L'invitation
Write by lpbk
Ce matin, je suis fébrile.
C’est aujourd’hui que je retrouve André.
Bon, j’avoue que je ne retrouve pas qu’André puisqu’il y aura aussi Olivia et
son fiancé dont je ne connais ni le nom, ni le prénom.
J’ai déjà préparé mes notes en fonction
des demandes qu’André m’a transmises.
Les fiançailles ont déjà été annoncées aux
familles et par extension à la presse. Les parents se sont rencontrés et il a
été décidé que ce serait André qui paierait l’addition en tant que témoin et
unique frère de la mariée, il y a fortement tenu apparemment. Connaissant André
et son pouvoir de persuasion, je doute que quiconque ait eu son mot à dire
lorsqu’il a pris cette décision…
J’ai donc deux mois maximum pour préparer
une cérémonie en petit comité, avec un budget illimité. Au vin d’honneur, il y
aura une cinquantaine d’invités. Il aura lieu dans le jardin de la maison
familiale des Felton. Et seuls seize personnes sont attendues pour le repas,
qui se déroulera chez les mariés.
J’ai contacté quelques traiteurs et des DJ
dont Coralie avait les numéros mais aussi Anaïs, ma nouvelle amie fleuriste qui
fait des merveilles pour les Diwouta. Le carnet de Coralie étant bien rempli,
elle m’a aussi dégoté le numéro d’un nouveau photographe que je pense contacter
pour mes deux mariages à moins que les Felton aient le leur.
Il faut que je vois avec les futurs mariés
s’ils souhaitent prendre des leçons de danse aussi pour pouvoir réserver dans
un cours que j’ai repéré en faisant mes petites recherches.
Lorsque je regarde ma montre, je
m’aperçois qu’il est désormais l’heure de me mettre en route. Nous sommes convenus
de nous retrouver chez André lui-même.
Quand j’arrive à l’adresse indiquée, un
immeuble imposant se dresse devant mes yeux. Un portier vient aimablement
m’ouvrir et me fait pénétrer dans l’antre d’André.
Tout ce luxe est impressionnant. La
réception s’orne de multiples canapés d’un blanc ivoire, reposant sur de
magnifiques tapis couleur camel. Leur épaisseur étouffe le son de mes talons.
Au-dessus, une splendide sculpture psychédélique vous invite à lever le regard
pour rêver. L’accueil offre un contraste frappant avec son bureau noir et son
réceptionniste vêtu de la même couleur. Ce dernier, au téléphone lorsque
j’arrive, raccroche rapidement pour me demander ce que je désire.
— J’ai rendez-vous avec monsieur Felton André.
— Vous êtes ?
— Kamdem Mélanie, de la société Wedding day.
— Un petit instant, je vous prie. Je vérifie.
Il pianote sur son ordinateur. J’ai l’impression
d’être en prison ! Même les entrées sont filtrées ! André est sûr de
ne pas être dérangé par qui que ce soit.
— Bien, madame. Tout est bon pour moi. je vais vous
faire escorter.
Il appelle un groom, qui arrive prestement
et me guide vers les ascenseurs. Je le laisse m’emmener dans les étages jusqu’à
arriver dans le penthouse de « monsieur Felton », rien que ça…
L’ascenseur s’ouvre sur un immense salon
et encore, le mot est faible car mon appartement tiendrait largement dedans et
je pense même pouvoir ajouter celui de mon voisin. Le parquet en bois est en
partie recouvert d’un immense tapis aux motifs géométriques, sur lequel
reposent un canapé blanc, des fauteuils et autres causeuses à la mode. Il y a
même un piano à queue noir juste devant les baies vitrées. Un décor chic mais
totalement impersonnel. Aucune photo de famille, aucun objet sortant de
l’ordinaire. J’ai l’impression d’être plongé dans un catalogue de vente.
Une dame d’un certain âge m’accueille avec
un large sourire.
— Vous devez être mademoiselle Kamdem !
— C’est exact. Et vous êtes ?
— Marguerite. Je suis la gouvernante de monsieur Felt…
— Je crois vous avoir déjà demandé de m’appeler André,
justement, intervient l’intéressé.
— Je vais vous laisser.
La gouvernante s’éclipse rapidement, dans
la cuisine probablement, nous laissant en tête-à-tête.
