LES CHRONIQUES DE NAÏA Chapitre II - #4 & 5

Write by BlackChocolate

Un homme m’attendait dans le hall de l’aéroport, avec une pancarte à la main sur laquelle était écrit mon prénom. Je m’approchai de lui en me présentant. Il répondit par un large sourire et dit :


- Bonjour Mlle Naïa. J’espère que vous avez fait un excellent voyage. Je m’appelle Didier et je suis chargé de vous conduire à la maison. Votre sœur n’a malheureusement pas pu être présente parce qu’elle est très occupée.

- Moi : Bonjour Didier. Ok, ce n’est pas grave. Je vous suis.

Ce n’était pas la première fois que je venais en France. Je n’étais donc pas dépaysée pour autant, mais ma sœur avait déménagée et la route qu’on emprunta pour se rendre à son nouvel appartement m’était totalement inconnue. Après 45 minutes de route, la voiture s’arrêta devant un grand immeuble peint de blanc. Didier vint m’ouvrir la portière avant de sortir mes valises du coffre, puis me demanda de le suivre. Ana était au 9e étage, et il fallait emprunter l’ascenseur pour s’y rendre. Il y avait, dans l'ascenseur, un miroir dans lequel je me mirai rapidement pour vérifier si j'étais présentable. Didier esquissa un petit sourire me signifiant que je n'avais rien à me présenter. 

Lorsqu’on sonna, une jeune femme ouvrit la porte, toute souriante. A l’intérieur, il y avait une grande banderole sur laquelle était inscrit un « Bienvenue Naïa ». Ana avait dû la préparer avant de sortir. Mais avant même que je m'en rende compte, une dizaine de personnes, dont ma sœur, étaient devant moi, criant "SURPRISE !!!". En fait, elle m’avait préparé une fête-surprise de bienvenue !

J’étais partie en France pour un an ou deux, le temps que tout s'arrange au pays. Quelques semaines après mon départ, Kevin et Ghislain avaient rejoint l'Afrique du Sud où les attendait, eux aussi, une nouvelle vie. Malheureusement, les choses ne se passèrent pas comme prévu après mon voyage. Trois mois après la fin de la guerre, des élections furent organisées afin d’élire un nouveau Chef d’Etat. Cependant, le parti d'opposition contesta les résultats après leur proclamation. Jacob Nzobi, à la tête de ce parti, scandait sur toutes les chaines de télévision nationales et internationales qu’il y avait eu des fraudes, tandis que le parti au pouvoir affirmait que tout s’était déroulé sans anicroche, et que ce n’était qu’une tentative de l’opposition pour mettre à nouveau le pays à feu et à sang. Pendant plusieurs semaines, les deux camps ne purent s’entendre, en dépit de l’intervention de la communauté internationale. Les rebelles, qui étaient restés sur leur faim, reprirent très vite les armes, et les massacres recommencèrent de plus belles. Une fois encore, c’était le peuple qui subissait les conséquences de l’avidité et de l’orgueil des Hommes politiques. Heureusement, plus aucun membre de ma famille ne se trouvait dans le pays, hormis mon père qui nous informait tant bien que mal de la situation. Mais il était en lieu sûr, ce qui nous réconfortait tous. Ce n’est que deux ans plus tard que de nouvelles élections eurent lieu. Le nouveau Président et son gouvernement avaient énormément de travail qui les attendaient, et il était impossible de tout reconstruire en quelques mois. Me concernant, j’avais déjà eu le temps de m’intégrer dans mon nouvel environnement, et je ne ressentais plus le besoin d’en partir.

Cela faisait 4 ans que j’avais rejoint ma sœur Ana. Nous nous entendîmes très bien dès mon arrivée. Elle était aussi belle que maman, et lui ressemblait beaucoup. Au début, ce ne fut pas facile parce qu’à chaque fois que je la voyais, elle me faisait penser à cette brave femme qui avait perdu la vie trop tôt. Mais au fur et à mesure qu’on passait nos journées ensemble, je ressentais moins l’absence de ma mère. Les premières semaines qui suivirent ma venue en France furent consacrées à mon inscription dans une école ainsi qu’à l’achat de vêtements adaptés à mon nouveau cadre de vie. J’étais arrivée en pleine année scolaire, et il n’y avait plus de temps à perdre si je voulais rattraper mon retard par rapport aux autres élèves. Malheureusement, je ne fus pas admise en Cours Moyen 2, mais plutôt en Cours Moyen 1, ce qui me fit perdre une année scolaire. Il n’y avait donc plus d’examen à préparer, mais je devais toujours travailler autant qu’avant pour prendre mes marques dans ce nouveau système scolaire. Me retrouver dans une classe où j’étais la seule fille Noire ne fut pas chose facile. J’avais l’impression d’être une tâche de confiture sur une nappe blanche. Mais les années passèrent rapidement, et j'eus mon examen sans problème.

