Mesure draconienne
Write by Farida IB
Debbie….
Je roule à vive allure en direction de la maison de mon grand-oncle. Je ne peux exprimer ce que je ressens en ce moment qu'en utilisant une métaphore. Je veux qu’on m’explique, parce que là, je suis perdue. J’ai besoin qu’on me dise que cette confession poignante n’en est pas une. Je secoue la tête déroutée, extrêmement. J’ai du mal à comprendre qu’on puisse faire ça à des enfants, des bambins. Et ça dure depuis quand ? Je n’ai rien vu, j’étais là et je n’ai rien remarqué. Ça explique clairement le changement de comportement de Caroline. À l’instar de Sophie, elle était une petite clown pleine de vie. Du jour au lendemain elle est devenue un enfant isolé, d’un calme excessif. Ça, ça aurait dû m’interpeller. Et ma mère alors, et tous les autres, comment on a pu passer à côté de ça ? (soupir)
Je ferme les yeux pour laisser libre cours à mes larmes, penser qu’elle a essayé de me mettre la puce à l’oreille me met encore plus en colère. Je m’en veux terriblement, je me sens mal de les avoir négligé à ce point, je me déteste. J'ai toujours pensé que ça n'arrivait que dans certaines familles, que les publications sur les réseaux sociaux étaient de pures inventions. Car je n’ai jamais voulu croire qu’une personne, ayant toutes ses facultés mentales puisse faire preuve d’une telle sorcellerie. C’est tout simplement méchant et abject. Je préfère encore les sévices physiques qu’il les fait subir à ça. Je préfère sincèrement.
Je manque de tomber en freinant bruitalement devant la maison. Je laisse la moto sur le sol et fonce droit vers l'interieur. Je pousse la porte en tôle avec fracas et je suis tout de suite harponnée par la fille aînée de Fo-Yéma. Je l’entends dire quelque chose, mais jusqu’ici, je suis comme atteinte de surdité.
Moi hystériques : Fo-Yéma sort, sort ici !
Angèle : ho, c’est à toi que je parle ! C’est quoi tout ce boucan ? Il y a mort d’hommes ou quoi ?
Moi : il va en avoir toute à l’heure. C’est l’animal qui te sert de père que je suis venue voir (le hélant) Fo-Yéma porte tes couilles d’éléphant et viens me voir. On a des comptes à régler toi et moi.
Sa femme sort précipitamment de leur chambre et me fixe d’une expression intense.
Tante Marie-Bernadette : ah Debbie qu’est-ce qui se passe ? On t’entend dans tout le quartier.
Angèle : dis lui bien ça ! Elle vient crier sur les gens en plein midi comme ça.
Moi à sa mère : navi (tante) je suis venue voir Fo-Yéma.
Tante Marie-Bernadette : ton oncle est parti au travail, il y a un problème ?
Moi parlant vite : ce pédophile doublé de pédé a abusé de mes petits frères. Il a osé poser ses sales pattes sur mes bébés.
Tante Marie-Bernadette tiquant : oh, c’est quoi cette histoire encore ?
Angèle : un peu de respect jeune fille, je te défends d'insulter mon père ! Tu entends !? Non, mais pour qui tu te prends ?
Moi la ramassant : respect de quoi Angèle ? Je viens de dire que ton père viole mes petits frères, des enfants de 7 et 3 ans, tu oses me parler de respect ??? (criant) Merde respect !
Des voix : heiiiinnnn !!??? / Yéssouuuu !!!!
Sa mère tombe sur ses genoux, les deux mains sur la tête. Angèle me regarde simplement et les voisins qui se sont déjà attroupés murmurent entre eux.
Tante Marie-Bernadette en pleurs : Yéma va me tuer loooo, ohhh Yéma, Yémammmm ehhhh jusqu’à quand ?
Moi : anh c’est même son travail inh, ok ! Mais qu’il sache que c’est ici son terminus, ma part ne restera pas impunie. Je le jure sur la vie de mes frères que je n’aurai pas de répit tant qu’il ne paie pas bien cher de sa peau.
Angèle me fixant avec dédain : parce que tu vas lui faire quoi ? Le tuer ? Tchhrrr tu as même des preuves de ce que tu avances ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’on n’a jamais vu ?
Moi martelant : ce qui s’apprête à suivre !!!
