Joël et Ami 21 : Ami, pourquoi pleures-tu ?
Write by Dja
Aminata sanglotait, le visage tourné vers la fenêtre dans la chambre d’Abou. Celui-ci était inquiet, le front plissé. Il avait tenté de la rassurer, mais ne sachant pas quels mots utiliser, il restait là, à attendre qu’elle fasse un geste. Il ne savait pas depuis combien de temps ils étaient là. Lui, le corps tendu, prêt à répondre à tout ce qu’Ami, le corps recroquevillé en chien de fusil pourrait lui demander.
Il ne comprenait d’ailleurs toujours pas pourquoi il se sentait aussi touché par les malheurs de cette fille. Malgré tout ce qu’elle avait fait pour nuire à leurs fiançailles, il ne lui en voulait plus. Il s’en rendait réellement compte à présent. Aminata Traoré suscitait chez lui, l’envie de la protéger et lui épargner d’autres souffrances. Alors, il restait là, sans bouger, attendant un souhait de la jeune sénégalaise.
Alors qu’il était toujours plongé dans ses pensées, elle se tourna doucement vers lui. Les larmes avaient collé ses cheveux à son visage. Elle semblait si fragile qu’Abou, après une courte hésitation rendit les armes. Il se baissa au niveau de ses yeux et, plongeant son regard dans le sien, prit ses lèvres et l’embrassa en laissant échapper un râle de bonheur. Il la souleva tout doucement du lit, la posa sur ses genoux, et, avec une infinie douceur, l'enveloppa de son corps musclé.
A ce moment, c’était comme si rien n’existait plus à l'extérieur de cette cham.. Aminata ne réfléchit pas non plus et, l’instant de surprise passé lui rendait son baiser. Elle ne savait pas non plus ce qui était entrain de se passer. D'ailleurs, elle ne voulait pas comprendre. Elle sentit le soupir de relâchement comme un murmure de la poitrine d’Abou. Il l’avait soulevée et craignant de tomber, Ami s’était retenue à lui. Ses mains étaient plaquées sur la poitrine musclée du jeune docteur.
Abou ne réfléchissait plus. Le parfum dans les cheveux d’Ami le rendait fou. Il commençait à perdre la tête. Il se demandait même s’il ne l’avait pas perdue depuis longtemps d’ailleurs. Au moment où sa main commençait à se balader sur le dos nu d’Ami, elle reprit conscience.
« _ Arrête !
_ Hum ! Quoi ? (Aboul était toujours dans les brumes du baiser)
_ Arrête Abou ! S’il te plaît ! (elle avait posé sa tête sur le torse bombé)
_ Hum ! Mais, pourquoi !?
_ Nous risquerions de faire une bêtise.
_ Mais non ! S’il te plaît, continuons ! Tu me rends fou ! Et, cela fait trop longtemps que je pense à ça.
_ Hum ! »
Maintenant, la main d’Ami était plaquée sur sa poitrine. Elle avait l’impression de ressentir une brûlure sur ses doigts, sans pour autant vouloir les enlever :
« _ Abou, je t’en prie lâche-moi.
_ Je suis désolé (le son de sa voix lui avait fait ouvrir les yeux. Elle était comme un petit animal craintif, mais en même temps ses yeux lançaient des signaux d’avertissement).
Je ne t’ai pas fait mal j’espère.
_ Non, ne t’inquiète pas ! Ca va !
_ Ok ! Mais, vraiment, je suis désolé ! Je n’aurais pas dû me jeter sur toi comme je l’ai fait.
_ Il n’y a vraiment pas de quoi être désolé. Je suis autant fautive que toi. Nous n’aurions pas dû le faire, c’est tout.
_ Ok ! Mais, je m’excuse tout de même. J’ai profité de ton état.
_ Non, pas du tout !
_ Si !
_ Bon, si tu le dis ! Néanmoins, le tort est à partager. Aussi, je m’excuse également.
_ Ami…
_ Non Abou ! S’il te plaît ne rajoute rien ! Je pense que le mieux est que je rentre chez moi.
_ S’il te plaît, je…
_ Non ! Tais-toi Abou. Raccompagne-moi s’il te plaît !
_ Ok ! Mais (il marqua un temps d'arrêt puis rajouta), nous n’en n’avons pas fini ! »
Ami avait déjà la main sur la poignée de la porte. Elle espérait que ses jambes ne la trahiraient pas. Elle le laissa passer devant. Elle ne voulait pas réfléchir, pas pour l’instant. Elle attendrait d’être rentrée à la maison pour comprendre ce qui venait de se passer.
