Le pacte

Write by lpbk

Un dernier regard à mon smartphone. Les filles ne devraient plus tarder à arriver.

Lorsqu’elles seront là, les hostilités commenceront directement. Pas la peine de tourner autour du pot ! Il faut savoir prendre le taureau par les cornes le moment venu !

Ma sonnette de mon appartement retentit. Une fois. Deux fois. Trois fois. Ce sont elles !

Je sais que cette tradition est bizarre, mais nous l’avons instaurée il y a un paquet d’années, à la suite d’un malentendu avec Coralie. Je vous raconte.

Nous devions nous préparer pour aller à l’une de ses innombrables soirées et, évidemment nous étions en petites culottes. J’étais en train de me maquiller quand Coralie m’a bousculée et je me suis mise du rouge à lèvres partout sur la joue. Bref, une véritable catastrophe. Coralie s’était mise à pouffer et je m’étais vengé à grands renforts de rouge à lèvres, fards à paupières et autres poudres ! Nous étions dans un sacré état. C’était à ce moment-là que la sonnette avait retenti. Comme nous attendions Astride, nous étions allées lui ouvrir en culottes et maquillées comme de véritables sorcières.

     Surprise ! avions-nous crié en riant.

     Bonsoir… nous répondit un illustre inconnu, qui visiblement se retenait de rire mais n’hésitait pas à se rincer l’œil.

Ce n’était pas Astride, mais un simple démarcheur pour le câble. Bref, la plus grosse honte de nos vies. Nous lui avions claqué la porte au nez. Et donc, depuis ce jour, la tradition des trois coups de sonnette est née.

Bref, j’ouvre donc à mes deux meilleures amies. Ce sont là mes plus fidèles conseillères et confidentes. Les seules m’ayant toujours acceptée et me connaissant réellement. Après le fiasco du restaurant la semaine dernière, je me devais d’organiser cette réunion de crise pour tout leur raconter même si certains détails passeront peut-être sous silence.

Coralie me serre dans ses bras et ses longues mèches blondes et bouclées viennent me chatouiller le visage. Astride m’embrasse rapidement sur la joue et court dans la cuisine mettre la pâtisserie qu’elle a ramenée dans le réfrigérateur.

Nous nous installons dans le séjour. Coralie sur le canapé avec les jambes croisées sur l’accoudoir et la tête posée sur les jambes d’Astride. Je prends place dans l’un des fauteuils situés juste en face d’elles.

     Avant toute chose, nous allons nous mettre bien ! decrétai-je en nous servant un verre.

     A quoi trinquons-nous ? demanda Coralie.

     A nous trois ! Bientôt trentenaire et célibataire ! dis-je en levant mon verre.

Sans répondre, nous faisons tinter nos verres et buvons en silence le liquide ambré et chaude. Malheureusement ce silence n’est que de courte durée.

     Trentenaire et célibataire… lance Astride d’un air interrogateur.

     Tout à fait ! Henry a rompu avec moi la semaine dernière, répliquai-je faussement détachée.

     Quoi ? crie Coralie, nous faisant sursauter au passage.

Ses jambes quittent l’accoudoir pour venir s’ancrer fermement au sol. Je sens que je vais avoir droit à un interrogatoire digne d’un épisode des Experts.

     Depuis la semaine dernière ! dit-elle, outrée. Et ce n’est qu’aujourd’hui que tu nous informes !

     Euh… Je… J’ai été très occupée avec… tentai-je de me justifier.

     Mais bien sûr, m’interrompt-elle, sarcastique. Tu voulais surtout inventer quelque chose pour ne pas perdre la face, rit-elle à mes dépends.

     Mais non ! Pourquoi…

     Parce que tu déteste perdre la face, quelle que soit la personne en face de toi, s’exprime calmement Astride.

Je me retranche derrière un mur de silence tout en sirotant mon verre, qui par je ne sais quel miracle de trouve être déjà vide. Je constate que ceux de mes traitresses d’amies le sont également.

     Tu nous racontes ou tu attends que nous soyons devenues des vieilles filles aux vagins flétris ?

Comparaison très classe, venant de Coralie.

Je prends tout de même le temps de nous resservir avant de faire le récit de ma mésaventure au restaurant.

