passer deux semaines chez tes parents ici en Côte d’Ivoire parce qu’il avait des problèmes d’argent. Ton père, pour faire distraire ta mère, qui était épuisée par la grossesse, vous a tous emmené à la plage. Selon les dires de ton oncle, tu jouais dans l’eau avec ton père et ta mère était assise pas très loin. Tu as eu soif, ton père t’a confié à ta mère le temps d’aller te chercher de l’eau. Un moment, elle a ressenti des douleurs dans le ventre. Ça l’a distrait le temps d’une seconde et tu en as profité pour aller plus près de l’eau. Une grande vague est venue et t’a emporté. C’était la panique. Ta mère ne savait pas nager mais ton père si, il a accouru et a plongé pour te secourir. Il avait réussi à te sauver même si tu t’étais évanouie. Mais lui, il n’a pu se sauver. Quand les sauveteurs l’ont fait sortir de l’eau, c’était trop tard.
Moi : C’était donc ça mes cauchemars à répétition ?
Mamie (pleurant) : Oui.
Moi : Je t’ai pourtant posé la question, mainte et mainte fois, mais tu m’as dit ne rien savoir.
Je me lève et fais valser la table en bois contre la porte d’entrée. Elles hurlent de frayeur.
Moi : Tu m’as regardé souffrir sans rien me dire. Tu connaissais la cause de ma phobie des grandes eaux et tu as gardé le silence.
Mamie : Je voulais te protéger de cette douleur.
Je leur tourne le dos en me répétant de garder mon calme jusqu’à la fin de son récit.
Moi : Qu’est-ce qui est arrivé à ma mère ?
J’entends ses reniflements dans mon dos mais je ne ressens aucune pitié.
Mamie : Toute la famille est venue du Ghana pour les funérailles. On voulait transférer le corps mais ça revenait trop cher. La mort de ton père était une excuse pour nous pour malmener ta mère. Elle était seule, sans famille au milieu de nous parce qu’orpheline. Quelques cousins étaient venus la saluer mais après plus rien. Nous l’avons accusé de la mort de ton père et lui avons fait subir des rituels qu’on pratiquait au Ghana. Elle devait tous les subir pour nous prouver qu’elle n’était pas responsable de la mort de son mari. Nous l’avons obligé à dormir avec le corps de ton père que nous avions récupéré à la morgue et mis dans l’une des chambres de votre maison la veille de l’enterrement. Nous l’avons obligé à boire l’eau qui avait servir à le laver.
Kayla : Oh mon Dieu !
Je ferme les yeux pris d’un horrible frisson. J’ai même la nausée.
Mamie : Nous les femmes de la famille l’avons encerclé et l’avons fouetté, rasé sa tête et son intimité. La maison était grande donc tout se faisait à l’intérieur sans que personne ne se doute de quoi que ce soit. Les voisins ne pouvaient se plaindre des bruits et des pleurs puisqu’il s’agissait de funérailles. Voyant qu’elle acceptait tout sans broncher, nous l’avons accusé d’infidélité en doutant de la paternité de l’enfant qu’elle portait. Moi je savais qu’elle était innocente mais je prenais plaisir à lui faire payer d’avoir épousé mon fils contre mon gré. Son dernier test pour nous prouver sa fidélité était qu’elle couche avec le frère de ton père en affirmant que si le lendemain elle était toujours en vie, ça signifierait qu’elle n’a rien fait, sinon elle mourrait.
Je serre les poings. Je commence vraiment à bouillonner de rage face à toute cette injustice sur ma mère.
