La Fille de l'Hiver Acte V

Write by Fortunia

Un coup d’oeil circulaire me rassure sur l’état de mon appartement. Malgré mon corps grelottant, je remarque qu’Angelica parcourt elle aussi les lieux d’un regard curieux.

- Tu es seul...

Je me demande un moment s’il s’agit d’une question ou d’une affirmation, si elle fait référence à l’instant présent ou à quelque chose de plus personnel.

- Installe-toi, je ne mettrai pas long.

Et je l’abandonne, comme un lâche, alors qu’elle est dans mon univers. Je file dans la salle de bain et avec empressement retire mes vêtements pour me plonger sous la douche italienne. Mon corps se réchauffe et mon esprit vagabonde.

Que fait-elle ? S’est-elle contentée de s’assoir gentiment en attendant mon retour ? J’en doute fort. Je l’imagine plutôt rôder dans les lieux, toucher à tout, tentant de découvrir les cadavres que je cache dans mon placard. Y arrivera-t-elle ? Je me surprends à désirer que oui. Alors je prends mon temps, je laisse l’eau chaude glisser sur moi en espérant qu’elle trouve l’objet de ses recherches.

Peu après, je suis devant mon miroir. Habillé d’un simple pantalon et d’un T-shirt, je m’observe. Je me dis que je ne suis pas un vilain garçon. Après tout, je suis grand, ma peau est lisse, mon corps solide et mon visage loin d’être repoussant. Je ris devant cette attitude. Elle me donne envie de plaire, de lui plaire. Elle me rend superficiel. Et délaissant l’image de cet homme aux yeux d’amandes, je sors de la salle de bain.

Je ne la cherche pas encore, non. Je me dirige dans la cuisine et m’active à faire du thé. Ma tâche terminée, j’emporte les tasses et me décide à la retrouver. Je passe par le salon, parcourant des yeux les meubles impersonnels. Son écharpe grise est posée sur le canapé, mais aucune trace d’elle. Je me dirige vers le dernier endroit qu’il reste. Elle ne peut qu’y être. Je le sais, je le vois. La porte est entrebaillée et je la pousse doucement pour découvrir ce que moi je cherchais. Elle est là, debout devant la fenêtre, son attention retenue par l’appât qu’inconsciemment, j’ai placé là pour elle. Elle le feuillette, le parcourt, ce carnet que je garde en temps normal dans un tiroir mais que je ne prends plus soin de ranger depuis une semaine.

Elle ne me voit pas tandis que je franchis la porte de ma chambre, mon espace personnel. Une mèche de cheveux lui barre la vue alors elle la replace d’un mouvement lent. Elle est ailleurs, dans mon monde, et se tourne légèrement lorsque je me racle la gorge pour signaler ma présence. Nous nous regardons en silence pendant un temps qui me semble interminable. Ses pensées sont indéchiffrables.

- On dirait moi...

Je m’approche d’elle et lui tends la tasse de thé qu’elle accepte. Je reprends le carnet et fait mine de le relire.

- C’est vrai.

- Pourquoi ne l’as-tu pas terminée ?

- Le manque d’inspiration, peut-être. Parfois, elle est là, et l’instant suivant, elle me fuit. Elle est comme le vent, une chose que l’on sent malgré nous et qui disparait lorsqu’on la recherche. Il faut être patient, alors j’attends.

Son regard se voile, son visage change, elle est différente. Sa tasse atterrit brusquement sur mon bureau. Angelica m’agrippe le bras, le serre fort.

- Qu’est-ce que tu attends en réalité ? N’est-ce pas que l’on te prenne par la main, que l’on te guide, que l’on te montre la voie ? Si tu continues d’attendre, tu n’auras plus l’occasion de rien. La vie n’attend pas. Regarde ce paysage que tu aimes tant. Attend-t-il une quelconque permission pour changer de couleur ? La nature elle-même est capricieuse et il en va de même pour tout ce qui nous entoure. Alors, dis-moi, qu’est-ce que tu attends en réalité ?

Je ne réponds rien, plus captivé par ses yeux à la fois furibonds et tristes que par ses mots.

- Dis-le moi !