Lorsque j’entrai au lycée, je n’étais plus une petite fille. Maman disait que je deviendrai une femme quand j’aurais mes premières règles, ce qui arriva un jour, alors que j’étais à la cantine de l’école primaire. Ma mère n’était plus là, mais je pus compter sur Ana qui avait pris le soin de me donner des conseils pour éviter la « honte » au cas où cela arriverait dans un lieu public. J’avais donc toujours un pagne dans mon sac où que j’allais, et c’est ce qui me sauva la mise. Hormis ma meilleure amie Margot et la Directrice à qui je demandai la permission pour rentrer, personne ne fut au courant.

C’est au lycée que je tombai amoureuse pour la première fois. Charles était d’un an mon aîné et plutôt mignon. Nous étions dans la même classe, et je ressentais comme des papillons dans le ventre chaque fois que je le voyais. Au départ, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, mais lorsque je me mis à penser à lui sans aucune raison, je sus ce qui se passait. Je n’étais pas conne du tout, et les nombreux romans à l’eau de rose que je lisais m’avaient permis d’avoir une idée de ce qu’on pouvait ressentir lorsqu’on était amoureux. Entre ma sœur Ana et moi, le courant passait très bien comme je vous le disais. C’est donc sans la moindre gêne que je lui racontai ce que je ressentais vis-à-vis de ce garçon. Ana, en bonne grande sœur qu’elle était, me donna des conseils et me demanda de ne pas me précipiter.

« Laisse-le faire le premier pas », c’est ce qu’elle m’avait dit. 

Mais comment pouvais-je savoir s’il ressentait la même chose pour moi ? 

Ana : Bah dans ce cas, cela signifie juste qu’il n’est pas fait pour toi. Si vos sentiments ne sont pas partagés, c’est toi qui en souffriras le plus.

En classe, j’avais trouvé le moyen de me rapprocher de Charles ; ceci grâce à Léa qui était une très bonne amie à lui. Un jour, pendant qu’on discutait, Charles me demanda si j’étais toujours vierge. Cela fut resurgir en moi de vieux souvenirs que j’avais préféré oublié, et dont je n’avais jamais parlé, pas même à ma sœur, depuis mon arrivée. A ce moment précis, c’était comme si le sol s’était effondré en dessous de moi et je ne sus quelle réponse lui donner ! Comment lui expliquer que j’avais été violée, sans qu’il ne prenne ses jambes à son cou ?

A défaut de donner une réponse suffisamment convaincante, je me contentai de dire à Charles qu’on ne pose pas ce genre de question à une demoiselle.

- Charles : Eh bah, te vexe pas ! J’étais juste curieux de savoir.

Cette petite ruse me permit d’échapper à la question, même si je savais que tôt ou tard il fallait bien que j’y réponde. Mais ce n’était pas pour maintenant. Après tout, j’étais venue en France pour commencer une nouvelle vie, et je n’avais pas l’intention de m’offrir au premier venu.

Je ne comptais pas parler de ce qui c’était passé à Ana, et je ne le fis pas. Après les cours, Didier vint me chercher comme d’habitude pour me conduire à la maison. Je m’apprêtais à rentrer dans ma chambre lorsque j’entendis quelqu’un pleurer. A cette heure de la journée, il n’y avait pratiquement personne dans l’appartement hormis la femme de ménage. Qu’est-ce qui aurait pu mettre Éléonore dans un tel état ? Ma sœur se comportait très bien avec elle ; le problème devait, donc, venir d’ailleurs. C’était sûrement quelque chose de personnel. Mais à ma grande surprise, c’était Ana. Depuis le couloir où je me trouvais, je pouvais la voir, assise sur son lit, la tête entre les mains, pleurant à chaudes larmes. Après avoir passé deux minutes à me demander ce qu’il fallait faire, je me décidai à entrer dans sa chambre pour savoir ce qui se passait. La porte était à moitié fermée, et lorsque je la poussai, cela émit un léger crissement qui attira l’attention de ma sœur :

- Ana : NaÏa ? Que fais-tu là ? Ça fait un moment que tu es là ? 

Elle avait l’air totalement perdu et essayait tant bien que mal de cacher ses larmes. Mais cela ne servait plus à rien. 

- Moi : Il y a quelques secondes. Je viens de rentrer des cours. Tout va bien ?

