Nadège TRAORE

Write by Plénitudes by Zoé

***Naomi CHAILLOU***


Je sors de la boutique, mon colis en main et pousse un gros soupire. Je suis tellement fatiguée en ce moment, tant physiquement, psychologiquement que moralement et ça se ressent dans mon travail, mes relations avec mes proches mais je ne trouve pas de solution réelle à mon problème. J’ai grandi en étant stressée, angoissée pour un oui ou un non. La dépression et la solitude sont mes plus vieilles amies. Depuis toujours je me sens mal aimée, méprisée et au bout de plusieurs années de thérapie, tout ce qui a changé ce sont les milliers d’euros de moins dans mon compte bancaire que j’ai donnés pour rien à mon psy. Du haut de mes 27 ans, j’ai un bon travail, une famille normale, des parents à l’écoute, un petit-ami amoureux mais je ne suis pas heureuse, j’ai l’impression que jamais je ne pourrai l’être. La preuve, je sabote mon propre bonheur. Avec Stan, mon homme, tout se passe très bien, un peu trop même, je crois qu’il est temps de rompre avec lui avant qu’il ne se rende compte que je n’ai rien à lui apporter de bien dans la vie. Du moins c’était mon intention lorsque ma mère qui me connaît décidément trop bien m’a appelée pour me dire de ne pas tout gâcher. 

Pour essayer de changer tout ça, je me suis renseignée et documentée. Un ami m’a conseillé de me tourner vers la religion, la foi et que cela m’aiderait peut-être. C’est la raison pour laquelle je me retrouve un samedi matin à faire la tournée des boutiques de vente de bible, coran, avesta, grandes traditions bouddhistes, étrusques… La totale quoi, je me suis aussi inscrite pour des cours de yoga.

Je rentre chez moi vers midi, un T2 décoré par un professionnel du Feng shui dans des tons orientaux, j’ai fait venir directement les meubles d’Inde et de Chine. Ça n’a pas vraiment donné les résultats escomptés mais bon je me dis qu’avec le temps je m’y ferai. Stan est allongé dans le canapé et se lève pour venir m’aider à ôter ma veste. Il fait un peu froid en ce moment, malgré que nous soyons au printemps. Il a les clés de chez moi et moi celles de son appartement.

Stan (me faisant la bise) : Bonjour, tu n’étais pas là quand je suis arrivée.

Moi : OK (me débarrassant de ma veste et de mon écharpe) tu as déjà mangé ?

Stan : Oui ne t’en fais pas, j’ai réchauffé le risotto qui était au frais.

Moi : D’accord.

Stan : Tu veux qu’on sorte ce soir ? Aller au club, au restau ?

Moi : Non pas envie de sortir.

Stan : OK, C’est quoi ce paquet ?

Moi : Rien d’important, de la recherche…

Stan (me le prenant des mains) : le coran, la bible, l’avesta ? C’est quoi l’avesta ? Sérieusement ? Tu crois à ces choses ?

Moi : Je ne sais pas, je me renseigne tout simplement.

Il me regarde étrangement, aujourd’hui avoir une religion est tellement mal vu qu’on dirait que tu commets un crime, pour l’heure il vaut mieux que je garde ma démarche et mes inquiétudes pour moi.


*** Nadège TRAORE ***


Thierry vient de passer à la douche après nôtre partie de jambe en l’air et j’en profite pour me mettre la tête en bas, les jambes en l’air contre le lit pour aider les spermatozoïdes à atteindre leur but, surtout que je suis en ovulation et qu’il ne se doute pas que je ne prends plus la pilule, c’est le moment ou jamais de faire rentrer le bébé. Je mets cinq bonnes minutes dans cette position et me relève quand il sort de la douche pour le remplacer. Je me savonne rapidement, sors de là, m’habille pour sortir, c’est prévu que j’appelle maman mais je ne veux pas le faire devant Thierry alors je me rends dans un café pas trop loin de chez nous, prends un café noir, je préfère, et m’assoie à la table du fond pour être tranquille et profiter du wifi gratuit.

Maman : Allo ?

Moi : Bonjour maman, tout va bien à la maison ?

Maman : Ah comme d’habitude, ton père a fini avec les petites filles de Ouaga.

Moi : Maman ! Oh !

Maman : Hayi ! Dans mes oreilles ! Tu cries pourquoi même ? Que j’ai menti ?

Moi : Bref, je t’appelle pour mon affaire-là

Maman : Ne t’inquiète pas, j’ai tout préparé, ton cousin va t’envoyer tout ça quand il arrive dans deux jours. Les dames du marché m’ont assuré qu’avec ça le bébé rentrerait très rapidement. Mais dis-moi Thierry va bien ? Il est au courant quand même ?

Moi : Mais oui maman, je ne vais quand même pas prendre cette décision toute seule, tu crois que je suis bête ou quoi ?

