L'hopital
Write by leilaji
Chapitre 24
Alexander
Je suis vraiment soulagé que Leila n’ait pas eu à subir
cette scène. Elle ne le mérite pas après tout ce qu’elle a fait pour moi. Elle
ne le mérite pas.
Je regarde ma mère, cette inconnue et le temps qu’elle m’a
serré dans ses bras, mes souvenirs d’enfance sont remontés à la surface. Elle a
toujours le même parfum enivrant, mélange de fleurs sauvages et d’épices de
chez nous. Mon cœur se serre affreusement. Je me vois, fils unique d’une
famille déjà complètement désarticulée, élevé comme un prince, choyé et gâté
par toutes les femmes de la famille. Je la vois me couvrant de baisers,
grondant quiconque osait me contredire ou me refuser quelque chose. J’ai eu une
enfance tellement heureuse, jusqu’à ce que l’adolescence et mon tempérament
fougueux viennent tout détruire.
Je regarde la petite troupe postée derrière ma mère et me
sens observé comme un phénomène de foire. Ils ont dû tous entendre parler de
moi sans m’avoir jamais vu. Mon père manque à l’appel et son absence est si …
sordide.
Je réunis tout le monde autour de moi et leur demande où ils
sont descendus. A l’hôtel Leet à Montagne Sainte. Je connais l’endroit. Je ne
sais même pas comment me comporter avec eux. Dois-je exiger qu’ils viennent
tous à l’appartement ou demander à ce qu’ils restent à l’hôtel jusqu’à ce que
je sache quoi faire d’eux ?
Je suis perdu. Où est Leila ?
—
Ne te tracasse pas mon fils, dépose nous à
l’hôtel, me dit-elle comme si elle avait deviné mon désarroi. Demain, il sera
encore temps d’expliquer les choses.
—
Discuter de quoi mère.
—
De ton père, de la famille, de ce qu’on attend
de toi mon fils.
Elle ponctue chaque phrase de « mon fils comme » comme si
après tant d’années, elle avait besoin de se convaincre que je l’étais
toujours. D’ailleurs le suis-je encore ?
Je décide de les ramener à l’hôtel. J’ai beaucoup de respect
pour ma famille mais je ne saurais les imposer à Leila sans l’avoir d’abord
prévenu, surtout avec la présence de Neina qui me dévore des yeux. Mais que lui
a-t-on dit qu’elle obtiendrait de moi bon sang !
Une fois à la
réception de l’hôtel, ma mère insiste pour que je prenne le thé dans la suite
qu’elle occupe avec Neina et une de ses cousines éloignées. Je la suis sans
broncher mais je suis mal à l’aise. Je me vois avec elle et la scène me parait
surréaliste. Hier encore, je ne savais pas que pour mes 37 ans, je verrai ma
mère !
Malgré tout, je pense à recomposer le numéro de Leila. C’est
la deuxième fois que je tente de joindre Leila. Elle ne répond toujours pas.
Lui aurait-on déjà parlé de ce qui s’est passé un peu plus tôt ? Je crains le
pire…
On entre tous ensemble.
Je suis assis dans un petit salon et je bois tout doucement
le thé qu’on m’a fait servir par Neina qui a pris le soin de m’installer
confortablement. Je garde mes distances avec elle. Je ne souhaite pas qu’elle
se mette à avoir des rêves insensés.
—
Je sais que je t’ai dit qu’on parlerait demain
mais je suis tellement heureuse de voir à quel point tu vas bien. L’assistant
de l’ambassadeur a eu le temps de me parler de toi pendant qu’il nous emmenait
à la réception. Et je suis tellement fière de l’homme que tu es devenu mon
fils. Tellement fière de toi mon fils et de ce que tu as bâti ici, si loin de
chez toi.
Je crois que si elle dit encore une seule fois « mon fils »
je vais me lever et m’en aller. Je ne supporte plus d’entendre ces mots sortir
de sa bouche.
Je crois que j’ai du mal à supporter sa présence. Pourtant
je ne peux m’empêcher de la dévisager et d’être fier de la voir encore si belle
après tant d’années. L’usure du temps qui passe a été clémente avec elle. Elle
a fière allure dans son sari blanc brodé discrètement de fil argenté. Elle
porte la couleur des veuves. Ma mère est désormais une veuve. Quoi, j’ai cru
mon père immortel !?