 

Henry et moi nous connaissions depuis pratiquement un an. Nous nous étions rencontrés à la galerie d’art où travaille ma mère. Il pensait que j’étais une critique, venue écrire un papier sur l’artiste exposant. Il m’avait fait rire en me donnant son point de vue sur les « croûtes » qui se vendent des millions. Nous avions sympathisé autour de plusieurs verres de vin et avions décidé de nous revoir. De fil en aiguille, évidemment, nous en étions arrivés à sortir ensemble, à nous présenter mutuellement à nos familles. Bref, à officialiser une relation qui était à la base amicale. J’aimais être en sa compagnie car il me faisait rire, il était tendre et prévenant. Ce n’était pas l’amour fou, celui qui vous transcende et vous laisse pantois, mais un amour simple, routinier qui nous convenait très bien, à l’un comme à l’autre. Enfin, c’est ce que je croyais.

Ce soir-là, mon petit-ami m’avait donné rendez-vous dans un restaurant sans prétention. Lorsque je suis arrivée, j’ai été surprise qu’il soit déjà là, lui qui a la fâcheuse habitude d’être en retard. Il triturait son téléphone, le faisant tourner dans sa main, et lorsqu’il m’a vue, il m’a paru encore plus nerveux. Je me suis installée, non sans lui avoir effleuré les lèvres d’un baiser léger, n’étant pas très démonstrative en public.

Après que la serveuse soit venue prendre nos commandes, je suis entrée dans le vif du sujet :

     Quelque chose ne va pas ? lui ai-je demandé.

     Oui… enfin, non… Tout va bien ! a balbutié mon amant, sa voix partant dans les aigues.

Henry ne balbutiait jamais. Il était toujours très sûr de lui et de petit moment de faiblesse aurait dû me mettre la puce à l’oreille, mais je venais d’être contactée par les Hamilton, les premiers clients de mon agence alors j’étais sur un petit nuage et je n’ai rien vu venir.

Le repas s’est déroulé sans encombre évidemment, enfin jusqu’au dessert.

J’entamais un magnifique, succulent, divin cookie aux pépites de chocolat accompagné de sa boule de glace à la vanille lorsqu’Henry a lancé :

     Mélanie, c’est fini !

     Euh… non, je viens à peine de commencer mon cookie, ai-je répliqué bêtement.

     Je veux dire « nous »

Voyant que je ne répondais rien et le regardais probablement avec des yeux de merlan frit, il a cru bon d’ajouter :

     C’est fini entre nous, Mélanie. Je… Je ne peux plus.

     Tu ne peux plus quoi ?

     Je n’en peux plus de tout. De toi. De ta manie de vouloir tout contrôler. D’être parfaite à chaque instant.

J’avoue que je ne sais absolument pas où il a été cherché cette idée.

     D’ailleurs, j’ai rencontré quelqu’un.

     Tu as rencontré quelqu’un… ai-je répété tel un perroquet ou mieux, telle une idiote.

     Oui, elle s’appelle Hermione. Elle est naturelle, elle ne me fait jamais de remarques. Elle m’aime comme je suis. Elle me trouve parfait et elle est parfaite, enfin pour moi, m’a-t-il lancé à la figure, tel un tragédien grec. Je… Je suis désolé, Mélanie…

Vous la voyez la claque géante qui vient de s’abattre sur moi ? Non, c’est normal, elle n’est pas encore arrivée, mais elle n’est pas loin…

Sur cette dernière tirade larmoyante, il s’est levé, m’a jeté un regard empli de tristesse et a osé quitté le restaurant après ce petit esclandre sans même payer ! Et bim, la claque vient de s’abattre !

Je n’ai même pas réagi. Je devais être rouge de honte car la plupart des clients m’ont jeté un regard apitoyé avant de se retourner, l’air de rien.

J’ai terminé mon cookie de la manière la plus noble qui soit avant d’aller payer. J’ai bien vu que la serveuse voulait me faire une ristourne sur le dessert, mais mon regard glacial l’a dissuadée. Je suis alors sortie telle la reine Cléopâtre, drapée dans le peu de dignité qui me restait.

 

     Comment ? s’indigne Astride, ce qui m’étonne, mais bon après quelques verres, elle est toujours moins renfermée.

     Et tu n’as rien fait ?

