Épisode 7
Write by Mona Lys
7
JAYDEN
Je termine ma réunion avec mes employés en leur donnant à chacun une tâche. Lorsqu’ils quittent tous la salle de réunion, mon assistante m’aide à connecter l’écran pour ma conférence vidéo. L’image de Patrick et celle de notre nouveau partenaire apparaissent sur l’écran. Nous passons plus d’une heure de temps à parler du contrat qui nous liera et de notre collaboration. Des battements dans ma tête m’empêche de totalement me concentrer. Depuis hier je ressens des douleurs au crâne. Des douleurs qui montent crescendo au fil des heures. A la fin de la rencontre qui s’est beaucoup mieux déroulé que je l’espérais, le partenaire se déconnecte et je reste en vidéo avec mon cousin.
‒ « Qu’est-ce que tu as ? Je t’ai vu te masser les tempes durant toute la réunion. »
‒ J’ai de la migraine. Je suis trop submergé et Pamela ne me facilite pas tâche.
‒ « Tu n’es toujours pas rentré ? »
‒ Non. L’autre y est encore.
‒ « Je ne comprends pas son obsession pour l’argent de ton père. Tu en as assez pour prendre soin d’elle et de vos futurs enfants. »
‒ J’avoue que j’ai du mal à comprendre. Elle a dit qu’elle menait un “combat’’ pour ma mère. Ne pas laisser à l’autre tout ce que ma mère a souffert pour amasser avec mon père.
‒ « D’une part elle n’a pas tort mais en même temps ce n’est pas si important que ça. Tantie n’était pas intéressée pas l’argent. Donc je crois que si elle était là, elle ne s’en serait pas occupée. »
‒ Ouais. Je n’ai plus envie de parler de ça. Je crois que je vais rentrer à l’appart me reposer.
‒ « Finalement tu es plus proche de la fille que prévu. »
‒ Pas proche. Je continue de l’éviter. Je quitte la maison avant qu’elle ne se réveille et quand je rentre je reste enfermé dans ma chambre. Mais dans moins de deux semaines tout sera fini. Ces papiers sont presque prêts. Il ne reste que le Visa.
‒ « Vivement que tu reviennes. Bon à plus. »
‒ Ouais.
J’informe mon assistante que je rentre à la maison plus tôt à cause d’un malaise. La fille n’est pas à la maison en ce moment. Elle est en balade avec ses copines d’Université et Pauline qui a pour mission de veiller sur elle. Je crois bien qu’elles ne seront pas de retour avant 17h.
Après le petit somme que j’ai fait, j’ai dû reprendre le travail depuis la maison pour gérer un souci. Mes deux comptables et moi travaillons dans le salon. Il y aurait un petit manque d’argent. Soit c’est un problème de calcul, soit quelqu’un puise dans le compte de la boite. Le bruit de l’ascenseur me fait lever la tête vers l’entrée. Je suis surpris de la voir rentrer de si tôt de leur balade. Les deux hommes avec qui je travaille cessent de parler et regardent avec beaucoup d’insistance la jeune fille. Pauline lui dit quelque chose à l’oreille.
‒ Désolée, dit-elle tristement. On ne voulait pas vous déranger. Je vais dans ma chambre.
Elle prend la direction de sa chambre tandis que de son côté Pauline part dans la cuisine. Je la suis du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans le couloir. Tournant ma tête vers les deux hommes, je remarque qu’eux aussi l’ont suivi du regard et même malgré qu’on ne la voie plus, ils gardent leurs regards dans la direction. Une once de désir se lit dans leurs yeux.
‒ Pouvez-vous vous concentrer ?
‒ Désolé Monsieur, se reprennent-ils ensemble.
Nous ne tardons pas à finir. Je me rends dans la cuisine discuter avec Pauline.
‒ Pourquoi êtes-vous rentrées si vite ?
‒ Je ne sais pas trop. J’étais allées uriner un moment et quand je suis revenue elle a dit qu’elle voulait rentrer. Je crois qu’il y a eu une dispute.
Je ressors de la cuisine pour me rendre cette fois dans sa chambre. Je l’entends renifler. Je toque une fois.
‒ Je peux entrer ?
‒ Oui ! Répond-t-elle d’une voix enrouée.
J’ouvre délicatement la porte. Elle est recroquevillée sur elle-même en tenant un coussin serré contre sa poitrine. Elle s’essuie furtivement le visage mais j’ai eu le temps de voir ses larmes.
