Le retour à Yaoundé

Write by belleetrebelle

Le dimanche s’éveilla dans une quiétude nouvelle. Ce ne fut pas le réveil brutal d’un baby-phone, mais les petits pieds nus de Mireille qui trottinèrent jusqu’à leur chambre et les doigts potelés qui tirèrent sur la couverture. « Papa ? » appela sa petite voix, encore ensommeillée.


Armand, déjà réveillé et contemplant depuis un moment Chloé qui dormait paisiblement contre son épaule, se pencha et souleva sa fille dans le lit. Chloé ouvrit les yeux, et un sourire instinctif, sans ombre de tristesse, illumina son visage en voyant son mari et leur enfant blottis contre elle. La simple normalité de cette scène était un miracle.


Après un bain rapide et joyeux où Léna éclaboussa allègrement ses deux parents, Chloé s’occupa d’habiller leur fille, lui choisissant une petite robe rouge, tandis qu’Armand, dans la cuisine, se mit à l’œuvre. Les bruits familiers des casseroles, l’odeur du café qui filtrait et du pain qui grillait emplirent la maison d’une vie qu’elle n’avait plus connue depuis une éternité.


Ils prirent leur petit-déjeuner ensemble dans la salle à manger, inondée de soleil. La table était simple, mais le moment était précieux. Aucun n’avait besoin de parler. Leurs yeux se parlaient pour eux. Un coup d’œil d’Armand vers Chloé, chargé de tendresse et de fierté, lui disait « Tu vois ? On y est arrivés. » Un sourire timide en retour, un rougissement à peine perceptible de Chloé, répondait « Oui, je vois. » Même Léna, installée sur sa chaise haute, semblait sentir le changement d’atmosphère. Elle gazouillait plus gaiement, partageant ses bouts de banane en lançant des regards malicieux à ses parents, comme si elle comprenait qu’un équilibre précieux venait d’être restauré.


Ils n’avaient prévu aucune course, aucune visite. Leur seul projet était d’être ensemble. Ils n’avaient pas non plus l’énergie ni l’envie de cuisiner. Leur bonheur était trop neuf, trop fragile pour être gâché par les tracas du quotidien. Armand proposa d’appeler ce restaurant près de leur quartier qu’elle aimait tant, celui qui faisait ce poulet braisé à la sauce arachide si particulière.


Le repas de midi fut un festin simple et joyeux, partagé dans le salon, assis par terre sur un plaid, comme un pique-nique en famille. L’après-midi se passa en douceur. Armand joua longuement par terre avec Léna, lui construisant des châteaux de cubes, tandis que Chloé, lovée dans le canapé, les regardait, le cœur gonflé d’une émotion si forte qu’elle en avait le souffle coupé. Parfois, leurs regards se croisaient, et un sourire complice, chargé du souvenir de la nuit passée, passait entre eux.


Le soir, un nouveau repas fut livré, plus léger celui-là. Ils mangèrent en silence, bercés par la fatigue heureuse de la journée et la paix qui régnait dans la maison. Quand vint l’heure de coucher Léna, ils le firent ensemble, unissant leurs voix pour une berceuse, leur fille s’endormant paisiblement, bercée par l’harmonie retrouvée de ses parents.


Cette journée de dimanche, sans histoire, sans événement marquant, fut peut-être la plus importante de leur longue reconstruction. Ce fut la journée où ils apprirent à être à nouveau une famille, non pas en effaçant le passé, mais en construisant, patiemment, un présent apaisé. C’était la simple, belle et précieuse normalité, après des années de tempête.



La nuit tomba sur Douala, enveloppant la maison de Bonapriso d’une chaleur moite et silencieuse. Mais à l’intérieur, une tout autre chaleur régnait. La pudeur et les hésitations de la veille avaient cédé la place à une urgence sauvage et douce. Les mots étaient devenus superflus, un luxe dont ils n’avaient pas besoin. Le langage de cette nuit était celui des corps, des souffles précipités, des mains qui s’accrochent et explorent avec une avidité retrouvée.


Dès que la porte de leur chambre se referma, Armand la prit dans ses bras, et leurs bouches se cherchèrent dans un baiser qui n’avait plus rien de timide. C’était un baiser de soif, de faim, de revendication. Il la porta sur le lit, et cette fois, il n’y eut pas de lenteur cérémoniale, mais une passion dévorante. Il fallait s’aimer, encore et encore, comme pour graver dans leur chair la mémoire de cette réconciliation, sceller par le plaisir le pacte de leur nouvelle aventure.


« Dis-moi, Chloé, murmura-t-il entre deux baisers brûlants sur son cou, sa voix rauque de désir. Dis-moi que tu aimes ça. »


Elle, perdue dans un tourbillon de sensations, ne pouvait que gémir en réponse, ses ongles s’enfonçant dans son dos.


« Réponds-moi, ma belle, insista-t-il, tout en lui donnant du plaisir avec une habileté qui la faisait trembler. Est-ce que tu es là ? Avec moi ? »


« Oui… bae, oui ! » cria-t-elle lorsque la vague la submergea une première fois, son corps arqué sous le sien.


Il ne se contenta pas de prendre son plaisir. Il fit de son corps un temple qu’il explorait avec dévotion. Sa bouche, ses mains, son sexe, tout en lui était dédié à sa jouissance. Il la fit culminer à plusieurs reprises, chaque fois plus intense, jusqu’à ce qu’elle soit à bout de forces, haletante, la peau moite et le regard vitreux de plaisir.


