Le choix de renaître

Write by belleetrebelle

Le soleil de Douala cognait fort sur le toit de tôle ondulée de leur petite maison de Bonapriso. À l’intérieur, un silence lourd et inhabituel avait remplacé les rires qui, jusque-là, résonnaient entre les murs. Ça sentait encore le ndolé et le plantain du repas de la veille, un parfum familier qui contrastait violemment avec l’étrangeté du moment. Armand, assis dans le canapé du salon, fixait un point invisible sur le mur, les épaules voûtées par un poids invisible. En face de lui, Chloé, le regard rougi, les mains tremblantes, venait d’avouer l’impensable. Elle avait été infidèle.


Leur histoire avait pourtant commencé comme un conte de fées doualaise. Ils s’étaient rencontrés au marché de Ndokoti, dans un chassé-croisé de porteurs et de mamans braillant les prix. Lui, ingénieur rigoureux et un peu timide ; elle, graphiste pleine de vie et de feu. Leurs différences s’étaient attirées, créant un équilibre parfait. Ils rêvaient ensemble : acheter un terrain à Logbaba, avoir deux enfants, construire une vie ancrée dans le terreau fertile de leur ville. Douala était leur témoin, avec ses embouteillages cacophoniques, ses soirs humides au bord du Wouri, et l’énergie irrépressible qui la caractérisait.


La trahison n’était pas un accident, mais une lente dérive. Chloé, sentant peut-être l’habitude s’installer, avait commencé à chercher une validation extérieure. Un ancien flirt de l’université, rencontré par hasard à un vernissage à Bonanjo, était devenu le réceptacle de ses doutes et de ses frustrations. C’était d’abord des messages anodins, puis des conversations de plus en plus longues, chargées de sous-entendus. L’adultère physique n’était que la concrétisation d’une infidélité émotionnelle qui avait commencé des semaines plus tôt.


Pour Armand, la découverte fut un séisme. C’était un homme construit sur la loyauté, pour qui la parole donnée était sacrée. La nouvelle lui fut assénée par un SMS ambigu intercepté par hasard. Le sol se déroba sous ses pieds. La douleur fut immédiate, un mélange nauséeux de colère, d’incompréhension et d’un chagrin si profond qu’il lui coupait le souffle. La image de Chloé, sa Chloé, dans les bras d’un autre, hantait ses nuits. Il ne mangea plus, ne dormit plus. Son bureau, au centre-ville, devint un refuge où il s’engloutissait dans le travail pour ne pas penser.


La première séparation fut brutale, dictée par l’instinct de survie. « Pars, » lui avait-il dit, la voix blanche, en évitant son regard. « Je ne peux pas te voir, va t'en ! » Chloé avait emménagé chez une cousine à Akwa. Les premiers jours furent un mélange de honte et de soulagement malsain. Puis la solitude lui pesa. Elle réalisait la valeur de ce qu’elle avait brisé. Elle appelait, laissait des messages pleurnichards, suppliait. Armand, lui, errait dans la maison vide, chaque objet lui rappelant leur vie passée. Le coussin qu’elle aimait, la tasse à café fêlée, le tableau qu’elle avait peint. C’était une torture.


Puis vint la première tentative de réconciliation. Épuisés par la douleur et la solitude, ils se sont revus. Les larmes ont coulé, les « je suis désolée » ont fusé. La passion, mêlée à un désespoir viscéral, les a rapprochés. Ils ont cru, un moment, que l’amour suffirait à tout effacer. Ils ont emménagé dans un nouvel appartement à Deïdo, tournant la page trop vite, comme on applique un pansement sur une plaie infectée.


Mais la blessure n’était pas soignée. Armand était devenu un geôlier. Il vérifiait son téléphone, ses réseaux sociaux, ses heures de retour. Chaque fois qu’elle sortait seule, une anxiété froide l’étreignait. Il lui lançait des piques, des remarques sarcastiques qui empoisonnaient leurs conversations. Chloé, de son côté, marchait sur des œufs. Elle étouffait, se sentant coupable mais aussi prisonnière d’une peine perpétuelle. L’amour était devenu une prison où le gardien et le prisonnier souffraient autant l’un que l’autre.

Malgré ce climat, elle s'est rendue compte qu'elle avait un retard et avait peur de l'annoncer à Armand.



La deuxième séparation fut plus mature, plus tragique. Un soir, après une dispute particulièrement violente sur un retard de cinq minutes, Armand avait regardé Chloé, et il avait vu non plus la femme qu’il aimait, mais l’incarnation de sa propre souffrance. Et Chloé, en le regardant, avait vu l’ombre méfiante de l’homme confiant qu’elle avait aimé.

«Ça ne marche pas, » avait-il murmuré, épuisé. « On se détruit, je ne peux plus te faire confiance. »

Cette fois,il n’y eut pas de cris, seulement un silence de mort. Ils se séparèrent, convaincus que c’était pour de bon.


Les mois passèrent. Armand plongea dans le sport, courrant le long du boulevard de la Liberté jusqu’à l’épuisement. Chloé voyagea, acceptant un projet de travail à Yaoundé. La distance physique leur offrit une distance mentale salutaire. Loin l’un de l’autre, ils commencèrent un travail douloureux mais nécessaire sur eux-mêmes.




Armand, avec l’aide d’un vieux sage, un oncle à lui, apprit à distinguer la douleur de l’orgueil blessé. Il comprit que pour guérir, il devait affronter sa vulnérabilité et apprendre à pardonner, non pas pour elle, mais pour lui-même. Il réalisa que son besoin de contrôle était une prison dont il devait aussi s’échapper.



Chloé, dans le calme de Yaoundé, fit face au vide laissé par son mensonge. Elle comprit que son infidélité n’était pas une erreur, mais le symptôme d’un manque en elle-même, d’une incapacité à communiquer ses besoins et ses peurs. Elle apprit à se regarder en face, avec ses défauts et ses faiblesses, et à assumer la pleine responsabilité de ses actes.

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