     Non, je n’ai pas su quoi répondre. J’avoue qu’après, une foule de réparties me sont venues à l’esprit, mais sur le coup, j’étais… Je n’en revenais pas ! Qu’il me fasse ce coup-là ! Devant tout le monde… Je ne savais plus où me mettre.

     A ta place, je lui aurai envoyé mon verre en pleine figure et je lui aurais sorti des insultes bien senties ! Genre c’est le roi des abrutis…

     Non ! s’écrie Astride. Plutôt le roi des enfoirés ! Et puis, je lui aurais balancé mon verre et ma main aussi pour faire bonne mesure. Il s’est pris pour qui ce type ?

Je ne réponds pas à cette question purement rhétorique. Elles ont toutes les deux raison, j’aurais dû me lever et lui expliquer ma façon de penser devant tout le monde.

Lui dire qu’à mon humble avis pas si humble que ça que je ne sais pas… qu’il a raison ? Que je suis totalement désespérée? Que j’ai peur de finir vieille fille ?

Je reprends mes esprits et m’aperçois que Coralie attend une réponse de ma part.

     Pardon, je ne t’écoutais plus… Désolée…

     J’avais remarqué… Ça va, tu le prends bien ? Enfin, je veux dire… continue-t-elle hésitante.

     Eh bien, tu sais que ce n’était pas le grand amour avec Henry. Nous étions bien ensemble.

     Arrête de tout dédramatiser, me rabroue Astride. Tua s le droit d’avoir des sentiments, comme tout le monde !

     Mais je ne dédramatise rien.

     Donc il te quitte après presque un an de relation et pour toi, tout va bien ? s’étonne Coralie.

     Je ne vais pas pleurer ! Il a rencontré quelqu’un d’autre, je ne lui corresponds plus. Fin de l’histoire. C’est la vie, ça arrive tous les jours.

Je ne l’avouerais sans doute jamais, pourtant j’ai ressenti un pincement au cœur lorsqu’il m’a annoncé que tout était fini. Certes, comme je l’ai dit, notre relation n’était pas passionnelle, néanmoins pendant un an, il a partagé ma vie et nous avions créé des liens. Que tout cela prenne fin aussi brutalement, alors que je ne m’y attendais pas… C’est assez violent. Seulement, je m’aperçois que je ne suis pas triste de notre relation et que je n’en veux même pas à Henry. Je suis juste déçue ! Ou plutôt non, contrariée ! Voilà le mot qui convient ! Je suis contrariée car notre routine, toutes nos petites habitudes et les miennes seront impactées par ce changement de situation. Toutefois, je lui souhaite d’être heureux avec Hermione et je ne suis pas amère quant à notre séparation. Je sais que je suis loin d’être parfaite mais c’est ainsi et je pense que je ne changerai pas de si tôt.

     Tu m’étonneras toujours autant, Mélanie, soupire Coralie.

     Tu es irrécupérable, compatit Astride en secouant la tête.

     Bref… dis-je. Et vous ? Quoi de neuf ? Continuai-je pour changer de sujet.

Si elles comprennent ma tactique, les filles ne disent rien, pour une fois. Coralie nous raconte comment l’un de ses collègues a essayé de la draguer lourdement devant la photocopieuse.

Coralie Travaille dans un magazine de mode. Ce n’est pas Vogue, toutefois, il commence à se faire connaitre. Elle gère toute la partie publicité et passe son temps pendues au téléphone à décrocher tel ou tel contrat. Elle gagne bien sa vie.

Elle se fait constamment draguer par ses collègues masculins, mais elle n’est jamais sortie avec l’un d’eux. Depuis sa rupture avec Joshua pour qui elle n’était qu’une distraction pendant que sa femme faisait la popote à la maison, elle se retranche derrière son originalité et repousse toutes les tentatives d’approche de ces messieurs. Aucun n’a réussi à briser le mur qu’elle a bâti, brique après brique, pour éviter de souffrir à nouveau.

Astride, elle, assure que son chef ba finir par devenir fou ; son commis n’en faisant qu’à sa tête, arrivant en retard et repartant sans le signaler à personne. Il risque le renvoi à chaque instant, mais visiblement, il s’en fiche royalement car il a des relations.