Moi : Mais le soir où cela devait se passer, elle a pris la fuite. Elle avait seulement pris les vêtements du bébé et ses pièces. Nous avons conclu ce que nous voulions conclure juste pour nous donner une bonne raison de nous accaparer des biens de mon fils. Le lendemain, on nous a appelés sur le fixe de la maison pour nous dire que ta mère avait eu accident qui l’avait plongé dans le coma. Ils avaient dû lui faire une césarienne. Nous ne voulions pas dépenser un seul centime des biens que nous nous étions partagés alors nous avons décidé de récupérer le bébé et ton oncle l’a abandonné devant un orphelinat. Nous avons ensuite disparu au Ghana après avoir vendu tout ce qui appartenait à ton père. Mais avant nous avions appris que ta mère était sortie du coma. Je t’ai gardé avec moi parce que tu étais le seul souvenir de ton père. Cinq mois plus tard, l’âme de ton père a commencé à me torturer. Je l’entendais pleurer chaque nuit sans que je ne le vois. Il pleurait et il me disait « Maman pourquoi ? ». J’étais paniquée. Un jour dans mon rêve, je l’ai vu. Il me disait combien il m’en voulait d’avoir fait souffrir sa femme, d’avoir divisé sa famille. Il me disait que j’allais payer par le sang si je ne reparais pas mon tort. Que nous tous allions payer. J’ai réuni toute la famille pour leur faire part mais ils m’ont dit qu’ils ne se sentaient pas concernés. Une semaine après, ton oncle est mort dans un terrible accident de voiture. Il a été broyé par un gros camion. Il ne restait rien de lui à enterrer. Ça a été un signe. Avec ma part des biens de ton père et celui de ton oncle décédé, je suis revenue en Côte d’Ivoire avec toi pour seul but de retrouver ta mère et ta sœur. Je suis retournée à l’hôpital, on m’a dit que ta mère s’était réveillée du coma et avait quitté l’hôpital avec un homme de Dieu qui avait pris ses soins à sa charge. J’ai recherché l’homme de Dieu en vain. Ta sœur vit ici, mais je ne sais qui c’est. Darnell, je te demande pardon. Je me mets à genoux.
Toute la colère en moi disparait pour laisser place à une profonde tristesse. Je me sens déboussolé jusque dans mon âme. Je n’entends ni les pleurs de ma grand-mère ni ceux de Kayla. Je revois toute l’histoire dans mon esprit. Je n’arrive pas à retenir ce flot de larme qui se déverse sur mon visage. Toute ma vie n’est qu’un mensonge. On m’a séparé de ma mère. Ce sont eux qui m’ont privé de son amour. Jamais je ne connaitrai ma petite sœur. Je suis frappé d’un gros sanglot. Je n’arrive pas à me retenir. Je m’en fiche de me retenir. Il me faut évacuer cette boule qui s’est formé sur mon cœur tout au long de ce récit. J’ai tenu bon tout ce temps parce que je croyais que je n’avais rien à avoir dans la mort de mes parents et que je ferai tout pour qu’ils soient fiers de moi de là où ils sont. Mais aujourd’hui, j’apprends que c’est de ma faute si mon père est mort. J’apprends que j’ai expressément été privé de l’amour de ma mère. Mon âme est déchirée.
Kayla : Darnell, je suis tellement désolée.
Elle pose ses mains sur moi. Je me dégage violemment. Mon visage est mouillé de larme.
Moi : Ne me touche pas. Restez toutes les deux loin de moi.
Mamie (pleurant) : Pardonne-moi !
Moi : Tu m’as laissé grandir dans un aussi grand mensonge. Tu m’as regardé pleurer la mort de mes parents, tu m’as regardé souffrir de leur absence, tu m’as regardé faire tous ces cauchemars sans m’éclairer. Tu avais pourtant la clé de mon supplice. J’ai 33 ans et c’est maintenant que je découvre que j’ai une famille quelque part dans ce pays. Tu as gâché ma vie.
Mamie : Ne dis pas ça. Je t’aime.
Je ravale la réponse qui s’apprêtait à sortir.
Moi : Je préfère m’en aller avant de te dire des horreurs. Je ne veux plus jamais te voir et ne t’approches plus de mes enfants.
Je sors de cette maison qui me fait suffoquer. Je marche jusque sur la grande voie. Après là, je ne sais plus où aller. Je marche sans destination. Je manque à deux reprises de me faire renverser. Mes larmes continuent de couler sans frein. Si je n’avais pas avancé vers la mer, mon père serait en vie et ma famille serait toujours réunie. J’aurais connu ma petite sœur tout comme Coralie et Terry. J’ai toujours voulu avoir des frères et sœurs pour me sentir moins seul. A quoi peut bien ressembler ma sœur ? A notre mère ? Moi je ressemble à notre père. Elle a peut-être pris le côté de notre mère. Est-elle noire ou plus claire ? Tant de question qui me taraudent l’esprit malgré mon chagrin, si bien que je m’aventure sur la route sans regarder. Je me rends compte de ma bêtise quand un klaxon bruyant résonne à m’en casser les tympans. La seconde d’après, ma vue est brouillée par la lumière des phares. Je reçois un choc dans mon côté. Je m’écroule.