Elle voyait bien qu’Abou boudait. Lorsqu’ils arrivèrent au salon, les autres se levèrent. Khady fut la première à demander :
« _ Aminata ça va mieux ? Comment te sens-tu ?
_ Ca va, merci ! Je suis encore un peu fatiguée, mais ça va aller.
_ Ok ! Nous avons eu peur tu sais !
_ Je suis désolée de vous avoir causé autant de frayeur.
_ Tu as besoin de quelque chose ? (c’était Claude)
_ Non, ça ira merci ! Je vais juste rentrer me reposer un peu. Avant, je vais aller voir mon père à la clinique.
_ Ok ! Je t’y amène ! (Abou venait de se placer entre Claude et elle. Khady fronça les sourcils)
_ Non, je vais prendre un taxi.
_ Ami, s’il te plaît, laisse moi te conduire, tu n’es pas en état de rendre visite à ton père toute seule.
_ Arrête Abou ! Arrête ! Je n’ai pas besoin qu’on me chaperonne, ok ! Je vais bien et je n’ai pas besoin de toi. Si c’est à cause de ce qu’il y a eu, laisse tomber (sans le vouloir, elle avait élevé la voix. Les autres les regardaient, l'air étonné).
_ Ok ! Fais comme tu veux ! »
Et, il sorti en claquant la porte d’entrée derrière lui. Claude, Khady et Brahim ne comprenaient vraiment rien ! Que s’était-il donc passé pour qu’Ami se mette en colère ? Khady lui proposa de la raccompagner jusqu’au portail. Ami sourit et pris congé des garçons. Elle jeta un regard derrière elle, espérant voir Abou mais, ce dernier était allé se réfugier dans la cuisine. Le seul endroit où il était sûr de trouver quelque chose pour calmer ses nerfs : le frigo.
Arrivées à l’extérieur de la concession paternelle, Khady héla plusieurs taxis. Ils semblaient tous occupés. Pourtant on était un jour de semaine et à cette heure, il devait y en avoir plusieurs de libres. Avec le soleil qui tapait sur leurs têtes, elles commencèrent à avoir très chaud.
Ami se tourna vers elle :
« _ Merci beaucoup Khady ! Mais, tu devrais rentrer, je vais me débrouiller.
_ Non ! Je vais attendre que tu sois dans un taxi. Tu ne veux pas que Docteur Aboubacar me tue.
_ Mdr ! il n’oserait pas !
_ Enfin un sourire ! Tu ne veux vraiment pas qu’il te raccompagne ?
_ Non ! C’est mieux ainsi !
_ Mais, pourquoi ? Que t'a t-il fait ?
_ Heeuu… ! Je ne préfère pas en parler s’il te plaît !
_ Hum ! Vous deux, vous vous êtes disputés.
_ Non, mais c’est trop compliqué !
_ Hum ! Je finirais par le savoir. Je sais me montrer aussi têtue que toi tu sais.
_ Ho ! Tiens, regarde un taxi.
_ Tu ne t’en tireras pas comme ça ! Mais pour l’instant, je vais laisser en suspens.
_ Merci Khady ! Je te promets de t’en parler dès que j’en saurais un peu plus moi-même.
_ Ok ! »
Elles s’embrassèrent et Ami monta dans le taxi. Khady resta sur place jusqu’à ce que la silhouette du véhicule ait totalement disparu. Puis, elle décida qu’il était temps que quelqu’un prenne les choses en main. Elle se dirigea vers la cuisine et, n’y trouvant pas son frère, retourna dans le séjour. Les garçons étaient en train de boire des bières en discutant de ce qu’ils avaient surnommé « L’AFFAIRE JENEBA ». Elle entra au moment où Claude prenait la parole :
« _ Vous vous rendez compte que cette fille s’est foutu de moi depuis le début.
_ Franchement ! Jamais je n’aurais pu m’imaginer qu’elle en voulait autant à sa cousine. Elle qui paraissait réellement s’inquiéter de sa santé. Elle m’appelait chaque jour lorsqu’Ami était à la clinique. C’est dingue !
_ Peut-être qu’elle espérait qu’Ami ne s’en sorte pas.
_ Ho non, Brahim, tu ne peux pas dire ça ! (ils s’aperçurent de la présence de Khady. Abou reprit à son intention)
Alors, elle est partie ?
_ Oui ! Elle n’est pas en forme hein.
