Kocker Luti au collège de Poudry

Write by Faustin

         La prophétie de John Brown

         Le principal du collège de Poudry passa très tôt le matin dans la classe de Kocker Luti pour leur annoncer la nouvelle : la classe avait un nouveau professeur d’histoire qui allait bientôt passer établir les premiers contacts. Cinq minutes après son passage, un homme robuste d’une taille ordinaire d’un mètre quatre vingt-dix, d’une soixantaine d’âge environ, fit son apparition.

-      Bonjour la classe, je suis le professeur John Keller, votre nouveau professeur d’histoire.

D’un regard hautain et se tenant debout devant les élèves avec une vielle mallette à la main droite, le professeur John Keller inspecta minutieusement sa nouvelle classe d’une trentaine de collégiens et collégiennes en n’usant que des mouvements de ses mirettes. Ses yeux se rassasièrent sitôt de la balade et comme guidés par une force, se focalisèrent sur un jeune adolescent de dix ans à peine.

-      Hm… le fameux Kocker Luti, murmura-t-il doucement.

         Il s’avança jusque vers le quatrième table-banc de la rangée du milieu où était assis le jeune garçon puis le regardant droit dans les yeux, lui dit :

-      Comment tu t’appelles mon petit ?

-      Kocker Luti monsieur, répondit Kocker d’une voix tremblotante.

-      Toi et moi, ça se voit qu’on fera de très bons amis.

         C’est à ce moment que Kocker regarda subtilement pour sa première fois le signe W barré et encerclé sur le bracelet du professeur John Keller. Il était gêné de l’attitude bizarre de son nouveau professeur envers lui, chose qu’il exprima aussitôt à son ami Komi, son Co-banc assis à sa gauche ; quand le professeur lui tourna le dos, Kocker chuchota dans les oreilles de son ami:

-      Je le trouve vraiment bizarre, ce monsieur.

-      Moi aussi.

-      Et puis pourquoi c’est vers moi il est venu en premier ?

-      Surement que le principal a pris soin de lui faire part de tes exploits en matière d’excellence scolaire !

-      Mais non Komi, je ne pense pas que le principal …

-      Arrêtons de murmurer, interrompit Komi, si tu veux bien-sûr ne pas être aussi le premier à être puni.

         Le professeur se dirigea vers le devant, allant poser sa mallette sur la table qui lui était réservée dans l’angle opposé de la porte de la salle. Il s’assit d’un air brutal sur la chaise de son bureau. En ouvrant sa mallette, il sortit un bâton de craie blanche. Il n’y avait pas place à l’incertitude : la classe vivait dans une grande frayeur depuis son entrée.

         Il se leva et se dirigea vers le tableau noir peint contre le mur, fait d’un mélange judicieux du ciment et du carbone noir pétri à l’eau citronnée ; faisant face aux élèves, il racla grossièrement la gorge en caressant à l’aide de ses doigts gauches ses longues barbes faites principalement de poils blanc. Toute la classe tremblait sous ses regards sauf Kocker qui avait conservé son sang-froid. Son aisance dans une ambiance aussi tendue, ne passa pas inaperçue aux yeux du professeur John Keller ; surtout qu’il l’avait visé dès son arrivée.

-      Monsieur Kocker, fit-il avec une voix grave, votre attitude commode ne m’étonne pas.

-      Eh bien professeur, je ne vois pas de quoi vous parlez exactement, répliqua Kocker d’un air pensif et fixant des yeux le professeur.

-      Oh notre futur héro jusque là ignore encore le combat qui l’attend ? Murmura-t-il d’une voix très basse.

         Il regarda son bracelet porté à son poignet gauche comme s’il regardait l’heure dans une montre. Il écarquilla tout à coup ses yeux accompagné d’une légère ouverture de sa bouche, tout en guise d’étonnement. Toute la classe l’observait et se demandait sans l’exprimer oralement –    qu’est-ce qu’il regarde sur son bracelet et qui pourrait bien le faire réagir ainsi ? Ceux qui étaient plus proche de lui, haussaient malgré leur peur, la tête au maximum pour voir de quoi il en était question.

         Il ramena ensuite son regard sur la classe et dit :

-      Pas de place aux présentations. En tout cas, pas tant que vous vous connaissez entre vous ; vous connaissez mon nom ; et surtout que je vous connais tous !

-      Vous nous connaissez tous ? Murmura une voix masculine provenant du fond de la salle tandis que tous les autres étaient restés sans voix, et moi aussi vous me connaissez ?

-      Oh monsieur Pitard Koudjo, un ami de Kocker Luti, qui n’arrête de mouiller son lit… je peux continuer si vous le voulez.