Astride est pâtissière à l'hôtel La Falaise. Un hôtel très chic de Douala. C’est une sacrée pâtissière d’ailleurs et je ne le dis pas parce que c’est ma meilleure amie. Depuis toujours, je craque devant ses fondants au chocolat ou ses babas au rhum. J’en salive à chaque fois que j’y pense. Elle se donne à fond dans ce métier qu’elle adore. Je ne me rappelle pas Astride sans tablier chez ses parents ; elle était toujours fourrées dans la cuisine avec sa mère en train de préparer des crêpes, des gaufres, des cupcakes ou toutes autres sortes de pâtisseries que Coralie et moi nous faisions un plaisir de dévorer jusqu’à en avoir mal au ventre.

Je contemple mes amies, heureuse d’être en leur compagnie. Soulagée qu’elles ne me jugent pas ou peu. Apaisée à l’idée de les avoir à mes côtés à chaque coup dur.

     J’ai une idée ! s’exclame tout à coup Coralie en levant bien haut son verre, manquant d’en renverser la moitié sur le tapis.

     Qui est ? s’enquiert Astride, ten riant.

     Nous allons partir… Non ! Nous allons organiser une chasse à l’homme !

     Une chasse à l’homme ? répétai-je.

     Oui ! Je sais que tu veux être mariée avant tes trente ans. C’est-à-dire dans trois mois. Nous allons donc faire en sorte que tu rencontres l’homme parfait avant de temps et…

     Moi non plus je ne veux pas finir seule ! la coupe Astride, en faisant lamoue.

     Très bien ! Propose Coralie. Alors nous allons faire un serment…

     Un serment inviolable, l’interrompt Astride, un peu comme dans Harry Potter.

Je ne suis pas fan d’Harry Potter alors le serment inviolable dont elle parle m’est totalement inconnu.

     Nous devons nous prendre par la main toutes les trois et répéter les mêmes paroles pour que notre serment soit inviolable, explique Astride d’un ton docte face à nos têtes dubitatives.

     Excellent, s’enthousiasme Coralie. Sa voix augmente en octave à chaque gorgée qu’elle ingurgite. Faisons un serment inviolable !

Elle s’extirpe du canapé où elle s’est un peu enfoncée et y extrait Astride. Je me lève à mon tour pour les rejoindre, n’ayant pas très bien compris où elles veulent en venir.

Elles tendent leur bras droits devant elles et attendent que j’en fasse autant. Je m’exécute alors et nous nous prenons la main.

Astride qui s’y connaît mieux que nous prend les rênes de l’opération « serment inviolable »

     Moi, Nyeck Astride, je m’engage à aider mes amies Kamdem Mélanie et Abada Coralie ici présentes, dans leur quête d’un homme à marier et je ferais en sorte qu’elles l’épousent avant leur trentième anniversaire.

     Moi, Abada Coralie, répète mon amie après qu’Astride lui ai jeté un regard le lui ordonnant, je m’engage à aider mes amies, Kamdem Mélanie et Nyeck Astride dans leur quête d’un homme à marier et je ferais en sorte que le mariage soit célébré avant leur trentième anniversaire.

Désormais, toutes les deux me regardent, attendant que je repète ce serment ridicule. Je sens Astride presser mon bras fortement pour m’y contraindre, alors j’ânonne bêtement leur petit discours.

     Je m’engage également à ma marier avant mon trentième anniversaire, ce qui fait de moi la benjamine de mes amies, la dernière épouse, continue Astride.

     Je m’engage également à me marier avant mon trentième anniversaire, ce qui fait de moi la cadette de mes amies, la seconde épouse, répète Coralie.

Je serai donc la première à passer sur le bûcher ! Elles sont complètement malades ! Je ne veux pas rentrer dans leur petit manège ! Je veux peut-être un mari, néanmoins je ne veux pas épouser le premier type venu, ce serait le divorce assuré !

     Tu ne veux pas t’engager ? s’impatiente Astride.

Apparemment elle tient à ce serment.

Levant les yeux au ciel, excédée par leur bêtise, je m’exécute et énonce laborieusement la dernière phrase qui cèlera ce pacte et notre avenir à toutes les trois.

     Je m’engage aussi à me marier avant mon trentième anniversaire, ce qui fait de moi l’ainée de mes amies, donc la première épouse…

Voilà, les dés sont jetés. Il ne me reste que trois petits mois pour trouver un homme qui accepte de m’épouser.

30 ans... et célibat...