La douleur
Write by leilaji
Elle
Alexander
appelle, je décroche bien malgré moi. Je ne suis pas très à l’aise pour lui
mentir.
— Bonsoir Elle, excuse moi de te
déranger mais j’appelle Leila et elle ne décroche pas. Tu sais où elle est ?
— Elle est à la maison avec moi.
— Demande-lui de rentrer s’il te
plait. Il commence à se faire tard et …
— Pas la peine de t’inquiéter,
elle veut passer un peu de temps à la maison, pour te laisser respirer un peu.
Nausée, vomissement… Ce n’est pas très sexy.
— Ecoute c’est mon bébé aussi et
je veux qu’elle rentre. Ca ne me dérange pas…
— Alexander, tu sais à quel point
ta femme est capricieuse, enfin ta future femme. Ce sont ses hormones qui parlent
là. Laisse la rester un peu.
— Ok, ca marche. Dis lui de
m’appeler quand même.
Je
raccroche quelques instants plus tard.
— Que vas-tu faire Leila, tu ne
peux pas te cacher indéfiniment d’autant plus qu’il semble inquiet pour toi.
— Je vais lui dire mais pas
maintenant, pas tout de suite, j’ai besoin de temps.
— Il faut que tu te confies à
l’Eternel, lui seul a le dernier mot dans nos vies. Prie et Dieu t’exaucera,
d’autant plus que tu ne mérites pas ce qui t’arrive.
— Parce que tu crois que les
enfants qui meurent de faim dans le monde le méritent ? Des choses horribles
nous arrivent tous les jours sans qu’on ne le mérite.
— Et puis tu sais, c’est le
premier diagnostic. Les médecins de notre pays là, parfois c’est de vrais
idiots. Il nous faut un autre diagnostic.
Enfin,
elle se lève et me regarde moins désarmée que tout à l’heure. Elle a les yeux
bouffis et rougis par les larmes qu’elle a versée toute la nuit et ses cheveux
tombent en désordre sur ses épaules. Leila est pourtant une battante. Je ne
comprends pas pourquoi, elle baisse les bras si facilement.
— De toute manière les miracles
existent.
— Et tu veux que je passe ma vie
à attendre un miracle. Tu veux que je fasse attendre Alexander avec moi. Qu’on
attende à deux un miracle. Tu t’entends parler ? Un miracle ? C’est quelque
chose qui n’arrive que … que miraculeusement. Et pourquoi moi je bénéficierai
de ce miracle alors qu’il y a des millions d’autres femmes dans la même
situation que moi. Je ne suis même pas la meilleure d’entre elles. Sans Alexander,
j’aurai surement passé ma vie au boulot et il ne me serait même pas venu à
l’idée d’avoir un enfant. Tu le sais et je le sais. Ce qui m’arrive n’est qu’un
juste retour des choses. Dieu a dû décider. Il a dû voir dans mon cœur et se
dire que je ne mérite pas d’enfanter parce que je ne l’ai en réalité jamais
voulu. Rien n’arrive par hasard tu sais. C’est une juste … punition.
Je
me dit que cette fille est complètement folle et qu’elle n’a pas conscience de
ce qu’elle est en train de dire.
— Ne sois pas égoïste Leila ! Tu
es dans le même bateau que Xander. Certe lui n’a pas de problème de stérilité
mais il veut des enfants de toi. Rien que de toi. N’oublie pas à quel point il
t’aime.
— Je le sais et c’est ça le
problème. Des enfants de moi, rien que de moi...
Puis
elle se recouche et regarde le plafond.
— Ma situation doit être vraiment
désespérée hein Elle. Toi et moi depuis qu’on se connait, on n’avait encore
jamais parlé de Dieu. Je ne savais même pas que tu étais croyante.
Je
ne lui réponds rien parce qu’elle a parfaitement raison. Mais moi je veux un
autre diagnostic.
***Un
mois et demi plus tard***
***Leila***
Les
résultats tombent les uns après les autres et sont tous sans appel. Qu’importe
qu’on ait envoyé les analyses en France ou qu’on les ait fait faire ici. C’est
toujours la même rengaine. A force d’entendre ce que les médecins ont à me
dire, de me renseigner ici et là, je suis devenue spécialiste en fertilité.