Maman : Ah avec vous les jeunes d’aujourd’hui on ne sait jamais ! C’était de mon temps qu’on pouvait attraper un mari avec la grossesse, et encore quel mariage même tu auras ! Fais seulement attention !

Moi : Maman c’est bon ! J’ai dit qu’il sait non ? Pourquoi tu veux me fatiguer même ?

Maman : Ayo je me tais. Bon je dois faire à manger à ton bordel de père avant son retour, je te laisse.

Moi (sourire) : Ok je t’appelle plus tard, salue tout le monde de ma part.

Maman : D’accord, prends soin de toi ma fille. Et de ton homme, dis-lui qu’il se dépêche de venir faire le PPS (présentation officielle).

Moi : D’accord. Au revoir

Je regarde par la fenêtre et observe le défilé des passants et soupire. Tous les hommes sont pareils, il n’y a pas mieux ailleurs alors autant sécuriser mon foyer et mon avenir. Le dehors est risqué, tant que c’est toi l’épouse, tu as tous les droits, le reste n’est que détail. Je ne suis peut-être pas la plus belle femme du monde mais je sais prendre soin de mon homme, il ne manque de rien, il ne fait aucun effort à la maison, je m’occupe de tout et de son bas-ventre aussi, il ne s’en plaint pas. Je vais même sur des groupes facebook pour glaner de ci et là des astuces pour le faire monter au 7ème ciel toujours, je fais du sport tout le temps pour être toujours au top de ce côté-là, j’investis chaque mois plus du 1/3 de mon salaire dans les dessous affriolants, jamais deux fois les mêmes. Si ce n’est pas que l’homme est un chien, je ne vois pas ce qu’il cherche encore dehors. Pfff ce qui est sûr c’est lui et moi, moi et lui, personne d’autre même si lui-même le voudrait. Je rentre et vois que Mr est sorti, peu importe, je n’ai même pas envie de cuisiner aujourd’hui, je vais commander des nouilles du restau asiatique Shantou, leurs nouilles sont excellentes et me pose tranquillement devant la télé en attendant le livreur ou Thierry, celui qui arrivera en premier. Finalement c’est le livreur qui arrive, je prends ma commande, le paie et referme après lui. Si je veux attendre l’enfant Diop je ne vais pas manger de la soirée alors j’attaque, j’ai beaucoup d’appétit ces temps-ci, je ne comprends pas pourquoi. Je finis, mets les cartons à la poubelle ainsi que les baguettes et me réinstalle devant la télé. Je finis par m’endormir sans savoir l’heure même. 

CLACK !

La porte qui claque me réveille en sursaut, je prends quelques secondes pour me retrouver et vois Thierry marcher comme un zombie vers la chambre, je me lève pour le suivre et vois qu’il est passé sous la douche, je jette un coup d’œil au réveil qui affiche minuit. Je me baisse et ramasse ses vêtements au sol pour les mettre au sale et me fige immédiatement. Il y a du sang sur sa chemise, je ne sais que penser ni quoi faire. D’où vient ce sang ? A qui appartient-il ? Qu’est-ce qu’il a fait ? Je les garde dans ma main et attends que Thierry sorte de la douche, il en met du temps !


*** Marla ***


Recroquevillée dans un coin du salon je pleure toutes les larmes de mon corps. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même pour ce qui vient de se passer, tout est de ma faute. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, jamais je n’aurais dû le laisser entrer et rien de tout cela ne serait arrivé. Péniblement je me lève et vais me mettre sous le pommeau de douche comme si l’eau qui ruisselle sur mon corps suffirait à effacer les traces de ce qui venait de se passer mais c’est impossible, je suis marquée à vie. Je me laisse glisser à terre et confusément je me dis que je ne devrais pas dormir à même le sol de la salle de bain et me relève, coupe l’eau et me traîne doucement jusqu’au lit. Je n’ai plus aucune force, envie de rien, je veux juste dormir et oublier ces images qui m’assaillent.

Je me relève en sursaut à peine quelques heures plus tard, mon sommeil a été peuplé de cauchemars plus horribles les uns que les autres. Je jette un œil sur mon téléphone et pense à appeler Ruben mais je me ravise. Je ne suis pas prête à lui faire face, maintenant qu’il avait tellement d’espoir sur ma nouvelle vie. Je me lève parce que je ne pourrai pas me rendormir et vais dans le salon essayer d’effacer les traces de lutte. Je ramasse le couteau couvert de sang et le mets  la poubelle, plus question de l’utiliser.

Thierry, parce que c’est son nom maintenant je le sais. J’essaie de me calmer et réfléchis à quoi faire ensuite. Il n’est déjà pas question de porter plainte, je veux juste oublier cette histoire le plus vite possible et passer à autre chose. Cela tombe bien que je rentre à Lomé dans deux semaines, pendant le temps qui me reste ici je ferai profil bas et à mon retour j’aurai peut-être les idées plus claires pour prendre une décision.

Le Fardeau des Autre...