         La classe se mit à hurler. Pitard Koudjo se sentant honteux après les déclarations du professeur, sortit en criant « Vous n’êtes qu’une pourriture ! Sale vieux con ! » ; Et partit à la maison malgré les interpellations de ses amis. Pitard, ne voulait surtout pas croiser les regards de Blandine, une jeune fille de la classe envers qui il avait des sentiments.

-      Quelqu’un d’autre veut aussi sortir ? Demanda le professeur Keller.

         Le calme revint aussitôt qu’il prit la parole.

-      Si je n’abuse, je suppose que votre silence signifie qu’on peut continuer, fit-il en errant ses regards dans la classe… Alors, allons-y !

Il se retourna, faisant face au tableau et à l’aide du bâton de craie blanche, écrivit en gros caractère : Les grandes périodes de l’histoire.

-      Monsieur Kocker Luti, fit-il d’un ton poétique, le surdoué ; le héro indomptable ; l’homme de deux mondes ; rappelle-nous les cinq grandes périodes de l’histoire dans l’ordre chronologique.

Kocker se leva pour parler mais tout était bousillé dans sa tête et il ne se souvenait presque de rien.

-      Les grandes périodes de l’histoire sont… sont… sont… Balbutiait-il d’une voix tremblante cette fois-ci.

-      Mais vous les avez étudiées dans les classes antérieures ! Tonna une voix menaçante, celle du professeur ; vous êtes puni Kocker ! Finit-il en refaisant face au tableau comme s’il allait y écrire les réponses.

Komi, le Co-banc et ami de Kocker, profitant de ce petit moment hors des regards du professeur Keller, murmura avec une grande prestesse les réponses à son ami.

-      S’il vous plait monsieur, est-ce que vous permettez que je reprenne ? Questionna Kocker avec crainte.

-      Oh monsieur Kocker, allez-y si vous avez de bonnes choses à nous raconter !

-      D’accord ; nous avons la Préhistoire, l’Antiquité, le Moyen-âge, les Temps modernes et l’Epoque contemporaine.

-      Très bien ; votre punition est levée mais ma générosité se limite à cette faveur seulement; lui dit-il.

         En réalité, ses intentions ce jour-là, ce n’était pas de punir le jeune Kocker. Alors pourquoi agissait-il ainsi ? C’était sa manière à lui d’enseigner aux élèves ? D’où détenait-il les informations sur ces derniers ? Pourquoi s’acharnait-il sur le jeune Kocker Luti ? De quels deux mondes parlait-il ? Kocker comme indomptable héro ; quel genre de héro ? Que regardait-il sur son bracelet ?... Les devinettes étaient lourdement intrigantes et personne n’arrivait à se faire une idée claire sur ses vraies intentions.

         Monsieur John Keller, après la levée de punition de Kocker, retourna écrire au tableau « L’antiquité » et revint à la classe :

-      Bon, cria-t-il, intéressons-nous à l’antiquité ; qui a déjà entendu parler de la prophétie de John Brown ?

Presque tout le monde avait les yeux braqués sur lui ; ils n’ont jamais entendu parler de la prophétie de John Brown ; mais pour Kocker, qui avait des regards concentrés sur sa table, tout semblait qu’il faisait un effort pour rallumer ses souvenirs. Mais quels souvenirs ? En effet, le nom John Brown ou même la phrase entière « La prophétie de John Brown » lui était singulièrement familier. Il avait beau remué ses souvenirs, feuilleté les images de sa mémoire… mais ses efforts étaient loin de suffire pour tout clarifier dans sa tête. Cette fois-ci, le professeur Keller ne s’était plus concentré de façon remarquée sur Kocker. Et il savait bien que personne d’autre ne pouvait réellement prétende avoir entendu parler de la prophétie de John Brown si ce n’était Kocker Luti. Aucun livre, n’en avait jamais parlé.

-      Personne n’a jamais entendu parler de la prophétie de John Brown alors ; fit Professeur Keller après un petit moment de silence ayant suivi sa question ; j’avoue, c’est le contraire qui m’étonnerait. C’est de la mythologie tout ça et je ne suis pas autorisé normalement à en discuter avec vous. Alors, oubliez tout ça ! Nous passerons aux choses sérieuses demain ; pour aujourd’hui, j’ai fini avec vous.

         Le professeur ramassa s mallette et sortit de la salle.

-      Mais non, il a oublié son bâton de craie ; c’était la voix de Pépéline, une jeune collégienne d’une douzaine d’années, assise dans le deuxième table-banc de la dernière rangée, à vue découverte.

