Joël et Ami 19 : Non ! Pas toi ! (1 ère partie)
Write by Dja
Cela faisait maintenant un mois que Mbaye Oumar était allongé sur son lit, à la clinique d’Abou.
Le soir de son accident, alors qu’il entendait la voix de son homme à tout faire qui le suivait dans une autre voiture, il avait sombré dans l’inconscience. Les témoins de la scène avaient sauté au dessus de la rambarde et tenté de le dégager de sa prison en ferraille. Ce ne fut qu’au bout de plusieurs heures qu’ils réussirent. Les pompiers étaient arrivés tard sur les lieux alors que le père d’Aminata avait déjà perdu beaucoup de sang.
Il n’aurait pas dû détacher sa ceinture de sécurité pour ramasser son carnet de notes dans la voiture. Le choc avec le camion et la chute dans le sable l’avait envoyé percuter le pare-brise avant et il s’était retrouvé pris entre le toit et la vitre. Heureusement pour lui, les pompiers avaient ce jour-là pensé à ramener le matériel qu’ils avaient en caserne. Ils réussirent donc à découper la toiture minutieusement et à extraire Oumar avant de l’envoyer en urgence à l’Hôpital Principal de Dakar, où il fut pris en charge assez rapidement.
Il était donc là depuis un mois et Yaye Fatou ainsi que les enfants faisaient la navette entre la maison et sa chambre pour se relayer à son chevet.
Aminata aussi venait lui rendre visite. La jeune fille était sortie de la clinique presque quatre semaines après son hospitalisation. Elle prenait un soin particulier à s’occuper de la toilette de son père, à lui donner à manger et à lui faire la lecture. Elle lui racontait également les anecdotes de la vie à la maison. Assez souvent, il fallait que les infirmières la mettent dehors pour qu’elle rentre. Sinon, elle pouvait rester des heures auprès de son père, alors qu’il était toujours endormi.
Ami était aussi prévenante que sa mère le lui avait recommandé. Et, après le malheureux incident qui avait failli lui prendre la vie, elle avait réfléchi à son avenir.
Seulement, il y avait une chose dont elle n’avait encore parlé à personne. Son expérience dans l’au-delà.
En effet, alors que son corps ne répondait plus aux ordres de son cerveau, Ami s’était retrouvée dans un endroit rempli de fleurs et de nuages aux couleurs multicolores. Elle sentait en elle une paix et une énergie que jamais encore elle n’avait connues. Il y avait une sorte de musique douce qui la berçait. Elle se sentait bien là. Elle n’avait mal nulle part. Son corps était intact. Elle se mit à ramasser des fleurs et à chantonner.
Elle était heureuse, enfin !
Elle vit au loin des jeunes femmes qui se lavaient au bord d’un ruisseau. Elle couru vers elles. Ses femmes avaient de longs cheveux et parlaient dans une langue qu’elle ne comprenait pas. A son approche, l’une d’elle se tourna dans sa direction et, d’une voix triste lui dit. Elle reconnut sa défunte grand-mère maternelle, partie il y avait déjà quelques années :
« _ Aminata Traoré, que fais-tu ici ?
_ Hein !? Mama bou djiguène ?
_ iSala Maleïcoum ? Nanga Def
_ Oh ! Grand-mère ! (Et elle se jeta dans les bras de la vieille qui était sortie de l’eau)
_ Que fais-tu ici petite fille ?
_ Khaw ma !
_ Ta place n’est pas ici tu dois retourner dans ton monde. Ta famille a besoin de toi.
_ Pourquoi !? Je veux rester ici !
_ Aminata (c’était une autre qui lui parlait maintenant. Sa voix à elle était moins douce. Ses yeux étaient menaçants), tu dois rentrer chez toi ! Si tu restes, tu mourras !
_ Mais, je suis déjà morte. Regardez-moi ! (et elle montra de la main son ventre. Chose étrange, sa robe était intacte. Il n’y avait aucune trace de sang). Ho !
_ Non Ami (lui répondit sa grand-mère) ! Tu te trompes ! Regarde ! »
Elle lui montrait du doigt une femme assise sur un rocher. Elle semblait attendre quelque chose.
« _ Qui est-ce ?
_ Tu ne devines pas ?