— Installe-toi, me propose André en désignant d’un geste
de la main le salon. Olivia et Pierre ne devraient plus tarder à arriver.
Je suis très mal à l’aise. Je m’attendais
justement à ce que les tourtereaux soient déjà là à mon arrivée pour éviter
cette situation. Me retrouver seule – seul avec André ne faisait pas partie de
mes projets.
A contrario, lui semble très à l’aise.
— Ainsi, tu as réalisé ton rêve. Je savais que tu étais
déterminée et que tu réussirais. Tu as toujours réussi tout ce que tu
entreprenais.
C’est affligeant de banalité mais au
moins, il a fait un effort lui.
— Je n’ai pas toujours tout réussi… rétorquai-je en
soutenant son regard.
Sa bouche s’incurve en un léger sourire
contraint et nous en restons là, chacun regardant l’autre en chien de faïence.
Il a fait un effort de conversation, à mon tour de me lancer si je ne veux pas
paraitre impolie ou rancunière.
— J’ai vu que toi aussi, tu as réalisé ton rêve.
— Aurais-tu suivi ma carrière dans la presse ? me
demande-t-il du tic au tac.
— Non… euh, c’est-à-dire… bredouillai-je telle une
imbécile.
André semble amusé. Son idée farfelue doit
lui flatter l’égo, il faut que je lui remette les pieds sur terre illico presto
avant que ses chevilles n’enflent un peu trop.
— A vrai dire, non pas du tout. Mais tu as une fan
inconditionnelle en la personne de ma mère.
« Oh » est la seule réponse
qu’il me donne. Son étonnement est flagrant.
— Elle est partie après…
— Oui mais elle ne t’en a jamais voulu. Elle a même un
cahier où elle a collé toutes les coupures de presse qui parlaient de toi. Que
ce soit pour tes réussites en affaires ou tes conquêtes… finis-je avec un petit
sourire en coin, histoire de le mettre mal à l’aise.
Et mon stratagème fonctionne à merveille
car il rougit d’embarras. Il tousse pour reprendre contenance puis détourne
habilement la conversation.
— Enfin pour en revenir à ce que nous disions,
effectivement, j’ai bien réussi mais j’ai surtout eu beaucoup de chance.
— Pourquoi ? Parce que tes parents t’ont aidé ?
ne puis-je m’empêcher de riposter.
— Non, répond-il sans se démonter. Masi parce que le
marché des antiquités étaient en plein essor lorsque je me suis lancé. Mes
parents n’ont rien à voir avec mon succès, je ne leur doit rien sur ce coup-là.
— …
— J’ai commencé en me salissant les mains comme tout le
monde, continue-t-il voyant que je ne réponds pas. J’ai fouillé dans des
brocantes, des vide-greniers et même parfois chez des particuliers qui
souhaitent se débarrasser d’objets qui les encombraient. Je me suis rapidement
fait un nom dans le milieu…
— Tu as toujours eu l’œil pour dégoter des objets
insolites et qui rapportent beaucoup d’argent.
— J’ai surtout toujours été très passionnée par les
belles choses, réplique-t-il.
Son regard insistant posé sur moi me fait
rougir jusqu’à la racine des cheveux. Dois-je prendre cette dernière remarque
pour un compliment ? Ai-je été une « belle chose » dans sa
vie ?
Heureusement, l’arrivée d’Olivia et Pierre
me dispense de répondre, d’ailleurs je n’aurais pas su quoi dire. Une fois les
présentations faites, nous ne perdons pas de temps et nous entrons dans le vif
du sujet.
Je leur fais un résumé de ce que m’a
rapporté André et leur demande la liste des invités. Je suis soulagée lorsque
Pierre me la tend : ainsi, il y aura cinquante invités au vin d’honneur et
dix-neuf au repas.
— Dix-neuf ? demandai-je. Je n’en avais compté que
dix-huit, dis-je en énumérant les personnes que j’avais retenues.
— Je pense qu’Olivia t’a comptée parmi les invités pour
le repas, finit par me signaler André.
— Pardon ? m’étonnai-je. Je ne suis pas une
invitée, je suis votre employée. Je ne peux pas…
— Cela me ferait tellement plaisir. Je e rappelle que
vous étiez très proches d’André lorsque j’étais petite, me supplie Olivia.
