Il s'agit bien d'un rêve

Write by Tiya_Mfoukama

Chapitre II


Il s'agit bien d'un rêve


Je me lève en plein milieu de la nuit et expire une grande bouffée d’air que j’ai aspirée quelques secondes plus tôt.

J’ai encore fait ce rêve. Ce rêve où nous sommes tous les trois réunis autour d’une grande table familiale, pleines de mets traditionnels préparés par ma mère avec amour et dont l’odeur alléchante fait chanter mon estomac. Il fait beau, du moins c’est ce que semble m’indiquer les rayons de soleil qui illuminent notre table. Mon père est assis à la place d’honneur, ma mère à sa droite et moi en face de lui. Pourquoi en face de lui ? Probablement pour mieux contempler ses traits rieurs vieillis par les années. Ces petites pattes d’oie qui apparaissent lorsqu’il étire ses lèvres légèrement craquelées, pour m’offrir un de ses sourires éclatants qui accentue ses pommettes saillantes dont j’ai hérité. Oui c’est de lui dont j’ai hérité mes pommettes, enfin je crois.

Je me lève pour aller prendre un verre d’eau et reviens m’allonger sur mon lit mais Morpheus n’a pas l’air de vouloir m’accepter de nouveau dans son royaume alors les yeux rivés sur le plafond, j’essaie d’oublier mon rêve sans y parvenir.

Une personne rêve toutes les nuits et fait en moyenne entre quatre et sept rêves durant son sommeil. Elle ne se souvient généralement pas de leurs contenus  sauf si elle se réveille en plein milieu d’un et qu’elle se force à s’en souvenir. Mais là encore, elle ne retiendra que des brides. Moi, sans que je ne le veuille et malgré tous mes efforts pour l’oublier, je me souviens de ce rêve, jusqu’aux infimes détails qui le composent avec une acuité telle, que je pourrais le décrire ou même le dessiner les yeux fermés.

Je me retourne à plusieurs reprises, changer de position pourrait m’aider à m’endormir.

Ce n’est pas le cas.

Guidée par je ne sais quelle impulsion, je tends ma main vers ma lampe tempête, l’allume, puis me penche sur ma droite, pour attraper la petite boite bleue en carton, pratiquement carbonisée, que je garde sous mon lit. C’est parce que j’ai essayé de la brûler il y a des années de cela. Dans l’arrière cour de ma mère, à quelques pas du filet de linges, j’avais vidé le contenu d’une jerricane d’essence sur elle et les brindilles sèches où elle était posée avant de jeter une allumette allumée. Je regardais les flammes rougeoyantes  s’embraser tout autour d’elle et brutalement la noircir. Un spectacle hypnotique cependant, quand j’ai compris qu’elles, les flammes, feraient subir le même sort au contenu de la boite et qu’elles allaient l’emporter à jamais j’ai couru chercher de l’eau pour éteindre le feu.


Cette petite boite préserve en son sein deux photos que je déteste regarder. Deux photos de lui, mon père ou plutôt mon géniteur, et moi lorsque j’étais bébé. La première nous montre dans la rue, lui me tenant là main et moi essayant de marcher à ses côtés. On voit clairement que je n’ai aucune stabilité, que mon seul appui se trouve être sa main enlaçant fermement la mienne. Ce devait être lors de mes premiers pas.

Nous portons tous deux le même survêtement sportif, et c’est tout ce que j’aperçois sur cette photo. On ne peut pas voir les expressions de nos visages, on ne peut pas voir les expressions de « son » visage, le photographe était bien trop loin pour les capter. C’est sur la seconde photo qu’elles sont plus visibles. Celle où je suis dans ses bras, la frimousse espiègle et le sourire quasiment édenté sous son regard admirateur.

Il a l’air de me regarder comme si j’étais la prunelle de ses yeux, le centre de son monde, qui assurément s’arrêterait de tourner si jamais il me lâchait.