Avec
Xander, c’est très tendu parce que je ne lui ai rien dit et garder un tel
secret me pèse. J’avais déjà l’habitude de gérer toute seule mes problèmes et
j’ai appris à me confier à lui avec le temps mais là c’est au dessus de mes
forces.
Lui
parler, c’est le condamner avec moi et ça je ne peux pas le faire. Je dois être
clair avec moi-même pour prendre la bonne décision. Cet enfant, il le veut bien
plus que moi. Moi, c’est tout simplement parce que je l’aime et que je me dis
qu’il est temps qu’on s’engage dans cette aventure et je n’avais plus peur
parce que je savais qu’il ferait un bon père. Mais lui, son désir d’enfant va
au-delà de tout et je sais que tout cela à un lien avec sa famille qui n’est
pas là autour de lui.
Alors
résumons. Je suis celle qui l’éloigne de sa mère et l’oblige à rester l’enfant
banni qui ne respectera jamais les dernières volontés de son père. Et quand je
dois au moins, lui donner cet enfant qu’il désire temps pour combler ce trou
béant dans son cœur, je suis celle qui doit lui dire :
«
Oublie l’enfant aussi, il n’y aura que toi et moi. »
Je
sais que sa passion pour moi est plus forte que sa volonté propre. Je le sais,
tout le monde le sait. Elle me dit à tout bout de champs : « Xander t’aime il
fera ceci, Xander t’aime, il supportera cela ». Je ne mets rien de tout cela en
question. C’est moi que je remets en question.
Il
m’a déjà sacrifié sa famille, je ne vais pas en plus lui demander de me
sacrifier sa descendance !
J’ai
eu beaucoup de temps pour réfléchir et je crois sincèrement qu’il ne suffit pas
d’aimer passionnément, il faut également aimer avec raison et sans égoïsme.
C’est la première fois de ma vie que je pense à quelqu’un avant de penser à
moi. Cette nécessité de placer le bonheur de celui qu’on aime au dessus du sien
m’est devenu vitale.
IL
M’AIME. OUI. AVEC DERAISON ET DE MANIERE TOUT A FAIT INCONTROLABLE.
Mais
le fait qu’un sentiment ne soit pas contrôlé n’implique aucunement qu’il soit
plus profond qu’un sentiment discipliné. Mon amour pour lui est profondément
ancré en moi, il ne me transfigure pas, il est discipliné. Il fait partie de
moi. Chaque molécule de mon corps l’a complètement absorbé, intégré. Mon amour
pour lui, ne fait pas de bruit, il coule silencieusement en moi et nourrit mon
être. Les rivières les plus profondes sont les plus silencieuses. De même que
les souffrances les plus fortes sont muettes. Je n’ai pas besoin de lui hurler
ma douleur. Je la porte en moi. Je veux la porter seule. Pour une fois dans ma
vie, je veux être celle qui efface toute difficulté de sa vie.
Pour
son bonheur, je donnerai le mien. Même s’il ne devait jamais le savoir.
Je
le regarde dormir profondément à mes côtés. Encore une fois, il a tenté de me
faire l’amour mais je lui ai interdit de me toucher. Mon corps n’a absolument
pas changé et je ne lui ai encore rien dit. Lui qui a si vite remarqué ma prise
de poids, comment peut-il être aussi aveugle quand à cette grossesse… qui n’en
est plus une. Cet enfant il le désire tellement que je crois qu’il serait prêt
à faire et croire n’importe quoi pour l’avoir.
Je
porte des vêtements amples et c’est suffisant pour le moment. De toute manière,
je n’aurai plus à mentir longtemps.
Le
lendemain matin, dans le bureau de la patronne
— Je crois qu’il est temps que
l’on me rétribue justement pour le travail que je fournis dans cette boite.
Ma
patronne semble un peu désarçonnée par cette entrée en matière qui ne ressemble
pas du tout à la discrète petite togolaise que je suis.
— Prenez place mademoiselle
Larba.
— Je n’ai pas besoin de
m’asseoir. Je veux cette place d’associée junior que je mérite amplement.
— Je n’aime pas trop qu’on me
force la main.
— Je le sais. Mais au point où
j’en suis dans ma vie. C’est ça ou mon départ.