Mes sentiments sont confus et complètement ambigües. Je ne
sais plus où j’en suis. Je dépose la tasse de thé vide et me lève pour la
saluer et m’en aller. Je n’en peux plus, j’ai besoin d’air, de prendre mes
distances pour réfléchir.
—
Où vas-tu ?
—
Chez moi.
—
Il parait que tu partages ta vie avec … une …
noire… je veux dire une femme d’ici.
—
Oui.
Je sais qu’elle a envie d’en savoir plus mais je ne suis pas
prêt à en parler avec elle.
—
Elle n’est pas de ta condition mon fils. Neina
elle…
—
Avec tout le respect que je te dois … mère … Je
… Je …
Je ne suis pas en colère. Je crois que je suis enragé et ma
rage éclate sans que je ne puisse me contenir plus longtemps.
—
Après 25 ans ? 25 ans ! C’est une éternité mère.
J’aurais pu être mort et enterré comme un chien dans n’importe quel cimetière
de n’importe quel pays. Je n’avais que 12 ans et père et toi m’avez exilé en
Angleterre pour une faute commise par un enfant. Je n’étais qu’un enfant.
Sais-tu ce que ça m’a fait ? Sais-tu quelles épreuves j’ai bien pu traverser
sans mes parents pour me soutenir? Et cette femme que tu méprises avant de la
connaitre, cette femme t’invite pour te rapprocher de moi que tu n’as pas vu
depuis tant d’années et toi tu me ramènes une gamine pour que je l’épouse. Vous
arrangez un mariage pour moi alors que vous n’avez aucune nouvelles de moi…
—
Ne dis pas ça mon fils. Ne me condamne pas après
le calvaire que j’ai traversé. Tu connais nos traditions et tu sais très bien
qui détient l’autorité dans la famille. Je ne pouvais pas aller contre la
volonté de ton père. Les choses auraient pu être bien pires, si je ne t’avais
pas envoyé en Angleterre. Tu sais que c’est le premier devoir d’une épouse de
donner un fils à son mari et je l’ai fait. J’ai accompli mon devoir et dès que
tu es venu au monde, tu es devenu le centre de mon univers. Enfant, tu étais
tellement attaché à moi. Mais tu sembles l’avoir oublié.
—
A qui la faute ?
—
Crois-tu que ce soit de gaité de cœur que je
t’ai laissé partir en sachant que tu étais mon unique enfant ? Non Devdas. Ca
m’a arraché le cœur de te voir partir. Mais j’ai dû y consentir pour t’éloigner
de la colère de ton père. Je t’ai sauvé ! Et cela, il ne me l’a jamais
pardonné. Et toi à ton tour tu me condamnes.
Elle pleure. Je ne me souviens pas l’avoir jamais vu pleurer
un jour. Même le jour où elle a dû me laisser partir, elle n’a pas versé une
seule larme. Et là, elle est complètement effondrée. Je la fais souffrir. De
toute manière je n’ai jamais su faire autre chose que la faire souffrir.
Je me rapproche d’elle et me courbe pour la prendre dans mes
bras. Et cette position me rappelle Leila.
Si je n’arrive pas à la joindre, il faut au moins que je lui
envoie un message pour qu’elle me rappelle au plus tôt.
—
Ne condamne pas Neina avant de la connaitre,
pleurniche-t-elle en séchant ses larmes. Peu de temps après que tu sois parti,
ton père a complètement abandonné la gestion de l’entreprise familiale. Tu sais
qu’il n’était déjà pas très doué pour les affaires et qu’en réalité je devais
l’aider à prendre toutes les décisions importantes pour la bijouterie. C’est de
moi que tu as hérité ton don pour les affaires mon fils et j’en suis fière. Ma
famille a toujours été riche et commerçante tandis que celle de ton père bien que faisant partie de cette caste s’en
sortait à peine. Avec ma dot, j’ai renfloué les caisses des Khan. J’ai quitté
ma famille pour la sienne. Mais quand tu es parti, c’est comme si quelque chose
s’est éteint en lui et qu’il se disait « à quoi bon continuer, à qui vais-je
transmettre cette fortune ? ». Les affaires ont doucement commencé à
péricliter. Puis la famille Oberoi nous a contacté pour racheter notre marque.