Il a beau être de profil, mon esprit a réussi à redessiner chaque trait et contour de son visage, et c’est sur le peu d’informations et de détails que me donne cette photo, que mon subconscient s’est basé pour le rêver rieur à cette table.

Depuis que j’ai découvert où il résidait, je n’arrête pas de refaire ce rêve, encore et encore. Il prend forme dès que je ferme les yeux et investit tout mon être.

L’odeur de cette nourriture alléchante, semble vraiment titiller mes narines et faire gargouiller mon estomac, les éclats de son rire rauque et vibrant, paraissent faire écho aux battements de mon cœur joyeux . Et sa main qui effleure la mienne quand nous nous emparons en même temps du plat de riz. Rugueuse, et légèrement poilue aux phalanges. J’en viens souvent à me demander s’il s’agit bien d’un rêve.

Jusqu’à ce qu’il soit l’heure pour moi de me « réveiller », je reste assise sur mon lit, le regard dans le vide et modifie les dialogues de mon songe. Tantôt il rit parce que nos mains se sont frôlées, tantôt c’est à la suite d’une réflexion de ma mère lui rappelant qu’il a bien souvent la main lourde. Il n’est pas gros, mais c’est un homme bien portant, un homme avec de l’allure qui ne laisse indifférent aucune catégorie de femmes, mais c’est dans les yeux de ma mère, coquette à souhait, les lèvres rougies par son rouge-à-lèvres, qu’il cherche à briller.

Je me torture de cette façon depuis que j’ai onze ans, depuis que j’ai été invitée chez Adèle pour manger, depuis que j’ai vu la complicité qu’il y avait entre son père et elle, depuis que j’ai vu la complicité qu’il y avait entre son père et sa mère. Je voulais juste une fois être complice avec les miens.

Je vais récupérer un des bidons d’eau que j’entrepose dans un coin de la pièce et le vide dans le seau avec lequel je vais me doucher. La fraîcheur de l’eau me permet de retrouver mes esprits et éloigner les chimères que représente mon rêve.

J’enfile rapidement un chemisier bleu et un jean avec des ballerines noires puis attrape mon sac, posé sur une petite tablette haute, dans un geste brusque faisant tomber des billets de banque. Nulle besoin d’avoir fait l’ENAM pour savoir qui les a glissés là. Je les ramasse, les comptes hâtivement, il y a soixante-dix mille, et les range dans mon porte-feuille avant de sortir de la maison. Ça aura le mérite de m’éviter de prendre les cinq cent.

Il me faut quand même un certain temps pour arrêter un taxi, pour la cathédrale Sacré cœur. J’y travaille du mardi au vendredi, de 8h30 à 12h30, puis de 14h à 17h30 je reprends mon poste dans le cabinet juridique en partenariat avec la cathédrale. Nous assurons gratuitement une permanence d’aide et d’écoute pour les femmes victimes de violences domestiques ou à la recherche d’informations concernant leur droit.

La plupart des femmes qui viennent pour ne pas dire la totalité, subissent des sévices physiques et moraux mais se présentent sous des prétextes fallacieux. Elles semblent toutes conscientes de ce qu’elles vivent et du côté tragique à long terme mais se renferment à l’énonciation de procédures telles que l’éloignement, ou même le divorce, des solutions inenvisageables pour elles.

Je ne me préoccupe pas de ces femmes, ni même du personnel avec lequel je travail. Je me contente de faire ce pour quoi je suis engagée, ici c'est créer et l’archiver des fiches. Pour chaque femme qui se présente, je crée un fiche que je transmets à la conseillère qui après avoir relever les informations, souvent erronées, données par la femme, y inscrit ses observations et ses recommandations avant de me rendre la fiche que j’archive, et que je ressors en cas de retour.


C’est très répétitif et routinier et ne demande aucune forme d’intelligence particulière. Ce qui me convient.


