Liberty
Write by NafissaVonTeese
LIBERTY
Son
seul moyen de se sentir libre : se libérer de lui-même.
***
1
Les premiers rayons
du soleil venaient tout juste de se dessiner dans le ciel d’un bleu profond,
quand je me trainais pour venir me poser sur le balcon de notre appartement au
deuxième étage. Je n’avais réussi, pas une seule fois, à fermer l’œil durant
toute la nuit. Perchée sur ces quatre mètres-carrés, j’attendais nerveusement
de recevoir l’appel m’annonçant que j’étais devenue veuve.
Cela faisait deux
mois, jour pour jour que j’avais épousé cet homme que je voyais à quelques
mètres plus bas, descendre péniblement d’un taxi, le bras posé sur l’épaule de
ma belle-sœur Anna. Dans d’autres circonstances, je serais allée me jeter dans
les bras de mon mari, heureuse de le voir rentrer à la maison après avoir été
si près de la mort, mais l’indifférence qui m’avait envahie, m’avait juste
aidée à me trainer jusque dans notre lit. J’avais très vite fait semblant
d’être tombée dans un profond sommeil. Il me fallait du temps pour trouver la
force de le regarder à nouveau dans les yeux après sa tentative de suicide.
Je les avais
entendu rejoindre la chambre sans allumer la lampe, puis en sortir en murmurant
des mots que j’eus du mal à entendre de bout en bout, mais je crus comprendre
qu’ils parlaient de la fameuse lettre que mon mari Hyacinthe, avait écrit avant
de vider toutes les boîtes d’antalgique dont on disposait. Ma belle-sœur
voulait certainement s’en débarrasser pour ne prendre aucun risque que
l’affaire ne s’ébrute. Après l’avoir relue une bonne centaine de fois, je
l’avais soigneusement plié et caché sous l’oreiller sur lequel ma tête était
chaque soir posée. Les sept lignes écrites grossièrement, qu’il avait bien
voulu me laisser ressemblaient plus à une carte de remerciements, qu’à une
lettre d’adieu.
« Merci de ne pas
dire à mes parents que c’est moi qui ai voulu partir. Merci pour tout. »
; c’est ainsi qu’il avait conclu. J’y avais repensé jusqu’à m’assoupir sans
m’en rendre compte.
2
A mon réveil, ma
première réaction a été de regarder s’il était venu se coucher. J’étais seule.
L’horloge de mon téléphone qui affichait 12 : 41, ne me donna même pas l’envie
de quitter mon lit, mais il fallait aller vérifier si mon mari avait refait une
nouvelle tentative de suicide durant mon sommeil ou encore, s’il était toujours
en vie.
C’est dans le salon
que je l’avais trouvée, couché au bon milieu du tapis qui ornait le sol, les
yeux clos. « Cette fois-ci, c’est
peut-être bon. Je n’aurai finalement pas à l’affronter.» je m’étais dite.
Je me l’avouai, cela m’avait procuré un léger sentiment de soulagement.
L’illusion tomba
quand j’entendis la voix de ma belle-sœur derrière moi, m’annonçant qu’il
dormait. « Dormir… », tout simplement.
-
Il a besoin de repos ; avait-elle
ajoutée. Je vais y aller maintenant, mais vas-y doucement avec lui. Il est
tourmenté et il lui faudra du temps pour s’en remettre alors ne le bouscule
surtout pas. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, surtout n’hésite pas à
m’appeler.
Anna m’avait donnée
une petite tape sur l’épaule après que je l’ai remerciée pour tout ce qu’elle
avait fait. Elle avait jeté un regard triste à son petit frère avant de quitter
l’appartement.
J’étais désormais
seule avec mon mari que je regardais avec indifférence, sans le moindre
sentiment de pitié ou même de colère. Je m’étais assise sur le sofa en face de
lui attendant patiemment qu’il se réveille. Il fallait bien qu’on parle, alors
autant le faire le plus tôt possible.
C’est seulement
deux heures plus tard qu’il voulut bien ouvrir les yeux, et nos regards
s’étaient aussitôt croisés. Il avait essayé de se lever avant de se résigner à
rester couché par terre. Il avait compris qu’il lui fallait du temps, beaucoup
de temps avant qu’il ne devienne à nouveau maître de son propre corps.
-
Salut ; avait-il lancé avec peine.
Je n’avais pas
répondu. Il ne manquait plus que ça, qu’il fasse comme si de rien n’était. Mais
après tout, il voulait juste en finir avec sa vie pour des raisons que je
n’ignorais pas, et c’était son droit. Oui, nous étions mariés, non par amour,
mais par besoin de répondre aux normes de la société ; alors cela ne le tenait
pas obligé de me demander la permission avant de mourir.
J’étais allée
m’allonger juste à côté de lui, pour lui infliger la douleur de ressentir sa
présence dans le monde des vivants.
