Où allons-nous?

Write by Louise Pascale

Farida…

            Mon père avait appelé et malgré la colère que je nourrissais à son égard, j’avais décroché.

Il m’avait alors annoncé que dans les prochains jours, il me ferait un transfert de fonds pour que je puisse préparer mon retour. Il en profitait pour m’apprendre qu’Adoum viendrait m’accueillir. Nos familles règleraient ainsi les détails concernant la dot et le mariage. Je me contentais seulement de répondre par une série de « oui ».

Je n’avais pas parlé à Azalea de ce coup de fil. Elle se serait inquiétée encore plus pour moi. Et puis, nous avions déjà trouvé une solution. J’allais décrocher cette place de chef de projet marketing à Auchan et je serais autonome. Je pourrais alors annoncer à ma « merveilleuse » famille que je ne retournerais pas au Mali.

            L’entretien avec les responsables des ressources humaines d’Auchan c’était merveilleusement bien passé. J’attendais maintenant le coup de fil salvateur qui m’annoncerait mon embauche.

 

Azalea…

            Je déjeunais avec Mellie et ma mère au Beef club. L’adresse carnassière avec son bar à cocktails attirait pas mal de gourmands branchés autour de ses viandes british.

Mellie : Tu penses faire quoi ?

Moi : Je vous l’ai dit.

Ma mère : Tu penses vraiment vivre décemment en consultant deux ou trois cinglés par jour ? Mais pourquoi tu ne t’inscris pas en économie ou en droit.

Je faisais mine de n’avoir rien entendu.

Mellie : C’est vrai. Avec nos relations se serait facile que tu intègres une grosse boite au lieu de rester à poser des questions à des personnes qui ne sont pas bien dans leur tête.

Moi : C’est bien ça le problème… vos relations.

J’hélais un serveur.

Mellie : Elles ont quoi nos relations ? Tu devrais peut-être prendre conscience de la chance que la vie t’a offerte. Mais toi, tu es toujours là à te plaindre.

Moi : Pourrais-je avoir un burger. Sans oignons. Et en accompagnement… cassolette de légumes. Merci.

Ma mère me fixa de son regard noir. Elle m’avait commandé une soupe de champignons. Je n’en n’avais pas envie et je ne voulais pas me forcer.

Ma mère, dès que le serveur se fut éloigné : Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu dois toujours me défier ? Regarde-toi, bronzée à outrance, les cheveux en bataille.

Moi : Maman, il t’est arrivé un seul instant de te dire que je puisse être différente de vous ? Tu me trouves trop bronzée… C’est peut-être ma coloration naturelle et pour mes cheveux, ils sont justes bouclés ou si tu veux crépus. Ce n’est pas comme si je venais de faire l’amour non plus.

Je parlais calmement.

Mellie : Ta coloration naturelle ? Tu nous en diras tant. Tu te plais à te faire passer pour une noire.

Elle l’avait dit avec dédain. Et sans aucune gêne, continuait à manger.

Moi : Et vous, vous vous plaisez à vous faire passer pour des blanches. Non mais réveillez-vous… T’es noire Mellie. Autant que t’es blanche. Et toi maman, ça ne te posait aucun problème de te mettre avec un noir fortuné.

Ma mère : Je ne te permets pas de me parler ainsi.

Elle avait posé ses couverts avec vigueur.

Moi : Sinon quoi ? Tu vas me donner une gifle ? Tu vas me couper les vivres. Dommage, mon père m’a laissé suffisamment d’argent pour que je n’aie rien à te demander.

Je m’étais surprise à lui dire cela. Elle me fixait l’air ahuri.

Le serveur venait de poser mon assiette. Ça sentait bon le bun frais et le sésame grillé. Il s’était éloigné très rapidement sans doute pour nous laisser à notre discussion.

Ma mère : Comment ai-je pu avoir une fille pareille ?

Moi : Et moi, comment ai-je pu avoir une mère pareille ?

Je croquais dans mon burger. Un délice. Je ne comprenais pas comment on pouvait être au « burger le plus snob » de Paris et manger des soupes et salades au lieu de profiter des viandes qu’offrait le menu. Mellie avait toujours trouvé que les burgers faisaient « ghetto » et pourtant, j’en avais dégusté qui étaient signés par des chefs étoilés. Toujours à rabaisser le monde celle-là.

