Jour 18 : Danger public

Write by Owali

*** Judicaël Dos Santos ***


(JOUR 9)


J’avais besoin de souffler. 


Loin des regards apeurés de Solène. Loin des yeux inquisiteurs de J.K. 


Encore plus loin des fantômes qui me pourchassent. Je deviens fou. Non. Je suis fou. Fou à lier.


Si l’attaque de notre campement avait fissuré ma résistance à la douleur, la vision cauchemardesque de ma sœur jumelle avait achevé de la détruire. J’ai essayé de faire bonne figure devant les autres. En vain. Le ciel m’en est témoin. J’avais l’impression que plus je masquais mon état plus celui-ci était visible aux yeux de mes compagnons. Comme une plaie recouverte d’un sparadrap mais dont l’infection suinte, indifférente à la protection.


Je ne tenais plus. J’avais besoin de souffler. La cheville de Solène allait un peu mieux. J.K était à ses côtés. Je pouvais m’en aller. M’isoler. J’étais un boulet plus qu’autre chose. Tôt ou tard, le peu de lucidité qui me reste volera en éclats. Et alors que ferais-je ?


Je marche dans la forêt. Sans but précis. J’erre plus qu’autre chose.Pendant des heures. 


Les arbres deviennent moins touffus. Moins effrayants. Mais plus majestueux. 


Une brise légère apaise ma peau brûlante de fièvre. Mes yeux secs me brûlent tant ils sortent de leurs orbites. 


Marcher. Marcher jusqu’à épuisement. Marcher jusqu’à mon expiation.


Je m’avance dans la clairière. Les arbres soudain élancés forment une haie autour de mon corps torturé par mes fautes. Irrésistiblement attiré vers le centre, je continue mon chemin, les bras ballants, les narines frétillantes de dégoût. Une odeur horrible embaume l’air tout autour. 


Au cœur de la forêt, retenu à ce qui semblait être des pieds, un cadavre se balance dans le vide. Des bouts de chair, particulièrement tenaces, sont encore accrochés aux os. Des asticots rampent sur la carcasse, s'amusant à se tortiller dans les articulations, à grimper dans les orbites vides. 


Des restes de bougies traînent au sol. Un bout de page est épinglé dans le tronc de l’arbre sur lequel est accrochée la malheureuse. Je lis l’extrait de la page. L’histoire de Larissa ? Ne me dites pas que ce corps pendu est celui de…


Un rituel satanique ? 


Même le diable s’est invité à notre petite sauterie, pensé-je en émettant un rire glauque. 


Aucun bruit ne vient perturber ma contemplation.


Je recule d’un pas pour embrasser la scène du regard. Oui, c’est cela, une sorte de rituel. Je devrais être choqué. Je devrais. 


Je ne suis que fascination. Fascination et immersion dans l’esprit du fautif. Je me sens un instant proche du coupable. 


Deux monstres unis dans cet enfer. Serais-je damné ?


- Jude… Jude… Jude… Hey frérot !


Maude plane vers moi, sa robe blanche dégoulinante d’eau frôle à peine le sol rocailleux. Elle a toujours eu de beaux cheveux. 


Même mouillés ils resplendissent de reflets magnifiques. Ses yeux gris-verts si semblables aux miens me transpercent au plus profond de moi.


- Maude ?


Elle me prend par la main et me conduit à l’abri du feuillage épais d’un des arbres centenaires. 


Nous nous asseyons et elle me fait reposer la tête sur ses genoux. Je suis indifférent à la froideur de sa peau ou de celle de ses vêtements imbibés d’eau. Je l’ai attendue depuis si longtemps. Mon expiation.


- Dis, tu me pardonnes, frangine ? Demandé-je, presque suppliant.


- Qu’as-tu donc fait de mal ?


- C’est de ma faute si nous sommes allés dans l’eau. Je ne l’ai jamais admis mais aujourd’hui… Aujourd’hui j’ai besoin de me confesser.


- Je te pardonne Judy. Tout est oublié.


« Judy »… Personne ne m’avait jamais appelé ainsi en dehors d’elle. Elle me pardonne. Je sens ma poitrine aspirer des bouffées d’air, l’étau qui enserrait ma poitrine disparaissant sous l’effet de mon absolution.