_ C’est pour cela que je voulais la raccompagner. Mais, elle est trop têtue.
_ Je lui ai refait la proposition, mais elle a refusé. Je me demande bien ce que tu lui as fait...?
_ Comment ça ? Je n’ai rien fait.
_ Hum ! On ne dirait pas hein. Vu la manière dont elle s’est énervée contre toi.
_ Je n’ai rien fait. Et puis d’ailleurs, cela ne te regarde pas.
_ Hey, petit ! Fais attention hein, je peux encore te donner la fessée.
_ Essaie pour voir ! Et la prochaine fois que tu viens à la clinique, je demande à une infirmière de mal te piquer. »
Pour toute réponse, elle lui tira la langue. Puis, se tourna vers Claude.
« _ Je suis désolée cousin ! Vraiment, tu n’as pas de chance avec les filles. D’abord Bianca la cubaine, maintenant Jeneba.
_ Merci cousine ! Vraiment, je ne sais pas pourquoi ce genre de choses n’arrive qu’à moi.
Mais, cette fois-ci, c’est encore pire que Bianca. Elle au moins était seulement partie avec mon argent. Et puis, elle est revenue après en avoir dépensé plus de la moitié. Elle s’était excusée au moins. Même si après il n’y avait plus rien eu entre nous. Mais, en comparaison, l’affaire Jeneba est terrible!
_ Oui, c’est vrai ! Cette fille est vraiment méchante ! Je plains Ami. Comment va-t-elle faire pour en parler à sa mère. Elles sont cousines tout de même.
_ C’est son problème à elle ! Jeneba est trop mauvaise ! Si cela ne tenait qu’à moi, je téléphonerais tout de suite à Mme Traoré.
_ Hum ! Non hein Abou ! Tu ne dois pas t’en mêler. Il faut laisser Ami régler cette histoire toute seule. C’est une affaire de famille.
_ Je sais que tu as raison, mais quand j’y pense, ça me donne envie de frapper quelqu’un.
_ Et pourquoi cela t’affecte t-il autant mon cher frère ?
_ Comment ça ? Arrête de me regarder avec cet air suspicieux.
_ As-tu quelque chose à avouer RAKK (1) ?
_ Non très chère MAG (2) ! Et arrête de m’appeler comme ça.
_ Ne prends pas la mouche jeune homme. Ou alors, c’est à cause de la tâche de rouge à lèvres sur le haut de ta chemise ?
_ Hein ! Quoi ? Quelle tâche ?
_ Regarde toi-même la trace qu’il y a sur le devant de ta chemise. Les autres, vous n’aviez pas vu ça ?
_ Non (répondirent-ils en chœur). Hé bien, tu vas nous dire maintenant ce qu’il s’est passé dans ta chambre et pourquoi tu as cette marque (ajouta Brahim).
_ Je n’ai pas de marque. Et puis d’ailleurs, qui vous dit que c’est du rouge à lèvres ? Peut-être que je me suis simplement sali avec quelque chose d’autre. Bon, fichez moi la paix ! Je ne vous dois aucune explication !
_ Ha non ! Tu ne t’esquiveras pas comme ça cousin. Nous avons fini de parler de Jeneba, maintenant il s’agit de toi et de la petite.
_ Hey ! J’ai dit que je veux que vous me fichiez la paix. Et puis, je vais aller me changer.
_ Hoooo non ! Tu ne vas pas aller effacer cette preuve.
_ De quoi !? Quelle preuve ? Vous êtes de vrais enfants. Grandissez un peu ! »
Il se leva et leur tournant le dos, prit la direction de sa chambre. Mais, les deux autres se levèrent également et, d’un seul bond ils se jetèrent sur lui pour lui faire enlever sa chemise. À deux, ils n’eurent aucun mal à le contraindre à se déshabiller. Puis, ils inspectèrent le devant de la chemise et tel un trophée, le brandirent devant ses yeux alors qu’il était encore au sol et qu’il tentait vainement de se relever et récupérer son vêtement.
Khady de son côté riait franchement de les voir ainsi. Elle se rappelait lorsqu'ils étaient encore plus jeunes et qu'ils chahutaient dans la poussière ou l’herbe et qu’il fallait les arroser d’eau pour les séparer. Les années passées n’avaient rien changé à leurs habitudes. Malgré leur âge, ils restaient de grands enfants.
