Prologue
Write by Chrime Kouemo
— C’est bon ici, fit Solange au chauffeur du taxi course qu’elle avait emprunté pour se rendre à Odza.
Elle tendit un billet de 2000 Fcfa pour régler sa course et descendit de la voiture. Le cœur battant à tout rompre, elle s’avança vers le portillon en fer forgé de couleur verte et appuya sur la sonnette.
Ça faisait cinq ans. Cinq ans qu’elle n’avait pas revu Cédric, son premier et unique amour, son meilleur ami, celui à qui elle confiait tout les yeux fermés. Ils avaient réussi à maintenir leur relation malgré la distance, malgré tout ce que leurs amis du lycée leur prédisaient.
Elle entendit une porte s’ouvrir et son rythme cardiaque augmenta encore. Cédric n’en reviendrait pas de la surprise. Elle l’avait appelé une heure plus tôt de son téléphone de France en lui racontant que sa petite sœur passerait lui remettre son cadeau d’anniversaire chez lui. Il avait fêté ses vingt six ans un mois plus tôt. Il ne pouvait même pas d’imaginer que ce
Dans un cliquetis de métal, le portillon s’ouvrit et Cédric lui apparut tel que dans son souvenir. Grand, le teint noir chocolat, mince, un peu plus large d’épaules qu’avant. Il était visiblement stupéfait car il resta de longues secondes, la bouche ouverte à l’observer sans rien dire. Elle avait réussi son coup. Poussant un cri de joie, elle lui sauta dessus sans autre forme de procès, enroulant ses bras autour de son cou et lui faisant pencher la tête pour l’embrasser goulûment. Ses parents pouvaient être là et les surprendre, mais elle s’en fichait.
— Oh Ced ! Tu m’as tellement manqué s’écria t’elle émue, des larmes de joie commençant à monter à ses yeux.
Elle recula et le regarda dans les yeux. Cédric restait étrangement silencieux, les bras pendants le long de son corps.
— Ça va Cédric ? Lui demanda t’elle d’un ton un peu hésitant, scrutant son visage
— Solange, je… je ne m’attendais pas à te voir, commença t’il en balbutiant, et passant la main sur ses cheveux crépus broussailleux. Je te croyais en France…
Solange recula encore d’un pas. Elle trouvait son attitude bizarre. Il ne semblait pas ravi de la voir.
— Je voulais te faire une surprise…
— Hum…
Ça devenait carrément suspect. Un sentiment étrange l’envahit et son cœur se remit à palpiter dans sa poitrine, mais cela n’avait rien à voir avec la joie ou une excitation quelconque.
Elle s’apprêtait à le questionner sur la situation quand elle entendit la porte de la dépendance s’ouvrir. Automatiquement, elle tourna la tête et ce qu’elle vit l’estomaqua.
Aurélie Boun, la lointaine ex de Cédric et sa rivale depuis toujours au lycée, s’avançait tranquillement vers eux, un sourire dédaigneux aux lèvres.
— Tiens, Solange ! Que fais-tu ici ? Nous ne t’attendions pas, s'enquit-elle d’un ton suave se plaçant près du jeune homme, et l’enlaçant d’un bras possessif par la taille
Elle eut l’impression que son cœur dégringolait dans sa poitrine. Que se passait-il ? Avait-elle loupé un épisode ? La gorge nouée à l’extrême, elle demanda à Cédric :
— Tu peux m’expliquer ce qui se passe ? Je t’ai eu au téléphone il y a à peine une demie heure et …
Sa voix se brisa malgré tous les efforts qu’elle faisait.
— Je … je voulais t’en parler depuis longtemps, mais le moment n’était jamais opportun, débita t’il pitoyablement
Elle sentait maintenant des larmes de douleur et de détresse s’accumuler sous ses paupieres. Elle lutta pour les retenir. En vain.
— Comment as-tu pu me faire ça ? S’écria t’elle en essuyant d’un revers rageur de la main les larmes chaudes qui roulaient sur ses joues
Elle avait conscience de se donner en spectacle devant son ennemie, mais elle ne pouvait arrêter le flot de larmes qui sortait de ses yeux. Cédric, son Ced l’avait trahie de la pire des façons qui soit.