Je tourne les talons pour partir, mais sa mère se jette à mes pieds et m’entoure les jambes.
Tante Marie-Bernadette (ton suppliant) : je t’en supplie ma fille, ne fais rien qui puisse nous porter préjudice. Je sais que tu es en colère. Ce qu’il a fait n’est pas bien, c’est au-delà de la méchanceté, mais il a une famille qui compte sur lui. Quoi que tu décides de faire, pense à nous.
Moi la fixant indifférente : ce n’est fichtrement pas mon problème.
Je lance un appel vers le numéro d’Armel en sortant de là comme je suis venue. Je redémarre rapidement le téléphone collé à l’oreille. Je roule sur une certaine distance avant qu’il ne décroche.
Moi : allô bé tu peux m’emmener voir ton oncle s’il te plaît ? J’ai une déposition à faire, c’est urgent.
Armel : euh, qu’est-ce qui se passe ?
Moi : il a violé les enfants Armel.
Armel : violé quel enfant ? Qui ça il ?
Moi : Fo-Yéma, il abuse de Caroline et sodomise Junior. Junior Armel, mon…
J’étouffe un sanglot et me gare sur un côté de la route.
Armel : tu es où ? J’arrive de ce pas.
Moi : appelle ton oncle.
Armel : je le ferai, tu es où là ?
Moi : je suis à sa recherche, je vais le retrouver et le tuer de mes propres mains !
Armel : non bébé calme-toi. C’est à la police de régler ça, je vais les chercher. Toi rentres à la maison, je te reviens très vite.
Moi soupirant bruyamment : d’accord.
Je range le portable dans ma poche de pantalon et essuie mes larmes avant de reprendre la route. Lorsque j’arrive au quartier, je vois toute ma famille dehors. Ils sont debout de bout en bout. À en juger par leurs visages préoccupés, Noémie les a soufflé quelque chose.
Grand-maman qui m’aperçoit : Dieu merci elle est là.
Ils se précipitent vers moi alors que je descends précipitamment et vais prendre Junior et Caroline dans mes bras en pleurant.
Moi : je vous demande pardon mes bébés, je suis vraiment désolée de ce qui vous est arrivé.
Dada : Debbie qu’est-ce qui se passe ? Nous étions tous inquiets, ta sœur nous a dit que tu es partie de l’école comme une furie.
Moi répétant : je suis désolée, il vous a fait du mal.
Je sens une main qu’on pose sur mon épaule.
Grand-pa : parle Debbie, on aimerait tous savoir ce qui arrive.
Il y a quelqu’un qui me sépare des enfants puis ils me font asseoir sur une chaise. Noémie m’apporte un verre d’eau que je décline.
Moi commençant : la maîtresse de Caroline m'a exposé l'objet de sa convocation.
Dada : je le savais, je savais que Caroline avait encore fait quelque chose de grave.
Moi m’insurgeant : voilà, c’est exactement pour ça que l’enfant pense que tu ne l’aimes pas. Tu ne veux même pas entendre la suite avant de l’acculer.
Dada : tchhhrr donc elle est partie dire à sa maîtresse que je ne l’aime pas hein ? Qu’est-ce que ça peut me faire ce qu’elle pense ? C’est un enfant, il faut la discipliner ! Je ne suis pas là pour céder aux caprices d’un enfant têtu comme Caro. À son âge, tu lui parles, elle t’ignore royalement. Que ça va commencer où ?
Moi très remontée : dada assez !
Papa : Deborah baisse d’un ton, tu parles à ta mère ne l’oublie pas.
Moi dans ma lancée : elle est tout le temps sur le dos de l’enfant, mais elle n’a même été capable de se rendre compte que son cousin la viole.
Dada : comment ça violer ? Quel cousin ?
Moi : le même qui vient la tabasser ici sans raison apparente.
Elle me regarde comme perdue, ou même perplexe.
Papa : de quoi parles-tu ?
Moi : ce porc de Fo-Yéma me viole les enfants.
Dada sursaute pendant que j’ajoute.
Moi : Junior ne souffre pas d’hémorroïdes, c’est lui la cause des déchirures et les douleurs anales dont il se plaint fréquemment.
Grand-pa : Debbie, cette affirmation est très grave. Tu en es sûre ?
Dada sceptique : elle doit certainement mentir, Yéma ne peut pas me faire ça à moi. Non, je lui connais des vices, mais violer des enfants, de surcroit les miens. (secouant la tête désarçonnée) Non Deborah, tu mens.
