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Write by Farida IB


Nahia…


Je descends les escaliers deux par deux avec Bilal à mes trousses.


Bilal : Nahia rend-moi au moins ma fille.


Je m’arrête brusquement et redresse l’enfant qui s’est fermement accroché à mon cou l’air paniqué. J’entreprends de lui frotter le dos pour la rassurer tout en regardant Bilal s'avancer vers nous essoufflé. Au même montant on attend une voix indignée derrière nous.


La voix : j’étais sûre de le trouver ici.


Bilal (écarquillant les yeux en regardant par dessus mon épaule) : Sadi ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?


Je me retourne en même temps que la petite qui s’est mise à gesticuler. Sa mère monte les escaliers en grandes enjambées les yeux et le nez rougis par les larmes ou la colère. Bon, je ne sais pas, mais l’expression de son regard en ce moment ne me dit rien qui vaille. Elle arrive et m’arrache presque l’enfant des mains.


Sadi : je savais que tu serais chez ta pute, je le savais !


Moi stupéfaite : oh, mais…


Sadi me fixant furieuse : toi, tu la fermes ! Oh quoi ? Femme sans pudeur ! Tu fais honte à la honte et à la bassesse, tu te joues les sainte-Nitouches pourtant plus pute que toutes les putes, je meurs.


Je la regarde extrêmement surprise.


Sadi continuant sa diatribe : tu penses peut-être que je ne sais pas que tu baises mon mari pendant que tu essaies d’allumer l’autre Arabe ?? Tu as décidé de me rendre le revers de la monnaie en semant la zizanie dans mon couple n’est-ce pas ? Et bien, tu as réussi. Il n’a plus que toi dans sa bouche. Nahia par ici…


La petite Nahia : oui oui maman 


Sadi (baissant d’un ton) : pas toi mon cœur (se tournant vers moi) il t’a plaqué depuis des années, il n’y a rien, tu m’entends ? Rien absolument rien que tu puisses faire pour changer cela (faisant de grands gestes de sa main libre) c’est MOI qu’il a choisi, c’est encore MOI qu’il a épousé, c’est avec MOI qu’il continue de faire sa vie. Il est à MOI, à MOI et à personne d’autre. Mets TOI ça dans le crâne une bonne fois pour toute !


Elle finit de parler et s’en va comme  elle était venue. Je regarde Bilal qui est tout autant perdu que moi.


Bilal : qu’est-ce qui lui prends ? Qu’est-ce qui vient de se passer ?


Moi brute : arrête tes questions idiotes et va la retouver !! 


Bilal : penses-tu que c'est une bonne idée ?


Je lui jette un coup d'œil amer, c'est le moment que choisit Khalil pour arriver. Il nous lance un bonjour à peine audible avant de continuer son chemin sans plus.


Bilal (lorsqu’il est loin) : qu’est-ce qui le prend lui ?


Moi lui criant dessus : tu es encore là toi ? 


Il se passe la main sur la tête et soupire.


Moi bougeant : bon moi, je te laisse. j’ai mes propres soucis à gérer.


Bilal : attends s’il te plaît (je m’arrête) je suis désolé pour les propos injurieux de ma femme, je pense qu’elle était en colère.


Moi : on verra ça plus tard Bilal.


Bilal : ok merci pour l’accueil.


Moi : je t’en prie.


Je le dépasse et me rends directement dans l’appartement de Khalil bien heureuse qu’il ait laissé la porte ouverte. Je le trouve planter au beau milieu du salon, une expression mélancolique dans le regard. 


Khalil (d’un ton calme et laconique) : ton chéri est parti.


Moi : ce n’est pas mon chéri.


Khalil sarcastique : très bonne nouvelle !


Je prends une grande inspiration puis me rapproche un peu plus de lui. Personne ne parle durant quelques minutes.


Khalil entamant : je suppose que tu es venue pour « LA » discussion.


Moi : euh, oui, je veux qu’on discute sérieusement de ce qui s’est passé.


Khalil : vas-y je t’écoute. 


Je cherche son regard, mais impossible de le rencontrer. En fait, on dirait qu’il me regarde sans me voir. Je reprends une seconde profonde et longue respiration avant de commencer.


Moi : je suis désolée pour ma réaction d’hier. Je m'attendais si peu à une telle déclaration de ta part. Je n'irai pas jusqu'à dire que j'en étais choquée, mais pour le moins, troublée. 


Khalil (me fixant) : j’accepte tes excuses.


Moi : de fait, c'est assez surprenant parce qu’on se connaît à peine…


Khalil : on se connaît à peine certes, mais il n’y a personne qui te connaît comme je te connais moi.


