****Elle ****

Leila se marie dans deux semaines et franchement je ne savais pas que ce serait aussi galère de tout organiser ! Mais bon, je ne peux plus reculer maintenant. Par ailleurs, l’ambassadrice prend en charge les préparatifs de tout ce qui est indien alors, peut être qu’on pourra s’en sortir en bricolant un peu. 
Le vrai problème c’est plutôt Leila et ses multiples origines. Sa mère est peule mais pas entièrement, il faudra donc intégrer les coutumes du sud du Togo de son grand-père maternel et encore on en est pas sur. Quant à son père, vu qu’on ne sait pas qui il est, on patauge dans l’ignorance complète. Certaines de ses ex collègues de The Firm qui ont acceptées de participer à l’organisation ont avancé la théorie selon laquelle : avec tout l’orgueil qui la caractérise, son père doit être myènè ! Denis par contre estime qu’elle doit être de chez lui, donc du Haut-Ogooué. L’intéressée elle-même n’avance aucune théorie et passe son temps à s’occuper de son bébé ! Elle n’a plus que le mot « Puja » à la bouche. Aneuneu (expression fang)! Qui aurait pu parier sur ça ? Surement pas moi. Je ne l’imaginais pas en mère. Leila était tellement tournée vers sa carrière. Je me disais, elle finira célibataire convoitée mais jamais mariée et ministre de la condition féminine… Mais son amour pour Xander et le désir de celui-ci d’avoir des enfants l’ont fait évoluer. Heureusement que son souci du travail bien accompli est demeuré intact et elle dirige sa succursale d’une main de fer. Première au boulot malgré le bébé et dernière à partir. 

Denis, Didier, Gaspard !

J’ai entamé une procédure de divorce. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase ? Un … bébé ! Sa dernière conquête, une lycéenne qui passe son bac est venue déposer l’enfant chez moi en pleurant. Elle a dit qu’il avait gâché sa vie et qu’elle méritait de s’en sortir en se consacrant à ses études. Elle a affirmé qu’il ne s’en occupait pas correctement et qu’elle en avait assez de se faire insulter par les membres de sa famille. 

Je crois que ce que j’ai subi dans mon couple, aucune femme au monde ne devrait avoir à le subir. Quelle humiliation ! 

Et toute cette douleur m’a fait dériver. Didier m’aime. Je ne peux jamais en douter, mais il n’était pour moi qu’une bouée de sauvetage, un peu d’air frais quand j’étouffais. Je n’ai jamais pu lui rendre l’amour qu’il me donnait. Et je m’en suis rendue compte quand Denis est entré dans ma vie. Combien de fois Didier m’a proposé qu’on divorce tous les deux pour pouvoir librement se mettre ensemble ? J’ai toujours refusé. Mais si Denis me l’avait demandé, j’aurai accepté. Ca n’a rien à avoir avec sa fortune. Son argent ne m’a jamais intéressé. C’est juste qu’il a quelque chose de magnétique, de sombre, de blessé qui me fait chavirer. Mais lui ne me demandera jamais qu’on se mette en couple. 

Maintenant je le sais. J’ai mal ! Mais ça va aller. 

*

**

Didier m’a suivi un soir où je me rendais chez Denis. Il a garé sa voiture juste en face de la mienne pour m’empêcher de rentrer dans la concession. Il est descendu de sa voiture et m’a fait descendre de la mienne.

—  Après toutes ces années à attendre que tu sois libre… Tu crois réellement que c’est ce que je mérite Elle !

Je n’ai pas su quoi répondre à cette simple phrase. J’avais honte … de moi, de mon égoïsme, de mon incapacité à lui rendre ses sentiments. Mais je ne pouvais désormais plus lutter contre ce qui me poussait vers Denis et m’éloignait de lui. 

—  Tu choisis Elle, aujourd’hui, maintenant. C’est lui ou moi. 

—   Je suis vraiment désolée Didier, mais ce sera lui. 