Elle
écarquille les yeux de surprise. Elle ne pensait surement pas que je dirai une telle chose. Tout le monde sait à
quel point je suis attachée à The Firm. J’ai sacrifié beaucoup d’heures de ma
vie à des clients qui la paient grassement. C’est aussi mon travail qui lui
permet de s’acheter cette rangée de perles grises du plus bel effet sur sa robe
blanche. Alors moi aussi je veux « ma rangée de perles grises » parce que
bientôt, il ne me restera plus que ça. Je redeviendrai la même Leila Larba
qu’avant ma rencontre avec Xander. Je redeviendrai cette Leila, à cette
différence que mon cœur sera complètement abimé après ce que je m’apprête à
faire à Xander.
— Laissez-moi réfléchir, je ne
prends pas la décision toute seule, j’ai besoin de consulter les autres
associés seniors. Je vous donne ma réponse au plus tôt.
— J’attends votre réponse demain.
Puis
je sors de son bureau avant qu’elle ne puisse ajouter autre chose.
****17
heures dans un magasin de glace de la place.****
Je
relis une nouvelle fois le message qui me donne la réponse à ma demande
concernant la place d’associée junior.
«
La place est à vous, mes félicitations»
J’ai
le couple soufflé. Enfin une bonne nouvelle parmi le déluge de malheur. Je
tends mon téléphone à Elle qui lit à son tour le message. Elle me sourit puis
me fait une bise sur la joue droite.
— Félicitation ma puce. Tu la
méritais cette place d’associée junior.
Cette
phrase fait sortir Denis de sa léthargie.
— Félicitation la petite popo
(terme qui désigne au Gabon les ressortissants du Bénin et du Togo).
— Merci.
Je
ne sais pas pourquoi ces derniers temps il ne m’embête pas trop. Nos joutes
verbales me manquent un peu mais bon, parfois il est si sarcastique que ces
remarques font mal. Et je suis trop fragile en ce moment pour supporter une
quelconque méchanceté. Heureusement qu’il a instauré une petite trêve.
— Ca se fête ça.
Puis
il ne dit plus rien. Finalement, il se lève de notre table pour passer un coup
de fil. Je ne sais pas comment ce mec fait pour être sur son trente et un,
trente et un jours pas mois. Depuis qu’il est ici, je n’ai encore jamais vu ne
serait-ce que son mollet. Il porte toujours des complets vestons très élégants.
Je comprends qu’Elle soit un peu love de lui, malgré Gaspard et Didier. Mais
bon, elle ne veut rien m’en dire. Libre à elle.
Trente
minutes plus tard, on est tous sur le parking du magasin, prêts à se séparer et
Denis nous demande d’attendre encore un peu. Je ne sais pas ce qu’il prépare
mais j’ai hâte de rentrer en finir avec ce que j’ai à faire.
Ca
ne peut plus durer ainsi.
Quoiqu’il
me soit arrivé dans ma vie de merde, j’ai toujours su avancer. Pas de père, une
mère morte trop tôt, se débrouiller comme on peu avec le peu qu’on a, je l’ai
fait tellement longtemps. Tellement longtemps ! Qu’importe les défis à relever,
je ne suis jamais K.O. très longtemps. Jamais. Le destin a beau me frapper et
me frapper encore, toujours je me relève. J’excelle dans mon travail parce que
je sais prendre les bonnes décisions au bon moment. Je sais arracher le
pansement d’un coup, quitte à hurler de douleur en le faisant mais au moins
après on en est débarrassé. Et c’est ce que je compte faire maintenant.
Une
berline de marque Mercedes s’approche de nous et klaxonne Denis. Un libanais en
descend et s’approche de nous.
— Elle vous plait Monsieur Denis
?
— C’est à elle qu’il faut le
demander.
Mais
pourquoi il me pointe du doigt ?
Le
libanais sourit et s’approche de moi. Il me donne la clef de la voiture. Elle
me regarde interloquée ! Je ne sais même pas ce qui se passe.
— Tu as dit que tu voulais une
nouvelle voiture pour ton statut d’associée junior.
— Non mais n’importe quoi, j’ai
dit que je remplacerai moi-même ma Toyota quand je serai associée junior.
— On ne va pas chipoter pour les
détails ! T’es associée ou pas ?