Moi : je n’en doute pas et tu comprendras que les circonstances de notre rencontre me rendent quelque peu perplexe et incertaine quant à savoir la nature réelle de ces sentiments que tu dis avoir pour moi. Tout ça semble aller trop vite et il y a cette attirance patente entre nous qui nous entraîne indubitablement dans le flou. J’ai peur qu’on se précipite et que demain, on se rende compte qu’on a fait une belle connerie et que chacun s’en sorte blesser et…


Il réduit la distance entre nous, me prend la main avant de plonger son regard dans le mien.


Khalil : pour une fois, arrête de réfléchir trop loin et mets-toi à l’écoute de tes vrais désirs. J’aurais dû te le dire un peu plus tôt et tu comprendras également que mon intention était de bien faire les choses.  (doucereux) Je suis   incontestablement  amoureux de toi et s’il ne tenait qu’à moi, on passerait à la vitesse supérieure sans plus attendre. Cependant, je veux que tu prennes tout ton temps pour envisager une histoire avec moi parce que figure toi que je comprends tes incertitudes, je comprends tes peurs et si ça peut te rassurer, j’ai aussi peur que toi.


J’arque le sourcil.


Khalil : j’ai peur de ne pas être à la hauteur, j’ai peur de ne pas pouvoir effacer les blessures de ton passé.


Moi : ça, tu l’as déjà fait. Tu as tant fait pour moi (le taquinant) quoiqu’il te reste beaucoup à faire pour être la hauteur. Mais t’inquiètes, tu es sur la bonne voie.


Khalil me pinçant le nez : petite prétentieuse !


On se sourit.


Moi : je ne veux pas attendre, je suis prête à tenter une histoire avec toi pour voir si ça peut fonctionner.


Khalil (regard aigu) : ne te sens pas obligée de…


Moi hochant vigoureusement la tête : je le veux, j’ai eu le temps de réfléchir et c’est bien ce que je veux. 


Il me fait un sourire béat.


Khalil (me soulevant le menton) : nous allons prendre notre temps pour nous bâtir calmement. Pour l'instant, je ne peux pas te promettre que tout ira bien entre nous. Que tout sera parfait et sans nuages. Ce dont je suis sûr, c’est que nous affronterons tout ensemble, de telle sorte que rien ni personne ne puisse nous séparer. Tu me fais confiance ? (oui de la tête) Tu sais que je ne vous ferai jamais du mal, à ton petit cœur et à toi.


Je souris juste.


Khalil : merci de me donner cette chance parce que ma vie sans toi, je ne peux même pas l'imaginer, plus maintenant. Je ne veux plus jamais voir d’autres yeux le matin que les tiens. 


Moi :…


Khalil ton narquois : miss grande gueule, aurait-elle perdue sa langue ?


Je lui donne une tape.


Moi : donc on est en couple là ?


Khalil : nous étions déjà en couple, nous venons simplement de confirmer.


Moi : lol.


Nous nous regardons dans les yeux un moment sans parler.


Khalil : c’est dans ce genre de moment là qu’on s’embrasse.


Je hoche la tête en souriant, pendant qu'il remue la tête.


Moi : mais pourquoi ?


Khalil : ton faux boy là, tu en es où avec lui ?


Moi : à un doigt de rompre.


Khalil : ok, reviens me voir quand ce serait fait.


Moi incrédule : tu n’es pas sérieux, je ne suis même plus avec lui.


Khalil : il faut que tu le mettes au même niveau d’information.


Moi : rhooo tu…


Je suis interrompue par les vibrations de son téléphone dans sa poche, il le sort et fixe l’écran un moment l’air perplexe.


Khalil : c’est mon père.


Moi : vas-y décroche.


Khalil l’air perdu : je peux ?


Je hoche la tête, il s’exécute  et  s’éloigne en parlant Arabe. Je me mets à tourner en rond en songeant à tout ce qu’on vient de se dire lorsqu’il revient avec une mine grave.


Moi inquiète : il y a un souci ?


Khalil : euh, il veut que je rentre à Abu-Dhabi.


Moi en alerte : quoi ? Comment ? Pourquoi ? Quand ?


Khalil : demain, aucune idée.


Moi ahurie : demain ?????


Khalil (se voulant rassurant) : oui, mais je reviendrai. Il faut qu’on s’organise, qu'on s'établisse des bases.


Moi sceptique : je suis d’accord, et si tu ne revenais plus ?


Khalil avec conviction : je reviendrai.


Moi : on a fini le travail et…


Khalil (posant perpendiculairement   l'index sur mes lèvres) : je t’ai dit que je reviendrai, il faut bien qu’on décide ensemble de quelle issue, on veut donner à notre relation. Enfin, je tiens déjà à te dire que je veux une relation strictement exclusive.