Il m’a longuement regardé. Cet imposant mâle qui faisait au minimum le double de mon poids et de ma taille. Je l’ai senti blessé dans son orgueil et déçu par moi. Il m’a poussé puis s’en est allé. Sa voiture a démarré sur les chapeaux de roue et il a disparu dans cette sombre nuit illuminée par les étoiles. Mon téléphone a sonné. Gaspard ! Il a tenté de me joindre toute la journée et je n’ai pas décroché parce que je n’étais pas encore prête à lui annoncer « la bonne nouvelle ». J’ai décroché :

— Ecoute, cette fille c’est vrai que j’ai eu une aventure avec elle mais ce n’était qu’une folie, une envie passagère à satisfaire. Elle, je vais me ranger je te le jure. Bientôt tes collègues t’envieront le mari exemplaire que tu auras. Pardonne-moi…
—  Je demande le divorce demain matin à la première heure. J’ai pris un avocat. Je te conseille de ne plus me contacter.

Et j’ai raccroché puis éteins mon téléphone. Qu’il reste dans sa baraque pourrie avec ses midinettes… On verra qui s’occupera de sa bouffe, de ses fringues, de sa nombreuse famille envahissante… J’ai mis les enfants à l’abri chez ma petite sœur dont le mec est agent de police judiciaire. On verra laquelle de ses stupides maitresses pourra supporter son caractère de cochon, son égocentrisme, sa mère sorcière… On verra. Voilà, j’avais fait le ménage. Je pouvais maintenant en parler tranquillement à Denis et lui proposer de tenter avec moi quelque chose de sérieux. J’étais prête à prendre le risque d’avoir mal si jamais ça capotait. Mais au moins j’aurai essayé. 

Le gardien m’a ouvert immédiatement lorsqu’il m’a vu et je me suis dirigé vers le salon où il passe habituellement ses soirées à siroter un verre. 

Il y était, les yeux dans le vague, son téléphone à la main. Son verre vide était posé sur une tablette en bois à côté du divan où il était assis. Je me suis avancé et il a levé la tête vers moi. Ses yeux sombres m’ont donné le frisson.

— Salut !

—   Salut. 

J’étais tout d’un coup très intimidée par son ton grave et sérieux. Il avait l’air mélancolique. Il s’est levé et s’est dirigé vers les toilettes. J’en ai profité pour vérifier le message sur son téléphone afin d’être sure qu’aucune de ses autres conquêtes ne viendra nous déranger. Je n’ai pas eu à chercher bien loin. Le message ouvert était celui de Leila. 

 

« Mon futur beau-frère chéri, merci pour le cadeau de mariage que tu m’as proposée mais c’est trop, vraiment… ta petite princesse togolaise».

J’ai eu le temps de reposer le téléphone à sa place en entendant la chasse d’eau avant qu’il ne revienne et ne se serve un autre verre.

— Qu’as-tu ? Tu m’as l’air triste.

—   Non ca va. Petit coup de blues, ça va passer Elle… Ca passe toujours.

 
Je m’assois à ses côtés et le regarde droit dans les yeux.

—  Il n’y a plus d’amant, plus de mari … il ne reste plus que toi et moi. Qu’en dis-tu?

J’ai le cœur qui danse la sarabande !!!

— Tu aurais pu m’en parler avant de prendre la décision…

—   Tu me reprochais de vivre dans le mensonge. J’ai pris mes responsabilités et maintenant tout est clair. Je vais divorcer et je veux être avec toi. 

—   Il n’a jamais été question de toi et moi, Elle. 

Nzame ! (Dieu !)

—  Tu es sérieux ? Tu ne ressens rien pour moi ? Tu ne veux pas nous donner une chance ?

Il soupire et vide son verre. La vie est étrange. Un homme vient de me supplier de rester avec lui et un autre est en train de me rejeter sans ménagement. 

MON CŒUR BRULE. 

— Elle j’ai beaucoup de respect pour toi contrairement à ce que tu penses…
— Oh s’il te plait ne me sors pas l’éternel refrain : « ce n’est pas toi c’est moi » !

—   Je ne suis pas libre Elle, c’est aussi simple que ça. Je sais ce que tu attends d’une relation, tu as des enfants et tu sors d’un mariage difficile. Il te faut un époux. Je n’en serais jamais un pour toi. Voila pourquoi je te proposais juste du sexe. C’est toi qui veux plus que ce que je ne peux donner. 