‒ Qu’est-ce qui s’est passé ? La questionné-je en glissant mes mains dans mes poches.
‒ Rien.
‒ Pourquoi pleures-tu donc ?
Elle s’assoit en croisant ses jambes sous elle.
‒ Elles se sont moquées du fait que je ne vois que dalle. Elles n’arrêtaient pas de s’extasier sur les mecs qui passaient autour et même sur vous qu’elles n’ont vu qu’une seule fois. Je leur ai demandé de parler d’autre chose que des mecs et elles m’ont lancé à la figure que je n’étais qu’une frustrée qui n’avait plus la chance de voir ces “beaux spécimens’’. Elles ont ajouté que c’est à cause de ma cécité que je n’avais aucun mec dans ma vie parce que les hommes ils aiment les contacts visuels pendant les…
Elle parait gênée de dire la suite. Mais j’ai saisi.
‒ C’est donc pour cela que tu pleures ?
‒ Elles ont dit…
‒ On s’en fout de ce qu’elles ont pu dire. Ce sont justes des filles sans cervelle. Je l’ai su dès le premier jour où je les ai vu ici. Elles ne savent pas ce qu’elles racontent.
‒ Mais en même temps elles n’ont pas tort. Je n’ai plus été courtisée depuis que j’ai perdu la vue.
‒ C’est surement parce que tu restais tout le temps enfermée. Mais dans peu de temps tu retrouveras ta vue et tu pourras faire tout ce que tu veux. Maintenant cesse de pleurer pour ces filles. Elles ne le méritent pas. En plus tu es plus belle qu’elles toutes réunies.
Elle relève vivement sa tête vers moi. Ce compliment est sorti tout seul. Mais je l’ai déjà pensé. Disons plus d’une fois. Elle est belle, ce n’est pas quelque chose de cachée.
‒ Vous me trouvez… belle ?
‒ Oui ! Confirmé-je gêné.
‒ Ça faisait des lustres qu’on ne m’avait pas fait de compliment, avoue-t-elle toute joyeuse.
L’atmosphère devient tendue. Je suis sauvée par la sonnerie de mon portable. Je m’excuse et sors à la hâte. Je termine ma conversation téléphonique quand Pauline vient vers moi après avoir aussi raccroché au fixe.
‒ Le concierge dit qu’il y a des gens en bas qui affirment être des parents d’Aaliyah.
‒ Ses parents ?
‒ Oui. Plus précisément son oncle et sa tante chez qui elle aurait vécu des années avant qu’ils ne perdent sa trace.
‒ Je vais descendre.
J’arrive dans le hall et effectivement je vois ceux chez qui elle a vécu après son accident. Je les reconnais pour avoir eu des photos d’eux pendant mes recherches et je les ai vu les quelques fois où je me suis rendu dans leur quartier faire un peu d’espionnage.
‒ Bonsoir.
‒ Bonsoir Monsieur, me répond l’homme. Je suis Thomas, l’oncle d’Aaliyah. Ma fille a récemment rencontré l’une de ses amies d’Université et elle l’a informé qu’elle vivait ici avec un homme. Nous sommes venus prendre de ses nouvelles et la récupérer si possible.
Je fronce les sourcils. La récupérer ?
‒ Ok veillez me suivre s’il vous plaît.
Je m’installe face à eux dans le salon. La femme ne fait que tourner son regard dans tout l’appartement. Elle sourit de malice avec des yeux brillants. Je devine aisément leurs intentions.
‒ Où est-elle ? Demande l’homme.
‒ Dans sa chambre. Mais avant je voudrais qu’on discute un moment. Si mes souvenirs sont bons, vous l’aviez abandonné.
‒ Abandonné ? Se choque la femme. Comment pouvions-nous abandonner notre fille ? Ça a été un malentendu. Nous l’avions laissé dans notre ancienne maison le temps de mieux aménager la nouvelle pour qu’elle puisse se déplacer sans se faire mal. C’est ainsi qu’à notre retour, nous avons trouvé la maison vide. Personne aux alentours n’avaient vu quoi que ce soit. Nous nous sommes donc lancés à sa recherche jusqu’à ce que son amie nous donne de bonnes nouvelles.
Cette histoire ne tient pas la route. Alors là pas du tout.
‒ Vous voulez donc la récupérer ?
‒ Oui. Mais nous avons aussi appris que vous aviez prévu la faire partir en France pour opérer ses yeux. C’est vrai ?
‒ Oui.
Ils s’échangent un regard. L’homme prend la parole cette fois.