_ Non !
_ C’est toi ma chérie !
_ Mais, je ne peux être cette femme, elle est beaucoup trop âgée.
_ Si ma petite fille, elle c’est toi. Mais, elle t’attend. Si tu tardes trop, elle s’en ira et tu mourras là-bas, de l’autre côté. Il faut que tu partes.
_ Mais, …
_ Il n’y a pas de mais… Tu dois partir. Le temps presse.
_ Ho mama bou djiguène, je ne sais pas ! Je ne veux pas ! J’ai peur !
_ Ne t’inquiète pas ! Je serais toujours là pour te protéger. Va maintenant ! »
Elle desserra son étreinte et Ami se senti pousser vers l’avant avec douceur mais, fermeté.
Puis, elle entendit qu’on l’appelait à nouveau. Au début, la voix semblait lointaine, elle ne voyait personne. Puis, elle reconnu le ton, c’était son père :
« _ Aminata, que fais-tu ici ?
_ Papa ? (Ami était autant étonnée de le voir qu’elle ne comprenait pas ce qu’ils faisaient là tous les deux)
_ Réponds-moi ! Que fais-tu ici ?
_ Je ne sais pas Baye ! Et toi ?
_ Je voulais te voir une dernière fois ! Ami, ici n’est pas ta place, il faut retourner là-bas, les autres t’attendent.
_ Mais Baye, je suis bien ici. Et, je ne veux pas retourner là bas. Regarde comment c’est beau, les oiseaux, le soleil, les nuages.
_ Ami, écoute-moi !
_ Non, Baye, je ne veux pas ! »
Oumar s’était rapproché de sa fille. Il la tint par les épaules et la secoua :
« _ Aminata ma fille ! Ici n’est pas notre monde. Tu dois retourner sur la terre. Pense à ta mère, elle te pleure en ce moment. Tes frères aussi et ton bébé.
_ Mais, papa, je n’ai plus de bébé. Tu l’as tué ! Tu ne te rappelles pas, tu m’as tiré dessus. (Elle usa d’un ton dur, rempli de colère.) Si je suis ici, c’est de ta faute Baye ! Je ne veux pas retourner là-bas ! Tu m’as tout pris.
_ Si, il le faut ma fille. Ta place n’est pas ici
_ Non, je ne veux pas m’en aller. Je suis bien ici. Tu m’as déjà tuée une fois, tu pourrais recommencer à nouveau. Mais, Baye, c’est aussi de ma faute. Je t’ai défié et à cause de cela, j’ai perdu mon bébé. Tu nous as tués tous les deux. Tout est fini ! »
Disant cela, elle s’éloigna tristement de lui et lui tourna le dos. Au même moment, il posa une main sur son épaule :
« Je suis désolé ma fille ! Je suis désolé ! Pardonne-moi ! »
Elle se retourna et l’image de son père la suppliant la fit chavirer. Oumar, était en train de pleurer. Ami n’en revenait pas. Jamais elle ne l’avait vu aussi démuni, aussi fragile. Ses épaules s’étaient affaissées et les larmes coulaient abondamment sur ses joues.
Ami sentit son cœur se serrer et un poids immense tomber de ses épaules. Elle se baissa au niveau de son père et l’aida à se relever. Là, elle posa sa tête sur sa poitrine, comme elle le faisait lorsqu’elle n’était qu’une petite fille.
« Je te pardonne Baye ! »
A peine avait-elle terminé sa phrase, qu’elle sentit une douleur au niveau de son abdomen. Elle baissa la tête et vit du sang sur sa robe. Son père la regarda et commença à lui parler doucement, comme pour la rassurer. Aussitôt, la douleur s’atténua, le sang cessa de couler. Oumar la regarda encore, puis elle vit dans son regard :
« _ Non Baye ! Je ne veux pas partir, je ne veux pas te laisser.
_ Il le faut Ami, ta place n’est pas ici.
_ Mais, et toi ? Ta place non plus n’est pas ici !
_ Ne t’inquiète pas pour moi ! Ca ira !
_ Non Baye ! Ne me renvoie pas ! On n’a pas encore fini ! Je ne t’ai pas dit que j’étais désolée. Je te demande pardon papa ! Pardonne-moi de t’avoir pour tout ce que j’ai fait.