Ma mère soupira : Tu penses vraiment que être noire est un atout?

Moi : Je ne me pose même pas la question. Je le suis c’est tout. Je vis avec. On n’a pas besoin de rechercher des intérêts partout.

Un peu de sauce whisky s’était échappée de mon pain. Je léchais discrètement mon pouce. Ma mère visiblement mal à l’aise pris une gorgée de son verre de vin rouge. Mellie regarda son poignet.

Mellie : On devrait se dépêcher.

Ma mère : Oui, tu as raison. Ta sœur risque de me donner un infarctus.

Mellie prit encore une ou deux bouchée de sa salade aux noix de pécans. Quant à notre mère, je pense qu’elle avait perdu l’appétit depuis un moment. Elle avait déjà son sac en main. Elle était prête à s’en aller.

En partant Mellie me conseilla une ultime fois de m’inscrire à des cours d’économie au lieu de courir derrière ce qu’elle appelait un fantasme.

Elles n’avaient jamais compris cette envie de venir en aide aux autres. Surtout que pour elles, les autres c’étaient des africains, les « noirs » comme elle disait. A croire que les occidentaux n’ont pas de problème.

Toute seule, je pouvais maintenant savourer mon plat dans le silence qu’il méritait.

            Ce soir-là, quand j’arrivais chez moi, je trouvais Farida endormie. Je la savais fatiguée, alors, je m’installais dans le salon afin de ne pas troubler son sommeil. J’ouvrais la grande baie du séjour et une légère brise de vent me caressa le visage. L’air était chaud. Une coupe de glace à la main, je m’installais sur une chaise haute du petit bar après avoir mis la télévision. Je tombais sur un documentaire. L’on y présentait des européens qui du jour au lendemain avait décidé de s’installer en Asie ou sur des îles parce que là-bas, le faible coût de vie leur permettait de s’en sortir mieux que dans leur propre pays. Certaines célébrités aussi s’y étaient mises. Je me serai bien installée sur une île rien que pour les paysages, pour la nourriture et pour échapper à cette famille asphyxiante.

 

            Les jours passaient et se ressemblaient. En attendant l’appel d’Auchan, Farida m’aidait à trouver un appartement que je transformerais en cabinet. Je recherchais quelque chose de petit mais pas d’exigüe pour y créer une ambiance chic et à la fois cosy. Un truc intimiste.

J’avais embarqué mon neveu Jaden dans cette aventure.

Ça nous faisait de longues balades. Souvent, on s’arrêtait manger un morceau. Quelques fois, on rentrait dans un magasin et on en ressortait chacun avec son petit quelque chose. Quand nous étions fatigués, nous sautions dans un taxi et nous faisions la tournée des musées, des parcs et jardins. On s’arrêtait au cinéma et on se goinfrait de pop-corn durant une séance. Jaden était aux anges. Il me posait des tas de questions. Farida se marrait à chaque fois que je bricolais une réponse histoire de ne pas passer pour la tata qui ne savait rien.

J’étais en train de lui expliquer pourquoi il avait l’impression que la Joconde le regardait tout le temps quand Farida s’éloigna pour prendre un appel.

Elle revint avec une petite mine. Je ramenais Jaden à Mellie avant de lui tirer les vers du nez. Elle n’avait pas été retenue pour le job. J’eu l’impression qu’une masse venait de me tomber dessus. Dans la foulée, elle m’annonça que son père lui avait transférer de l’argent quelques jours avant.

Farida : Il y a plus rien à faire hein ! Je dois rentrer.

Je soupirais.

Farida : Tu vois, toi-même tu dis rien. C’est que c’est mort.

Moi : Je vais me reposer. J’en ai besoin.

J’entrais dans ma chambre et je m’allongeais sur le lit. Je respirais profondément, les mains posées sur mon ventre. J’essayais de m’imaginer ce qui allait se passer pour Farida quand elle rentrerait. L’avenir ne présageait rien de bon pour elle. Je penchais ma tête et je regardais la nuit devenir plus noire.

Farida, la voix pleine d’hésitation : Tu dors ?