Et il était là, muet comme une carpe, le regard fuyant. Comment avait-elle pu se fourvoyer de la sorte ? Des sanglots se mirent à secouer son corps tout entier.
— Bon… Solange, je crois que tu as compris Cédric et moi sommes ensemble. Il serait peut-être temps que tu t’en ailles à présent, intervint Aurélie de son horrible voix nasillarde.
A travers le voile de ses larmes, Solange pouvait lire la moquerie dans son regard et dans sa posture. Elle la regardait de haut, comme une pauvre petite chose qui venait de se faire larguer. C’était d’ailleurs ce qu’elle était, pensa t’elle amèrement. Devant Aurélie et Cédric, tous les deux grands de taille, elle avait l’impression d’être insignifiante du haut de son mètre cinquante deux.
Son esprit se rebella aussitôt la pensée ayant fait son bout de chemin dans son esprit et elle sentit la moutarde lui monter au nez. Elle s’arrêta de pleurer et redressa fièrement la tête.
— Tu as raison, dit-elle à Aurélie d’un ton maîtrisé . Je n’ai rien à faire ici à essayer de m’expliquer la lâcheté de certaines personnes. Et tu peux bien jubiler, mais à ta place je ne serai pas si tranquille car il pourrait bien t’arriver la même chose. Comme on dit, “ça ne cale pas sur la tête de quelqu'un”
Elle fit un pas en arrière et rouvrit le portillon qui était resté entrebâillé durant tout l’échange.
Aurélie croisa les bras sur son opulente poitrine et la toisa de la tête au pied.
— Ne t’inquiète pas pour moi. Je gère ça comme il faut, fit-elle, sans se déparer de son air arrogant
— Allez vous faire foutre ! Lança Solange avec hargne
Elle tourna les talons et claqua violemment la porte de métal qui vibra sous l’impact puis se mit à courir comme si elle avait le diable à ses trousses. Ses larmes l’aveuglaient, mais elle continua de courir. Elle ne se remit à marcher que lorsqu’elle arriva à l’angle de la rue qui donnait sur le carrefour. Les gens allaient la prendre pour une folle si elle déboulait comme ça, en larmes.
Elle entendit des pas précipités derrière elle.
— Solange ! Attends ! Cria Cédric
— Attendre quoi ? Aboya t’elle en se retournant. Que ta copine et toi m’humiliez davantage ? Quand je pense que j’ai pratiquement ri au nez d’Anais après que tu m’aies soutenu mordicus qu’il n’y avait strictement rien entre vous quand elle vous a croisés au restaurant en décembre dernier !
— Je …
— Je n’ai pas envie de t’entendre ! L’interrompit elle en hurlant. Va retrouver ta pimbêche et fous moi la paix !
Elle se retourna et se mit à marcher d’un pas rapide vers le carrefour. Elle fit signe au taxi vide qui passait à sa hauteur et s’engouffra sans attendre sa réponse.
Solange se réveilla en sursaut. Elle était seule dans son appartement en région parisienne, à mille lieux du quartier Odza à Yaoundé.
Comment se faisait-il qu’elle ait revécu cette scène dans son rêve avec autant de précisions ? Ca faisait dix ans et c’était de l’histoire ancienne pour elle malgré toute la peine que cela lui avait causée. Ça devait être l’appréhension liée à l’imminence de son voyage pour son retour définitif dans son Cameroun natal. Dans quelques heures, elle embarquerait dans l’avion, et quitterait la France après dix sept années passées. Elle avait parfois du mal à y croire quand elle y songeait. Le temps avait passé si vite.
Elle se pencha et alluma sa lampe de chevet. Il était quatre heures du matin. Anaïs viendrait la chercher dans trois heures pour l’accompagner à l’aéroport. Elle ne pourrait plus se rendormir, elle était beaucoup trop agitée pour cela. Soupirant, elle sortit de son lit et se dirigea vers la salle de bains pour y brosser ses dents et prendre sa douche. Dommage qu’il fasse trop froid et encore nuit pour aller courir, cela lui aurait fait du bien.
Une fois habillée et ses valises bouclées, elle se réinstalla dans son lit, dernier meuble qui lui restait après un bon mois de déménagement, alluma son iPad et lança Netflix en attendant son amie.