I-
Write by Les petits papiers de M
Philomène
Oui devant Dieu, devant les hommes
Oui pour l’amour que tu me donnes
Oui pour les joies, oui pour les peines….
Dans mon cœur, c’est une joie explosive et incommensurable. Ce jour, c’est la concrétisation de tous mes rêves, l’accomplissement de mes vœux, l’aboutissement de mes prières. A mes côtés, se trouve l’homme de ma vie, Romain. A lui je m’unis devant Dieu et devant nos familles. Pour le meilleur et pour le pire.
Quand il me poursuivait de ses assiduités il y a quelques années, me jurant qu’il m’épouserait, j’ai bien rigolé. Quel garçon de vingt ans peut sérieusement envisager de se marier ? Au Bénin ? Je n’y ai pas cru une seule seconde. Mais je le trouvais si beau avec sa belle taille, son teint clair et son sourire charmeur. La taille s’est un peu épaissie depuis le temps mais à mes yeux il reste toujours le plus beau.
Vive les mariées ! vive les mariés ! vive les mariés !
Sur le parvis de l’Eglise Bon pasteur, nous avons droit à la traditionnelle séance de photos avec la famille, les amis et le clergé. Ensuite, direction la réception. Mon beau-père qui est un notaire influent n’a pas lésiné sur les moyens pour le mariage de son benjamin. Nous avons droit à de grandes tentes dressées dans les jardins du Golden Tulip hôtel. Si ma famille n’avait pas été aussi digne que modeste, nous aurions cédé à la proposition de mon beau-père de déplacer une bonne partie de la famille en Europe pour ce mariage. Mais comme dit ma mère, il faut savoir raison garder.
Après nous être changé dans notre suite nuptiale, nous rejoignons nos invités pour le dîner et la fête. J’ai les étoiles plein les yeux devant ce décor de rêve et la vie qui m’attend. Je devine que le mariage n’est pas de tout repos. Mais je saurai faire du nôtre une histoire d’amour et de bonheur. Ma mère m’a dit qu’il n’y a rien que la patience, l’amour et la prière ne puissent combattre dans cette vie. Et je suis suffisamment armée. La preuve, j’ai attendu ce jour pendant huit ans.
Je contemple ma main ornée des diamants de ma bague de fiançailles et de mon alliance. Désormais ce sera madame DOSSOU épse GBEDJI. C’est trop sucré pensai-je en souriant largement à mon époux.
- Vraiment, c’est aujourd’hui que je mesure la puissance de ta belle- famille hein Philo
- Hahaha… ne te focalise pas sur la richesse. Ce n’est pas le plus important
- C’est ceux qui en ont assez à leur table qui tiennent ce genre de discours. De toute façon toi-même tu es du côté des boss maintenant
- Et pourquoi ?
- Tu demandes encore ? ton mari est riche !!!
- Son père est riche. Ro lui-même n’a rien encore. Nous avons tout à construire
- Tu penses que son père va le laisser mourir de faim. Regarde déjà où il travaille. Alors qu’il est sorti de l’université depuis quelques années seulement
Je détourne légèrement la tête en levant les yeux au ciel. Si Isabelle ma propre sœur me voit déjà avec une cuillère en or dans la bouche, je n’ose pas imaginer le reste de ma famille. Oui, mon beau-père est riche et réputé. Mais ce que beaucoup ignorent c’est que c’est un homme qui veut que ses enfants réussissent par eux-mêmes. Ce n’est qu’ainsi qu’ils peuvent gagner son respect. Raison pour laquelle le cabinet d’architecture de Romain n'a pas encore l'envergure escomptée. Mais va expliquer ça à une tierce personne. Tout ce qu’elle retiendra, c’est que tu fais ta modeste pour qu’on ne vienne pas t’exposer des problèmes sociaux. Je ne me fais pas d’illusions. Avec ce mariage je deviens en quelque sorte la vache à lait de ma famille.
Je suis la cadette de ma famille. L’aîné, Anselme est professeur de français, marié et père de deux enfants. Vient ensuite Hervé. Lui, tout un livre ne suffirait pas à relater sa vie. Mon frère est douanier. Riche comme Crésus comme en témoignent ses immeubles, véhicules et nombreuses conquêtes à travers la ville. Mais les seules personnes admises chez lui se résument à nous sa petite famille. Paranoïaque jusqu’au bout des ongles, obtenir une quelconque aide de lui relève du parcours du combattant. Isabelle quant à elle est étudiante en médecine.
Normalement nous ne devrions pas avoir à nous plaindre. Famille moyenne avec des revenus confortables. Sauf que mon père est issu d’une large famille polygame dont sa mère seule a à son actif onze enfants. De ses sept sœurs, une seule a fait autre chose de sa vie que de pondre des enfants. Deux de ses frères se sont exilés en Europe et coupés de la famille par la même occasion. Seuls, mon oncle Philippe et mon père géraient tant bien que mal les problèmes familiaux. Jusqu’à ce que mon père, une fois à la retraite ait la mauvaise idée d’investir ses économies dans une histoire de marché boursier qui s’est avéré être une gigantesque arnaque.
Depuis nous vivons plus que modestement. Et il a dû réduire au maximum l’aide portée à ses sœurs. Mais va expliquer à quelqu’un à qui tu as constamment tendu la main que la source a tari. Il ne retient qu’une chose. C’est que tu refuses de l’aider. Et mon père est incroyablement généreux. Bien souvent aux dépends de sa famille. Si ma mère n’avait pas été là pour freiner ses ardeurs, nous n’aurions même pas un toit sur nos têtes.
