J-6 (2/2)

Write by Owali

Respiration haletante. Gorge sèche. Mains moites. Frissons. Cœur battant la chamade.

 

J’étais fiévreux de colère.

 

Le regard perdu vers l’horizon, je tentai de reprendre mes esprits avant d’entreprendre quoique ce soit. J’avais manqué de vigilance et m’étais fait surprendre comme un novice. Il était temps que je montre à ce plaisantin qui était James Ossamy !

Je tirai un mouchoir de la boite posée sur le tableau de bord et m’épongeai le front.

Qui avait bien pu faire irruption dans mon bureau ? Hormis Sandrine et moi, personne ne disposait des clés pour y accéder. Personne, à part peut-être… la sécurité !


Je sortis précipitamment de ma voiture encore stationnée sur le parking du boulot et fis irruption sur le comptoir de l’accueil pour demander à voir rapidement le responsable du service sécurité. La standardiste tenta de le joindre mais le téléphone ne semblait pas fonctionner. Je lui fis un petit numéro de charme et elle accepta de m’accompagner pour le voir directement. Après avoir laissé des instructions à sa collègue elle ouvrit la marche, m’offrant par la même occasion le spectacle de ses formes généreuses -moulées dans un tailleur gris- se balancer avec volupté. 

Cela ne faisait que quelques mois qu’elle était en poste et, n’eut été l’amour que je dévouais à ma petite famille en ce moment, j’aurai très probablement dérouler mon verbe pour lui offrir une nuit en ma compagnie. Mais l’heure n’était pas à l’amusement. Alors que nous traversions un dédale de couloir, je la sondais pour savoir si elle avait remarqué quelque chose d’inhabituelle, mais je fis choux blanc. 

Arrivés devant une porte sur laquelle était inscrite « PC Sécurité », elle donna deux coups. Il ne fallut pas longtemps avant qu’un type barbu et massif fasse son apparition. Une odeur de haricot s’échappa de la pièce sombre dans laquelle il était plongé et d’où on pouvait entendre la voix lugubre et monocorde de l’animateur de Radio Gabon qui débitait ses communiqués. L’agent s’essuya la bouche du revers de la main et nous observa en fronçant les sourcils. Julie, la standardiste, pris les devants:

— Laurent, bonjour. J’ai essayé de te joindre mais comme tu ne répondais pas je me suis dit que j’allais venir voir si tout allait bien.

Le colosse sembla s’adoucir et s’essaya à un début de sourire.

— Il ne fallait pas, tous les appareils déconnent un peu depuis ce midi. Le technicien des télécoms est à pied d’œuvre pour réparer ça au plus vite.

— Ah je comprends mieux. Mais en fait, si je venais c’était aussi parce que le monsieur que voici, a eu un problème. Apparemment quelqu’un s’est introduit dans son bureau et y aurait volé des effets importants. Comme tu es le seul à avoir toutes les clés, on s’est dit qu’on allait d’abord te demander.

Le gars me détailla avec méfiance mais comme il ne semblait pas insensible au charme de son interlocutrice, il accéda à sa demande et nous fit entrer pour vérifier le tableau de clés. Son bureau, qui faisait à peine une dizaine de mètre carré, n’était éclairé qu’à la seule lueur d’une lampe de bureau. Quatre écrans de vidéo surveillance étaient alignés sur une table qui faisait toute la longueur de la pièce. Un sandwich entamé et un djino pamplemousse glacé étaient dissimulés dans l’angle. A côté, un poste radio d’une autre époque reposait sur une pile de classeur.

— C’est quel numéro votre bureau ? Me ramena à lui l’agent de sécurité.

Je me tournai et m’approchai du tableau.

— C’est le 5, à l’étage de l’ANGT…

Il balaya le tableau du regard avant de se retourner vers moi l’air stupéfait.

— Je ne comprends pas, elle n’est pas là.

— Quoi ?! Comment c’est possible ?

— Je ne sais pas...

Dans la panique, il se mit à fouiller fébrilement son bureau. Julie, qui semblait tout aussi surprise que moi, se tourna vers son ami pour essayer d’en savoir plus. Il resta campé sur ses positions en affirmant n’avoir laissé personne s’introduire. Je m’énervai et le menaçai d’appeler sa hiérarchie s’il ne m’expliquai pas comment quelqu’un avait pu pénétrer dans mon bureau avec les clés qu’il était censé surveiller.