Moi : j’ai la preuve, dada. Demandez à Caroline !
Papa au tac : Caro, c’est vrai ce que dit ta sœur ?
Caroline se met à pleurer, sûrement troublés par le regard appuyé que tout le monde a braqué sur elle. Je la ramène contre moi pour la bercer.
Moi : ça va ma puce, c’est fini d’accord ? Il ne te touchera plus jamais, je te le promets.
Je sors sa copie que je remets à Noémie qui la lit à haute voix, s’en suit un silence pesant. Ensuite, j’entends papa jurer entre ses dents, grand-pa a un mouvement de recul et dada lâche un cri de désespoir.
Dada croisant la main sur la tête : mon Dieu mes enfants !
Grand-maman : wouyi wouyi wouyi attrapez-moi, attrapez-moi ! Mon cœur, mon cœur…
Elle était à deux doigts de chanceler, mais Grand-pa la rattrape de justesse.
Grand-pa : Célè fait attention à ta tension.
Papa la soutenant par le bras : viens, viens t’asseoir.
Grand-maman : non laissez-moi, je suis bien portante.
Elle se dégage de leur emprise et se dirige vers la maison furieuse. Grand-pa la suit. Noémie abandonne la lecture à un moment et s’assoit à côté de moi le visage grave et dada pleure à chaudes larmes les enfants dans ses bras.
Noémie : je ne comprends pas, quand est-ce qu’il a pu faire ça ?
Moi soupirant : je n’en sais rien. Le pire, c’est qu’il ne l’a pas fait qu’une fois.
Grand-maman ressort de la maison et marche en regardant droit devant elle. Je me lève d’un bond en remarquant qu’elle s’est changée.
Moi : ah, elle va où ?
Grand-pa derrière elle : je ne sais pas, suivons là.
On s’exécute.
Papa les suivant : maman, tu vas où ?
Grand-maman : je vais tuer ce Yéma aujourd’hui, je vais le tuer.
Une voiture de police se gare à notre hauteur. À point nommé, je dirai. Je vois Armel sortir suivi de près de son oncle. Ils lancent une salutation générale et l'oncle me parle en refermant la portière du côté chauffeur. Je m’approche de lui.
Oncle Armel : Deborah ça va ?
Moi : pas vraiment tonton Simon.
Oncle Armel : j’imagine un peu. Armel m’a expliqué, mais j’aurai besoin de quelques informations supplémentaires. As-tu une preuve, des justificatifs à l'appui de tes accusations ?
Moi : pour le moment, la seule preuve qui l’accable est une sorte de confession écrite par la petite.
Je fais signe à Noémie qui vient lui remettre la copie et pendant qu’il lit dada arrive tout en pleurs.
Dada à moi : c’est toi qui as appelé la police ?
Moi : oui.
Oncle Armel (me montrant la copie) : ça constitue un motif assez raisonnable, je vais appeler la centrale. Vous connaissez son domicile ?
Moi : j’y étais, il paraît qu’il est à son boulot. Je connais là-bas.
Oncle Armel : ok, allons-y.
Dada : est-ce que c’est vraiment nécessaire ? On peut régler ça en famille.
Je la considère avec mépris.
Grand-maman prenant le devant : mon enfant, allons !
Armel : grand-maman…
Grand-maman la coupant net : je veux être là pour m’assurer que ce diable dorme en prison ce soir.
Oncle Armel amusé : ne vous inquiétez pas grand-maman, j’y veillerai au grain.
Grand-maman : je viens quand même !
Oncle Armel lui souriant : d’accord (s’adressant à moi) la petite doit être là, elle aussi.
Moi : ok, je vais la chercher.
Papa : je viens avec vous.
Grand-maman est bien calée sur le siège avant et nous autres nous cherchons dans le cargo. Nous ne retrouvons pas Fo-Yéma à son travail, mais au domicile familial. Une patrouille nous trouve sur place avec un mandat d’arrêt. Ce qui l’oblige à nous suivre malgré sa résistance. Arrivé à la centrale, il est immédiatement soumis à des interrogatoires pendant lesquels il nie en bloc les faits. Ils le placent tout de même en garde à vue et Caroline est soumise à un interrogatoire à son tour. C’est après ses déclarations qu’on nous libère. Armel récupère sa voiture sur le parking et nous conduit à la maison où on laisse grand-maman et embarque dada pour le CHU Campus en vue d’établir une preuve médicale. On croise le docteur dans le hall qui ne cache pas sa surprise.