_ Ce n’est rien Ami, ne t’inquiète pas !
_ Je n’aurais jamais dû me mettre avec Joël ! Maintenant, je comprends ! Ne me laisse pas partir papa, s’il te plaît !
_ Si, il le faut !
_ J’ai froid tout d’un coup. Papa, que se passe t-il ?
_ Prends soin de ta mère ma fille ! Je t’aime !
_ Baaaaye ! »
Et, il la libéra de son étreinte, lui fit un baiser sur le front et la poussa loin de lui. Ami tenta vainement de s’accrocher, mais c’était comme si des bras la tiraient loin de lui. Elle perdit la notion du temps et, sombra dans l’inconscience à nouveau.
Ami était revenue.
Cette expérience, elle ne l’avait encore partagée avec personne. Mais, un soir, alors que son père était déjà installé dans la clinique d’Abou, elle s’était assise sur une chaise et le regardant, avait commencé à lui parler comme si elle attendait une réponse.
C’était ainsi chaque soir, avant la visite de sa mère. Elle venait là et parlait avec Oumar. Elle lui racontait ses journées, ses projets. Elle ne songeait plus à partir du pays, en tout cas pas pour l’instant. Pas tant qu’il serait allongé dans ce lit froid, dans cette chambre.
Ce soir là donc, Abou l’avait trouvée là, pleurant, embrassant une des mains de son père. Le spectacle le bouleversa. Il ne s’était pas attendu à les voir ainsi. Il savait qu’elle venait là souvent, les infirmières le lui avaient dit. Mais, il pensait que la jeune fille était toujours en colère contre son père. Jamais il n’aurait imaginé le contraire.
Il attendit quelques instants et entra dans la chambre sans faire de bruit. Ami était encore fragile et, il ne voulait pas que des émotions trop fortes la fassent plonger à nouveau.
Tout doucement, il sorti un mouchoir de sa poche et le posa sur son autre main. Elle leva la tête, le visage mouillé. Prit le mouchoir et s’essuya les joues. Puis, elle le lui rendit et se releva :
«_ Merci !
_ Ce n’est rien ! Ca va mieux ?
_ Non !
_ Je suis désolé !
_ Est-ce qu’il va bientôt se réveiller ?
_ Je ne sais pas Aminata. On ne maîtrise pas ce genre de choses.
_ Je comprends ! »
Elle regarda son père, la mort dans l’âme. Abou senti son estomac se nouer. Le visage d’Ami était en ce moment l’innocence même. La sauvageonne qu’il avait connue des semaines plus tôt avait été remplacée par une jeune femme perdue, apeurée. Elle ne faisait aucun geste pour arrêter les larmes qui ruisselaient sur ses joues. Quand elle se tourna vers lui, Abou la prit dans ses bras. La détresse de la jeune femme le désarçonna. Il ne comprenait pas ce qui se passait, mais il ne voulait pas savoir. La seule chose dont il était sûre, c’était qu’elle avait besoin d’être rassurée.
Ami se mit à pleurer telle une petite fille. Ils restèrent là plusieurs minutes, puis elle se dégagea tout doucement. La gêne commençait à la gagner.
« _ Merci Aboubacar !
_ Je t’en prie ! Est-ce que cette fois-ci, ça va un tout peu mieux ?
_ Oui, merci ! »
Un silence se fit et :
« _ Je dois vérifier les appareils.
_ Hein !
_ Pour ton père.
_ Ah, ok ! Bon, je vais te laisser travailler. Je retourne dans ma chambre. Merci encore pour tout ce que tu fais Abou.
_ Non, ne me remercie pas ! Je ne fais que mon travail. Et puis, c’est aussi de ma faute tout ça. Si j’avais su… »
Abou ne pu terminer. Son cœur se serra en songeant à tout ce qui s’était passé depuis qu’il était allé voir la famille d’Ami. Cette dernière s’approcha de lui et parlant d’une voix encore plus calme, elle lui dit :
« _ Tu sais Abou, tu ne dois te reprocher de rien. Tout est au contraire de ma faute. Si je n’avais pas été aussi entêtée, rien ne serait arrivé. Mais, j’ai voulu braver la décision de mon père et, la suite on la connait.