J’ouvre un œil après l’autre. Ma vue est encore floue. Un visage apparait au-dessus de moi. Je distingue de longs cheveux et un teint clair.
« Vous êtes réveillé ? »
Je vois un peu plus clair. J’ai l’impression de voir ma…
Moi (faiblement) : Maman ?
Je ne vois pas très bien le visage mais les traits que je distingue ressemblent à ceux de ma mère que j’ai vu sur la photo. Je l’ai tellement regardé que j’ai gardé son visage en esprit.
Moi : Maman c’est toi ?
Elle : Non. Je ne suis pas votre mère. Ouvrez bien les yeux.
Je me frotte les yeux et les ouvre. Je vois une jeune femme. Je n’ai pas menti, elle a les traits de ma mère.
Moi : Qui êtes-vous ?
Elle : Je m’appelle Trisha YOUL. Vous vous êtes aventuré sur la voie sans regarder et ma voiture vous a heurté.
Moi : Trisha YOUL ?
Elle : Oui, c’est mon nom. Ecoutez, je dois m’en aller. Je me rendais à un rendez-vous important. J’ai déjà réglé les frais mais vous n’avez rien. Dois-je appeler un membre de votre famille ?
Moi (me redressant) : Non. Merci.
Elle : Ok. Faites attention la prochaine fois et Joyeux Noël à vous.
Elle sort de la pièce mais je ne peux m’empêcher de la suivre du regard. Cette ressemblance doit être une coïncidence. Je crois que j’ai encore les images de ma mère dans ma tête.
A mon retour à la maison, je me suis enfermé chez moi et j’ai éteint mon portable. Je ne veux voir ni parler à personne. Je n’ai encore rien avalé. La seule chose que j’arrive à faire, c’est pleurer les larmes de mon corps. Je ne sais plus qui je suis. J’ai l’impression de ne même plus savoir où je vais. Quelle histoire raconterai-je à mes enfants ? Que leur arrière-grand-mère a divisé leur famille par pure méchanceté ? Qu’ils ont une grand-mère perdue dans la nature et une tante dont j’ignore l’identité ? J’ai envie que la terre s’ouvre et m’engloutisse pour ne plus avoir à ressentir cette douleur si déchirante. Je ne sens même plus mon cœur battre. Je n’ai pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Comment des gens peuvent être aussi ignobles pour affliger une veuve enceinte ? Je suis meurtri en pensant à ce supplice qu’elle a supporté pour la mémoire de son mari.
Plusieurs coups sont donnés sur la porte. Je ne réagis pas. Assis dans le salon, la tête entre les mains, j’imagine ce qu’aurait été ma vie si mes parents étaient encore présents. De ce que j’ai compris, ils étaient aisés. Pourtant j’ai grandi dans la misère. Je ne méritais pas ça. Ma mère ne méritait pas ça. Ma sœur ne méritait pas ça. Sait-elle qu’elle a un frère ? Si oui, essaye-t-elle de me retrouver ?
Kayla (derrière la porte) : Darnell, bébé, je sais que tu es là. Ouvre-moi s’il te plaît.
Sa voix est pleine de tristesse. Je sais qu’elle n’est pas coupable de tout ceci, mais pour l’heure, je veux rester seul.
Kayla : Je, je suis désolée de devoir te l’annoncer ainsi. Mais tu ne m’en laisse pas le choix.
Elle marque une pause avant de reprendre.
Kayla : Après ton départ, mamie a piqué une crise. Elle, elle a rendu l’âme il y a une heure de temps. Elle m’a dit de te demander pardon avant de rendre son dernier souffle. Je vais te laisser seul, mais je repasserai demain en espérant que tu m’ouvres. Avant de faire une bêtise, pense à Coralie et Teddy qui ont besoin de leur père. Pense à moi qui ne peux plus vivre sans toi. Tu n’es pas seul, mon amour. Nous sommes là pour toi. Je suis là pour toi. Je t’aime Darnell. Ne l’oublie pas.
J’entends ses pas s’éloigner. Ses paroles me font couler les larmes. Ils m’aiment. Je les aime aussi mais là j’ai juste besoin de me retrouver avec moi-même. Ma grand-mère est morte. Je crois que je suis vide de toute âme et tout sentiment, parce que l’annonce de la mort de celle qui m’a élevé et pour qui je voulais coûte que coûte réussir afin qu’elle soit fière de moi, ne me fait ni chaud, ni froid. Elle m’a tué avant de mourir.