Comme tous jobs ici, c’est par le biais d’un piston que j’ai eue le mien. En l’espèce, c’est mon oncle qui a introduit ma candidature.

Ça fait maintenant deux ans que je travaille pour le cabinet et six mois que mes heures sont divisées entre la cathédrale et lui. Même si c’est sans grande conviction, je tente de faire au mieux mon travail.  

-Inaya, ça va ? Me demande Mirielle, ma collègue.

-Oui.

Je ne lui retourne pas la question, ce serait ouvrir les valves d’un babillage interminable. Je ne veux pas en être l’auteur d’autant plus que c’est moi qui me la coltine.

Je m’installe derrière le bureau en bois, un peu mangé par le temps, puis ouvre les tiroirs où sont classés les dossiers. Murielle ne le fait jamais, elle n’est là que pour discuter avec les femmes qui se présentent, prendre pitié d’elles et commenter les télénovelas qui passent en continue sur le poste de télé suspendu dans un coin de la pièce.

Je sors des exemplaires de fiches vierges puis les pose sur ma table, avec un stylo à côté. Voilà, je suis prête.


Judith, la conseillère de la matinée, arrive avec un léger retard. Comme bien trop souvent, elle invente un mensonge en rapport avec ses enfants pour se justifier, mais on sait toutes de quoi il en résulte vraiment. 

Malgré son fond de teint appliqué avec un soin que j’imagine particulier, son œil gauche mi-fermé, sa lèvre supérieure boursouflée et fendue ne laissent aucun doute quant aux raisons de son retard. Comme toutes les femmes qu’elle conseille, elle est victime de violences domestiques. Mais il ne faut surtout pas lui dire ça, parce que elle, ce n’est pas la même chose. Son mari s’emporte quelques fois après une rude journée, et il faut le comprendre, il exerce un métier assez éprouvant, il n’a certainement pas besoin d’être soumis au stress lorsqu’il rentre chez lui.

Il est toujours plus facile de voir les saletés sur le perron du voisin que sur le sein.

                                                                                                                                                                                                                              

Mais encore une fois, moi, ça m’est égal.

Je n’attends pas bien longtemps avant de voir la première  femme arriver et je crée une dizaine de fiches durant la matinée avant de quitter mon poste.


C’est sous un ciel nuage annonciateur d’une pluie imminente que je réussis à trouver un taxi. J’ai une heure trente pour déjeuner alors je rentrer chez moi. Il me demande cent cinquante mille pour Mazala et je n’ai pas discuté. Je prends place sur la banquette arrière et lui demande de baisser sa musique pour profiter des fracas de la pluie contre la voiture. Je l’ai dit, ça m’apaise. Lorsqu’il arrive près du total de Mazala, il me demande plus d’information.


-Dépasse le rond point, après tu prends la deuxième route à gauche. L’indiqué-je d’une voix tremblante.


Nous ne sommes plus loin.


-Après ?

-Tu arrives à voir le portail gris ?

-Oui, oui.

-Arrête-toi devant.

-C’est bon.


Il s’arrête comme je le lui ai demandé devant le portail, mais au lieu de descendre, je reste assise et le contemple à travers la vitre. Je n’habite pas Mazala, j’habite un peu plus haut, vers le rond point Moumi.


-Maman c’est mille cinq cent.

-Si je te donne dix, tu peux rester la deux minutes ?

-Oh ! Mais pourquoi ?


Je ne sais pas. Je ne sais pas l’expliquer, je sais simplement que j’ai besoin de rester là.


-.... Pour rien. Finis-je par dire. Pardon, fais demi-tour et va…


La fin de ma phrase est emportée par les crissements des portes du portail qui s'ouvrent. Elles laissent apercevoir une Prado conduite par un homme. Mais la pluie ne me permet pas de discerner son visage, ni celui du passager à ses côtés mais je suis certaine que c’est lui.



A dix kiffs je poste la suite !

Des bisous en pagaille ;)


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