Docteur : Deborah tu es toujours là ? Je pensais que mon agent avait fini avec vous ?
Moi : en effet, je suis revenue pour un autre problème.
Docteur : ah bon ? (s’adressant aux autres) Toutes mes excuses, bonsoir.
Ils répondent en chœur et j’enchaîne.
Moi : ma petite sœur a été… A été…
Papa intervenant : on peut vous parler en privé s’il vous plaît ?
Docteur : bien sûr, allons dans mon bureau.
On le suit dans le bureau et c’est papa qui lui relate la situation. Il procède à un examen en présence de ma mère et moi. Lorsqu’il relève les jambes de Caroline repliées sur la table, je ferme les yeux sous le choc et ma mère pousse un cri de stupeur.
Moi : c’est carrément un puits qu’on a là.
Maman : c’est trop, ça ne peut pas être Yéma seul qui soit passé par là.
Docteur : peut-être qu’il le fait depuis longtemps.
Moi : apparemment oui (faisant couler une larme) oh mon Dieu pourquoi ? Pourquoi être si méchant ?
Docteur : malheureusement, les temps où nous vivons sont si remplis de méchanceté. On ne peut faire confiance à personne. C’est pour cela qu’il faut être vigilant, surtout lorsqu’il s’agit des enfants. Particulièrement sur leur bien-être, les changements d’humeurs. Dès le bas âge, vous devez les sensibiliser au fait que personne n'a le droit de regarder leur sexe s’ils ne sont pas d'accord, encore moins le droit de le toucher. Apprenez-leur à savoir dire non et à savoir qu’ils ont le droit de dénoncer.
Moi : c’est compris docteur, merci.
Docteur regard compatissant : je t’en prie ma jolie. J’ai tout ce qu’il faut pour faire mon rapport. Je vais vous prescrire une ordonnance. Toutefois, vous devez la ramener pour des examens spécifiques.
Moi : d’accord sans souci.
Je sors du bureau complètement désemparée et tombe sur Armel qui discute avec une jeune dame que je ne vois que de profil. Pendant que ma mère explique la conclusion du docteur à mon père, je suis leurs faits et gestes avec intérêt. Armel a une main dans la poche et de l’autre, il se masse le cou et la jeune dame croise et décroise ses mains sous sa poitrine. À un moment, Armel se passe la main sur le visage puis je l’entends soupirer et c’est à ce moment que nos regards se croisent. Il dit quelque chose à la jeune dame juste avant qu’ils nous rejoignent tous les deux.
Armel : vous avez fini ?
Moi : oui, on doit passer à la pharmacie.
Armel : je vais m’en occuper.
Je hoche la tête en fixant la jeune dame qui fait de même.
Armel : désolé, c’est ma doyenne dont je t’ai parlé ce matin.
Moi : ah d’accord.
La jeune dame (regardant Armel) : la copine ?
Armel : oui, c’est Deborah, ma copine. Deborah, elle c’est Cannelle.
Je vois mes parents s’échanger un regard et dada tourne son sourire ravi à contresens.
La jeune dame : enchantée.
Moi : moi de même, j’espère que votre amie va mieux.
La Cannelle : il y a du mieux oui.
Moi : Dieu merci.
Armel (s’adressant à elle) : je dois y aller, tu diras à Sali que je passerai la voir plus tard.
La Cannelle : je lui passerai le message.
Elle rebrousse chemin et Armel passe chercher les produits à la pharmacie du CHU avant qu’on lève le camp de là. Le reste de la journée se passe dans une atmosphère funeste. Je ne voulais plus lâcher les enfants qui dorment avec moi cette nuit-là.
Très tôt le lendemain, je les apprête pour les conduire à hôpital. J’emmène Caroline au docteur Boris pour les examens spécifiques dont il parlé ensuite nous irons voir le psychologue de l’hôpital. C’est une idée de la mère d’Armel, elle était passée hier nous apporter son soutien. Quand je finis, je prends son visage en coupe et lui fais un bisou et entreprends d’habiller Junior. Dada arrive sur ces entrefaites, elle toque doucement à la porte et me demande si elle peut entrer. J’acquiesce de la tête et elle entre.
