Miranda

Write by Aura

Ô Sympathique !!! Je me souviens de ce nom qui sonnait comme une douce mélodie à mes oreilles. Il y’a encore six mois, je venais de découvrir ce milieu ; un beau restaurant en plein cœur du centre-ville. Il est dissimulé sous de grands feuillages, à l’abris des regards. Un milieu fréquenté uniquement par « ceux qui en ont dans la poche », comme on le dit si bien chez nous. Les nouveaux riches, les anciens bourgeois, les entrepreneurs, bref tout ceux qui sont à la recherche de calme, de discrétion, de douceur et beaucoup de charme, eh ben ce lieu est fait pour eux. Pourvu que vous soyez capable de régler la note du chef, et vous pourrez sans problème profiter des délices qui s’y trouvent. Dommage que ce ne soit plus le cas pour moi à présent !!!

Je pousse un soupir quand le chauffeur s’arrête à quelques pâtés du restaurant. Il gare à quelques mètres car je sais qu’il ne peut continuer le trajet plus loin. N’entre au Ô Sympathique que ceux qui ont des voitures personnelles, encore là il faut qu’elles atteignent ne fût-ce que les 20 millions pour pouvoir entrer ici. Bref, je règle ma facture et descends du taxi. Je rajuste mon sac en bandoulière et ma tenue du jour : mon jean le plus cher de ma penderie, mon chemisier récemment dégoté chez Gueye Mamadou et des Air –Force de chez City Sport. Pour l’occasion, j’ai mis la montre en cuir qu’une de mes cousines venues d’Espagne, m’avait offerte. Comme coiffure, j’ai opté pour des mèches tressées façon rasta que j’ai coiffé en chignon. Bref, je suis présentable pour la circonstance. J’ai pris le soin d’être à mon avantage. Je me suis faite une manucure de dingue, un soin de visage complet depuis un mois, au point où mon visage rayonne. Les boutons et tout l’acné qui l’habite au quotidien ont fini par disparaitre. Tout ça grâce au nouveau traitement de la peau que j’ai fait. Honnêtement, je me sens belle et en confiance pour une fois. 

Je prends une grande inspiration et gravis la petite pente qui mène à l’entrée du restaurant sous un soleil accablant. J’arrive finalement à l’entrée du restaurant où je prends le soin de remettre ma pièce d’identité à la guérite. Les portiers en face de moi me dévisagent comme si j’étais un microbe. Mais je n’en ai cure. Tout ce que je veux, c’est entrer dans ces locaux et rencontrer la personne pour qui je me suis autant sacrifiée toutes ces quatre dernières semaines. 

J’arrive enfin à l’accueil et croise Annie. Je la salue gaiement, mais elle feint de ne pas se souvenir de moi. C’est étonnant puisque j’ai toujours demandé à ce que François lui laisse un gros pourboire. Elle a toujours été ouverte et gentille avec moi au point de m’appeler sa sœur. Qu’est-ce qui s’est passé ? Au lieu des « tu » habituels, elle me vouvoie comme si elle ne me connaissait pas. Je digère la situation et demande juste à rejoindre la table du « docteur ». Elle me regarde avec tellement de dédain que j’ai l’impression d’avoir du vomi sur moi. Ce n’est pas de sa faute de toutes façons. Elle me lance « place habituelle » plutôt que de m’escorter. Je vois que les choses ont vraiment changé. 

J’aperçois le personnage dans un coin de la salle, la tête courbée, en train de pianoter son téléphone et un verre blanc posé devant lui aux ¾ vide. Je me rends à sa table en traversant la salle entière. Je fais fi des regards désagréables à mon passage et me concentre sur lui. Je sais que c’est lui. Je le reconnaitrais entre milles, je le connais par cœur comme si je l’avais fait. Je pourrais dessiner les traits de son corps même dans la nuit noire. C’est pour autant dire que je maîtrise le personnage. Je m’avance et prends place à sa table tout en lançant un « coucou ». La seconde d’après, deux yeux bleus se posent sur moi. Je peux lire dans son regard qu’il est surpris et plus que tout embarrassé. Je sais, mais c’était la seule solution pour enfin avoir une entrevue avec lui. J’ai essayé d’aller à son bureau, à la maison, au terrain de golf ou même de tennis, mais l’accès m’y était interdite. La seule solution était de se pointer ici comme tout client de la place. Cela m’a valu de plaquer mes économies pour avoir une tenue décente pour me présenter ici. 

- Que fais-tu ici Laura ? 

- Eh ben je suis là pour toi chéri ! Tu m’as manqué tu sais ?

Il se passe la main sur son visage, l’air exaspéré. 

- C’est gentil de passer, mais j’aurais préféré que ce soit à la maison. 