- Merci Audy.


Je sanglote un long moment, comme un gamin.


- Judy ?


- Oui, frangine.


- Tu ne sortiras pas vivant d’ici, tu le sais ? Aucun de vous d’ailleurs. 


- Ni moi, ni Solène, ni J.K ?


- Aucun de vous, répète-t-elle, mystérieusement. 


Je regarde le corps sans vie qui pend à quelques mètres de nous.


- Nous sommes plus nombreux. Il y en a d’autres, c’est ça ?


- Oui, c’est cela. Solène, elle est de mèche avec J.K.


Je me redresse vivement. Non, pas elle. Pas ma douce Solène.


- Comment le sais-tu ?


- De là d’où je viens, je vois tout. Je suis ta sœur, fais moi confiance. Tu veux me fâcher après que je t’aie pardonnée ? Bien ! Solène, J.K, les autres… Ils sont le mal. Cette île est un piège, J.K est l’instigateur. Si tu veux vivre, tue-le. Tues les tous.


J.K ! Ce fourbe manipulateur. Je comprends mieux ces disparitions mystérieuses. Soit disant pour explorer l’île. Je ne lui ai jamais fait confiance et j’avais bien raison. Ce jour… Ce jour où il puait l’alcool à des kilomètres à la ronde. Alors que ça faisait des jours que nous galérions pour ne serait qu’avoir de quoi se mettre sous la dent. 


Et Solène ? J’ai mal. Même elle… Le campement au bord de la plage, avec les vivres. Sa précieuse trousse qu’elle trimballe partout. Qui voyage avec une cargaison de médicaments ?


Maude se lève, ses pieds pendent sous elle. Je me remets péniblement sur mes jambes. 


J’ai soif, ma vision est trouble. 


Et ce soleil qui tape fort. Ma tête surchauffe dans cette fournaise. Un éclat métallique attire mon regard. Fiché dans l’arbre, juste au dessus de ma tête, un poignard. 

Je le saisis, mes gestes sont fébriles et manquent de coordination. Je me coupe la paume en manipulant le coutelas. 


Mon sang macule mes vêtements déjà en piteux état.


- 1, 2, 3 nous irons au bois… Chantonne ma sœur en me précédant sur le chemin jusqu’à Solène. 


Parfois, je la perds de vue. Elle sautille, apparaissant et disparaissant au gré de ses humeurs. Tantôt sur la branche d’un arbre à ma gauche, tantôt sur un talus à ma droite…. Le campement de fortune se dessine enfin devant moi.


- 1, 2, 3 nous irons au bois 4, 5, 6 cueillir des cerises


Solène est à genoux, les mains plaquées les unes contre les autres. Elle prie. Quelle ironie ! Elle qui fomente ma mort supplie le ciel. Pour quoi ? Ne pas me louper ?


- 7, 8, 9 Dans mon panier neuf.


La voir dans son recueillement attise ma nervosité et ma colère. Je perds pied à vitesse grand V. Alertée par ma présence, ses yeux se relèvent sur moi. Je me tiens immobile.


- Tues la, Judicaël. Tues la puis occupes toi de l’autre. Je veux que tu saignes ce pervers ! 


- « Je n’ai pas voulu sa mort, pardonne moi. », lancé-je, sans même comprendre le sens de mes mots.


- Jude, appelle Solène. Jude, tu vas bien ?


- Ne m'appelle pas comme ça ! Tu voulais me tuer einh. Toi et ton bellâtre de J.K. Mais je vais vous faciliter les choses.


Ma main tenant fermement le coutelas, je fonce vers elle. Je vois son regard apeuré et sa bouche ouverte en un long cri d’effroi. Elle se relève avec peine et se met à courir. J'avise le pansement autour de son pied. 


Ah ! Tu penses pouvoir fuir ! 


Tu as la cheville abîmée, ma douce Solène ! Je la rattrape sans grande peine et la retient par les cheveux. Elle me lance un genou à destination du bas-ventre. Heureusement qu'elle rate son coup quand je recule pour l'éviter. Elle profite du moment de flottement pour s'échapper. 