Elle me pousse, je recule, le thé me brûle et ma tasse tombe, se fracasse sur le sol. Elle me pousse encore, me frappe faiblement de ses petits poings. Nous reculons jusqu’à ce que je tombe sur le lit. Mais elle ne s’arrête pas. Elle continue de crier :

- Dis-le moi !

Jusqu’à ce que je vois briller des perles au bord de ses paupières. Elle pleure. Ses larmes ruissellent sur son visage rond, caressant ses tâches de rousseur et tombant sur mon haut. Et moi, je la trouve magnifique.

- Angelica...

Je l’ai trouvé, le moment idéal pour prononcer son nom. Et plus qu’une impulsion, un désir, un besoin viscéral, je la prends dans mes bras. Son corps chaud se love contre le mien et je la serre contre moi, étouffe ses sanglots. Je ne sais pas pourquoi elle pleure, et peut-être que je ne le saurais jamais, mais ces instants volés sont plus importants que des réponses à ces larmes versées.

Ce que je fais est mal. J’éprouve du plaisir à prendre une femme en peine dans mes bras, à savourer son contact à travers les fins tissus de nos vêtements. Je n’en éprouve aucune culpabilité. Je sais que si je la lâche ne serait-ce qu’un seul instant, elle disparaitra, comme si elle n’avait jamais existé.

Je veux m’assurer de sa présence, la garder avec moi. Et sans une pointe d’hésitation, je l’embrasse, premier acte audacieux que je commets en sa présence. Ses lèvres ont un goût salé et je deviens fou lorsqu’elle me répond. Fou de désir, fou d’amour pour cette femme que je viens à peine de rencontrer. Et je me promets en silence de lui dire ce que mon corps a compris plus tôt que mon coeur.

***


Je les ressens plus que je ne les vois, les premières lueurs du jour, ce nuage un peu coloré qui envahit l’arrière de nos paupières closes. Avant même de les ouvrir, je souris, mais je déchante très vite. Elle n’est plus là. Je quitte mon lit et vérifie toutes les pièces une à une. Mon coeur tambourine dans ma poitrine alors que mes craintes se confirment : elle s’est évanouie sans laisser de trace. Je suis partagé entre la tristesse et l’incrédulité. Je me demande si je n’ai fait que l’imaginer.

Je rejoins mon lit pour en toucher les draps froissés. Ils sont encore imprégnés de sa douce odeur de femme. Je ne l’ai pas rêvé, sa peau contre la mienne, le goût salé de ses lèvres baignés de larmes, la chaleur de nos deux corps. Tout ça était bien réel. Et je ne laisserai pas cette réalité m’échapper.

J’enfile rapidement quelque chose de chaud et sors de chez moi. Je ne prends pas la peine de stopper un taxi. Je cours, je souffle, je transpire alors que je me dirige vers Hyde Park qui est à plusieurs kilomètres de là. Je me sens pousser des ailes. Lorsque j’y arrive, le même paysage me saute aux yeux alors je ne le regarde même pas. Je me rapproche du banc de notre première rencontre, celle qui a scellé mon coeur sans que je ne m’y attende.

- Angelica !

Ma voix résonne comme pour mieux me signifier à quel point je suis seul. Je l’appelle, je crie ce nom que j’ai eu tant de mal à prononcer. Au final, je ne sais même pas si elle m’a entendu le dire. Peut-être est-ce déjà trop tard...

***


Je passe par Hyde Park tous les matins avant de gagner mon bureau et tous les soirs en rentrant. Je m’assois sur ce banc qui m’a fait rencontrer la fée de mon livre et j’attends. J’attends cette fille dont je ne connais que le nom, en vain.

Plus d’un mois passe ainsi. Mes visites au parc se sont espacées, je n’y vais plus qu’une fois par semaine, les mercredis. Mon quotidien a repris ses couleurs normales et bientôt, le paysage le suivra. Ce matin, j’y suis encore. Il s’agit d’un de ces jours entre l’hiver et le printemps, où le froid devient supportable et où le soleil perce parfois les nuages. Assis sur « mon » banc, je regarde autour de moi. Je sais que ça ne servira à rien, mais je la cherche. Je cherche cette fille qui m’a pourtant dit que je ne la reverrai plus. Je garde espoir.