Abou tentait toujours de leur prendre sa chemise. Tandis que les deux autres s’étaient échappé à l’extérieur et s’amusaient à se le renvoyer comme une balle pour qu’Abou ne mette pas la main dessus. Alors que la chemise faisait un énième saut dans les airs, son propriétaire se jeta sur Brahim qui tendait le bras pour l’attraper. Ils roulèrent dans l’herbe comme des gosses, Claude les ayant rejoints dans la mêlée.
Khady qui n’attendait que ce moment leur envoya des jets d’eau du tuyau d’arrosage et, ils se jetèrent alors sur elle pour l’arroser à son tour. L’après-midi passa ainsi jusqu’à ce qu’ils entendent la voix de leur tante qui n’avait pas vu revenir sa nièce au restaurant. Elle les renvoya tous dans leurs chambres avec l’injonction de prendre une douche. Puis, comme il faisait de plus en chaud, elle prépara des cocktails. Les enfants voudraient sûrement se rafraîchir après toute cette dépense d'énergie.
Claude fut le premier à sortir. Brahim attendait son tour pour le remplacer sous la douche. La chambre d’amis qui se trouvait au fond du couloir possédait une salle de bains. Mais, Tanta Coumba faisait faire des travaux d’agrandissement et donc, cette partie de la pièce était inutilisable pour le moment. Claude la trouva assise sur le canapé du salon, en train de regarder un film qui passait sur une chaîne étrangère.
Tanta était vraiment une belle femme. Quelle dommage qu’elle ne se soit jamais mariée. Tout le temps qu’il avait passé ici, maintenant comme avant, elle avait toujours été bienveillante. Que cela soit pour lui, comme pour ses cousins qu’elle considérait beaucoup plus comme ses enfants propres. Elle ne se plaignait jamais. Même quand ils étaient pénibles. Un seul regard de sa part suffisait d’ailleurs à calmer tout le monde.
Claude avait entendu une femme de la famille un jour dire d’elle à une autre que c’était parce qu’elle était stérile que son ancien compagnon l’avait jetée à la rue. Elles s’étaient moquées d’elle ouvertement et quand Tanta était passée près d’elle elle s’étaient mises à rire sans vergogne. La pauvre femme en avait été cruellement blessée. Claude était encore très jeune quand cet épisode avait eu lieu. Mais, il en gardait un souvenir pénible.
Elle ne l’avait pas vu arriver. Mis, elle sentit ses bras autour de ses épaules. Tanta Coumba, quoi que n’étant pas véritablement la sienne ne lui avait jamais fermé la porte. Tout petit, il aimait l’écouter chanter à la cuisine. Et elle lui donnait toujours un morceau de viande à goûter. C’était sûrement une des raisons pour lesquelles il avait un petit embonpoint. Elle l’avait trop nourri. Il sourit à cette pensée.
« _ Bonjour, la plus belle femme de ma vie !
_ Bonjour le plus fin gourmet de mes neveux ! Comment vas-tu ?
_ Ca va ma tante ! Mais il me manque quelque chose pour terminer d’aller mieux.
_ Et quoi donc ? (répondit Coumba avec malice. Elle savait déjà ce qu’il espérait).
_ Ho ! Tu n’en n’as aucune idée ?
_ Non ! Mais si tu restes sage, je saurais deviner. Allez, viens suis-moi. Tant pis pour les autres, ils auraient dû terminer en même temps que toi. »
Et ils allèrent à la cuisine où Coumba lui fit goûter à presque tout ce qu’elle avait cuisiné en dehors d’un plat qu’elle réservait spécialement à Mbaye.
Quand le reste de la troupe les retrouva, ils se firent servir également et ce fut dans la bonne humeur et la gaieté qu’ils terminèrent la soirée. Khady avait décidé de s’octroyer une soirée de repos. Elle était sur le qui-vive tous les jours, même quand le restaurant était fermé. Ce soir, elle resterait au nid entouré de ses hommes. Et puis, Claude avait annoncé qu’il rentrait le lendemain. Ce n’était pas tous les jours qu’il était avec eux. Elle voulait profiter de sa présence avant son départ.
Des jours passèrent et Aminata refusait toujours de répondre à ses questions concernant son frère. Et comme elle était prise avec son commerce, elle décida de mettre de côté sa curiosité pour un temps.
