Ou es tu?

Write by leilaji

****Leila****

Réfléchis Leila ! Réfléchis ! Tout ce que je sais c’est que je ne peux pas laisser passer une telle occasion. Depuis le début, Alexander me dit que quelque chose ne tourne pas rond dans l’entreprise, qu’il en a l’intime con
viction. Et pourtant malgré toute son expérience et un audit réalisé par une des meilleures sociétés d’audit de la place, il n’a rien trouvé. Absolument rien. Même pas un début d’indice. 

Ce monsieur est peut-être ce début d’indice qui lui manque. 

Apparemment, je commence à trop réfléchir, il veut s’en aller. Il dit qu’il n’a pas beaucoup de temps. Son accent est tellement prononcé que j’ai vraiment du mal à le comprendre. Je devine plus que je ne comprends les paroles qui sortent de sa bouche. 

C’est décidé. Je cours le risque. 


Réfléchis Leila, réfléchis. Il t’est interdit de courir le risque inutilement. Je ne peux pas partir sans prévenir Alexander. Je lui envoie un message. Je ne cache rien, si je commence encore à lui cacher des choses, il va s’énerver et ce n’est pas le moment. 

« Bébé. Ne te fâche pas. Un homme dit avoir des informations sur ton entreprise. Il veut de l’argent. Beaucoup d’argent. Je veux savoir ce qu’il sait. Je vais le suivre et te contacter dès que je le pourrai. Si je sens quelque chose de louche, je m’en irai immédiatement. Surtout ne t’inquiète pas, je serai prudente »


La première chose que me demande l’homme c’est comment je vais le payer. Et je me dis que pour quelqu’un qui à l’air d’avoir autant peur pour sa vie, il ne perd pas le nord ! J’ai de l’argent sur mon compte, assez pour payer la moitié de ce qu’il demande mais il ne me restera plus grand-chose après une telle transaction. Quand je le vois, ce n’est pas le genre à partir avec un ordre de virement en poche. Il faut donc qu’on se rende à la banque pour que je retire la somme dont il a besoin en liquide. Mais on ne va tout de même pas se promener avec autant de cash sur nous ! Je continue de réfléchir pendant que nous prenons l’ascenseur pour nous rendre au rez-de-chaussée et sortir de l’hôtel. A ma montre, il est 16 heures moins 10. 

Je ne sais pas si j’ai déjà autant cogité de ma vie. Le stress monte d’un cran. Il hèle un taxi et nous montons tous les deux. Un taxi est un bon lieu pour discuter business.

—  Vous payer ?

 

J’entre en phase négociation.


— Je ne peux vous donner que le quart de ce que vous demandez.

 

Mais est-ce qu’il comprend même le mot quart ?

 

   Non, non. Tout argent sinon moi rien dire. 

   Le quart.

   Tout, dit-il après un moment de réflexion.

   Je ne sais même pas si ce que vous avez en votre possession vaut la somme que vous voulez m’extorquer alors à votre place je ne discuterai pas trop. 

   Moi, montrer papier à l’hôtel. 

Je décide de bluffer

 

   Taxi, arrêtez vous je descends !


Il m’attrape la main et m’empêche d’ouvrir la portière en pleine circulation. Cet homme est aux abois. Je le note. 


—  OK. Ok. Moitié. C’est bon ?


Je fais mine de réfléchir puis je le dévisage durement. En réalité c’est exactement ce que je peux payer. Je négocie encore jusqu’à ce qu’on tombe d’accord.


— Travailler avant pour entreprise KHAN. Mais mademoiselle Neina faire partir moi. 

   Vous trouvez ça normal d’extorquer de l’argent à un homme qui se bat pour faire survivre les milliers d’emplois de son entreprise. Vous ne travaillez plus là-bas mais d’autres y sont encore. Ce que vous faites est immoral.

   Vous pas connaitre ma vie. Obligé. Désolé.