- Oui, j’ai bien voulu, mais je n’ai plus accès à tous ces endroits depuis que tu as demandé à ce qu’on fasse une pause. 

- Je te le concède. 

- François, que me reproches-tu honnêtement ? Qu’ai-je fait de mal pour que tu me tournes le dos à ce point ? 

- Rien, rien du tout. En fait, je suis hyper pris au boulot, beaucoup de dossiers et puis avec la venue de la délégation médicale française, je suis plus que tout obligé de travailler à leur rythme. Ils sont étrangers ici, alors ils ont bien besoin de mon aide. 

- Je comprends, mais tu aurais quand même pu me faire part de tout cela. Mais pourquoi m’éloignes-tu ? 

- Ce n’est pas personnel tu sais, mes collègues aussi se plaignent autant que je me fasse rare. Je suis désolée, mais je n’ai rien contre toi. Je t’ai toujours dit que tu es une fille spéciale et exceptionnelle. J’ai beaucoup de chance de te connaitre.

Ah oui ? Qu’est-ce que c’était mignon ? Cet homme me fascinera toujours. Mon Dieu, je me suis faite un sang d’encre pour rien. Dans d’autres circonstances, je l’aurai embrassé, mais là je garde mes réserves. Je veux continuer la discussion avec lui, quand une femme brune se pointe près de notre table et lui lance « salut chéri » !!! J’ai à peine le temps de comprendre la situation quand je vois François se lever pour l’embrasser à pleine bouche et lui tirer la table pour qu’elle s’asseye. Je suis éberluée. Mais qu’est-ce qui vient de se passer là ? Il baise sa main et lui souris de toutes ses dents alors que je suis là ? Je pose mon regard sur la dame et je peux dire que même dans dix ans je ne pourrais jamais atteindre sa cheville. Elle est magnifique, le genre que l’on ne voit que dans les magazines de mode. Elle dégage l’assurance, le luxe, l’élégance, le charme envoutant. Sa petite robe volante en toile lui va à ravir. J’ai l’impression d’être une serpillère devant elle. 

Mon raclement de gorge les amène à prêter attention à moi. 

- Oh désolée, je ne vous avais pas vu lance t-elle ! Qui est-ce François ? 

- Euh c’est une patiente Isabelle. Elle est venue me passer le bonjour et me parler des progrès que son traitement connait. 

- Ah d’accord. J’ai toujours su que tu étais le meilleur chéri. 

- Merci mon cœur. Euh Laura, je vous présente Isabelle. Bella, Laura. 

- Enchantée de faire votre connaissance. 

- Ravie bafoué-je. 

- Bien. Laura était sur le point de nous quitter. 

- Oui oui tenté-je. 

- D’accord. Prochainement alors lança t-elle. J’espère au moins que vous nous ferez l’honneur d’assister à notre cérémonie de mariage. 

- Mariage ? 

- Oui oui. Je sais c’est trop tôt. Tout le monde nous le dit. Mais même en deux mois l’amour n’attend pas . 

- Si vous le dites. Au-revoir.  

Sans plus attendre, je m’en vais sans demander mon reste. Je n’ai jamais autant été humiliée de toute ma vie. Je me contiens comme je peux, récupère ma pièce d’identité, stoppe un taxi par chance et rentre chez moi, dans le taudis d’où je viens. Le taudis qu’il n’a jamais eu honte de visiter. Notre maison qu’il a toujours trouvé accueillante, ma famille qui l’avait toujours chaleureusement reçu. Non pas à cause de la couleur de sa peau, mais en raison de son humanisme. Je ne voulais pas de cette relation au départ. Il était trop grand pour moi et ce sur tous les plans. Il est blanc et moi noire. Il mesure 1m75, alors que je frôle les 50. Il a un boulot de dingue (médecin de l’ambassadeur), alors que je me bats avec les miettes que je gagne en tant que vacataire d’un établissement public, il a la bonne vie, alors que je n’ai rien. Pire encore, nous avons un écart d’âge considérable : 14 ans. Je ne voulais pas, mais il a su me rassurer, me montrer que j’étais spéciale à ses yeux et que le bling-bling ne représente rien devant les valeurs que l’on avait. 

Trois ans de ma vie foulés au sol comme un chiffon. De toutes façons, je l’ai cherché. Je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même. Prochainement, je jouerai dans ma catégorie. Je crois aujourd’hui que le bonheur et tous ses petits détails ne me sont pas réservés. L’amour, la richesse, la santé, la paix, même la beauté ce n’est pas pour moi. Je dois apprendre à rester à ma place, à ne plus rêver et surtout à rester derrière la vitrine et regarder les autres acquérir toutes ces bonnes choses. J’ai compris que je ne suis pas faite pour atteindre le ciel et briller parmi les étoiles. Ma place, eh ben ma place, elle est dans la boue…. 


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