— Si mais …
— Cadeau de mariage alors. Bon
faut que je me sauve. Il y a une petite punu qui m’attend.
Il
fait la bise à Elle et s’en va avec le libanais. Je crois les entendre discuter
du prix.
— Mais il est dingue ce mec ! Je
ne lui ai jamais demandé de voiture moi.
— Cadeau de mariage il a dit.
— Il n’y aura plus de mariage.
J’ai dit à Xander de tout annuler.
— Quoi ?!!!!
— Faut que j’y aille.
Si
je raconte à Elle ce que je m’apprête à faire, elle tentera par tous les moyens
de me dissuader. Et il me reste tellement peu de volonté pour agir ! Je file
vers la nouvelle voiture et la démarre sans difficulté. Hum. Pas mal du tout,
ça change vraiment de ma vieille Toyota. Je vais à l’appartement.
Quand
j’ouvre la porte, Xander m’attend assis au salon. Devant lui une bouteille de
whisky à moitié vide et un verre plein.
Même
à cette distance, je peux voir qu’il est saoul.
Je
pose les clefs de la Mercedes sur la table. Il les regarde longuement avant
d’ouvrir la bouche. Une nouvelle clef de voiture, il sait ce que ça signifie.
— Que voulait dire exactement ton
message ?
— Je ne veux plus me marier… avec
toi.
— Pourquoi ? demande-t-il en vidant
d’un trait le verre qu’il repose sur la table basse
— J’ai eu la place d’associée
junior, hier.
— Où est le rapport avec notre
putain de mariage ?!
Tiens le coup Leila, tiens le coup. Tu ne peux pas
flancher maintenant.
— C’est plus de boulot … moins de temps pour toi.
— Tu vas être bien obligée de
mettre un frein à tout ca de toute manière. Le bébé arrive et …
— Il n’y a plus de bébé. J’ai
fait une IVG.
Je
ne veux pas entendre une nouvelle fois le mot bébé sortir de sa bouche. A peine
les mots sont sortis de ma bouche qu’il a sauté sur moi, la bouteille à la
main. Comment a t-il fait, je n’en sais strictement rien. Je suis tombée à la
renverse, lui sur moi. La chute m’a coupé le souffle.
— Mais ce n’est pas possible
Leila dit-il d’une voix tremblante de rage. Comment as-tu pu faire ça ? Me
faire ça. Tu es tellement égoïste…
Il
casse la bouteille et l’approche de mon visage. Ses mains tremblent. Son regard
est devenu vitreux. Je crois qu’il est plein de haine à mon égard. Qui ne le
serait pas à sa place ? Quel homme ne le serait pas ?
En
fin de compte il lâche la bouteille cassée qui se fracasse sur le carreau à
côté de mon épaule. Sa poitrine se soulève et retombe comme s’il avait du mal à
respirer. Puis il lève la main très haut. Il me regarde. Lève la main encore
plus haut.
HAIS-MOI.
JE PREFERE CA A TA PITIE.
Finalement.
Il la baisse sans m’avoir touchée. J’essuie les larmes sur ma joue et reste
déterminée. Je le pousse et me relève. Il recule comme un pantin désarticulé.
Je crois qu’il est resté sans force. Il ne comprend pas ce qui se passe.
J’arrache
de mon cou, la chainette et le médaillon en forme de cadenas. Je ne les avais
encore jamais quittés. Je prends la main avec laquelle il a voulu me frapper à
l’instant et j’en ouvre la paume. J’y mets le médaillon et referme sa main.
— Je n’en ai plus besoin.
Mon
regard est ferme et déterminé et ma voix n’a pas tremblé quand je le lui ai
dit. Mais d’où est-ce que je tire cette force ?
Il
regarde la chainette dans sa main.
JE
SUIS DESESPEREE.
MAIS
CE QUE JE LIS DANS SES YEUX EST PIRE.
Il
tourne les talons et quitte l’appartement en claquant violemment la porte.
JE
PEUX ENFIN M’EFFONDRER. LE MAL EST FAIT.
«
VIVRE C’EST SENTIR SON AME, TOUTE SON AME. C’EST AIMER, AIMER DE TOUTES SES
FORCES, TOUJOURS, JUSQU'A LA FIN ET JUSQU’AU SACRIFICE ».
Pardonne-moi
mon amour.
A suivre.