—   Parce qu’une seule femme t’as trahi, tu rejettes tout sentiment amoureux de ton cœur ?

—   Tu ne sais pas de quoi tu parles Elle. 

—   Est-ce qu’un cœur aussi sec que le tien pourra aimer un jour ?

Il me regarde et baisse les yeux :

 

—   J’aime déjà, avoue-t-il.

Les cendres de mon cœur s’éparpillent dans tout mon corps. J’essaie d’arrêter mes sanglots et de m’en aller aussi dignement que je peux. Mais je suis clouée à ses côtés. C’est trop douloureux de partir comme ça. Alors moi, ce n’était vraiment que pour le sexe. Il ne mentait pas. Il n’y aura pas d’histoire d’amour flamboyante entre nous.

— Tu aimes ? Mais qui est-ce ?

Il ne répond rien et se lève. Il est beau Denis. Pas à la manière éblouissante de Xander mais il a ce quelque chose que possèdent les grands séducteurs. 

— Rentre Elle, murmure-t-il d’une voix calme malgré la situation. Je n’ai pas envie de te faire encore plus mal. 

Dès qu’il a prononcé ces mots, j’ai su de qui il s’agissait. Je me lève à mon tour et arrange mon sac à mon bras. Mon cœur ne peut avoir celui qu’il a choisi parce que le cœur de Denis appartient à une autre. J’aurai préféré ne jamais le savoir mais il est désormais trop tard. Je me rapproche de lui et le serre très fort dans mes bras pour lui chuchoter tout doucement. 

« Je suis tellement désolée pour toi, pour nous. »

Il ne dit rien et je m’en vais. 

Une page de ma vie est tournée. 

*

**

—  Elle tu m’écoutes ? 

—    Euh pardon , allez-y.

—    En Inde, le mariage est un pilier de la vie, aussi bien chez l'homme que chez la femme, un engagement d'union et de transmission culturelle sécurisante pour le futur. L'industrie du mariage chez nous est estimée à 60 milliards de roupies, soit 600 milliards de francs CFA. C’est démesuré et nous les indiens y accordons beaucoup d’importance. Le faste cérémoniel se déroule normalement sur 3 à 4 jours précédés de longs préparatifs de plusieurs mois. Bon on se passera de l’avis de l’astrologue. Le plus important c’est la préparation de la dot, la location de la salle pour l'accueil des convives mais bon, vu la maison que Devdas a fait bâtir pour sa famille, pas besoin de louer une salle. Il reste le choix des vêtements pour la cérémonie, l’achat de bijoux en or pour Leila.

—   Ca tombe bien ! La coutume du père de sa mère voudrait justement que le marié lui offre une parure complète en or ! 

—   Les bijoux la mettront en valeur mais assureront également sa fortune personnelle. Le sari du mariage aux couleurs symboliques rouge et or est également un achat conséquent. J’ai commandé son sari. Il arrive demain

—    Super !

—   Reste le problème de la dot. Habituellement, elle est négociée en amont du mariage et versée le jour du mariage. Si ses parents étaient vivants, ce serait sa part d’héritage.

—   La dot ? Hum, c’est composé de quoi ?

—   Elle est composée d'argent et de nombreux biens en nature, électroménager, télé, mobilier. Mais, au cours des siècles, la valeur symbolique de la dot a été dévoyée pour devenir un prix à payer ! 

—   Ici aussi c’est devenu un prix à payer. Denis a proposé de verser la dot de Leila à Xander mais ce dernier a refusé. Il ne veut pas de dot de sa part. Il a dit que ce sera à lui de verser une dot à Leila. Coutume gabonaise et togolaise oblige hein. 

—   On fera comme il voudra. Parce que le mettre en colère alors que le mariage approche et qu’il est stressé… Alors quelle dot voulez-vous ? C’est moi qui représente sa famille, je vais en discuter avec lui. 

Je rigole. On connait tous désormais la colère de Khan. C’est un miracle que Leila arrive toujours à le calmer.