— Eh bien, je…
balbutiai-je. Je ne pense pas…
André et moi avons un passé commun, certes
mais je n’ai jamais été très proche d’Olivia. Elle était la petite sœur d’André
et notre relation s’arrêtait là.
— Et puis, je t’adorais. Cela ne te dérange pas que je
te tutoie comme avant.
— Non, bien-sûr…
Mais visiblement, elle ne m’écoute pas car
elle continue :
— Tu étais toujours tellement sûre de toi, prête pour
affronter n’importe quelle situation. Tu n’as pas changé d’ailleurs ! Cela
me ferait tellement plaisir si tu te joignais à nous en tant qu’amie… Ou en
souvenir du bon vieux temps, si tu préfères !
Je suis tellement gênée. Notre relation
avec André ne s’est pas terminée dans les meilleures conditions. Cela a même eu
quelques conséquences néfastes dont le départ prématuré de ma mère de la maison
des Felton où elle travaillait comme femme de ménage.
— Eh bien, c’est que… Je ne voudrais pas embarrasser vos
familles…
Enfin, surtout la famille Felton.
— Ne dis pas de bêtises ! Personne ne sera
embarrassé, n’est-ce pas André ? réplique Olivia, quêtant un soutien de
son frère, qui sourit et acquiesce. Et puis, j’ai tellement parlé de toi à
Pierre. Tu fais presque partie de la famille.
Je ne sais quoi répondre. Tout ce que dit
Olivia pour me convaincre me fait réellement chaud au cœur et j’avoue que les
larmes manquent de me monter mais je me retiens.
— Vous savez, me sauve Pierre, il est impossible de
résister à Olivia. Si elle a décidé de vous inviter, elle fera en sorte que
vous participiez, que vous le vouliez ou non. Je vous conseille d’accepter tout
de suite si vous ne voulez pas subir l’une de ses machinations infernales.
Un léger sourire flotte sur ses lèvres
lorsqu’il me met en garde. Il lance un regard empli d’amour à sa dulcinée et je
sais déjà qu’ils ont gagné.
— Eh bien, soit, je serais présente au repas puisque je
n’ai pas le choix, dis-je en jetant un petit coup d’œil à André.
Ce dernier m’observe mais ne laisse rien
paraitre. Comme toujours… Qu’il peut être agaçant ! On dirait qu’il a un
masque sur le visage qui lui permet de dissimuler ce qu’il ressent !
Parfois, j’ai bien envie de lui arracher pour savoir ce qu’il cache !
Je me détourne et continue de poser des
questions au couple sur ce qu’ils désirent pour ce jour unique. Olivia est très
enthousiaste face à mes propositions, tandis que Pierre semble sur la réserve.
Olivia voudrait une ambiance bohème chic.
Rien d’extravagant. Elle propose comme couleurs principales, du blanc et du
vert tendre. Ce que je trouve parfaitement raccord avec son thème.
Je conviens avec Olivia d’un rendez-vous
pour les essayages de robes. Pierre préfère aller choisir son costume en
compagnie de son frère Antoine et de son futur beau-frère, ce qui ne me dérange
aucunement.
André et la sœur de Pierre, Claire,
viendront avec moi pour goûter au repas que La
folle bouchée, mon premier choix en tant que traiteur, nous proposera.
— Pour la pièce montée, je connais une excellente
pâtissière, elle s’appelle Nyeck Astride. Elle travaille à l’hôtel La Falaise
mais je pense pouvoir la débaucher le temps d’une soirée.
Je connais très bien le directeur,
renchérit Pierre. Je pense que cela ne posera aucun problème si je lui emprunte
l’une de ses employées. Il me doit quelques faveurs de toute façon.
Je suis surprise mais n’en montre rien.
Ainsi Pierre a plus d’influence que je ne l’aurais pensé. Ce mariage sera sans
doute très intéressant pour mon carnet d’adresses et ma réputation.
Nous continuons pendant deux bonnes heures
de discuter de divers préparatifs. Le temps étant compté, nous devons faire
vite si nous voulons atteindre la perfection. Et je veux à tout prix satisfaire
mes clients.
Lorsque je les quitte enfin, mon carnet de
notes est rempli et mon agenda contient la promesse d’un nouveau rendez-vous en
compagnie d’André. Mais je n’ai pas le temps de m’appesantir ; je dois
rejoindre les Diwouta pour revoir le plan de table et le déroulé de la journée.