Dada : bonjour, vous avez pu dormir un peu ?
Moi : bonjour, oui. On s’apprête à retourner à l’hôpital.
Dada : tu y vas avec ta grand-mère, c’est ça ?
Moi : oui, elle a insisté.
Dada : d’accord.
Elle ramène Caroline contre elle et se met à la cajoler.
Dada : ça va bien ? Tu as mal quelque part ?
Caroline secoue négativement la tête.
Dada : ne te fâche pas si je te gronde trop, je veux ton bien d’accord ?
Elle fait oui de la tête.
Dada : j’ai préparé de la bouillie d’Aklui, c’est sur la table à la véranda. Vas-y avec ton frère, Sophie va vous servir.
Elle acquiesce et ils s’en vont en courant. Dada se tourne vers moi.
Dada : je voulais qu’on parle toutes les deux.
Moi : je t’écoute.
Dada : je voudrais que tu ralentisses un peu par rapport à l’emprisonnement de Yéma.
Je veux parler, mais elle me stoppe d’une main qu’elle lève en l’air.
Dada : je veux juste que tu prennes un peu du recul avant de décider quoi que ce soit. Là nous sommes tous en colère et la colère n’engendre rien de bon. De plus depuis hier, j’ai toute la famille sur le dos. Debbie, sa femme attend un bébé. Sans compter ses autres concubines dehors et ses vingt et un enfants à nourrir.
Grand-maman (qui arrive à ce moment là) : on n’en a que faire Adjoa, ce n’est pas notre problème s’il a la terre entière à nourrir. Il n’avait pas à s’en prendre à mes petits enfants. Moi Célestine, je te promets de faire tout ce que je peux pour qu’il croupisse en prison.
Moi me levant : je crois qu’il n’y a plus rien à ajouter.
Grand-maman à moi : si vous êtes prêts, on y va !
Moi : nous sommes prêts, grand-maman.
Je vais chercher ma moto et pose les enfants dessus, je nous traîne dehors et mets le contact pour chauffer le moteur quand Tante Marie-Bernadette débarque avec une fanfare de pleurs, de lamentations et de supplications.
Comme si ça pouvait m’émouvoir.
*** Trois semaines plus tard ***
Cassidy….
Je dépose un dernier sachet de course sur le pallier de l’appartement qu’occupe Saliha depuis sa sortie d’hôpital et appuie sur le bouton de la sonnette. Lorsque j’entends ses pas dans le vestibule, je lui lance notre mot de passe.
Moi : 6 T 4 Vie. « Sister pour la vie »
Elle ouvre la porte avec empressement et par la porte entrebâillée, elle me gratifie d’un large sourire auquel je réponds de la même manière.
Saliha : enfin, tu es là.
On fait rentrer les sacs de course rapidement.
Moi : je ne suis partie que deux heures Sali.
Saliha : on s’ennuie toute seule ici.
Moi : demain ça ne sera plus le cas.
Elle fait une grimace en s’asseyant sur ses talons. Quand je fais entrer le dernier sachet à l’intérieur je referme la porte à clé et la suis vers le salon où je constate qu’elle a déjà commencé à faire ses valises. On fait donc des allers-retours entre le salon et le vestibule pour déplacer le reste des affaires que j’ai apporté. Elle part demain pour Accra, départ dès le lendemain pour Tunis où elle doit attendre un bateau pendant deux semaines pour pouvoir rejoindre Moustapha en Italie. Ça promet d’être un long et périlleux voyage pour elle, mais c’est le seul circuit que Moustapha connaît et qui nous était accessible. Il faille qu’on la fasse quitter Lomé au plus vite et on s’est tous démené pour que ça se fasse en moins d’un mois.
Moi taquine : cache un peu ton empressement !
Saliha : c’était pour faire passer l’ennui. Crois-moi, je n’ai pas envie de partir (me lançant un regard triste) j’ai l’impression d’abandonner une partie de moi ici.
Moi soupir : tu es aux abois, tu ne peux pas te cacher indéfiniment ou prendre le risque que ta famille remette la main sur toi. Lomé est trop étroit, un beau jour, tu vas te faire pianer.
Saliha baissant le regard : ouii
Moi relevant son menton : hey tu devrais te réjouir d’aller retrouver ton Tapha.