Je ne répondis pas. Je fermais mes yeux. J’avais besoin de calme. J’avais besoin de réfléchir. Elle entra et s’allongea près de moi. Elle ne disait rien. Je l’entendais renifler. Avait-elle pleuré ? Perdue dans mes interrogations, je m’endormais sans en prendre conscience.

Une douleur vive dans le cou me sortit de mon sommeil. Il faisait encore nuit. Je pris mon téléphone dans ma poche… 02 : 27… Farida dormait. Je me levai difficilement et je sortais de la chambre. Je m’installais à la terrasse dans le but de réfléchir. Après avoir passé quarante-cinq minutes à écouter les grillons de ma jardinière grincer des pattes, je n’avais toujours aucune idée. Point de solution.

            Durant les jours qui suivaient, j’évitais Farida. Je sortais très tôt le matin pour ne revenir que tard en soirée. Je la trouvais endormie.

Elle avait ramené ses affaires chez moi. Elle devait être en train de libérer son studio. Un soir, j’avais trouvé posé sur la table basse du salon un billet d’avion. J’avais y jeter un coup d’œil mais je m’étais retenue.

Le lendemain matin, j’avais rendez-vous avec un agent immobilier. Je m’apprêtais en faisant le minimum de bruit. J’avais réussi à sortir de la chambre sans qu’elle ne se réveille. Alors que j’étais installée au bar en train de prendre mon petit-déjeuner, elle apparue devant moi. Elle semblait fatiguée.

Farida : Salut Aza.

Moi : Ça va ? T’as une tête à faire peur.

Farida : Ouais, je sais. Je pris un billet pour le 22.

Moi, en rangeant mon bol dans l’évier : Ok.

Farida : Je sais pas…

Moi : Je dois y aller. Je suis en retard.

Farida : Non, je veux qu’on se parle… comme nous avions l’habitude de le faire.

J’attrapais mes lunettes de soleil et mon sac à main.

Moi : Tu voudrais qu’on parle de quoi ?

Farida : De tout, de rien. Je voudrais juste que tu sois avec moi pour mes derniers jours. Je sais que ça te fait mal d’imaginer que je m’en aille mais tu sais aussi que je n’ai pas le choix.

Moi : Je vois que tu es résignée.

Farida : Quelle autre solution ai-je ? Tu veux quoi, que je vive ici comme sans papiers ? Sans aucune source de revenus ? Que je vive à tes crochets ? Je ne suis pas un parasite.

Moi : Et donc tu préfères prendre l’avion pour aller te faire marier de force.

Farida tomba dans le canapé et se prit la tête entre les mains. Je l’entendais sangloter.

Farida : Quelle solution ai-je ?

Moi : Je dois y aller.

Sans lui jeter le moindre regard, je sortais. Je n’avais pas envie de l’entendre me dire qu’elle s’en irait. Je n’avais pas envie qu’elle mette des mots sur sa souffrance.  Quand je fus hors de l’appartement, je m’adossais à la porte et quelques larmes s’échappèrent. Je l’entendais pleurer. Un voisin qui allait dans le couloir s’arrêta devant moi.

Le voisin : Vous allez bien ?

J’essuyais mes larmes avec un faux sourire.

Moi : Oui, ça va. Merci.

Le voisin : Vous êtes sûre ?

Moi : Merci monsieur.

Le voisin : Si vous le dites.

Je portais mes lunettes et je me dirigeais vers l’escalier.

            Quand je rentrais ce soir-là, je trouvais Farida installée à la table de la salle à manger. Elle avait dressée celle-ci.

Farida, avec un sourire bien léger : Viens, je sais que tu ne manges pas vraiment mais bon, j’ai commandé japonais pour toi.

Moi : Eh, mais il ne fallait pas.

Farida : Allez viens t’asseoir.

Je n’avais pas le cœur à lui faire de la peine.  Je déposais mes affaires et je m’installais.

Farida : Je n’ai pas de sœur Aza. Mais le jour où je t’ai rencontré, je me suis dite que la vie se chargeait toujours de combler les petits vides dans nos cœurs.