C'est quel n'est pas aussi douce que ça ! 


Maude a raison, elle cache son jeu. Je dois la tuer, l faut que je les bute. Tous ! Dans un cri de rage, je m'élance à sa suite, la tire par le pan de sa chemise usée. Elle perd son équilibre et s'étale sur le sol. Mon corps massif appuie sur le sien quand je m’assois à califourchon sur elle. Ce cou que j'ai tant rêvé d'embrasser. Je vais le briser. Ma main entoure sa nuque gracile. Elle appuie, d'abord doucement puis un peu plus fort. Je sens la froideur de la lame du couteau dans mon autre main. L'étrangler ensuite, la poignarder après. Ca fera un beau message pour J.K à son retour. Sans compter que Maude voulait que je les saigne... 


Un sourire mauvais se dessine sur mes lèvres à mesure que je sens la résistance de la femme faiblir. Ce n'est plus Solène, mon amie. C'est une inconnue que je veux voir mourir.


- Jude ! Jude !


Le cri de la femme me fait sortir de ma transe. 


Cette voix... Elle réveille quelque chose en moi. 


Je jette un œil hagard à la ronde. Où suis-je ?


- Jude, je n’arrive pas à respirer. Bégaie la voie tenue de la femme.


Je baisse la tête vers elle. Je mets quelques secondes à capter que la main qui l’étrangle est en fait la mienne. Je serre tellement que mes articulations sont devenues pâles. Aussi pâles que le visage de Solène. 


Ses yeux révulsé me fixent, suppliants. Je la relâche et recule rapidement. Un bruit métallique résonne à mes pieds. Un couteau ! 


Mes vêtements ! Tout me revient en mémoire avec l'intensité dévastatrice d'une bombe qui explose.


Atterré, j’esquisse un pas vers Solène. 


Son regard épouvanté me dissuade de m’avancer davantage. La main palpant son cou, elle se recroqueville sur elle-même.


- Solène…


- Tu es fou, tu es complètement fou. 


- Qu’ai-je fait ? Supplié-je en fixant mes mains rougies de sang.


- A part essayer de me tuer ? Ironise Solène.


- Non ! Non ! Je ne me contrôlais pas. Je ne savais pas ce que je faisais.


- Alors, c'est encore pire.


J’essaie de me convaincre de mon innocence mais le sang, les bleus de Solène et le couteau me disent le contraire. Ma paume droite me lance douloureusement. La culpabilité pose sa chape de plomb sur mes épaules. Maude est morte par ma faute. 


Et maintenant... Et maintenant, j'essaie de tuer Solène !


- Je suis désolé, répété-je en une litanie supplicative.


- 10, 11, 12. Elles seront toutes rouges.


Maude me fait signe de la suivre. Je me dirige vers elle, sans hésiter.Quitte à vivre dans cette forêt lugubre autant que ce soit avec ma sœur. 


Au moins, je ne pourrai plus apporter de malheurs dans la vie des autre. 


Solène fuit, trébuchant presque lorsque je passe à côté d’elle. Et son rejet a le don de me faire davantage souffrir.


- Je suis désolé, murmuré-je à son attention. Je ne ferai plus jamais de mal à personne. 


Sur un dernier regard, je m’enfonce dans la pénombre des bois.


(JOUR 18)


J’erre à nouveau sans but. Je vis comme une bête, mangeant ce que je trouve et qui a l’air à peu près comestible, buvant dans les cours d’eau que je trouve. Je dors là où je peux. 


Grotte, retranchement dans la terre, tout me convient du moment que je peux dormir et oublier les yeux accusateurs de Solène. Il me semble que je n’ai pas vu mes compagnons depuis une éternité. Une brise d’air marin se fait bientôt sentir. 


Je débouche sur la plage et contemple l’étendue bleutée.


Peut-être… Que je devrais. 


La mer m’appelle, si belle avec ses couleurs du paradis. Les vagues viennent me lécher les orteils. Je savoure la vision idyllique offerte à mes yeux. J’aspire goulument l’odeur d’iode qui et l’air pur. Autant en profiter. Ce sera sans doute la dernière fois. 