‒ Puisque nous sommes ses tuteurs légaux, nous devons l’accompagner pour mieux veiller sur elle. Vous ne croyez pas ?
‒ C’est ce qui est normal.
‒ Et c’est pour quand le voyage ?
‒ Dans 10 jours tout au plus.
‒ Mais c’est déjà arrivé. Vraiment merci pour tout. Est-ce qu’on peut la voir ? Elle nous a beaucoup manqué.
Ces gens ne sont pas là par amour pour leur nièce. Ils ont dû apprendre qu’elle vit dans un appartement luxueux et maintenant ils viennent en tirer profil. Mais qui suis-je moi pour les interdire de la voir ou même de la récupérer ? Je m’annonce avant d’entrer dans sa chambre. Elle se redresse sur son lit. Son regard se braque sur le mur près de moi.
‒ Il y a ta tante et son mari qui sont là.
‒ Ma tante ? Son mari ? Lesquels ?
‒ Ceux chez qui tu vivais.
‒ Ceux qui m’ont abandonné ?
‒ Euh oui. Ils disent ne t’avoir pas abandonné, qu’ils avaient prévu revenir te chercher quand leur nouvelle maison aurait été bien rangée.
Elle éclate d’un rire sans joie.
‒ La bonne blague. Comment m’ont-ils retrouvé ? Et que veulent-ils ?
‒ Ils t’ont retrouvé grâce à l’une de tes copines de la fac et ils veulent te récupérer pour prendre soin de toi.
‒ Vous n’allez pas les laisser m’emmener n’est-ce pas ? Demande-t-elle avec un air paniqué en essayant de se lever.
Je me rapproche d’elle pour lui éviter de se cogner le pied contre le bord du lit.
‒ Vous n’allez pas accepter hein ? Réitère-t-elle sa question désespérément en plongeant ses yeux dans les miens.
‒ Je ne suis pas en droit de les empêcher. Ils sont ta famille et tes tuteurs aux yeux de la loi.
‒ Mais ils m’ont abandonné. Et je suis certaines qu’ils sont là juste par intérêt. Ils me referont du mal.
‒ Ecoute, je te promets qu’ils ne te feront rien. Tu vivras juste chez eux mais je continuerai à prendre soin de toi. Je viendrai te voir tous les jours. On ira ensemble en France.
Elle ricane.
‒ Déjà que je vis dans votre appartement vous m’évitez alors ce n’est pas lorsque je serais loin que je vous verrais.
Là elle marque un point.
‒ Les choses sont différentes. Ici je savais que tu étais en sécurité et ne manquais de rien.
‒ Je veux rester s’il vous plaît, me supplie-t-elle les yeux humides.
‒ Ok voici ce qu’on va faire. On va faire un essaie de trois jours et si tu ne te sens pas, je te ramène.
Elle n’a pas l’air convaincu. Je lui relève le menton pour mieux voir son petit visage d’ange.
‒ Je t’en fais la promesse sur ma vie.
Elle se mordille la lèvre. Ce geste anodin ne me laisse pas si indifférent que ça. Je lui prends la main et la conduis à ses parents.
‒ Ah ma chérie enfin te voilà ! Se réjouit faussement sa tante. Viens dans mes bras.
La fille se cache derrière moi en s’accrochant à mon tee-shirt.
‒ C’est moi ta tante. Ton oncle aussi est là. Nous sommes venus te chercher. Nous t’avons cherché partout au point même de lancer un avis de recherche.
Elle reste dans mon dos sans se montrer. Les venus me regardent attendant mon intervention. Je lui attrape le bras et me retourne face à elle.
‒ Qu’est-ce qu’on avait dit ?
‒ Je ne veux pas y aller.
‒ Les choses sont maintenant différentes parce que contrairement à il y a des semaines tu n’es plus seule. Et puisqu’ils sont tes tuteurs légaux, j’aurais besoin de leur accord pour te faire sortir du pays. S’ils n’étaient plus revenus ça aurait été différent.
‒ Mais je suis majeure. Je peux décider.
‒ Majeure oui mais avec un handicap qui nécessite une responsabilité parentale.
‒ Mais ils m’ont abandonné toute seule.
‒ On ne t’avait pas abandonné ooh ma fille, contredit sa tante.
‒ Si, vous m’avez abandonné, appuie la fille en se montrant enfin à eux. Pourquoi vous êtes revenus ? Vous pensez que tout ceci m’appartient ? Non. Je serai toujours aussi pauvre après mon opération puisque vous m’avez volé mon argent.
