Mon fils!!!

Write by Aura

Rester à la maison renvoie à sombrer dans l’oisiveté. Pendant une semaine c’était décontractant. Je passais mon temps à me prélasser au soleil, à chater sur le net, à faire du shopping, la cuisine, les balades et surtout à me faire belle. Lucien était ravi de partager ces moments avec moi surtout que j’avais prétexté un congé. C’était donc une méga-super-détente pour nous deux.  Moi assoiffée de découvertes, lui toujours prêt à m’en donner pour mon compte. 

Mais au bout de deux semaines, on commence à s’épuiser. On tourne en rond et on fait face à la réalité qui devient difficile à accepter. On se rend compte qu’on ne peut plus se permettre certaines choses. J’ai commencé à réduire mes dépenses quotidiennes en limitant les sorties et l’achat de vêtements de luxe. Nous avons fini par en faire autant en ce qui concerne la bouffe. Nous avons cessé de manger des plats exotiques et de jouer aux paresseux en nous faisant livrer de la nourriture. J’ai entraîné Lucien dans mes manèges. Ce qui était amusant et étonnant c’était la façon dont il se laissait convaincre. Je peux avouer qu’il n’était pas très persuasif. Il m’a fallu du temps et aussi beaucoup d’arguments pour dissimuler mon petit secret. Nous nous sommes penché par la suite vers la création, notre discipline favorite. Nous nous sommes étalés là-dessus au point de laisser déborder notre imagination. Nous dessinions dans les parcs, à la maison (dans nos chambres respectives ou ensemble au salon), aux arrêts de bus surtout pour Lucien, il disait que l’affluence lui donnait de nouvelles idées. Ceci m’avait l’air bizarre, mais je n’y pouvais rien étant donné que chacun avait son truc pour être inspiré. Certains vous diront que c’est en étant devant son miroir qu’ils étaient inspirés. D’autres c’était en sirotant une bonne bière, d’autre encore c’est en se retrouvant à poil dans son appart le crayon à la main que l’inspiration s’éveille. Qu’en est-il de moi ? Eh ben, je n’ai jamais eu ce problème. Il me suffit d’être prédisposée à le faire pour faire couler le fruit de ma création. 

Après le départ de Lucien pour le Sénégal, je me suis sentie faiblir.  Oh que oui, ce cher bonhomme avait eu la chance d’assister un ami créateur qui devait assister à un festival de mode : la Dakar Fashion Week. Il me disait que c’était l’une des rares rencontres sur le continent entre créateurs de mode pour la promotion de leurs produits. C’était une chance inouïe qu’Antoine (son ami créateur) soit parmi les participants designers et surtout qu’il ait recours à l’expertise de Lucien pour l’assister. Il était tellement heureux que cela ne faisait aucun doute qu’il en avait besoin. Et moi pendant ce temps, je me suis sentie moisir. Plus rien n’avait de sens. Je me levai, faisait ma prière, sirotait mon café en pyjama, observait les passants pendant des heures, je me faisais à manger, je lisais tout en dégustant des cochonneries, je sombrai dans le sommeil, m’éveillait, faisait la cuisine, dessinais pendant longtemps avant de m’affaler sur le canapé pour manger mon repas et ainsi de suite. Comment ne pas se lasser surtout qu’on se retrouve seule. Si je n’étais pas dans un pétrin pareil, à bout de revenus, j’aurai pu m’y rendre moi aussi. Au final je me retrouve complètement coincé dans mon appart sans chaleur humaine. Les rares fois où je sortais de mon quotidien c’est lorsque je recevais les visites de Synthia ou que j’en faisais autant. Pour être franche, j’avais besoin de sensations fortes qui pouvaient m’éveiller. J’avais envie de faire quelque chose qui me sorte de ce quotidien merdique. 