J’espère juste que mes cousins ne verront pas en moi le successeur de mon père. Je n’ai pas envie de prêter flanc à leurs incessantes requêtes.
Caroline N’DONG GBEDJI (Ma Caro)
Je me suis un peu éloignée du bruit de la fête pour prendre l’air. De ma position, je regarde Romain et Philo déambuler entre leurs invités le sourire aux lèvres. C’est normal qu’ils soient si heureux. Alban a mis la barre très haute pour le mariage du benjamin. Tout est impeccable.
- A quoi tu penses ainsi avec le regard dans le vide ?
- A rien de particulier. Que fais-tu là ?
- Je cherchais ma femme. Avec tous les dragueurs qui traînent, mieux vaut ne pas prendre de risques
- Très drôle. Qui voudrait encore d’une vieille peau usée comme moi ?
- Mais moi ! je te veux encore après toutes ses années me répond-t-il en m’enlaçant
- Ah vous deux-là ! vous n’êtes pas trop vieux pour les mamours dans l’obscurité ?
On se retourne tous les deux pour voir Stéphane notre aîné qui nous observe le sourire aux lèvres.
- Continues de penser ainsi et tu divorceras plus tôt que tu ne le penses. Une femme doit être constamment choyée. Encore plus quand c’est une perle rare comme ta mère.
- Trêve de flatteries Al. Stéphane, laisse les vieux que nous sommes et va rejoindre la poulette qui te sert de femme
- Tu n’aurais pas dû, me reproche aussitôt Al après son départ
- Pour une fois ce n’était pas méchant
- Hum… j’ai du mal à le croire. Tu es trop dure envers nos belles-filles
- Et toi tu leur montres trop les dents
- Tu crois ? il me semble qu’elles ont toujours été correctes. Jamais un mot ou un geste déplacé. Pourquoi devrais-je être désagréable envers elles ? alors qu’elles partagent la vie de nos enfants ?
- Je reste convaincue qu’elles sont toutes des arrivistes. Plus attirées par notre nom que par nos fils. Et je sais qu’un jour l’avenir me donnera raison
- Ah là là ! caroline ! reconnais plutôt que ce qui te vexes c’est le fait qu’aucun n’ait épousé une camerounaise
- En effet. Je ne te l’ai jamais caché. J’en aurais été très heureuse. Et je me sentirais moins seule
- Donc après toutes ses années à mes côtés, tu te sens seule ? après trois enfants et toute une vie construite ici ?
Je m’abstiens de répondre. Ce n’est même pas nécessaire puisqu’il me plante là et s’en va après avoir vidé son verre d’un trait. Je crois que je viens de le mettre en colère. Je m’en fous d’ailleurs. A mon âge je peux me permettre de dire ce que je pense haut et fort. Alban m’a toujours très bien traitée depuis que je l’ai suivi ici après notre mariage. Mais je n’ai jamais pu me départir de mon mal du pays. Et à certains moments je lui en ai voulu de m’avoir délaissée pour bâtir son empire.
Empire grâce auquel mes enfants et surtout moi n’avons jamais manqué de rien. Mais les débuts ont été difficiles et ont laissé des cicatrices indélébiles. La barrière de la langue d’abord. La cohabitation avec ma belle-famille aux débuts de notre mariage ensuite. Cela semble être une coutume chez les béninois. C’est vrai que nous n’avions pas grand-chose et qu’Alban rentrait à peine de ses études. Mais nous travaillions tous les deux et pour moi nous aurions pu nous louer un petit appartement. J’étais même prête à accepter un qui soit très proche de sa maison familiale.
Mais il tenait à économiser le moindre centime pour retourner à Lyon où nous nous étions rencontrés pour se perfectionner. Ni mes pleurs ni mes menaces n’avaient rien changé. Il faut dire qu’Alban est terriblement rigoureux et intraitable quand il le veut. Son succès dans les affaires en témoigne. Il m’avait abandonnée trois ans entre leurs mains. Ils me détestaient tous pour une raison bien simple. J’étais une étrangère. Je ne comprenais rien à leurs habitudes et à leurs langues. J’avais en plus eu le malheur de passer une bonne partie de ma vie en Europe. Pour eux, ma réserve paraissait comme du snobisme. J’ai passé de nombreuses heures à pleurer cet amour qui m’avait fait quitter ma cage dorée de célibataire pour cette vie de merde.
Aujourd’hui, tout cela est derrière moi. Je manie le fon et le goun comme une béninoise de souche. Je n’ai pas pu me résoudre à être amie avec la famille d’Alban. Sa mère et moi nous sommes détestées jusqu’à sa mort. Elle a d’ailleurs passé quelques mois chez nous où je n’ai pas manqué de lui mener la vie dure. Entre ses sœurs et moi, c’est de la courtoisie hypocrite. Rien de plus.
J’ai toujours caressé l’espoir qu’un de mes fils épouse une camer. Où à défaut, une gabonaise. Ils se sont tous rués sur les répliques de leurs cousines. Chaque présentation de copines a été une déception infinie. Jusqu’à Romain. Mon bébé, mon chouchou, mon benjamin. Même lui a préféré une béninoise. Je n’ai pas grand-chose à reprocher à mes belles-filles. Ce n’est pas le grand amour entre nous mais elles sont correctes. Mais bon, je ne peux pas m’empêcher de râler.
Et ce soir en particulier, j’ai de bonnes raisons. Depuis que je suis tombée sur le testament d’Alban. Je le savais assez prévoyant pour en avoir un. Surtout que c’est son métier. Mais ce que j’y ai lu… mon Dieu !