L’eau me chatouille les mollets, puis atteint mes hanches avant de frôler la frontière dangereuse de mes épaules. Aujourd’hui, je rejoindrai ma sœur. Je jette un œil en arrière, Maude n’est plus là. 


Très rapidement, je n’arrive plus à maintenir ma tête hors de l’eau. Je nage pour m’éloigner encore plus. Le courant me facilite la tâche en me portant au large. Les vagues se fracassent sur ma tête. Je ne lutte pas, ni mon corps ni mon cœur n’en ont d’ailleurs l’intention. Je sens l’eau emplir mes poumons et m’aspirer vers le fond. Ma poitrine me brûle atrocement. C’est une sensation horrible de sentir ses membres se disloquer sous la puissance de la mer. Je ferme les yeux, attendant la toute fin. 


Une vague gigantesque me fait voltiger, je suis balloté comme une poupée. Tout est terminé. Je ne pourrai plus être une cause de malheur. Ma vie n’a généré que des fléaux et de la tragédie. Je suis désolé pour tout Solène, pardonne moi Maude. Même à toi, vieux connard de J.K, je veux bien concéder des excuses. Au moins je partirai le cœur léger.


Mon corps roule brutalement sur quelque chose de dur et de brûlant. Ma bouche s’ouvre pour cracher l’eau que j’avais avalée. Elle dégouline de partout. Je tâtonne la surface sur laquelle je repose et sens des grains fins coller à ma main. Je me redresse péniblement et constate que j’ai échoué sur la plage. 

Mes épaules se secouent sous les cascades de mon rire hystérique. Même la mort ne veut pas de moi. Mais que vous ai-je fait là-haut ? Depuis quand vivre est devenu une obligation. Je m’arrête vite quand ma poitrine se met à me lancer.


Je m’étale de tout mon long, exténué et abattu. 


Je reste dans cette position jusqu’à retrouver un semblant de calme. Les rayons cruels du soleil m’obligent à quitter la plage. Le bras appuyant contre ma poitrine, je titube vers l’orée de la forêt. Un bout de métal sombre est niché dans la terre. De la cendre et des morceaux de bois carbonisés sont visibles. Curieux, j’avance, tout doucement pour ne pas réveiller ma poitrine lancinante. On dirait la coque d’un bateau. Un bateau… Cette phrase qui me taraude depuis ma crise de folie. 


« Tues la, Judicaël. Tues la puis occupes toi de l’autre. Je veux que tu saignes ce pervers ! »


Une idée me traverse l’esprit. Maude était l’amour de jeunesse de J.K. J’étais au courant de leur flirt, à l’époque cela ne représentait à mes yeux pas plus qu’un béguin d’enfant. Bien que ma sœur m’en ait assuré du contraire. 


J’avais carrément oublié cette histoire tant J.K était devenu un beau salaud coureur de jupons. Maude… Maude n’aurait jamais voulu sa mort. 


En même temps mon esprit malade aurait pu tout imaginer… Judy… Elle m’a pourtant appelé par le surnom affectif qu’elle me réservait. Avant de mettre en doute ma santé mentale, je veux vérifier quelque chose.


Je me repère comme je peux dans la forêt, luttant pour tenir le coup après ma noyade. La clairière et sa haie d’arbres est juste devant moi. Je me rapproche du corps. Je ne ressens plus que tristesse tout à coup. 


Comment ai-je pu être attiré par ce spectacle macabre  ? La page du livre que j'avais vu quelques jours plus tôt n'était plus. Quelqu'un serait passé par ici?


Je reviens vers l’arbre sous lequel j’étais couché avec Maude. Je lève la tête et repère un dispositif assez technique. 


Fantôme, apparition ! Mon c*l oui !


Je compte les bougies disposées au sol. 12 au total. En forme de cercle. « Tues la, Judicaël. Tues la puis occupes toi de l’autre. Je veux que tu saignes ce pervers ! ». 


Et ce "Plus que 11" sinistre ?! Tout cela ressemble à une vengeance. 


Judicaël… Judy. Judy ! 


Le cercle… 12 bougies… Le cercle !! 


Oh merde ! 


Il faut que je retrouve les autres sur le champ !

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