Je perds mon temps à lui parler. Qu’on règle cette histoire au plus vite. Je ne suis pas du tout à l’aise. Nous nous rendons tous les deux à la BNP PARIBAS INDIA. J’ai choisi d’ouvrir un compte dans cette banque pour la simple et bonne raison qu’il m’était plus facile d’y faire un transfert depuis Libreville. En effet, mon compte courant se trouvait à la BICIG à Libreville qui est une filiale de la BNP PARIBAS au Gabon. 

Mais avant qu’on entre dans la banque je tiens à mettre les choses au point. 
Il est hors de question que je me fasse arnaquer par cet homme. 

— Je ne vais pas vous donner de l’argent cash. Je n’ai pas encore la valeur des documents que vous avez en votre possession. 

   Vous payer ou moi partir. 


Franchement, ça je l’avais compris !


—  Ecoutez moi bien. Nous allons faire des Western Union et des Money Gram à votre nom et vous allez m’indiquer dans quelle ville faire l’envoi. Je garderai les tickets avec les numéros MTCN et si les documents que vous me montrez après me conviennent, je vous donnerai les tickets de transfert. Ils sont plus faciles à transporter qu’un sac plein d’argent et personne ne nous posera de question. Et si vous avez essayé de me rouler, je saurai dans quelle ville vous retrouver et votre nom. Vous comprenez ?

   Non, cash. Cash. 

   C’est à prendre où à laisser. 


Il me regarde longuement. J’ai l’impression de voir dans ses yeux noirs les rouages de son cerveau se mettre mécaniquement à fonctionner. Il pèse le pour et le contre. Quoi, tu croyais que j’allais te filer ce fric comme ça, pour tes beaux yeux ? Tu ne me connais pas ma parole !


Il accepte. Je suis soulagée. 


Je lui demande de m’attendre devant l’agence et je rentre toute seule dans la banque. Je suis rapidement reçue. Je retire la somme en liquide objet de notre transaction et  fais un premier transfert, la somme maximale pour une personne en un jour. Puis je donne quelques bakchichs à des vigiles en poste à l’entrée et avec leur pièce d’identité, ils ont fait deux autres transferts. Je suis ressortie de la banque avec trois tickets qui représentaient la moitié de la somme négociée et on s’est rendue en rickshaw pour aller plus vite, dans une agence Money Gram pour répéter la même opération. 


Je lui montre les six tickets et lui fait comprendre que virtuellement, il est riche, cet argent est à lui, mais les tickets sont toujours entre mes mains. Si je n’ai pas satisfactions des informations qu’il a à vendre, je déchire simplement le tout et c’en est fini de notre deal. Je prends mon temps pour le lui expliquer une seconde fois. Il est intelligent et il comprend. 

Bien entendu, le risque zéro n’existe pas. Il peut devenir violent et m’arracher le tout puis s‘enfuir avec. Mais j’ai tout prévu. J’ai demandé après chaque envoi au caissier de me faire des copies des tickets d’envoi puis je me suis rendue aux toilettes et j’ai soigneusement plié les copies pour les dissimuler dans mes sous-vêtements. S’il s’enfuit avec les originaux, je cours immédiatement à la banque pour annuler les envois avec les informations figurants sur les copies.


C’est aussi simple que ça. IL NE M’AURA PAS. 


Je suis moi-même étonnée d’avoir pu trouver cette astuce en un temps si limité. J’ai confiance. Ca va marcher ! Il regarde longuement les tickets puis me demande de le suivre. On prend un autre rickshaw. L’expérience est assez déstabilisante. Les conducteurs que rickshaw sont encore plus fous que les conducteurs de taxi. Leur engin à trois roues peut se faufiler partout alors ils en abusent. Par deux fois on a manqué se faire renverser !


Je me mets à prier intérieurement pour que tout se passe bien. 