Ses parents se mettent à parler en même temps dans un dialecte. Je recapte l’attention de la fille.
‒ Ecoute s’ils décident d’aller en justice ce sera en ma défaveur.
‒ Mais…
‒ Juste trois jours comme essaie.
‒ Pourquoi vous ne vous désignez pas comme mon tuteur à la justice ? Je vous soutiendrais.
Je serre les mâchoires. Ça ce n’est pas possible à cause du plan que j’ai déjà élaboré. Je ne dois plus avoir aucun contact avec elle après son opération. Elle ne doit pas savoir qui je suis. Face à mon silence, elle devient toute triste.
‒ Vous non plus ne voulez être responsable d’une aveugle.
‒ Non ce n’est…
‒ Ok j’ai compris. Demandez à Pauline de venir m’aider à faire mes affaires.
Elle tourne les talons et en s’appuyant sur le mur elle retourne dans sa chambre. Pauline et elle ressortent une vingtaine de minute plus tard. Je détourne les yeux d’elle pour ne pas me sentir mal de la laisser partir. Je peux très bien la garder avec moi surtout que ses tuteurs l’avaient abandonné et qu’elle avait manqué de se faire violer mais ce sera plus facile pour moi de me détacher d’elle si elle a de la famille. C’est vrai qu’une fois guérie elle n’aura plus vraiment besoin d’être sous leur tutelle mais au moins elle ne sera plus seule.
Le trajet jusqu’à sa nouvelle maison se fait dans le silence. Du coin de l’œil je peux la voir s’essuyer le visage de temps en temps. Je ne veux pas la voir pleurer alors j’évite de la regarder. Nous arrivons devant un duplex. La première chose que je fais une fois à l’intérieur c’est de vérifier qu’il y ait assez d’espace pour lui permettre de se déplacer convenablement sans se faire mal. Je remarque deux jeunes filles qui ne cessent de me dévorer du regard. Je m’entretiens encore un peu avec l’oncle sur les démarches pour qu’il nous accompagne en France pour l’opération de sa nièce. Bien évidemment il soutien n’avoir pas assez d’argent pour se payer un billet d’avion ni même se faire un passeport. Je ne peux m’empêcher de voir dans son regard de la cupidité. Et dire que cette maison a été achetée avec l’argent de la fille.
Je demande la route une fois les choses claires avec eux. J’aurais bien voulu la voir mais elle s’est enfermée dans sa nouvelle chambre. Elle est en colère contre moi. C’est le cœur lourd que j’arrive à mon appart qui me semble beaucoup trop grand et trop vide soudainement. Je marche vers sa chambre. Elle est vide de sa présence mais son parfum y est imprégné. Malgré moi je la vois allongée sur son lit, ses écouteurs aux oreilles. Une boule au ventre, je m’assois sur son lit. Ai-je bien fait de la laisser partir ?
J’appelle tante Mimi. J’ai besoin de lui parler, de l’entendre me dire que j’ai bien fait.
‒ « Allô ! Jay comment vas-tu ? »
‒ Bien ma tante. Et de ton côté ?
‒ « Tout va bien. Je serai de retour d’ici la semaine prochaine. Comment va Aaliyah ? »
‒ Bien. Enfin je crois.
‒ « Comment ça tu crois ? Pourquoi ta voix elle est bizarre ? »
‒ Ses tuteurs sont revenus la chercher. Apparemment ils étaient à sa recherche.
‒ « Et tu les as laissé partir avec elle !? »
‒ Ils sont sa famille. Je n’y pouvais rien.
‒ « Dis que tu ne voulais rien y faire. Ces gens l’ont abandonné une première fois et crois-moi lorsqu’ils auront d’elle ce qu’ils veulent ils referont la même chose. Elle m’a raconté le calvaire qu’ils la faisaient vivre. C’était elle qui faisait à eux tous leur vaisselle après chaque repas. Ils lui avaient arraché tout ce qu’elle avait de précieux. Portable, bijoux, vêtements, j’en passe. Tu as toi-même vu dans quel état elle était quand tu l’as ramené. Tu aurais dû faire quelque chose mais pas la laisser partir. En tout cas pas avant son opération. »
Je me masse l’arrêt du nez en me retenant de lancer un juron. J’essaie de m’accrocher à l’idée qu’ils ont changé et la traiteront bien. J’y veillerais personnellement. Pour me changer les idées, je décide de retourner à l’entreprise. J’ai besoin de rester un peu loin d’ici pour faire passer cette boule à a poitrine.