Je me suis résolue à me rendre à l’orphelinat Sainte-Marie, dans lequel se trouvait David. Il me manquait affreusement et il était temps pour moi de me sortir la tête de l’eau et faire face à la réalité. Et c’est avec le cœur brisé que j’ai été accueillie. Il était dans un état épouvantable non c’est peu de le dire. Il était tout crasseux. J’avais du mal à le reconnaître. Mon Dieu qu’ont-ils fait de ma chorale ambulante ? Il était tout maigrichon, noyé dans les larmes, pataugeant dans ses propres sels, complètement abandonné à lui-même. Seigneur !!! Cette image était semblable à une épée en plein cœur. Je n’ai pu le supporter au point de fondre en larmes.  J’étais écœurée et tellement en colère après les dames qui étaient chargées de s’occuper de lui surtout l’assistante sociale qui avait prétendu lui offrir de bons soins dans cet orphelinat. Les autres enfants n’étaient pas en reste, ils subissaient la violence autant verbale que physique de ces adultes. Si ça ce n’est pas la sorcellerie, qu’est-ce donc ?

Je lui avais apporté quelques vêtements, des produits de toilette, des boites de lait et ses jouets, mais j’ai vite changé d’avis. Il était hors de question que mon fils reste dans ces lieux ne serait-ce que pour une nuit. Je n’ai donc pas hésité à déverser ma colère sur les membres du personnel qui m’adressaient la parole. 

Je me suis approchée de lui pour le porter mais il a refusé. J’ai insisté et il a redoublé ses pleurs. Oh mon Dieu !!! J’ai senti quelque chose se briser et d’éteindre au fond de moi. J’ai pleuré avec lui pendant quelques minutes au point d’être semblable à la bête de foire des autres enfants qui me regardaient d’un air bizarre. Certains s’éclataient de rire en disant « Mama ya koula, yi tâ dila tiana mwana fioti » (Une grande dame qui pleure comme un enfant !), d’autres encore pleuraient comme moi au point où, j’ai préféré cesser de m’offrir en spectacle. 

Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais je l’ai vu venir tout doucement se blottir dans mes bras. A cet instant, rien ne m’importait. Ce n’était ni les regards de ceux qui nous entouraient, ni les matières fécales de David, rien. C’était juste spécial et rien ne pouvait l’expliquer, ni l’acheter. Cela n’avait pas de prix, et c’était précieux, ça m’était précieux. 

Je l’ai lavé, l’ai habillé, j’ai signé certains papiers et me suis renseignée sur la procédure d’adoption. Les instants qui ont suivi, je me suis rendue avec lui à l’hôpital pour lui faire passer certains examens et au cas où le mettre sous traitement. Là-bas, on lui a diagnostiqué un paludisme et un début de malnutrition. La pédiatre qui nous a reçu nous a donné une ordonnance et a chargé quelqu’un pour aller m’acheter les différents médicaments qu’il lui fallait. C’était tellement inattendu et gentil de sa part que je n’ai pas hésité à lui exprimer ma gratitude. Je suis rentrée toute cabossée mais heureuse. Mon petit ange était couché sur mon épaule complètement endormi. Je pouvais bien le comprendre. Le pauvre petit !!! Je peux très bien comprendre son état actuel. Je regrette de l’avoir laissé dans cet endroit. Je regrette de l’avoir laissé tomber, d’avoir fui mes responsabilités, de n’avoir pas réussi à faire face à mes problèmes en croyant que me débarrasser de lui, ferait entrer les choses dans l’ordre. Maintenant, tout ne sera plus comme avant. J’apprendrai à mieux m’organiser pour m’occuper correctement de lui, lui consacrer mon temps, mon attention et mon amour. C’est peut-être nouveau pour moi et totalement inattendu, mais je ne me décourage pas. 

De plus, j’ai toujours eu pour idée d’apporter quelque chose au monde, poser un acte d’amour de compassion. Je m’étais dite qu’en étant avocate, je pourrai défendre les couches les plus faibles de la société. Mais j’ai fini par mettre ce rêve de côté et le droit avec. A présent, je ne peux peut-être pas prendre en charge tous les enfants abandonnés mais ce que je fais représente une épine de moins pour l’humanité. Certains penseront que c’est une goutte d’eau dans la mer, mais cela inspirera sûrement plus d’un à être plus charitable envers les enfants de la rue, les enfants abandonnés prétendus sorciers, les orphelins en bas-âge etc. Ce jour marque un changement en tout. 

S’occuper d’un enfant change les habitudes personnelles et même le mode de pensée, de concevoir les choses et de prendre des décisions. Prendre David avec moi représente une charge immense à laquelle je ne me vois pas renoncer. Je n’ai certes plus de boulot, mais je ferai tout pour m’occuper de ce petit gars. 


Cœur en chantier