On quitte les grandes artères de la ville pour entrer dans les quartiers sombres. Le rickshaw ne peut plus avancer. Nous descendons. Je calme mes angoisses et prenant un air serein. A première vue, une rue interminable, comme des milliers d’autres dans Agra. Les murs des maisons défraichies par l’usure du temps sont sales et des détritus, sacs de riz, journaux usagés, bouteilles plastiques jonchent le sol. Je lève les yeux vers les immeubles délabrés : derrière les grilles des fenêtres, des femmes attendent, certaines portent même leur enfant. Elles passent leurs bras à travers les barreaux pour attirer l’œil des passants, je comprends tout de suite que nous sommes dans un quartier fréquenté par les prostituées. 

L’homme essaie de m’expliquer, surement pour me rassurer. 


— Ici bordel. Chez ma sœur, Mademoiselle Neina pas chercher ici documents société.


J’observe tout ce qui se passe autour de moi et mémorise autant que je peux des points clefs au cas où il me faudrait repartir par moi-même. 


— Pourquoi tous ces signes ? je demande en regardant les femmes faire des signes à des hommes en bas.

   Prix discuté comme ça. Si client et prostituée ok, client entre. Matrones surveillent entrées. 


C’est fou comme il y a du monde. Cette fois-ci, il marche devant moi et je le suis comme je peux. Soudainement, une femme hurle depuis un balcon. C’est ainsi qu’elle alerte son proxénète qui fait le guet sur le trottoir et rattrape le client qui a voulu partir sans payer. 

J’ai déjà lu dans le India Times des articles sur la prostitution en Inde. Les souteneurs vont chercher les filles dans les villages ou au Népal et les achètent 50 000 roupies en moyenne. Ils récupèrent ensuite tout l’argent qu’elles gagnent jusqu’à ce qu’elle rembourse la somme investie sur elle et cela peut prendre des années. Ensuite, elles peuvent en garder une infime partie. Mais quoi qu’elles fassent, très peu s’en sortent vivantes et elles vivent toujours dans une extrême pauvreté. 

Ce lieu me fait froid dans le dos. 


On prend finalement une ruelle très étroite qui débouche sur un vieux bâtiment désuet. Il me fait entrer dans une chambre situé au premier étage à laquelle on accède par les escaliers. Une jeune fille y est couchée sur le flan. Elle ne semble pas très en forme. Est-ce pour elle qu’il fait tout ça ?

Franchement je m’en fiche royalement ! Je veux juste qu’il me donne les infos et quitter ce lieux sordide au plus tôt.


Il lui parle en hindi et elle fait l’effort de se lever et de sortir de dessous son lit, une vieille enveloppe kaki tout ce qu’il y a de plus banal. Il me tend l’enveloppe. Et j’en sors des dizaines de feuillets noircies à la main par une écriture en patte de mouche. Je les parcours rapidement et mon cerveau se met en marche. J’analyse à la vitesse de l’éclair toutes les informations que je lie. 


Ce n’est pas croyable !


—  Où avez-vous eu ces documents ? 


La jeune femme parle pour lui. Elle s’exprime mieux en anglais que son frère ainé. 

— Mon frère a été … licencié. Il est parti avec les documents qu’il devait déchirer ? (elle cherche les bons mots) non détruire … pour mademoiselle Neina. Il les a remplacés par autre chose. Pour lui … c’était une garantie. 


Elle est essoufflées par les quelques mots prononcés. 


— Qu’a-t-elle ? je demande en regardant son frère.


Une jeune indienne entre alors dans la chambre. Elle porte un tee-shirt avec le nom d’une association. 


—  C’est une prostituée. Ici les clients préfèrent les filles vierges et mineures. Selon une croyance tenace, elles les protégeraient ou les guériraient de maladies telles que le Sida. Le problème pour les trafiquants et les proxénètes c’est, qu’à vouloir mettre des filles trop jeunes sur le trottoir ou dans les bordels, ils risquent de lourdes condamnations à des peines de prison. A

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