Mission réconciliation 1
Write by belleetrebelle
La mission de réconciliation, cette fois, fut menée avec une stratégie et une solennité toutes différentes. Le chef de famille d’Armand, son oncle paternel, convoqua une réunion avec Armand et son père. Assis dans le salon aux meubles en acajou massif, l’atmosphère était grave.
« Armand, commença son oncle, nous sommes prêts à porter ta parole. Mais nous devons être sûrs de ta position. La dernière fois, tu as refusé de voir ton enfant. Que dis-tu aujourd’hui ? »
Armand, les mains jointes, le regard clair, répondit sans détour. « Je suis prêt, mon oncle. J’ai tourné la page. Non pas celle de la douleur, mais celle de la colère. J’ai compris que je n’avais pas seulement perdu une femme, j’ai rejeté ma propre famille. J’ai besoin d’elles. De Chloé, de ma fille. Nous ferons les choses différemment cette fois. Pas sur des cendres, mais sur de nouvelles fondations. »
Satisfait de cette profession de foi, l’oncle se rendit à son tour chez le père de Chloé. Les deux patriarches, liés par le respect et désormais par ce drame familial, parlèrent longtemps sous le manguier de la cour. Ils s’accordèrent sur une approche en deux temps, respectueuse de la fragilité de la situation. La mère de Chloé, bien que sceptique, accepta de jouer le jeu, convaincue que sa fille devait au moins entendre la parole de l’autre famille.
Premier pourparler : La parole des sages
Ils arrivèrent un après-midi sans Armand. L’oncle d’Armand et son père, accompagnés d’un ancien du village. La présence de ces hommes, empreinte de gravité, fit battre le cœur de Chloé plus vite. Ils s’assirent, refusant le rafraîchissement, allant droit au but.
« Ma fille, commença l’oncle, nous venons non pas pour te forcer la main, mais pour te porter la parole d’Armand. L’homme qui parle aujourd’hui n’est pas le même que celui qui t’a rejetée. Il dit avoir tourné la page de la haine. Il dit avoir besoin de sa famille. Il reconnaît ses torts dans la manière dont il a agi après la naissance. »
Chloé écouta, le visage de pierre. Elle remercia les anciens pour leurs efforts, mais resta ferme. « Je respecte votre parole, mes pères. Mais les blessures sont profondes. Je ne suis plus la femme qui attend le pardon. J’ai appris à vivre sans lui. Je ne peux pas risquer de replonger ma fille et moi dans cette incertitude. »
Les hommes repartirent, l’air préoccupé, mais avec la certitude d’avoir semé une graine.
Deuxième pourparler : La présence du repentir
Quelques jours plus tard, ils revinrent. Mais cette fois, Armand les accompagnait. En le voyant franchir la porte, pâle et les traits tirés par l’émotion, Chloé sentit un tremblement lui parcourir les jambes. Il était là, non en maître, mais en suppliant, derrière les épaules de ses aînés.
Il ne la regarda pas tout de suite. Son regard chercha immédiatement Mireille, qui jouait sur un tapis dans un coin de la pièce. Le silence était absolu, pesant. Les formalités furent expédiées. Puis, l’oncle d’Armand prit la parole.
« Chloé, nous revenons avec l’intéressé lui-même. Armand a quelque chose à te dire. »
Tous les regards se tournèrent vers lui. Armand avança d’un pas maladroit. Ses yeux se posèrent enfin sur Chloé, et il vit dans son regard non de la haine, mais une froideur qui lui fit bien plus mal.
« Chloé, commença-t-il, la voix rauque. Je… Je ne suis pas venu pour faire de beaux discours. Les mots ont été trop souvent des armes entre nous. »
Il fit alors un geste qui glaça le sang de tous les présents. Il s’approcha lentement du tapis où se trouvait Léna. Il s’agenouilla, sa grande silhouette semblant soudain très fragile.
« Je viens pour elle, » murmura-t-il.
Il tendit des mains tremblantes vers le bébé. Chloé, figée, malgré la douleur de cette phrase , elle ne l’en empêcha pas. Léna, intriguée par ce visage nouveau, le regarda sans pleurer. Avec une infinie précaution, Armand la souleva et la serra contre sa poitrine.
Au contact du petit corps contre le sien, quelque chose se brisa en lui. La carapace de colère, d’orgueil et de douleur qu’il avait mis des mois à construire vola en éclats. Il enfouit son visage contre la joue douce de sa fille, et les sanglots qu’il retenait depuis des mois explosèrent enfin, silencieux d’abord, puis déchirants.