«
Y aller doucement… », avait-dit ma si attentionnée et
parfaite belle-sœur. Elle m’avait bien épargnée d’amener mon mari aux urgences,
et lui avait même sauvé la vie, alors je lui devais bien cette petite faveur.
-
Alors comme ça tu voulais mourir.
-
Oui ; avait-il répondu sans aucune
hésitation dans la voix. Pour être enfin libre.
Apparemment, il
avait bien eu le temps de réfléchir à une réplique pendant que je dormais. Je
savais ce que « libre » signifiait pour lui. Cela faisait plus de cinq ans que
Hyacinthe avait sombré dans la drogue. Depuis sa dernière année d’université,
il avait tout essayé, même des drogues dont il ne connaissait pas le nom. Au
début, c’était juste pour faire comme les autres, puis il s’est rendu compte
que cela l’aidait à tenir le coup durant les périodes d’examen. Il était sorti
de l’université, avait rejoint l’entreprise de ses parents qu’il dirigeait
depuis deux années, mais n’avait pu arrêter. Il ne le voulait pas. D’après lui,
se shooter était la seule solution qui s’offrait à lui, pour pouvoir répondre
aux règles qui régissaient sa vie : incarner le pouvoir aux yeux de ses
parents, de ses employés, et même de tous les journalistes qui alimentaient les
pages de leurs revues économiques avec les phrases toutes faites qu’on lui
conseillait de répéter.
«
Un homme puissant doit faire ses preuves en écrasant publiquement les personnes
qui se mettent à travers son chemin. Cela ne l’empêche aucunement d’avoir du
cœur, mais ce cœur, il doit le laisser derrière la porte de sa maison quand il
va conquérir le monde. » ; voilà ce que j’avais
toujours entendu son père lui répéter, et cela résumait aussi parfaitement sa
vie. Mon mari avait fini par retenir la leçon. Il faisait semblant de semer la
terreur autour de lui, et essayait d’être heureux dans un mariage arrangé à la
va vite. Hyacinthe et moi avions passé toute notre vie ensemble. Même école
primaire, même lycée, même université. Nos parents avaient tout fait pour qu’on
soit toujours ensemble, même s’il était évident pour tout le monde que chacun
de nous deux laissait l’autre totalement indifférent. Les parents de mon mari
et les miens avaient aussi passé presque toute leur vie ensemble. Quand il
était venu l’heure pour Hyacinthe d’épouser une femme « à la hauteur » d’un
homme aussi brillant que lui, ses parents ont tout misé sur moi, la fille qu’on
avait formaté pour devenir une femme sans « contrainte », qui ne ferait jamais
tâche sur le magnifique tableau d’une puissante famille connue et reconnue. Je
n’avais que 25 ans, comme mon mari, mais je faisais toujours bonne figure, ne
posait jamais de question, ne m’intéressait jamais à une chose sans qu’on ne me
le demande, et restait de marbre dans n’importe quelle situation. J’étais un
mur de glace capable de sourire à la commande, de parler en public avec
assurance et fermeté, de trouver la bonne solution à un problème sans
revendiquer le moindre applaudissement ou reconnaissance. Cela ne dérangeait
personne, ni moi, ni mes parents, car j’étais taillée sur mesure pour n’avoir
aucun sentiment.
Je n’aimais pas mon
mari, lui non plus ne m’aimait pas. D’ailleurs à ce que je sache, tout ce qu’il
aimait dans sa vie supposée si parfaite, était l’effet que la drogue avait sur
lui. Je l’avais épousé car je devais le faire. Ses raisons à lui : je ne les ai
jamais su car je ne lui avais jamais posé la question.
Nous étions couchés
là, silencieux, durant des heures avant que je ne me résigne à endosser pour la
première fois, mon rôle d’épouse, en lui disant ce qu’il voulait entendre.
-
Il serait peut-être bien plus
raisonnable de t’obliger à suivre une cuire de désintoxication, mais si c’est
mourir que tu veux, alors je vais t’aider.
J’avais souri puis
lui avais pris la main en le regardant fermer doucement ses yeux, peut-être par
soulagement que je le comprenne et que je le soutienne dans sa décision.
3
Un mois s’était
écoulé à la vitesse de la lumière. J’avais pris gout à la solitude dans un si
grand appartement. Hyacinthe n’était plus là et c’était mieux ainsi, pour lui
et pour moi. J’avais appelé ses parents et leur avais donné la lettre que leur
fils m’avait laissée avant sa tentative de suite. Ils avaient été effondrés et
se sentaient coupables d’avoir voulu faire de lui ce dont il n’avait aucunement
envie. En le regardant si faible, presque léthargique face à son manque qui
durait depuis deux jours, ils avaient décidé de l’interner sans son
consentement. Depuis, des nouvelles de lui me parvenaient par le billet d’Anna
chaque fin de semaine. J’attendais, non son retour, mais j’attendais tout
simplement que le temps passe et qu’on finisse par me dire : « Mme Fall, nous sommes désolés mais votre
mari nous a quitté. ».