Abou aussi tentait vainement de la bloquer. Mais, Ami s’arrangeait toujours pour ne pas être là quand il passait voir son père. Un jour elle s’était même cachée dans le placard de la chambre alors qu’il ouvrait la porte et qu’elle s’était assoupie. Elle avait de justesse reconnu le ton de sa voix comme il discutait avec d’autres collègues. Vite, elle avait couru s’isoler avant d’en ressortir trempée de sueur. Elle trouvait ridicule son comportement, mais elle ne pouvait pas s’en empêcher. Que lui dirait-elle lorsqu’ils se retrouveraient face à face ? Car, même si elle refusait d’y penser, elle ne pouvait ignorer les battements affolés de son cœur lorsqu’elle se mettait à penser à lui.
Des semaines passèrent. Cela faisait presque trois mois qu’Oumar était là. Ce matin, Aminata était arrivée très tôt au chevet de son père. Elle l’avait à nouveau trouvé allongé, le visage reposé. Il dormait toujours. C’était comme si le temps s’était arrêté pour lui. Elle fit comme d’habitude : prenant le gant de toilettes posé sur un tréteau dans la douche. Elle le mouilla et pressa un peu de la pommade que sa mère lui avait donnée. Puis, elle se mit à masser Oumar en commençant par les pieds. Elle lui frictionna les orteils, les bras, les doigts de la main, les épaules et comme depuis le jour où elle était sortie de sa chambre d’hospitalisation, termina par les tempes grisonnantes. Elle chantonnait ou lui racontait des anecdotes comme à chaque fois.
Mais aujourd’hui, elle pleurait en s’occupant de lui. Elle pensait à tout ce qui s’était passé depuis le jour où Abou était passé pour annoncer sa grossesse. Comme elle regrettait son entêtement. Si elle n’avait pas bravé les interdits, jamais autant de malheurs ne seraient arrivés. Elle dut se mordre la langue pour ne pas carrément éclater en sanglots. Sans s’en apercevoir, elle s’était mise à expliquer à son père la part de responsabilité de sa cousine. Bizarrement, elle ne lui en voulait pas. Même si elle était en colère, elle n’avait aucune rancœur. Elle en était arrivée à s’en vouloir à elle. Oui, c’était de sa faute si son père était allongé sur ce lit. Elle ne se pardonnerait jamais s’il venait à mourir. Jamais !
A cette pensée, elle s’agenouilla près du lit, la main de son père dans la sienne et se mit à lui demander pardon en versant de chaudes larmes. Elle regrettait de n’être pas restée la petite fille qu’il aimait promener partout comme un trophée. Comme elle regrettait ce temps béni l’insouciance.
Elle avait posé l’autre main de son père sur sa tête, son visage enfoui dans le drap. De gros sanglots soulevaient sa poitrine et rien ne pouvait l’arrêter.
Tout à coup, elle sentit une caresse dans ses cheveux. Elle refusa de bouger, pensant l’avoir imaginé. Mais, la pression se fit plus insistante et la voix de son père, calme et assurée se fit entendre :
« Ami, pourquoi pleures-tu ? »
Aminata refusait toujours de soulever sa tête. Elle se disait que ce n’était que son imagination qui lui jouait des tours. Si elle se levait maintenant, elle se rendrait compte que la voix qu’elle venait d’entendre n’était pas celle de son père. Mais, le doute fut plus fort que le reste. Doucement, elle releva la tête. Un cri s’échappa de sa poitrine, un petit cri de surprise qui se transforma en un cri de joie. Son père était réveillé. Il était là, et au pas de la porte, sa mère qui arrivait à peine. Elle se jeta dans ses bras et Yaye Fatou lui demanda d’aller appeler les infirmières.
Elles arrivèrent en courant et firent sortir tout le monde. Yaye Fatou et sa fille patientèrent dans le couloir. Elles ne disaient pas un mot. Même quand Abou accourut dans la chambre et qu’il y resta longtemps.
Elles attendaient.
De toutes les façons, le miracle s’était produit. Oumar était enfin réveillé. Depuis des mois qu’il était cloué sur ce lit, maintenant, il était de retour.
Fatoumata commençait à se poser des questions. Que ferait-elle à présent ? Tout ce temps où elle avait dû tout gérer à la maison, elle se disait qu’à son réveil, elle lui annoncerait qu’elle le quitterait. Elle ne se voyait plus vivre avec un homme aussi dur qui avait failli tuer leur seule fille. Un homme qui l’avait obligé à élever l’enfant d’une autre. Elle avait en elle autant de colère que de tristesse. Elle ne l’aimait plus.
