Les Filles de la Forêt
Write by Fortunia
D’aussi loin que je me rappelle, le réveil pour moi allait toujours de paire avec une aurore encore teintée de l’obscurité de la nuit. Dans notre village, il est de coutume de se lever avant le soleil et de se coucher après lui, comme un signe de déférence à un souverain. Je n’ai jamais dérogé à cette règle, même lorsque j’avais de la fièvre.
D’instinct, je sais que le moment est venu. Je me retourne sur mes pagnes et réveille mes trois petit-frères et sœurs avec qui je partage le matelas de mousse recouvert d’un drap de tissus rapiécés. Un à un, ils sortent de la brume du sommeil pour eux aussi affronter le jour encore timide qui pointe à travers les minces ouvertures de la fenêtre. Je les bouscule un peu, les presse de se vêtir, les entraîne dehors. Les travaux journaliers ne se feront pas tous seuls.
A mesure que nos pas nous entraînent à l’extérieur de la petite case, nos yeux s’éveillent eux-aussi, venant clôturer ce rituel matinal, et chacun prend une direction différente. Rafi, du haut de ses sept ans, saisit son seau d’eau et se dirige à pas rapides vers la seule source d’eau potable des environs : un puits situé à un peu plus de deux kilomètres de là. Elle sait que le temps que le soleil se soit déjà levé bien haut, le grand fût qui servira pour la cuisine devra être rempli.
Hamza et Méli, respectivement des garçons de douze et treize ans, chaussent leurs sandales pour se rendre au marché situé à une dizaine de kilomètres de là. Ils n’ont pas leur pareil pour vendre les paniers d’osier que je fabrique. Je leur remets à chacun deux beignets de farine pour qu’ils tiennent leur estomac jusqu’à l’arrivée. Ils chargent leur marchandise dans une petite brouette et se mettent en route. Je sais qu’elle sera vide à leur retour et que chacun leur tour, ils s’assoiront sur l’engin, mimant les bruits des automobiles qu’ils auront laissées derrière eux, et que je ne connais qu’à travers leurs descriptions.
Quant à moi, je resserre mon pagne autour de mes hanches, chausse mes chaussures de lianes protectrices, enfile mon panier d’osier sur le dos, et me rends dans la forêt.
Durant mon cheminement, je croise les habitants du village d’Engüme, dans les forêts de l’Est Cameroun. Ce village est rythmé par une vie associative et solidaire. Dès le plus bas âge, on apprend aux enfants à servir la communauté et à vivre ensemble. De la sorte, tout le monde est le parent, le frère, la sœur, l’enfant de tout le monde.
A cette heure, la plupart des hommes, jeunes et vieux sont partis à la chasse, sillonnent les étendus sauvages à la recherche de terrain pour faire paître les bêtes ou vont au marché. D’autres s’activent à la confection de matériels utiles au quotidien ainsi qu’à des tâches diverses. Les femmes quant à elles, rassemblent les ingrédients pour le repas, s’occupent des nourrissons, ou alors font la lessive dans le petit marigot qui coule dans une crevasse pas loin.
Je croise Ungwe, ma cousine qui elle aussi, se rend dans la forêt. Je la salue en pressant son épaule et elle prononce mon nom, « Ivana », de sa voix gutturale. Nous marchons en bavardant vers les arbres dont les cimes se voient de loin. Nos pas sont rythmés par le soleil sortant peu à peu de sa cachette et le champ des oiseaux. A mesure que nous approchons, nous formons un groupe fourni.
A partir de treize ans, les jeunes filles se rendent dans la forêt pour la cueillette et le ramassage. Honnêtement, je n’arrive pas à le concevoir comme un « travail ». C’est l’occasion pour nous d’être ensemble, de discuter de tout et de n’importe quoi, de nous amuser entre jeunes filles, entre futures femmes. Ces moments canalisent ce que les adultes appellent « puberté », en nous offrant ces simulacres de liberté.
Du haut de mes quinze années, ces moments restaient mes préférés, et même si après je revenais à cette communauté où mes activités étaient réglementées, je repensais à ces moments grappillés à gambader et à bavarder sous le feuillage des arbres. Le temps passait ainsi plus vite.
Au cœur de la forêt, Ungwe m’entraîne avec elle, et moi, je tire Sena, une autre fille que j’apprécie beaucoup. Ensemble, nous parcourons des mètres de terre humide et d’arbustes. Nous relevons nos pagnes, en faisons des semblants de culottes plus adaptées à la grimpette. Ungwe et moi escaladons, cueillons et laissons tomber nos fruits par terre pour que Sena les dispatche dans nos différents paniers.
Les prunes commencent à sortir. Nous en amassons une bonne quantité. Nous descendons du prunier pour recommencer le même scénario ailleurs. Très vite, nos paniers sont remplis de prunes, d’avocats, de bananes et de plusieurs herbes et baies pour l’assaisonnement. Notre tâche est ainsi accomplie.
Vient le moment des réjouissances.
Ungwe, Sena et moi nous asseyons à l’ombre d’un grand avocatier. Nous voyons les autres filles faire de même, jouer, rire. Le soleil est bien haut dans le ciel mais il fait frais ici. Notre trio discute sans détour. Sena nous confie qu’elle est amoureuse d’Ongo, un garçon qui préfère courir avec les bœufs en toute liberté que de fabriquer des nattes comme son père. Ungwe souhaite avoir de beaux vêtements, comme ceux que lui décrivent ses petits frères et les miens. Moi, je chante. Je chante sur nos terres que nous connaissons si bien, et sur des ailleurs que nous ne connaissons qu’à travers la bouche des autres.
Je mentirai en disant que je n’aimerais pas découvrir le reste de ce monde dont j’ignore tout, mais ma vie telle qu’elle est ne me déplaît pas. Je suis proche de ma famille et de mes amis. Je vis au même rythme que le soleil, la pluie et les arbres. Je suis heureuse.
Que demander de plus, hein ?
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Quelque chose de plus frais aujourd'hui. Malheureusement, tout cela sort de mon imagination. Je ne sais pas comment ces peuples vivent. Peut-être un jour (quand j'aurais les moyens), je m'offrirai un petit voyage touristique pour écrire une meilleure histoire.
En attendant, vivez en communion avec la nature. ????