Elle me regarde et soupire.
Saliha : ce n’est pas une idée qui m’enchante vraiment.
Moi plissant les yeux : et pourquoi ça ?
Saliha : tu crois qu’il va aimer ce qui reste de moi ? J’ai l’impression d’être un bout de viande qu’on a charcuté.
Moi : le docteur a dit que ça devrait cicatriser jusque-là.
Saliha : mais j’ai du mal à vivre avec (ton mélancolique) ça revient incessamment, des flash-backs qui me ramènent aux douleurs, aux sensations éprouvées durant ces deux semaines. Je revois ma mère me convaincre de l’accompagner faire une course rapide, j’entends mes cris quand deux hommes me portent dans cette case horrible et me bâillonnent le visage et les jambes pour que la femme m’opère la vulve. (la lèvre tremblante) Je peux sentir chaque piqûre d’aiguille du bout d’un labia à un autre, les jambes tremblantes. Mes supplications, le regard indifférent de ma mère. (fondant en larmes) Ma propre mère n’a pas eu pitié de moi, Cassie. Elle m’a jeté en pâture à ce vieux sorcier et ses décoctions miteuses.
Moi la prenant dans mes bras : arrête de penser à ça, c’est fini.
Saliha : elle a détruit ma vie Cassie.
Elle éclate en sanglots et je me mets à pleurer avec elle. Je ne peux pas vous dire à quel point, c’est difficile, insupportable, voir même pénible de la voir dans cet état. Tant elle est dévastée. Ça ne tenait qu’à moi, elle les aurait envoyé paître en prison, mais elle est catégorique sur cette idée. J’attends qu’elle se calme un peu pour aborder le sujet.
Moi : tu es bien certaine que tu ne veux pas les dénoncer ? Même pas le gourou ?
Elle essuie ses larmes du revers de la main avant de répondre en secouant la tête en signe de désapprobation.
Saliha : ce serait me jeter dans la gueule du loup.
Moi : ça c’est vrai.
Saliha : quant à ma famille (fixant le vide) je laisse cela sur leur conscience. Leurs remords se chargeront de les consumer à petit feu.
Moi : j’aurais préféré qu’on agisse coup-contrecoup, mais j’aime bien ton plan. C’est plus ingénieux.
Elle me sourit.
Moi en la fixant : je sais que tu surmonteras tout ça très vite, tu es une petite femme forte.
Saliha s’insurgeant : femme forte, je ne suis pas petite !
Moi riant : ouais ouais du haut de tes 1 m 57, petite assume un jour que tu es courte !
Elle fait des yeux de merlan frit, je rigole vite fait.
Moi : en passant ta mère m’a encore tamponné au quartier ce matin.
Saliha : elle te menace encore ?
Moi : cette fois-ci j’ai retourné la situation contre elle. Je l'ai fait pour brouiller les pistes. Je lui ai dit que j’allais la dénoncer à la police pour harcèlement en plus d’avoir signalé ta disparition étant donné que ça fait un mois qu’on n’a pas de tes nouvelles. Que des enquêtes sont en cours et qu’elle se prépare à recevoir la visite des flics.
Saliha : et qu’est-ce qu’elle a dit ?
Moi : elle est devenue blême, si tu pouvais la voir. Elle a failli faire une crise cardiaque, c’était trop hilarant.
Saliha : krkrkr elle ne paie rien pour attendre, c’est le début du commencement.
Moi : et c’est triste que vous en arriviez là.
Saliha dans un soupir : tu l’as dit.
Je me lève et me dirige vers la cuisine.
Moi : il y a quoi à manger ? J’ai faim.
Saliha : il y a les restes d’hier.
Moi (me tournant à demi la moue boudeuse) : j’ai envie de manger autre chose.
Saliha : comme un Tchep de mouton par exemple.
Moi : tu veux manger du Tchep ?
Saliha se relevant : du Tchep à la Cassie cute Yummy Food.
Moi haussant les sourcils : c’est encore quoi ça ?
Elle me rejoint et nous regagnons toutes les deux la cuisine.
Saliha : c’est ton pseudonyme culinaire, tu sais que tu cuisines trop bien ?
Moi : lol si tu dis ça pour ne rien à avoir à faire, tu as menti.
Saliha ton riant : nan, je suis sérieuse. Ce sont tes plats qui vont me manquer le plus, ça va aussi me manquer de faire ça.