Ton père a voulu tout vendre mais à la dernière minute, un jeune homme indien
qui résidait au Canada et venait se marier et rentrer au Canada avec sa femme,
lui a certifié t’avoir vu là-bas. Cela s’est passé il y a deux ans de cela. Il
lui a même montré une photo où tu apparaissais avec d’autres hommes d’affaires.
Je t’ai immédiatement reconnu mon fils. Malgré toutes nos recherches nous
n’avons pas retrouvé ta trace là-bas. Et le jeune homme ne savait rien d’autre
parce que vous ne vous êtes vu que très brièvement. Mais à partir de ce moment,
ton père a compris son erreur, et il a refusé de vendre. Entre temps Neina, la
dernière et la préférée de son père a aussi vu ta photo et elle a dit à son
père que c’est toi qu’elle voulait pour mari. Son père est très riche. Aussi
riche que nous l’étions dans le passé. Son père et le tien ont scellé une
promesse, celle de vous allier dès que tu rentreras. Mais ton père a été
emporté par la maladie…
Pris de frissons de dégout, j’ai reculé d’un pas…
—
Tu veux dire que tout ceci est le résultat du
caprice de la fille d’un riche homme. Mais mère, te rends-tu compte de ce que
tu es en train de me raconter.
—
Les mariages arrangés font partis de nos
traditions Devdas. Ne vois pas les choses ainsi. Ce n’est pas un caprice de
riche fille, mais une union longuement murie entre nos deux familles. Mon
mariage a été arrangé et je …
—
Et tu as été malheureuse !
—
Il n’y a rien de mal à ce que deux familles
s’entendent pour unir ce qu’elles ont de plus précieux, leurs enfants ! Quand
es-tu devenu cet étranger hautain ? Ne
renie pas tes origines mon fils.
—
Je ne suis pas comme mon père, je n’ai jamais
rien renié de ma vie !
Mon père. Jusqu’à présent, j’ai réussi à ne pas parler de
lui. Contre toute attente, un sentiment de honte et de culpabilité aussi
soudain que déraisonnable m’envahit. Et je me dis que je n’aurais jamais
l’occasion de lui demander pardon. Plus jamais. Je recule d’un autre pas.
Et ma mère, cette mère qui malgré le temps qui a passé lit
en moi comme dans un livre, enfonce le clou de ma culpabilité en quelques mots.
« Tu sais que le fils est le chainon fondamental de la
famille. Il assure la vieillesse de ses parents, reprend la terre ou
l’entreprise de la famille et perpétue la lignée. Tu étais le seul qui puisse
exécuter les rites funéraires à la mort de ton père. Le rite du Shraddha est
très important. Avec des brahmanes, tu devais exécuter les rites funéraires. Et
cette cérémonie aurait permis à l’âme errante de ton père d’être apaisée et
guidée vers sa prochaine réincarnation. Mais tu n’étais pas là et maintenant
l’âme de ton père est devenue un Bhut (espèce de fantôme qui terrifie les
vivants). Tu n’étais pas là. »
Elle se remet à pleurer. Ses épaules sont secouées par ses
lourds sanglots.
—
Je porte la responsabilité de la famille parce
qu’aucun de tes oncles ne peut le faire. Si tu savais à quoi nous en sommes
réduits Devdas, tu ne permettrais pas qu’une telle chose arrive.
J’ai une migraine atroce! J’en ai assez entendu. Je dois
m’en aller maintenant. Je cherche dans mes poches, les clefs de la voiture et
mes doigts frôlent l’écrin de la bague.
Ils ont réussi à tout gâcher aujourd’hui Leila! Mais est-ce
que je vais continuer à être cet exilé qui plus jamais ne connaitra la douceur
des bras d’une mère par amour pour toi ?
Un peu plus tôt de l’autre côté de la ville.
****Denis ****
Je cours quasiment avec Leila dans mes bras. Je ne suis pas
médecin mais je la trouve affreusement pâle pour quelqu’un qui s’est juste
évanoui ! Je l’installe sur le siège passager et attache sa ceinture de
sécurité et le temps de faire le tour du véhicule lance l’appel pour parler
avec Elle. Je ne peux pas prendre seule la responsabilité de Leila, il faut
qu’Elle m’accompagne. Elle a tôt fait de nous rejoindre complètement paniquée.