Je mets à peine les pieds dans mon bureau que quelqu’un entre à ma suite. Je me retourne pour voir Pamela qui se jette dans mes bras.
‒ Je te demande pardon bébé. Je me suis rendue compte de mes erreurs. Je n’aurais pas dû faire tout ce que j’ai fait. Je suis sincèrement désolée.
Elle relève sa tête et m’embrasse. Je ne suis vraiment pas en position de la repousser ou de me disputer alors je me laisse faire.
‒ Je l’ai fait partir de la maison. Plus jamais je ne les permettrai de venir chez nous. Et si je dois prendre des nouvelles de ton père je le ferais au téléphone. Tu m’es précieux et je m’en fiche de l’héritage. C’est toi que je veux. Pardonne-moi mon égarement et reviens à la maison. Tu me manques énormément. Je t’en prie Jay.
Elle m’embrasse, me supplie, me touche. Epuisé psychologiquement de cette journée, j’accepte ses excuses. J’ai d’ailleurs besoin de me retrouver loin de l’appartement pour ne pas ressentir l’absence de cette fille. Plutôt que de travailler comme je l’avais prévu, je rentre avec ma femme.
*Mona
*LYS
Arrêté près de la baie vitrée de mon bureau et le regard perdu dans le vide, je lutte contre cette farouche sensation d’avoir fait n’importe quoi. Juste deux jours qu’elle est partie et j’ai perdu tous mes moyens. Je ne cesse de me poser cette même et unique question : ai-je bien fait de la laisser partir ? Je ne suis pas encore allé la voir parce que Pamela ne me lâche pas d’une semelle. En plus mes journées au travail sont chargées. J’ai dû reporter un voyage par peur de trop m’éloigner d’elle. Je brûle pourtant d’envie de voir son petit visage d’ange. De voir ses yeux se perdre dans le vide essayant de trouver ma position exacte rien que par le son de ma voix. Je veux l’appeler mais j’ai toujours évité de le faire pour ne pas qu’elle ait mon numéro. Je veux aller la voir maintenant mais Pamela sera là d’un moment à l’autre pour que nous sortions diner en amoureux. D’une autre part, j’ai peur d’y aller et de ne plus avoir la force de la laisser chez ces gens.
Je pousse un soupir en retournant m’asseoir.
‒ Jay tu ne dois pas t’attacher à elle, me dis-je à moi-même. Dans quelques jours elle se fera opérer et toi tu disparaitras à jamais de sa vie.
Si j’ai du mal à accepter qu’elle soit loin maintenant, aurais-je assez de force pour fuir loin d’elle plus tard ? Merde ! Il faut que je parle à quelqu’un. Je lance un appel vidéo à Patrick qui doit être dans notre boite. Il ne tarde pas à accepter l’appel.
‒ « Bonjour Couz. Comment va ? »
‒ Aaliyah est partie.
Il fronce les sourcils.
‒ « C’est qui Aaliyah ? »
‒ La fille de l’accident.
‒ « Ah, elle s’appelle Aaliyah ! »
‒ Quoi tu ne le savais pas ?
‒ « Bah non. Tu l’appelais toujours “elle’’ ou “la fille ou la fille de l’accident’’. Je suis d’ailleurs surpris que tu prononces son prénom aujourd’hui. Qu’est-ce qui a changé ? »
Je me rends compte aussi que c’est bien la première fois que je prononce son prénom. Inconsciemment j’évitais de le faire pour encore une fois éviter un quelconque rapprochement avec elle.
‒ Rien, dis-je en me reprenant. Je disais qu’elle est retournée chez sa famille et depuis je n’arrive pas à me sortir de la tête que j’ai gaffé.
‒ « Que voulais-tu faire ? La retenir ? Alors que tu as prévu disparaitre après ? Même si ces gens l’avaient abandonné, ils seront au moins là quand toi tu t’en iras. Ton but à toi c’est juste de la soigner et basta, donc laisse-la être avec sa famille même s’ils ne méritent pas qu’elle reste avec eux. De plus quand elle sera en possession de sa vue et de tout l’argent que tu as gardé pour elle, elle pourra décider librement de s’éloigner d’eux. En gros, qu’elle soit là-bas ou avec toi, à la fin elle reprendra sa vie toute seule. Elle est majeure aux yeux de la loi. »
‒ Je sais.