         Elle prit rapidement le bâton de craie, sortit en vue de rattraper le professeur qui venait de sortir il y avait à peine trois secondes ; elle fut troublée par un fait : le professeur avait disparu. Paniquée, elle se rendit avec promptitude au bureau du principal, mais personne n’y était non plus à part le principal…

         La croche venait de résonner et la récréation commença. La matinée était déjà bien lourde pour Kocker et il souhaitait rester loin de ses camarades pour éviter à avoir à répondre à leurs questions. Mais il fallait qu’il mange avec son groupe d’amis habituel. Pitard n’était pas là, le groupe ne saurait vraiment se défendre en cas de provocations de certains camarades agaçants et moins encore si Kocker s’y retirait. Kocker devait rejoindre le groupe à la cantine : il n’avait pas trop de choix. Ils étaient assis autour d’une table ronde, c’était le même modèle de tables disponibles à la cantine de la section deux : celle de la classe de Kocker Luti. Dans le groupe, il y avait Pépéline, elle était la petite amie de Kocker ; Blandine, elle en réalité faisait juste bonne compagnie avec le groupe ; Komi... Une autre fille de la classe était attablée avec eux, c’était Carine, une opportuniste profitant de l’absence de Pitard pour s’offrir sa place. Pourquoi était-elle réellement là ?  Il était trop tôt pour se faire des idées. Ils avaient au menu des croquettes de chocolat accompagnées du café au lait ou de la bouillie de Tapioca. L’ambiance était raide : c’était incontestable. Toute la cantine de leur section ne faisait que parler du fameux nouveau professeur d’histoire. La bande d’amis en faisait aussi autant mais visiblement Kocker semblait être ailleurs : il voyageait dans ses pensées. Pépéline n’osait évoquer à quiconque, son constat sur la disparition troublante du professeur Keller.

-      Orrr… je m’en doutais, fit Pépéline quand elle vit la bande de Goppy ou encore le groupe Goppy comme il se faisait appeler ;  faire son entrée ; ça va encore emmerder maintenant.

         Ce n’était pas la première fois que le groupe s’en prenait à celui de Kocker. Pépéline tapota sur l’épaule de Kocker qui sursauta.

-      Oh, désolé !

-      Toi tu n’es pas du tout avec nous !

-      J’en suis navré Pépé, je pensais à un truc !

-      Le professeur l’a démoli complètement le pauvre Kocker. Il nous avait tous fait peur d’ailleurs ! C’était les propos de Blandine.

-      Je sais qu’ils vont te provoquer, mais ignore-les ! Chuchota doucement Pépéline dans les oreilles de Kocker.

         Goppy amena son groupe directement près des Kocker.

-      Hey toi, fit Goppy à Kocker ; tu connaissais le professeur John Keller depuis on dirait.

-      Je vous jure, dit Kocker d’une voix plutôt apaisante, je n’ai jamais vu cet homme auparavant !

-      Il ment, cria un des Goppy, j’avais vu moi-même comment il était figé quand le professeur évoquait la prophétie de John Brown.

-      Et puis après, cria Pépéline, vous n’avez rien d’autre à faire que de venir foutre la trouille aux gens sur des mobiles qui n’ont aucun sens ? Fichez-lui la paix ! Finit-elle avec un ton solidement autoritaire.

-      Sinon, qu’est-ce que tu vas faire ? Goppy rua de colère, marcha sur Pépéline et la poussa de ses mains.

         Kocker, nerveux, propulsa de son membre inferieur la chaise qui le portait et s’approcha tout rougi vers Goppy.

-      C’est la dernière fois que tes sales mains touchent Pépé ! Sinon, je te jure que tu me le payeras cher, la prochaine fois !

Blandine, releva Pépéline tandis que Komi et Carine essayaient d’éviter un affrontement musclé entre Kocker et Goppy. Mais tout a échoué. En effet, Goppy perdit le contrôle à nouveau :

-      Sinon quoi, hein ? Tu vas me frapper !... Hurlait-il.

Goppy finit par lever la main sur Kocker mais une chose étrange qu’ils n’ont jamais vue de leur vie, se produisit : sa main allait à peine toucher Kocker, qu’une force éclaircissante, l’électrifiant, le projeta loin. Il retomba sur une table qui se brisa en deux, mouillé et brûlé par du café chaud et de la bouillie de Tapioca. Personne ne comprenait ce qui s’était passé, même pas Kocker.

-      Qu’est-ce qui ne va pas par ici ? Tonna une voix grondante, c’était le surveillant général, alerté par les hurlements.

Le surveillant fit son entrée dans la cantine avec hâte en vue de remettre de l’ordre. [A suivre…]

La prophétie de John...