Le temps file et je n’ai pas envie d’aller au boulot. Je déprime à nouveau. Je me demande quelle excuse je pourrais leur sortir pour expliquer mon absence, lorsqu’il se tient devant moi. Mes yeux s’embrouillent et pendant une fraction de secondes, mon coeur reprend vie. Mais ce n’est pas Angelica. A la place, un vieil homme aux cheveux grisonnants, emmitouflés dans un large manteau marron me demande d’une voix tremblante :

- Bonjour, jeune homme. Seriez-vous Matthew, par hasard ?

- Oui, c’est moi.

Il tire quelque chose de l’intérieur de son par-dessus : une enveloppe. Il me la tend d’une main gantée de cuir fourré.

- Ceci est pour vous.

- Comment ça ?

- Elle a demandé à ce que je vous la remette personnellement et ici.

« Elle »

Je n’ai pas le temps d’en demander davantage. Le vieil homme a déjà rebroussé chemin, ne m’offrant plus que son dos voûté par l’âge. Dans mes mains, cette grande enveloppe claire me brûle, comme sa peau. J’ai peur de l’ouvrir, mais je n’ai pas le choix. Je cède et la décache. J’en tire des feuillets marqués d’une belle écriture ronde et féminine. Mon coeur ne fait qu’un bond.

"Cher Matthew,

Ceci est une lettre d’excuse. D’excuse pour tout ce que j’ai fait et omis de faire, pour ce que j’ai dit et omis de dire.

Je te connais depuis un moment en réalité. Je me promène dans ce parc dès que j’en ai l’occasion. Et à force de t’y voir, ton visage s’est ancré en moi. Chaque fois, tu étais seul. Tu restais simplement assis à regarder les autres, comme si tu attendais quelque chose, quelqu’un. Tu m’as intriguée. Plusieurs fois, j’ai voulu te poser la question. « Qu’est-ce que tu attends ? », sans succès.

Lorsque tu t’es endormi, j’ai vraiment cru que tu allais y passer. J’ai pris mon courage à deux mains et je t’ai approché. Après ce jour-là, j’étais persuadée que l’on ne se reverrait plus. Mais il en a été autrement et s’en est suivi ce que nous connaissons tous les deux et que je ne regrette pas.

Mais je n’aurais pas dû. Je n’aurais pas dû t’approcher, je n’aurais pas dû vivre ces moments avec toi, je n’aurais pas dû créer des souvenirs avec toi. Tout simplement parce que je suis vouée à disparaître. J’aurais dû te le dire, mais je savais que ça gâcherait tout. J’aurais dû te dire que j’allais mourir.

Pardonne mon égoïsme, pardonne-moi de n’avoir pas su te dire adieu convenablement. Je me suis battue. Jusqu’à la fin, j’ai pensé à toi, Matthew O’Donnell et je suis partie en laissant derrière moi quelque chose que je n’aurais jamais cru trouver : le Bonheur.

Puisses-tu trouver maintenant le tien.

Pour toujours,

Angelica Winters"

Je fouille l’enveloppe à la recherche de quelque chose, d’une preuve que tout ceci n’est que mensonge. A l’intérieur, se trouvent deux clichés. Le premier montre l’Angelica que j’ai connue : belle, souriante, pleine d’une vie que je croyais lui appartenir. Sur le second, elle est sur un lit d’hôpital, pâle, mince et chauve. Malgré tout, ce grand sourire ne la quitte pas. Peut-être s’est-elle endormie avec lui. Je ne le saurais jamais.

Elle est partie, et une partie de moi avec elle.

J’ai rencontré cette fille aux cheveux sombres un beau matin d’hiver et ce jour où j’apprends que je l’ai perdue pour toujours, la neige tombe. Elle est douce et légère, marquant la fin de quelque chose qui venait à peine de commencer. Et en même temps, je sais comment l’histoire qui me hante depuis six ans va se terminer, avec un ange au sourire éclatant dont le seul bonheur est d’en procurer.

FIN


Voili voilou, "La Fille de l'hiver" est terminée. Peut-être manque-t-elle encore de beaucoup de choses, mais je l'apprécie énormément malgré tout. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé. Likez, commentez, partagez, il n'y a pas de limite à l'amour de la lecture. ????????

A bientôt pour une nouvelle histoire.

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