« Pardon, sanglota-t-il, la voix étouffée dans le cou de l’enfant. Pardon, ma fille. Pardon de t’avoir rejetée. Pardon de n’avoir pas été là. Pardon. »
Ce ne fut pas un pardon demandé à Chloé, pas encore. Ce fut un pardon primal, adressé à l’innocence qu’il avait bafouée. C’était la vérité nue, sans fard, d’un père brisé par le remords. Dans ce sanglot d’homme, dans ces larmes qui coulaient sur les vêtements de son bébé, il n’y avait plus de place pour le doute ou la défiance. Il n’y avait que la douloureuse et magnifique réalité d’une paternité enfin embrassée. Et dans le silence de la pièce, seul brisé par ses pleurs, une nouvelle fondation, fragile et trempée de larmes, venait d’être posée.
Les plats préparés par la mère de Chloé avaient été partagés dans une atmosphère qui, sans être joyeuse, était du moins apaisée. Les rires n’étaient pas encore de retour, mais le pire semblait passé. Après avoir longuement remercié leurs hôtes pour leur hospitalité, les parents qui avaient accompagné Armand demandèrent la route, les laissant seuls, ou presque, pour la première fois depuis des mois. Armand restait. Il devait retourner à Douala le lendemain, dimanche, mais cette nuit, il était là, avec sa fille et la femme qui n’était plus tout à fait son épouse.
Après cette étape houleuse de la réconciliation, un calme étrange, presque lourd, s’installa. Chloé, en dépit de la scène poignante qu’elle avait vue, restait profondément sceptique. En son for intérieur, elle ne se voyait plus comme la femme qu’elle avait été pour Armand. L’image de la jeune épouse amoureuse et confiante était recouverte d’un voile de honte et d’un sentiment d’échec cuisant. Chaque fois qu’elle regardait Armand, ce n’était pas l’homme repentant qu’elle voyait en premier, mais l’homme déchaîné par la colère, celui dont les phrases cinglantes – « Je ne veux pas voir cet enfant », « Tu as détruit notre famille » – résonnaient encore dans sa mémoire comme des cicatrices indélébiles. Son cœur, qu’elle avait patiemment recousu, se protégeait farouchement.
Le lendemain matin, avant de prendre la route pour Douala, Armand trouva un moment pour discuter avec elle, seul à seul, dans le petit salon. La gêne était palpable.
« Et ton travail ? Comment ça se passe ? » demanda-t-il, cherchant désespérément un terrain neutre.
« Ça va. Quelques projets. Assez pour subvenir à nos besoins, » répondit Chloé, les réponses courtes, le regard fuyant.
« Et… est-ce que tu as besoin de quelque chose ? Pour toi ? Pour la petite ? Des médicaments, des vêtements… »
« Non, merci. On a tout ce qu’il nous faut. »
Le mur était là, invisible mais presque tangible. Armand sentit un pincement au cœur face à cette froideur, à cette distance qu’il avait lui-même créée. Il était déçu de la trouver si fermée, si différente de la femme ouverte et expansive qu’il avait connue. Mais il se rappela ses propres mois de silence et de rejet. Il ne pouvait pas espérer effacer cela en une journée.
Il prit une profonde inspiration. « Chloé… », sa voix se fit plus basse, plus personnelle. « Je sais que les mots ne suffisent pas. Mais je veux que tu saches que je suis désolé. Vraiment désolé pour… pour tout. Pour ma colère, mes paroles, mon absence. Pour tout le mal que je t’ai fait ces derniers mois. Ce n’était pas juste. »
Chloé hocha légèrement la tête, sans le regarder. « Je t’ai entendu, » dit-elle simplement, sans donner aucune indication sur ce que cette écoute signifiait pour elle.
Ne sachant quoi ajouter de plus sans forcer une conversation qu’elle ne souhaitait visiblement pas, Armand se résigna. Il fit ses adieux à la mère de Chloé, embrassa longuement Léna endormie dans son berceau, puis se dirigea vers la porte.
« Bon retour, » lui lança Chloé depuis le seuil du salon, sa voix neutre, presque polie.
Ce n’était pas un « à bientôt », ni un « fais attention à toi ». C’était une formule de politesse, la même qu’on adresse à un visiteur de passage. Armand acquiesça, le cœur lourd, et sortit. La route de Douala lui parut interminable, non à cause des embouteillages, mais à cause du sentiment doux-amer qui l’habitait. Il avait retrouvé sa fille, mais la reconquête du cœur de sa femme, il comprenait maintenant qu’elle ne ferait que commencer. Et elle s’annonçait bien plus ardue qu’il ne l’avait imaginé.