Lettre 10

Write by Alex_Akah

Moaye 10

 

Laurent Assa,

23 juillet 1978,

Abidjan,

 

Mon cher amour,

 

Nous sommes rentrés d'Angleterre hier soir. J'ai eu du mal à accepter de revenir,  tellement j'ai apprécié mon séjour la bas. J'y ai vu et vécu tellement de belles choses!

J'ai eu la chance d'apercevoir la reine Elizabeth II et  la princesse Diana. Cette dernière est très jolie. Moins que toi, certes, mais très jolie.

J'ai aussi rencontré quelques 'autochtones' qui m'ont raconté leur style de vie et m'ont initié à la consommation du porridge. Entre nous, ce truc est une horreur.

 

Je disais donc que c'était une expérience fabuleuse et que j'avais eu du mal à rentrer. Mais je l'ai fait.

Nous devons rencontrer le président de la République demain. Pardon, Son Excellence Monsieur le Président de la République.  Maman insiste pour que je m'entraîne à l'appeler ainsi. Elle a peur que je débarque là bas et que je l'appelle Félix, ou pire, Houphouët, comme le peuple l'appelle de facon non officielle.

Elle a aussi envoyé papa me parler, pour m'expliquer comment me tenir, parce qu'elle a peur que je fasse n'importe quoi.

 

Je ne sais pas si je dois être vexé qu'elle me croie incapable de faire preuve de correction et de civilité quand la situation l'exige, ou si je dois simplement lui rappeler que mes manières sont comme moi, parfaites.

 

En tout cas, depuis que je suis rentré, je n'entends que ça: le Président par ci, le Président par là. Pendant que maman s'agite, pour savoir quelles chaussures je vais mettre, et s'il faut que j'aille chez le coiffeur ou pas, je suis en train de rédiger une liste de questions que je voudrais lui poser. J'ai lu, dans le livre d'histoire, qu'il était contre la décolonisation, et préconisait un système de "cohabitation" avec le blanc. J'aimerais qu'il m'explique certains aspects pratiques de son idée.

 

Concernant mes études, j'ai finalement décidé d'apprendre dans une université américaine qui s'appelle Brown. Ils ont très beau campus et une excellente réputation.  En plus, quand j'ai discuté avec le doyen de la fac, il a dit que c'est moi qui choisissait les cours que je voudrais faire et que je composait comme je voudrais mon syllabus de cours, et que j'avais en plus le droit de suivre n'importe quel autre cours juste pour le plaisir d'apprendre. Comment ne pas être tenté par cette perspective d'apprentissage infinie? Et je dois l'avouer, le nom de l'université est plutôt rigolo. C'est surtout ça qui m'a séduit.  Un nom simple, sans prétentions, et qui me rappelle ma couleur de peau. C'est une base bien légère, pour choisir ce qui déterminera la qualité de mon futur professionnel, mais je ne suis qu'un enfant. On me le pardonnera, j'en suis sûr.

 

Avant que j'oublie, je t'ai acheté la robe dont je te parlais dans ma précédente lettre. Elle est si belle! Tonton Abel a cru que je l'achetais pour Camille. Il s'est senti obligé de me rappeler qu'elle n'aimait pas les robes.

Quand je lui ai dit que ce n'était pas pour elle, il m'a regardé un long moment avant de me demander si maman savait que j'avais une amoureuse.

Refusant de parler de ça avec lui, je lui ai dit que c'était pour une amie.

Il s'est alors empressé de raconter à mes parents que j'étais amoureux de Catherine de l'autre côté de la rue, et que j'avais acheté une robe a sa fille.

 Conclusion, maman m'a pris deux billets d'avion: un pour le trajet Abidjan-Paris-New York, et l'autre pour New York-Providence, la ville ou se trouve l'université; pour le 27 juillet.

Elle a dit, et je cite "je ne vais pas laisser cette greluche gâcher l'avenir de mon fils". Quand je pense qu'elle l'aimait bien avant, et qu'elle l'appelait ma femme pour me taquiner.

Comme quoi, les gens ont beau t'aimer, ils changent d'attitude quand tu agis d'une façon qui ne correspond pas à leurs attentes.

   

Maman a terminé de choisir mes chaussures et vient d'envoyer mon frère me chercher pour aller chez le coiffeur. Apparemment, ça fait meilleur genre d'avoir une petite raie dans les cheveux quand on part rencontrer le président. Maman et ses théories...

 

Je t'ecrirais demain, à mon retour de la "grande épreuve".

Je t'embrasse,

Laurent.

           

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