Pendant que je conduis comme un fou dans les rues de Libreville, je lui explique
ce que j’ai compris de la situation. Elle éclate de colère. Ce petit bout de
femme hurle quasiment tandis que les rues des différents quartiers défilent
devant mes yeux. Lycée Leon Mba, pavillon, nous y sommes presque. J’appuie sur
le champignon.
—
Mais si son père est mort, on s’en fout de sa
volonté ! C’est quoi cette histoire de mariage arrangé. Depuis plus de vingt
ans, ils se foutent de ce qu’il est devenu et soudain, on lui ramène une idiote
à épouser. On l’a banni parce qu’il est allé contre la volonté de son père et
regarde ce qu’il a fait de sa vie, il a réussi. Il n’a qu’à continuer.
—
Ce n’est pas aussi évident que ça Elle. La
volonté du père est sacrée chez eux. Il était adolescent quand il en a gouté la
mesure. Mais ça l’a profondément marqué. Et depuis lors il cherchait
inconsciemment comment se faire pardonner. Pourquoi crois-tu qu’il a mis un
point d’honneur à tout réussir dans sa vie ? Il a tout sacrifié pour réussir
Elle. Il n’est pas comme nous même si grâce à son amour pour Leila, on
l’oublie. C’est un indien… Il fera la volonté de son père pour se faire
pardonner parce qu’il ne peut pas se sortir de cette merde autrement.
—
Ne dis pas ça Louis, ne dis pas ça. Leila ne le
supportera pas. Oh mon Dieu qu’est-ce qui est en train de nous arriver ?
Nous sommes arrivés à El Rapha. Je gare devant l’entrée des
urgences et je descends de la voiture. Je la contourne et fais descendre Leila.
On entre, Elle sur nos pas, la voiture abandonnée devant
l’entrée et la clef de contact avec. Je regarde à droite et à gauche et comme
dans les mauvais romans, personne ne s’occupe de nous. Je hèle un infirmier qui
passe, le téléphone collé aux oreilles. Il s’approche. Elle va voir
l’infirmière à l’accueil. J’entends l’infirmière lui parler de caution, de
carte d’assurance, de documents à signer pour la prise en charge…
Je pète les plombs !
—
Je suis Denis Onbimda. Si vous ne trouvez pas
des médecins pour s’occuper d’elle tout de suite. JE VOUS FAIS TOUS VIRER !
Je ne m’attendais pas à de telles paroles de ma part. Je
suis moi-même abasourdie par ce que je viens de dire. Mais je sais qu’ici c’est
comme ça que les choses marchent.
Je le savais. Ils s’affairent tous autour de nous maintenant. Puis un bout de femme
s’approche de moi. Elle porte un stéthoscope autour du coup et je lis « docteur
Loria MENDES » fiché sur sa blouse blanche immaculée.
—
Il va bien falloir que vous la lâchiez pour
qu’on puisse l’examiner.
—
Je veux d’autres médecins.
Quoi ce petit bout de femme pour soigner Leila ? Je veux
tous les meilleurs médecins de cette polyclinique, pas un petit bout de femme.
—
Où sont les autres médecins, je les veux tous
ici. Maintenant ! Vous m’avez compris !
Elle, complètement atterrée par mon attitude se rapproche de
moi et me tire en arrière. Je suis obligé de lâcher le bras de Leila.
—
Louis, laisse la faire. Laisse la faire.
Mais le temps de me retourner vers Elle pour lui demander de
me lâcher, Leila s’est mise à convulser. Mais qu’est-ce qui se passe bordel ?
C’est quoi cette journée de merde ?
J’entends les médecins qui l’emmènent au loin parler entre
eux tout en intervenant sur elle, « hémorragie interne », « opération », « urgence »…
Ces mots m’ont calmé. Je suis d’un calme terrifiant
soudainement.
—
Denis ? Denis ?
Pourquoi m’appelle –t-elle comme ça ? Depuis qu’on se
connait, Elle m’appelle Louis.
—
Denis ?
—
Oui, je réponds les yeux toujours tournés vers
le couloir où Leila a disparu
—
Ne me dis pas que tu es amoureux de celle que
ton frère aime ?
A suivre.
un petit commentaire les filles