‒ « Dans ce cas pourquoi fais-tu cette tête ? J’espère pour toi que n’es pas en train de t’attacher à elle ? Ou que tu ne l’es pas déjà ? »
‒ Non loin de là. Je crains juste que ces gens la maltraitent.
‒ « Vas donc la voir ou appelle-la. »
La porte de mon bureau s’ouvre sur Pamela. J’ai horreur qu’elle débarque comme ça mais elle en fait toujours à sa tête. J’abrège ma discussion avec mon cousin et ferme mon ordi. Je récupère ma veste que j’avais dressé sur mon siège et je ressors avec ma femme qui est toute impatiente que nous sortions diner. Ça date d’il y a longtemps notre dernier diner dehors.
Durant tout le diner, j’ai l’esprit ailleurs pendant que Pamela ne fait que parler sans cesse. Est-ce qu’elle a diné, surtout diné convenablement ? Mange-t-elle à sa faim ? Il y a-t-il quelqu’un pour la guider dans la maison ? C’est encore trop tôt pour qu’elle s’habitue aux emplacements de sa nouvelle maison. La laisse-t-on écouter ses histoires à l’eau de rose et ses blagues ? Lui met-on ses gouttes dans les yeux ? A-t-elle quelqu’un avec qui discuter comme elle le faisait avec Pauline ? Pourquoi diable n’ai-je pas exigé que Pauline parte avec elle pour mieux s’en occuper ? J’aurais dû faire ça pour m’éviter toutes ces interrogations.
‒ Bébé tu vas bien ?
La voix de Pamela me sort de ma rêverie. Je jette un coup d’œil sur ma montre.
‒ Tu vas bien ? Me redemande-t-elle.
‒ Oui. Tu as fini ?
‒ Tu t’ennuies que ça à notre diner ?
‒ Non !
‒ Tu n’as pas touché à ton assiette.
‒ Je n’ai pas vraiment l’appétit.
‒ Encore ces douleurs au crane ?
‒ Oui !
‒ Rentrons donc.
Dans d’autres circonstances je l’aurais rassuré et refusé qu’on abrège ce diner qui lui fait plaisir mais là je veux juste rentrer. Je règle la note et nous partons. De retour à la maison, Pamela me saute dessus. Je lui fais comprendre que je ne suis pas en mesure de lui faire l’amour. Elle décide de prendre les rênes. Elle se déchaine comme une folle sur moi tandis que de mon côté mes pensées sont sur Aaliyah. Elle doit être en colère que je ne sois pas venu la voir depuis deux jours. Je le lui avais pourtant promis.
Maintenant allongé dans le lit, cherchant le sommeil qui ne cesse de me fuir, je continue de lutter contre l’envie de l’appeler. Il est 23h. elle doit être endormie. Mais j’ai envie d’entendre sa voix. Et puis merde ! Je sors de la chambre sans faire de bruit, mon portable à la main. Je me rends sur le balcon en lançant son numéro qui a toujours été enregistré. J’écoute sonner. Me rendant compte que je faisais une bêtise de l’appeler en plus à cette heure, je m’apprête à raccrocher quand, à l’autre bout du fil, sa petite voix se fait entendre.
‒ « Allô Mira. Tu ne dors pas à cette heure ? »
Je souris en l’écoutant parler.
‒ « Mira ? »
‒ Bonsoir. C’est moi.
Je peux l’entendre déglutir. Elle reste silencieuse un moment avant de répondre.
‒ « C’est… vous ? Vous m’avez abandonné. Vous n’avez pas tenu votre promesse ? »
‒ Je suis désolé. J’ai eu des imprévus. Mais demain je viendrai te voir.
Je suis prêt à parier qu’elle sourit. Comme j’aimerais voir ça.
‒ Désolé de t’appeler à cette heure. Je t’ai réveillé ?
‒ « Non je ne dormais pas. » Répond-t-elle d’une voix douce.
‒ Que fais-tu encore éveillée à cette heure ?
‒ « Je pensais. »
‒ Tu pensais ? Répété-je d’un ton amusé. A quoi ?
‒ « A… vous. »
Cette fois c’est moi qui déglutis.
‒ « Votre voix me manquait, votre parfum me manquait. Vous me manquez Monsieur mon bienfaiteur. »
Je reste silencieux à encaisser du mieux que je peux cette déclaration. Une chaleur incandescente se propage en moi jusqu’à la pointe de mes pieds.
‒ « Vous êtes là ? »
‒ Oui. Toi aussi… Toi aussi tu me manques.