Je hoche la tête en me mordant les lèvres.


Khalil (avisant sûrement les larmes dans mes yeux) : tu ne vas pas pleurer inh ? 


Moi (la voix cassée) : je trouve injuste que tu partes maintenant.


Khalil : ça te laisse le temps de rompre définitivement avec l’autre et de penser aux arrangements qu’on pourrait faire tous les deux.


Moi hochant la tête : c’est vrai aussi, tu rappliques vite ?


Khalil : aussi vite que possible.


Moi : et tu es sûr qu’on ne peut pas s’embrasser ?


Khalil riant doucement : non, tu sais ce qui te reste à faire.


Moi : rhooo c’est pas juste !


Khalil (me prenant dans ses bras) : je peux te faire un câlin à la place.


Je me laisse faire en boudant, mais laissez ! Comment ça me fait du bien !


Khalil : je t’aime mon cœur.


Moi : dis-le encore s’il te plaît.


Khalil : ouhhibouka aynia.


Moi : Samir (je trouve que ça fait perso)


Khalil : Aynia


Moi : c’est moi qui ai beaucoup de chance de t’avoir rencontré.


……


Moi (rangeant la pile de doc devant moi) : je crois que c'est tout.


Khalil : je le pense aussi.


Moi : tu ne sais toujours pas pourquoi ton père t’appelle ?


Khalil soupirant : non. J’ai essayé de cuisiner mes frères et ma mère, ils n’en savent pas plus que moi.


Moi : ok, j’espère qu’il ne se passe rien de grave là-bas.


Khalil : certainement non, ça fait un bye qu’il me demande de rentrer et je fais la sourde oreille.


Moi : et t'es sûr qu’il va te laisser faire demi-tour ?


Il lève le sourcil.


Khalil : me laisser faire ? Comme si j’avais besoin de sa permission.


Moi ton suppliant : Samir tu n’y vas pas pour recommencer à affronter ton père.


Khalil : bien sûr que non, je vais simplement lui poser quelques limites.


Je soupire en lui tendant les documents qu’il range dans son sac. Il s’agit de tout le résumé de notre travail. Nous sommes partis les chercher au bureau dans la soirée d’hier et avons passé la nuit à le passer au peigne fin. Pour le moment je ne peux pas me prononcer là-dessus, j'attends l’avis de monsieur Singh lui-même. 

Ce matin, nous étions chez mes parents pour leur annoncer la nouvelle de son départ, nouvelle  qu’ils ont accueillis avec surprise comme moi. Amou n'a pas manqué de me faire des remontrances parce que selon elle, je le laisse partir sans avoir conclu avec lui (rire). Pour le moment, il n’y a que mamie et Tina qui le savent, je préfère qu’il en soit ainsi. Quant à son retour, je le prends toujours avec parcimonie, toutefois, j’ai foi en sa parole. De toute façon, s’il ne revient pas, on peut toujours s’arranger par rapport à la distance même si ça s’annonce redoutable. 


Il pousse tout le bazar autour de lui et m'invite à occuper la place libre devant lui. Je m'exécute telle une automate. Il ramène mes cheveux d'un côté derrière mes oreilles avant d’enfoncer sa tête dans mon cou.


Khalil : tu vas me manquer.


Je me redresse et lui lance un regard inquiet.


Moi : pourquoi ça sonne comme un adieu ?


Khalil : bébé, je t’ai donné ma parole.


Moi soupirant : je te crois (me lovant contre lui) toi aussi, tu vas me manquer.


Khalil : je l’espère.


Moi : tu veux faire quelque chose en particulier aujourd’hui ? Il nous reste encore des heures avant ton vol.


Khalil : pas spécialement, je veux juste m’enivrer de toi. 


Moi : en attendant moi, j’ai faim.


Khalil faisant la grimace : rhoo Aynia tu casses l’ambiance.


Moi pouffant de rire : mais c’est vrai que j’ai faim. On a rien avalé depuis notre réveil, on court partout.


Khalil : ok ok tu veux manger quoi.


Moi ton suave : ça n’a rien à voir avec la bouffe.


Khalil me réprimandant : Aynia ?


Moi faisant une moue de chien battu : Samir ?


Khalil souriant : je suis vacciné contre cette bouille là.


Moi (accent Nigerian) : is no fair ohh.


Il éclate de rire pendant qu’il me suit dans sa cuisine où on se décide pour du couscous royal que je réchauffe simplement. On revient manger dans le canapé du salon très entrelacé. Il faut que je vous dise déjà que c’est comme ça depuis hier, dès que le tabou a été levé tout se passe naturellement entre nous. Si ça vous intéresse également de savoir, je suis heureuse d’avoir pris cette décision, bien que tardivement. Je  regrette juste d’avoir fait autant de zèle parce que j’aurais encore pu profiter un peu de lui avant que la distance ne s’incruste. Mais bon, il vaut mieux tard que jamais comme le dit le dicton. 


