a semaine dernière, je suis allée payer la scolarité de mon fils dans son collège.. Il y avait quelques personnes avant moi dans la caisse, alors je me suis mise dans le rang, juste derrière eux, et j'ai attendu. Je n'entendais pas ce qu'ils disaient.. Oh non, j'étais dans mon monde. A un moment, une jeune fille m'a posé une question. La poitrine légèrement douloureuse, je lui ai fais un signe. Ce genre de situation me rend toujours triste.. Je lui ai juste montré mes oreilles en faisant un signe négatif. D'habitude, cela suffit pour que les gens comprennent que je suis sourde. Ça n'a pas raté avec elle non plus. Par contre, sa réaction m'a agréablement surprise... Quand les gens comprennent que je suis sourde-muette, ils n'arrivent pas à cacher leur pitié, ou leur surprise, et commencent à me regarder comme un animal de foire, en pensant être discrets. N'importe quoi.
Elle, elle n'a pas paru le moins du monde surprise. Elle a juste fait un signe pour s'excuser, et m'a souri, avant de détourner le regard et de saisir une fiche pour me la tendre. Je ne savais pas vraiment quoi en faire... J'étais plus perdue qu'autre chose... Et là, elle m'a fait comprendre qu'il fallait que je m'inscrive sur cette fiche. Tout ça, sans laisser transparaître la moindre émotion sur son visage, à part son sourire. Elle m'a fait me sentir normale, pour une fois... Je crois que j'ai laissé refléter sur mon visage, dans mes yeux, toute la gratitude que je ressentais à ce moment. 
Oui, je suis sourde-muette. A la suite d'un incendie, j'ai perdu mes cordes vocales et mon ouïe.
Encore heureuse que les horribles cicatrices sur mon visage aient disparu avec le temps. Sinon, je ne pense pas que je pourrais sortir ainsi.
Même mon fils a mal d'avoir une mère pareille. Il ne me le dit pas, mais je le sens. Je le sens dans sa honte quand ses amis nous voient. Je le sens dans la distance qu'il met entre nous. Alors qu'il n'est encore qu'un enfant. Peut-être que l'âge de maturité atteint, il pourra faire abstraction de cet handicap, et me voir réellement comme sa mère qui l'aime tant... 
J'ai apprécié la réaction de cette jeune fille, parce que ça fait du bien, de voir qu'au moins quelqu'un ne me regarde pas comme une femme à plaindre. Une femme qui fait pitié, privée de quelque chose d'essentiel. 
Parce que sa réaction à été pour moi une bouffée d'air frais, dans l'enfer où je me trouvais. Sa réaction m'a permis de sentir en moi l'espoir d'un renouveau possible. Car je me suis rendue compte qu'il existe encore des gens qui ont en eux la capacité de voir en les autres ce qu'ils sont réellement et non ce qu'il laissent apercevoir d'eux. Ma vie a entièrement changé depuis que cet incendie m'a pris mon sens et ma capacité langagière. Mais je crois qu'elle vient encore de changer de direction après ce que cette fille a su provoquer en moi. Car, après tout, la vie n'est-elle pas juste une façon de voir les choses ? 
Je me reprendrai en main. Je ne m'attarderai plus sur le boulot bien payant qui m'a été enlevé après mon accident. Plus sur mes années d'étude acharnées en vue d'être assistante de direction, pour finalement devenir une simple commerçante. Je me donnerai corps et âme pour grandir en tout, et rendre heureux mon fils malgré mon handicap. Je ferai tout pour que, si jamais on se recroise à nouveau, je puisse lire dans les yeux de cette jeune fille, de la gentillesse, comme la dernière fois, et surtout de l'admiration. Pour ce que je suis devenue. 
Si tous les malheureux de la vie pouvaient recevoir ce genre de coup de fouet pour les stimuler, le monde serait bien meilleur pour eux, car ils se battraient pour obtenir ce qu'ils veulent, ils ne seraient plus dans l'auto-apitoiement. Ils changeraient de vision sur eux mêmes. Ils ne se feraient plus mal perpétuellement en regrettant leur état. 
Le regard tourné vers un nouvel avenir, la flamme de la détermination brûle dans mes yeux, tandis que l'horizon neuf se reflète dans mes pupilles... "

À tous ces handicapés, d'une manière ou d'une autre, qui se sentent mal... La vie continue, et elle est bien meilleure quand on a le goût de la vivre...