Elle me palpe un sein.
Moi : l’autre s’il te plaît.
Elle palpe le second pendant qu’on rit. Je sors les ingrédients pour le Tchep et on s’y met en discutant. Pendant que le plat mijote au feu, on se remet à ranger les affaires dans sa valise.
Ping Sms.
Je lorgne mon téléphone pour vérifier s'il ne s'agit pas de Georges avant de le prendre. C’est Armel qui me prévient de son arrivé ici. Je réponds prestement en lui demandant de monter. C'est prévu qu'il apporte les remèdes de l’imam exorciste destinée à Saliha. Elle est retournée suivre deux ou trois séances d’exorcisme, aujourd’hui elle ne veut même plus entendre parler de son Fofana même pour plaisanter. Moi, j’ai trouvé mon arme de moquerie dont je me sers à profusion (rires) n’est-ce pas qu’elle ne m’a pas cru quand je disais que le sieur Elli pouvait faire recours à une telle pratique ?
Saliha : c’est Armel ?
Moi la fixant surprise : comment tu le sais ?
Saliha : c’est évident, tu as un air particulier quand c'est lui.
Moi : même pas vrai !
Saliha : je parle en connaissance de cause (du tic au tac) il te plaît inh ? Ça se voit que tu en pinces pour lui.
Je la regarde et éclate de rire.
Moi : tu n’y es pas du tout, crois moi.
Saliha s’adossant au canapé : tu devrais en tout cas, c’est un chic type. Moi, j’ai validé, complètement. Avec lui, tu as le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.
Moi : weh, c’est certainement sa copine qui est chanceuse.
Saliha hébétée : il a une copine ???
Moi sarcastique : eh bien, rien ne t’échappe toi ! (radotant) Il a une petite amie de la même génération que lui et à qui il semble beaucoup tenir.
Saliha affaissant ses épaules : c’est dommage.
On entend la sonnerie d’intérieure, je me lève toute souriante pour ouvrir la porte et le laisser entrer. Il lance un bonsoir auquel Saliha répond du bout des lèvres, arborant une mine triste. Je fronce la mienne en pensant « elle est même sérieuse là, cette fille ? ». Je réponds gaiement à Armel pour dissimuler la gêne.
Moi : bonsoir !
Armel : ça va comme vous voulez ?
Moi : oui, nous sommes en plein dans les préparatifs.
Armel : je peux le voir (regardant Saliha) et on a le coup de blues.
Moi qui réponds : oui, on est toute triste à l’idée.
Armel : j’imagine, je suis désolé pour vous. Si on avait pu trouver une solution qui satisfait tout le monde, on l’aurait exploité.
Moi : nous en sommes conscientes. Viens, assois-toi, tu veux boire quelque chose ?
Armel : c’est gentil, je suis juste passé vous remettre le colis de Sali. Deborah m’attend dans la voiture.
Moi regardant Saliha en biais : ah, ta copine est avec toi ? Pourquoi elle n’est pas montée ?
Armel : nous ne sommes pas seuls, au passage elle vous envoie ses salutations.
Moi : merci, tu la salueras de ma part.
Saliha d’un seul coup : mais reste s’il te plaît, elle est en train de préparer du tchep.
Armel : c’est très gentil à toi Sali, mais je suis attendu. Une prochaine fois peut-être.
Saliha : il n’aura plus de prochaines puisque demain, je m’en vais.
Armel : alors on va se faire un déjeuner demain avant ton départ, promis.
Elle veut ajouter autre chose, mais je fais vite d'intervenir.
Moi : ça nous va. Vas-y, on ne fait pas attendre (insistant) la copine.
Armel hochant la tête : exactement.
Saliha nous jette un coup d’œil et souffle, je lui lance un regard implorant.
Moi : vient Armel, je t’accompagne à la porte.
Armel : ok, à demain Sali.
Elle le regarde et souffle.
Moi fixant Armel : le blues.
Armel (avec un léger mouvement de tête) : le blues !
J’ouvre la porte et m’écarte pour qu’il puisse passer lorsqu’on entend Saliha soupirer à nouveau.
Saliha : c’est vraiiiimmmenttt dommage.
Je lui fais les gros yeux, elle hausse les épaules. Armel s'excuse encore une fois et réitère sa promesse de déjeuner avec nous demain avant de partir.