Plus tard, quand la frénésie fut retombée, il la prit par la main et la conduisit dans la salle de bain. Il fit couler un bain chaud, y versa des sels parfumés, et ils s’y glissèrent ensemble. L’eau enveloppa leurs corps fatigués et repus. Il l’installa entre ses jambes, son dos contre son torse, et la serra contre lui. Ils ne parlaient toujours pas, se contentant de ce contact peau contre peau dans l’eau chaude. Puis, ses mains recommencèrent à errer sur son ventre, ses seins, et le désir, loin d’être assouvi, se réveilla doucement.


Sous le jet de la douche, pour rincer le sel de leur peau, il la pressa contre le carrelage froid. La vapeur les enveloppait, créant un cocon d’intimité absolue. Cette fois, ce fut elle qui se retourna, l’embrassant avec une ardeur nouvelle, guidant son entrée. Leurs ébats sous la douche furent plus sauvages, plus primitifs, leurs gémissements se mêlant au bruit de l’eau qui ruisselait.


Une fois essuyés, ils regagnèrent le lit, le corps et l’esprit enfin apaisés. Ils se blottirent l’un contre l’autre, sans un millimètre d’espace entre eux, ses bras enserrant sa taille, son visage enfoui dans son cou. Le sommeil les gagna rapidement, un sommeil profond et réparateur, bercé par le rythme synchrone de leur respiration.


Mais au moment de sombrer complètement, une tristesse douce-amère étreignit le cœur d’Armand. Il savait que le lendemain matin, elle partirait. Cette bulle de bonheur allait éclater. Il brûlait d’envie de lui dire « Reste. Installe-toi ici, pour de bon. Ne repars plus. » Les mots lui brûlaient les lèvres.


Mais il se tut. Il savait que c’était risqué. La presser maintenant, c’était risquer de briser la confiance si fragile qu’ils venaient de reconstruire. Elle avait besoin de temps pour guérir complètement, pour venir à lui de son plein gré, sans pression, sans précipitation. Il devait la laisser partir, même si chaque fibre de son être hurlait à l’idée de les voir s’éloigner. Il s’endormit en la serrant un peu plus fort, comme pour graver dans ses muscles la sensation de son corps contre le sien, un trésor à chérir pendant les jours de solitude à venir.



Le réveil, ce lundi matin, fut empreint d'une douceur mélancolique. Ils se préparèrent dans un silence complice, chaque geste semblant ralenti par le poids de la séparation imminente. Léna, elle, était tout excitée à l'idée de prendre le bus, ignorant le pincement au cœur de ses parents.


Armand les accompagna à l'agence de voyage, la main de Chloé serrée dans la sienne comme un recours contre l'inévitable. Les bruits de la ville, les appels des rabatteurs, tout semblait assourdi. Quand le moment fut venu de les laisser monter dans le bus, il serra très fort Léna dans ses bras, respirant son parfum d'enfant. Puis il se tourna vers Chloé. Le baiser qu'ils échangèrent fut bref, mais intense, chargé de toute la passion des nuits passées et de la promesse d'un avenir encore flou.


« Prends soin de toi, » murmura-t-il, la voix un peu rauque.

«Toi aussi, » répondit-elle, les yeux brillants.


Et il les regarda partir, le cœur lourd, la sensation de son corps contre le sien encore vivace, comme un fantôme doux et douloureux.


Le retour de Chloé à Yaoundé fut calme, presque trop calme après l'intensité des jours passés à Douala. La routine reprit son cours : le travail, les courses, les promenades avec Léna. Mais quelque chose avait changé en elle. La maison de Yaoundé n'était plus tout à fait un refuge ; elle était devenue une antichambre, un lieu d'attente.


Leur relation entra alors dans une nouvelle phase, faite de connexion à distance. Les appels vidéo devinrent quotidiens, non plus seulement pour Léna, mais pour eux. Ils s'écrivaient des messages, parfois anodins – « Il pleut des cordes à Douala », « Léna a dit un nouveau mot » –, parfois plus profonds, des « Tu me manques » lancés dans le cyberespace comme des bouées de sauvetage. Ils parlaient de tout et de rien, reconstruisant une complicité quotidienne, une présence dans l'absence.


Et les voyages continuèrent. Tous les quinze jours, parfois toutes les trois semaines, Chloé et Léna prenaient le bus pour Douala, ou Armand faisait le chemin inverse. Chaque retrouvaille était une fête, chaque séparation un peu moins déchirante, mais toujours douloureuse.


Six mois s'écoulèrent ainsi. Six mois de valises, de billets de bus, de nuits passionnées à Douala et de retours solitaires à Yaoundé. La confiance se consolidait, les fantômes s'estompaient. Pourtant, une barrière persistait dans l'esprit de Chloé. La peur. Une peur viscérale, ancrée au plus profond d'elle, de prendre la décision finale : tout quitter à Yaoundé pour s'installer définitivement à Douala.


Elle avait retrouvé une forme d'équilibre à Yaoundé, une indépendance. Revenir à Douala, c'était se remettre entièrement entre les mains d'Armand, dans la maison de leurs plus grands échecs. C'était sauter dans le vide en espérant qu'il soit toujours là pour la rattraper. Et malgré tout l'amour qu'elle lui portait, malgré les preuves qu'il lui avait données, cette peur de tomber à nouveau, de tout perdre, la paralysait. Elle regardait les mois défiler, sentait l'impatience grandissante mais contenue d'Armand, et restait immobile, au bord du précipice, incapable de faire le dernier pas.

Le choix de renaitre