_ Oui, mais j’aurais pu réagir différemment. Si je n’étais pas venu voir ton père, il ne serait pas cloué ici et, toi tu n’aurais pas perdu ton enfant.
_ Sûrement que les choses devaient se passer ainsi Abou.
_ Comment cela ?
_ Oui, je pense que tout cela devait se passer ainsi. »
Elle se tut quelques instants. Puis, Abou repris :
« _ Je suis désolé Ami ! Pardonne-moi !
_ Je t’ai pardonné depuis longtemps déjà Abou ! Ne t’inquiète pas !
_ Oh ! (il la regarda en penchant la tête puis, fronçant les sourcils posa sa main sur son front) Qui êtes-vois ?
_ Hum !
_ Ha ! Ce hum, je le reconnais. Mais Ami, est-ce bien toi ?
_ Et qui voudrais-tu que ce soit ?
_ Je ne sais pas, mais tu es étrange. Tu as changé !
_ Bon, je te laisse ! Au revoir !
_ Attends ! »
Il la rattrapa au moment où elle ouvrait la porte pour s’en aller :
« _ Que se passe t-il Ami ?
_ Rien ! Juste que je suis fatiguée et que j’ai décidé de vivre.
_ Tu es sûre qu’il n’y a rien ?
_ Pourquoi ?
_ Je t’ai entendu tout à l’heure avec ton père. Tu lui parlais de votre voyage. »
Ami posa un doigt sur sa bouche et referma la porte derrière elle. Elle ne réfléchit que quelques instants et lui demandant de s’asseoir, elle lui raconta sa rencontre avec son père.
Quand elle eut terminé, Abou la regardait sans pouvoir rien trouver à répondre. Elle se demandait s’il l’avait cru. Mais, qu’importait, elle avait enfin pu expliquer ce qu’elle avait vécu. Le reste lui importait peu. Elle se releva et le laissa là, assis dans le fauteuil, et parti s’isoler dans sa chambre. Par chance, sa mère ce jour n’arriva que très tard le soir. La petite Fanta avait été malade, elle avait dû s’en occuper avant de la laisser avec la nounou.
Ami profita de ce moment de répit pour se reposer et faire le point sur son avenir. Elle s’endormit, un livre ouvert sur sa poitrine, sa paire de lunettes dans une main. Abou passa quelques heures plus tard, alors qu’elle dormait toujours. Il lui glissa un mot dans le creux de la main et, à son réveil, elle le lut :
« JE TE CROIS AMINATA TRAORE ! ».
Depuis ce jour, ils commencèrent à passer du temps ensemble. Abou trouvait toujours un moment pour venir aux nouvelles. Et, quelques fois, il apportait le déjeuner dans sa chambre.
Le jeune docteur ne comprenait pas pourquoi il n’avait pas réussi à se sortir Ami de la tête, malgré son aventure d’avec Joël. il avait parlé de cela avec sa sœur et Tanta Coumba. Les deux femmes l’avaient simplement regardé sans rien lui dire. Mais, dès qu’il avait eu le dos tourné, elles s’étaient regardé et étaient arrivé à la même conclusion : Abou était amoureux et il ne le savait même pas.
Kadhy décida alors de faire un tour à l’hôpital. Il était temps qu’elle joue son rôle de grande sœur. Il n’était pas question qu’Ami fasse souffrir Abou. Petit à petit, elle gagna la confiance d’Aminata et au fur et à mesure des jours, elles apprirent à bien se connaître. Kadhy également fut étonnée de la métamorphose de la jeune fille. Elle ne s’était absolument pas attendue à trouver une fille aussi mature. Car, Abou ne leur avait pas raconté son expérience avec son père.
Au fil des semaines, le ressentiment de Khady se transforma en véritable amitié pour Ami. Les deux jeunes femmes se trouvèrent beaucoup de points communs comme la lecture, les voyages, la nourriture.
Elles s’entendaient ainsi à merveille, jusqu’au jour où Abou senti son cœur se serrer et invita Brahim à les retrouver le soir chez son père.
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mama bou djiguène : Grand-mère en wolof
iSala Maleïcoum : Bonjour
Naga Def : Comment vas-tu ?
khaw ma : Je ne sais pas !