…..


Je me retrouve seule, debout dans le hall de l’aéroport en attendant que Khalil finisse de s’enregistrer. Je suis la seule à l’avoir accompagné, on a trouvé ça plus intime comme ça. Nous avons quand même eu le temps d’improviser un petit dîner d’au revoir chez les parents avec toute la famille réunie. Un dîner tamisé d'une ambiance relativement triste. Les enfants nous ont tapé une grosse crise de larmes. Surtout Nabil qui n’a même pas voulu voir la voiture démarrer. Pendant que patiente, j’écris avec Amou qui veut savoir comment ça se passe ici et en même temps avec mes ex cop’s du célibat (rire). Elles me demandent de faire une action à l’aéroport, car ce serait ma dernière chance. Elles ont trop regardé des films celles-là krkrkr…


Khalil (derrière moi) : je peux savoir qui fait sourire ma meuf au téléphone ?


Moi levant les yeux de l’écran : mes copines.


Khalil (m’entourant le cou) : tu fais attention avec les pingouins pendant mon absence.


Moi amusé : ok. 


Khalil : et tu règles cette histoire avec ton ex avant mon retour.


Moi : d’accord chef ! Et toi, tu te tiens tranquille à Masdar.


Khalil me souriant : promis ! (passant du coq à l’âne) Tu dis que tu ne feras qu’une semaine en Belgique.


Moi : tout au plus, si tout va bien.


Khalil : ok.


Sans que je m’y attende, il s’abaisse et capture mes lèvres. Ma bouche, légèrement ouverte par la surprise, lui permet d’enfourner sa langue dedans et d’entrelacer la mienne. La surprise passée, je passe ma main derrière sa nuque pour approfondir le baiser. On s’embrasse de plus en plus intensément lorsqu’il se détache brusquement et colle son front contre le mien.


Khalil : ça ne compte pas ça.


Moi me retenant de rire : d’accord.


Cette fois, c’est moi qui colle mes lèvres aux siennes et l’embrasse  langoureusement. On se lèche goulûment nos lèvres et c’est alors que je me dis que celui-ci est meilleur que les autres que j’entends le raclement de gorge de quelqu’un derrière nous avant que la voix de Tina me parvienne. On se détache aussi précipitamment qu’on le peut. J’ai presque oublié que Bradley voyage aujourd’hui.


Tina : les zamoureux gênez-vous un peu du public.


Je cache mon visage contre le torse de Khalil.


Voix de la mère de Bradley : c’est ton amie ? Nahia, c’est toi ?


Là, il ne manquait plus que la terre s'ouvre pour que j'y entre. Je me fabrique rapidement une expression zen avant de me retourner pour croiser le petit sourire en coin de Bradley et le regard narquois de Tina.


Moi (m’éclaircissant la voix) : bonsoir maman (levant un regard voilée sur les autres) bonsoir.


Le couple (riant sous capte) : bonsoir,


Maman Eunice : bonsoir ma fille, bonsoir jeune homme.


Khalil : bonsoir madame.


Il y a quelques secondes de silence gênant, c’est Tina qui prend la parole pour faire les présentations le regard figé sur moi.


Maman Eunice à moi : il est charmant ton ami.


Je baisse la tête gênée, c’est Khalil qui répond.


Khalil amusé : merci.


Bradley (s’adressant à nous) : charmante rencontre, mais désolé nous allons devoir vous laisser, notre vol a déjà été annoncé.


Khalil : euh, vous êtes sur lequel ?


Bradley : Ethiopian.


Moi : il prend le même vol que vous.


Maman Eunice : ça tombe bien, je veillerai personnellement à ce qu’aucune fille ne s’en approche.


Moi (la voix aiguë) : d’accord merci maman.


Tina ton sarcastique : vous voulez qu’on vous laisse finir de vous dire au revoir ?


Je lui coule un regard en biais.


Khalil : non ça va on peut y aller.


Il me fait un smack au moment où Bradley se rapproche de Tina pour en faire autant. On les regarde ensuite disparaître dans le rang.


Tina : tu as pris la bonne décision.


Moi : oui, j’ai pris la bonne décision.


Tina : je suis heureuse pour toi babe.


Moi touchée : merci chouquette.


Tina : bon, je pense qu’on a un chagrin à noyer toutes les deux.


Moi : tu as tout compris.


Tina : il me reste quelques litres du punch du Paradis de la fête d'avant-hier.


Moi : sois bénie ma fille.








Le tournant décisif