- Ana : Oui, ne t’en fais pas. Va te changer ! Tu dois être fatiguée. Et si tu as faim, demande à Eléonore de te préparer un truc.

- Moi : Oh arrête ! Je suis assez grande pour m’occuper de moi, dis-je avec un léger sourire en coin avant d’ajouter : Tu sais, je ne suis plus une petite fille. J’ai 14 ans maintenant. Tu peux me dire ce qui ne va pas.

- Ana : Eh bah, tu m’en diras tant mademoiselle « LA GRANDE » ! De toute façon, je n’ai jamais dit le contraire.

- Moi : Alors pourquoi ne veux-tu pas me dire ce qui te tracasse ?

- Ana : Parce qu’il y a certaines choses qu’on préfère garder pour soi ma jolie.

- Moi : Tu préfères donc garder ce lourd fardeau pour toi toute seule ?

- Ana : Pour le moment. Maintenant, laisse-moi seule s’il te plait ! Allez oust !

Ma sœur ne remit plus les pieds dehors de la soirée. De mon côté, j’avais continué à me demander ce qui avait pu se passer pour qu’elle soit dans un pareil état. Je ne pouvais pas insister pour qu’elle m’en parle parce qu’elle ne voulait pas le faire, et je ne pouvais l’obliger à rien.

Les jours se suivaient, mais ne se ressemblaient pas. Avec Charles, les choses allaient bon train, mais il ne se décidait toujours pas à faire le premier pas. Sur le plan scolaire, mes notes se portaient bien, même en mathématiques où j’avais des lacunes. A la maison, tout allait aussi pour le mieux. Je n’avais plus surpris Ana en pleurs depuis plusieurs semaines, et c’était tant mieux. Cependant, il y avait aussi des jours où tout ne se passait pas comme je l’aurais voulu. 

La toute première fois où j’avais été victime de racisme, cela m’avait amusée de voir cette vieille aigrie dans le métro qui s’était levée précipitamment après que je me sois assise auprès d’elle. Elle avait préféré rester debout pendant tout le trajet plutôt que de partager le même siège que moi. Mais hier, c’était beaucoup moins drôle. J’étais allée rendre visite à Margot que je n’avais pas revue depuis deux ans. Devant son immeuble, il y avait un groupe de jeunes blancs qui causaient. Dès qu’ils me virent, ils se mirent à chuchoter entre eux. Puis l’un d’eux me lança :

- "Eh Fatou retournes chez toi"... 

J’aurais voulu leur répondre que je n’avais pas choisi d’être là, et que je ne m’appelais pas Fatou. Mais à quoi cela aurait-il servi ? 

- T’entends pas quand on te parle ? Tu veux des bananes ? 

Trois d’entre eux se mirent à avancer dans ma direction. La rue était déserte, et je ne savais pas s’il fallait courir ou attendre. Mes jambes ne se décidaient d’ailleurs pas. A ce moment-là, j’ai regretté de ne pas avoir Madou et son armée de la mort à mes côtés. Ils m’auraient bien été utiles sur ce coup. Mais avant même qu’ils n’arrivent près de moi, la mère de Margot était sur le balcon et criait mon prénom. Les trois adolescents se retournèrent, après avoir pris le soin de lancer un « bye Fatou », en me faisant un doigt d’honneur. 

Cette altercation m’avait énormément choquée. Je ne m’en étais pas remise de la journée, et je dû en parler aux parents de Margot qui m’escortèrent au retour jusqu’au métro. Heureusement, que lorsque ça allait mal, je pouvais compter sur ma bande d’amis pour retrouver ma bonne humeur. Je n’avais qu’à faire appel à Léa, Virginie, Ophélie, Maxime, Alix et, bien sûr, Charles quand je voulais me distraire. Les vendredis soirs, on aimait trainer du côté de la Seine pour boire des bières et fumer des cigarettes. Je buvais souvent, mais je ne fumais pas parce qu’Ana me l’avait fortement déconseillé. Et puis la cigarette ne me branchait pas. Il faut reconnaître qu'avec mes amis, je m'amusais comme une petite folle. Je profitais de la vie. Après tout, elle m'avait épargné pour une raison ou une autre. Néanmoins, je m’étais fixée certaines limites que je ne dépassais jamais et cela me rendait fière de moi. 

Ce soir-là, Charles essaya pour la première fois de m’embrasser. Malheureusement pour lui, il me prit par surprise et je réagis violemment sans même m’en rendre compte. Après le traumatisme subi pendant la journée, mon corps était apparemment entré en mode « super défense ». Je lui avais collé une paire de gifle qu’il n’oublierait certainement pas de sitôt....

LES CHRONIQUES DE NA...