— Je ne comprends pas monsieur. Ce matin toutes clés étaient là et je n’ai pas bougé d’ici depuis…

Je le fixai droit dans les yeux et il ne put soutenir mon regard. Cet homme n’était pas nette.

— Et votre bouffe alors ? Elle est arrivée ici par magie ?
— Hein ? Ça ? Non c’est Norbert de l’informatique qui m’a apporté ça tout à l’heure...

Je tiquai.

— Monsieur Ratanga ? Il a l’habitude de vous apporter à manger ?

— Heu non. Enfin, on mange ensemble quelques fois mais…


Le scénario de la scène qui avait pu se dérouler quelques instants plus tôt défilait déjà dans ma tête. Je voyais Norbert subtiliser les clés et s’introduire dans mon bureau profitant de mon absence. Son comportement étrange lorsqu’on s’était croisé s’expliquait mieux. Il n’y avait pratiquement plus de doute, c’était lui qui était derrière ce coup. Qui mieux qu’un technicien comme lui pouvais le faire ? La seule question qui demeurait c’était « Pourquoi ? ». Qu'est-ce qui pouvait pousser un homme aussi gentil et calme à faire une chose pareille ? Avait-il été envoyé par quelqu’un ? Si oui, qui ? Un jaloux qui cherchait certainement à mettre à nue toutes mes malversations financières. Ayant récemment eu un problème avec mon ordinateur personnel, avant de l’envoyer en réparation, j’avais temporairement transféré toutes mes données dans celui du bureau comme me l’avait recommandé Norbert Ratanga...   Le salop !

— Je vais mettre tout en œuvre pour savoir qui a fait ce coup, vous pouvez compter sur moi monsieur, me lança l’agent de sécurité alors que je quittai précipitamment les lieux.


Il allait me sentir passer. J’étais tellement lancé dans ma course que je ne prêtai plus attention aux appels de la réceptionniste dans mon dos. Le téléphone vissé à l’oreille, je me mis au volant pour prendre la direction de London. 

« Capitaine Ondjili, j’écoute »


Au bout du fil, Loïc un autre de mes proches cousins qui bossait à la gendarmerie.  De par sa fonction, il avait l’habitude de me rendre des services lorsque j’avais besoin de faire passer certains messages à des personnes qui se mettaient en travers de mon chemin. Je lui expliquai brièvement la situation et on se donna rendez-vous au domicile du suspect. Une demi-heure plus tard, je me garais devant l’atelier d’un tailleur non loin de la maison de Ratanga. Sans attendre l'arrivée de mon cousin, je descendis et empruntai la piste escarpée qui menait jusqu’à sa petite maison aux murs gris crépis qui avaient subis les affres du temps et virés au rouge latérite. Sa femme, vêtue d’une robe cabas au couleur du partie au pouvoir, était assise à l'extérieur sur un banc et se faisait tresser.  J’avais eu l’occasion de la rencontrer à quelques reprises les soirs où je déposais son mari, aussi elle n’eut pas de mal à me reconnaitre.

— Monsieur Ossamy ? Mon mari a un problème au boulot ? Me demanda-t-elle de but en blanc visiblement inquiète.

— Non Madame Ratanga, du moins je ne pense pas. Il a quitté le bureau précipitamment et je venais le voir. Mais à votre interrogation je comprends qu’il n’est pas là.

— Il a quitté le bureau précipitamment ? Non non, il ne m’a rien dit. Mais attendez, je vais lui passer un coup de fil. Asseyez-vous, on vous sert quelque chose à boire ?

Je déclinai son offre. Un enfant sorti de la maison pour lui remettre son téléphone. Elle essaya de le joindre mais le bon monsieur ne répondit pas.

Comme par hasard.

Je lui donnai mon numéro pour qu’elle me prévienne lorsqu’il rentrerait avant de prendre le chemin du retour et appeler mon cousin pour qu’il ne fasse pas le déplacement pour rien.

— Si tu as son numéro d’immatriculation je peux le signaler pour que toutes les brigades se mettent à ses trousses, me suggéra-t-il.

— Ok je vais essayer de te trouver ça. Merci en tout cas.

— Je t’en prie, ça c’est un petit problème. Mais si tu veux mon avis, tu ferais mieux de te calmer et de te préparer à vivre tes dernières heures de célibataire. Ce week-end ça va être feu pour toi type, repose-toi.