Elle était encore à ses pensées quand la porte de la chambre s’ouvrit. Abou se dirigeait vers elles. Au cours de toutes ses années d’études aux USA, le jeune homme n’avait jamais été confronté au réveil d’un comateux. A présent, il était heureux. Il se sentait fier de lui et du travail que son équipe avait accompli. Cette sinistre histoire avait au moins une fin moins tragique que ce qui s’annonçait précédemment. Il regardait les deux femmes en pensant au bébé d’Ami mort. A Jeneba qui avait perdu une sœur et à Ami qu’il revoyait enfin depuis des semaines. Son regard se fit insistant sur elle, mais il se tourna vers Yaye Fatou pour leur demander de rentrer :
« _ Il est encore fatigué. Aussi, ne restez pas trop longtemps avec lui.
_ Oui mon fils ! Merci mon fils !
_ Ne me remercie pas Yaye ! Je n’ai fait que mon travail, le reste c’est DIEU qui a fait.
_ Oui Abou, mais sans toi, Oumar ne serait peut-être plus là. Merci encore !
_ Ce n’est rien Yaye ! Bon, je vous laisse maintenant. Je dois préparer la suite de son suivi avec d’autres équipes. Maintenant qu’il est réveillé, il va falloir qu’il suive un programme de remobilisation complète. Et ça ne sera pas facile.
_ Ok !
_ N’y allez pas toutes les deux en même temps. Si vous pouvez d’abord vous relayer. Comme ça, il sera moins sollicité. Ami, tu peux commencer, je voudrais parler à ta mère quelques instants s’il te plaît.
_ Très bien ! (et elle les laissa seuls, alors qu’Abou entraîna sa mère à quelques mètres de la chambre)
_ Qu’y a-t-il mon fils ? J’espère qu’il n’y a aucune complication hein.
_ Non Yaye ! Au contraire. Tout ce temps où il est resté intubé et la respiration artificielle ont permis que son corps se rétablisse petit à petit. Seulement, il va falloir qu’il suive des séances de kinésithérapie. Les vertèbres restent encore touchées, mais ça va aller, vu qu’à présent il va pouvoir bouger.
_ Ok ! Merci, je vais l’obliger à suivre tes conseils.
_ Ce n’est pas tout Yaye ! Je sais que cela n’a pas été facile ces derniers mois. Je suis médecin certes, mais je me renseigne aussi sur le quotidien de la famille de mes patients.
_ Où veux-tu en venir ?
_ Ce que je veux dire, c’est que je sais que tu es toujours en colère contre Baye Oumar. Mais, pour que sa guérison soit complète, rien ne doit lui ajouter du stress. S’il te plaît, ne lui montre rien. Toutes les discussions doivent être remises à plus tard.
_ Hum ! Mon fils, laisse ça comme ça. C’est compliqué ce que tu me demandes.
_ Je sais bien Yaye. Mais, tu dois essayer de ne pas lui montrer ce que tu ressens.
_ Je vais essayer comme tu dis. Mais, je ne te promets rien. En tout cas, ce n’est pas à la clinique qu’on va régler nos problèmes, tu peux être rassuré. Le plus important c’est d’abord qu’il sorte d’ici. Le reste viendra par la suite.
_ Merci Yaye ! Bon, je vais te laisser y aller maintenant.
_ Ok ! Encore merci mon fils ! Tu es une bénédiction pour ma famille. »
Et, prenant la direction de la chambre, elle se dit que c’était là un beau parti que sa fille avait laissé passer. Quelques secondes plus tard, Aminata sorti de la chambre paternelle. Sa mère avait refusé de s’asseoir sur le fauteuil près du lit. Oumar en la voyant rentrer avait essayé de se relever sans succès. Il était encore trop faible pour se mouvoir de lui-même. Ami l’y avait aidé. Puis, elle les avait laissés seuls. Elle espérait qu’ils feraient la paix tous les deux. Mais le visage dur de sa mère lui donna quelques doutes. Elle baissa la tête tristement avant de fermer la porte derrière elle. Elle avait un peu discuté avec son père. Ce qu’ils s’étaient dit lui avaient mis du baume au cœur. Elle espérait réellement qu’entre ses parents la paix reviendrait.
Elle n’eut pas le temps de se retourner qu’Abou la tira dans un coin. Il avait décidé de suivre les conseils de Khady. Sa sœur lui avait tiré les oreilles l’autre fois et ouvert les yeux sur ses sentiments vis-à-vis de la jeune femme. Maintenant, ils étaient dans une sorte de réserve de médicaments. Il la plaqua contre un mur et lui dit :
« Aminata Traoré, pourquoi me fuis-tu ? »