Moi : Moi j’aurai bien échangé Sade et Mellie juste pour toi. Tu n’es pas obligée de par…

Farida : Laisse-moi terminer. Ma vie avant Paris j’avais l’impression de la voir défiler devant mes yeux sans vraiment la vivre. Aujourd’hui, avec toi à mes côtés, j’ai appris qui je suis. J’ai appris à dire non sans avoir peur. J’ai appris qu’on pouvait compter sur une personne quand ça n’allait pas. Tu sais, tu es une excellente psychologue même si tu n’as pas encore vraiment exercée mais je te promets, je suis très fière de toi.

Ses yeux se remplissaient de larmes. Mais elle ne pleura pas.

Moi : Je ne veux pas te dire au revoir.

J’attrapais les baguettes devant moi avant de les déposer encore.

Moi : J’y ai pensé toute la journée. Tu sais, dernièrement, j’ai vu un reportage sur TF1, des français qui s’expatriaient. Tu pourrais faire ça, prendre un billet pour n’importe quel pays et recommencer ta vie là-bas.

Farida : Toi, tu as toujours eu des idées à dormir debout. Je vivrais comment ?

Moi, de plus en plus excitée par cette idée : Tu chercheras du travail. Tu te prendras un appartement.

Farida : Tu sais que je ne suis pas une aventurière. Je ne suis pas comme toi prête à partir au bout du monde avec juste un jean dans mon sac à dos.

Moi : Et si on le faisait ensemble. Toi et moi. Une nouvelle vie.

Farida éclata de rire : Tu es folle Aza.

J’avalais mon Californian roll. Farida avait ri et j’en étais heureuse. Je savais que son cœur devait être meurtri. Le mien aussi l’était.

Elle me regardait manger les fines tranches de gingembre marinées au vinaigre.

Farida : Je ne comprends pas comment tu peux aimer ça. Tu devrais manger un peu plus souvent des plats avec des sauces bien grasses et tout le truc.

Moi : Pour que tout me retombe dans les fesses ?

Farida : Tu sais, les fesses… eh bah les mecs ils en sont fous.

Moi : Le mien il m’aimera avec mon petit cul.       

Et là, notre éternel débat sur les morphologies commença. Je défendais mon petit corps à la Kate Moss. Et elle, elle défendait les femmes en chair. Celles avec des formes et des rondeurs. C’était bien de passer une soirée comme nous en avions passé tant d’autres à nous chamailler gentiment et à rire.

Nous sommes restées à parler jusqu’à près de 23 heures avant d’aller nous mettre au lit. Je n’avais pas sommeil. Je pensais à ce que je lui avais dit.

Moi : Farida, tu dors ?

Farida : Non, je cause avec un fantôme. T’es marrante toi.

Moi en la pinçant : Tu sais, j’étais sérieuse tout à l’heure.

Farida : Tu parles de quoi ? Il est tard, ça peut pas attendre demain ?

J’appuyais un des interrupteurs sur la tête du lit et je m’assis.

Farida : Wallah, toi, tu veux me bousiller les yeux !

Moi, en la secouant : Non, ça peut pas. Lève-toi.

Elle enleva violemment la fine couverture qui était sur elle et s’assit péniblement.

Moi : Farida, écoute-moi s’il te plait. On pourrait toi et moi, choisir un pays et s’en aller. J’ai rien qui me retienne ici et toi, je pense que rien ne t’oblige à rentrer de gaieté de cœur à Bamako. Sauf si tu tiens à épouser le cousin de ta belle-mère.

Farida : Supposons que je te suive dans ton délire. On irait où ?

Moi, le sourire aux lèvres : Où tu veux. Tu choisis le pays et on y va, sans rien dire à personne.

Farida : T’es décidément une grande folle.

Moi en tapant des poings sur le lit : Allez, dis un pays et on y va.

Farida : Le Gabon.

Je me jetais dans ses bras.

Moi : Ok pour le Gabon.

Farida : C’est bon ! Je crois qu’on peut dodo maintenant.

Elle éteint sans me prévenir et elle s’allongea.

Moi : Fafa… à nous le Gabon.

Farida : Dort !

Je souriais seule dans le noir. Je ne connaissais pas le Gabon mais je savais que ce qui nous y attendait serait juste extraordinaire. Je finis par m’endormir et dans mon rêve, je marchais déjà dans les rues de ce magnifique pays qui m’était totalement inconnu.

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