— Ouai ouai, je vais essayer de faire ça, tu as raison. Maintenant que je te sais sur le coup, je suis plus serein.

— Le pays là c’est pour nous mon gars ! En tout cas, j’attends tes éléments et on met la machine en route très rapidement.

— Très bien.

J’interrompis ma conversation et rebroussai chemin.

— Monsieur Ossamy ? Vous avez oublié quelque chose ? S'étonna la femme lorsqu'elle me vit à nouveau.

— Oui en fait heu… il m’avait vanté les mérites de l’assurance auto qu’il avait contracté dernièrement chez Ogar et je voulais savoir s’il était possible de jeter un œil rapidement pour voir les différentes clauses.

Intriguée par ma demande, elle fronça les sourcils. Je me fis la réflexion que j’aurai pu trouver mieux, mais sur l’instant c’est tout ce qui m’étais venu à l’esprit.

— Assurance Auto ? Ah est-ce que je sais même où il range ses papiers ?

A sa moue désinvolte je compris qu’elle n’était pas encline à coopérer. Je fis alors mine de me résigner et sortie une liasse de billet de ma poche. Je tirai un billet de dix mille du lot et le lui tendis « pour le coca » avant de faire volte-face. Je la sentis se lever dans mon dos. Un léger sourire barra mon visage.

— Attendez un instant, je vais un peu aller fouiller quand même, on ne sait jamais.

Une demi-heure plus tard, le signalement du véhicule était donné à mon cousin. Je reprenais la route avec la ferme intention de rentrer chez moi quand quelque chose me poussa à appeler Sindy pour entendre ce qu’elle avait à me dire. Après trois tonalités, elle décrocha.

— Bonjour Sindy, c’est James, m’annonçai-je froidement.

— Bonjour James…

Sa voix était faible et cassée. Elle toussa et renifla à travers le téléphone comme si…

— Sindy, ca va ? Tu pleures ? M’inquiétais-je.

— Ca ne va pas James ! Depuis le matin que j’essaie de te joindre, tu m’ignores. Je suis même venue sur ton lieu de travail…

— Justement ! Qui t’a montré où je travaille ? Hein, qu’est-ce que tu cherches à la fin ? Je pensais qu’on avait été claire, toi et moi c’était pour un temps. Qu’est-ce que tu as à me harceler maintenant ?

— Parce que tu crois que je le fais par gaité de cœur ? Tu crois que ça me plait de te poursuivre ? Tu fais chier à la fin ! Tu crois que tu es le centre du monde ou quoi ? Merde !

— Surveille ton langage ! Je ne suis pas ton petit frère. Tu veux quoi ?

— Tu sais où j’habite, tu n’as qu’à ramener tes fesses ici si tu veux le savoir !

Elle me raccrocha au nez. Je démarrai nerveusement en direction de Nzeng-Ayong.

Trois quart d’heure plus tard, je lui envoyai un texto pour lui signifier ma présence devant son domicile. Au bout de longues minutes d'attente, elle sortit de sa concession par un petit portillon. Casquette et lunette de soleil camouflant tout son visage, sa mini robe fleurie voltigeait au gré de sa gracieuse démarche. J’actionnai le déverrouillage automatique des portiers. Elle ouvrit, s’installa nerveusement à mes côtés puis me balança au visage, l' enveloppe qu’elle avait dans les mains.

— Mais enfin, qu’elles sont ces manières ?! M’indignai-je.

— Lis, tu comprendras !

Elle croisa les bras sur sa poitrine et fixa un point invisible droit devant elle. Elle avait l’air tendue et remontée. J'ouvris l’enveloppe rectangulaire blanche et en sortie le papier qui se trouvait à l'intérieur.

Mes sourcils se froncèrent à la lecture des premières lignes. Il s’agissait de test sanguin.

 

« Immunologie infectieuse. »

 

— Qu’est-ce que cela signifie ?

— Lis !

 

« Dépistage d’une infection par le VIH

Dépistage de l’Ag p24 et des Ac VIH1-VIH2… Positif » 

 

— Quoi ! C’est quoi ça ?!

— C’est comme tu vois ! Tu m’as donné le Sida !

— N’importe quoi ! Je ne suis pas malade, tu racontes des conneries !

— Ah oui ? Et il date que quand ton dernier bilan ?

— Un an et demi, avant la grossesse de ma femme et j’allais très bien !

Sept jours à vivre