Prologue
Write by Owali
KOUM !
Je sursautai. Le cerveau complètement embrumé par l'état d'inconscience dans lequel j'étais plongé, j'essayai de rassembler mes esprits pour comprendre ce qu'il se passait. Des bruits sourds semblables à des coups de marteau provenaient de la chambre attenante à la mienne.
"- Oui...oh! oui! Plus fort!
- T'aime ça hein! Salope!
- Oui! Oh c'est bon ça...comme ça oui! vas-y baise moi!"
Putain ils sont sérieux là ?!
Je levai les yeux vers la fenêtre qui était au dessus de ma tête de lit, il faisait encore nuit. Je tâtai mon lit à la recherche de mon téléphone qui n'était jamais très loin de mon oreiller. Dès que je l'eus dans les mains, je mis toutes les peines du monde pour déchiffrer ce qui s'affichaient, ma vue étant encore troublée pas le sommeil. 5h32.
Abusé!
J'enfilai mon tee-shirt blanc et le bas de mon jogging, sortis me servir un verre d'eau dans la cuisine avant de me diriger vers le balcon pour échapper aux ébats de mon colocataire. Marcus. Il est cool ce mec mais quand il me fait ce genre de coup, j'ai juste envie de l'étriper.
Les gens qui nous connaissent se demandent toujours comment deux personnalités aussi opposées que les nôtres réussissent à cohabiter depuis quoi? Trois ans maintenant. Ce qu'une amitié comme la notre est inébranlable.
Tout à commencé alors qu'avec ma Licence Maths-Physique en poche, je quittais mon Masuku natal pour rejoindre la capitale. Attention, quand je vous parle de capitale, je ne parle pas du petit village qu'on appelle Libreville hein. Ah non! je vous parle d'une vraie capitale, d'un vrai pays, PARIS! Moi, fils de Makaya (1), j'allais à Paris!
Je me rappelle encore de la grande joie qu'avaient ressentie mes parents à l'annonce de cette nouvelle:
- Non, non je refuse ! Je suis quand même un pain au beurre moi !
- Eh Prince! Mon prince! Mokonzi na ngai! S'écriait ma mère. Je t'avais bien dit qu'il fallait garder la foi!
- Ah ca! Tu vas devenir un grand quelqu'un mon fils! Avait rajouté mon père. Vas au pays des blancs et rend nous encore plus fière de toi!
Marcel Tchicaya, Vili natif de Mayumba (ou May-sur-mer pour les intimes), mon père. Une vingtaine d'année plus tôt, alors qu'il travaillait en tant que cuisinier du Préfet, il avait dû quitter sa province d'origine pour suivre son patron qui avait été muté à Franceville. C'est là-bas, qu'il avait fait la rencontre de celle qui deviendrait plus tard sa femme, ma mère Angeline Ngobila. Congolaise originaire de Nkuna et dame de ménage dans une famille européenne au CIRMF (2).
Malgré leurs modestes moyens, mes parents mirent toujours un point d'honneur à ce que ma petite sœur et moi ne manquions jamais de rien. J'ai donc eu ce qu'on pourrait dire une enfance heureuse et insouciante, du moins jusqu'à l'âge de 15 ans.
A cette époque bon élève au lycée d'état, rien ne m'occupait plus l'esprit que mon football, les jeux sur consoles et mes cahiers alors que mes autres copains commençaient s'intéresser aux filles. Surtout mon meilleur ami, Ibrahim Dione, le fils d' un riche commerçant sénégalais. Son succès venait surtout du fait que c'était un fils à papa, parce qu'entre nous, bien que ce soit mon ami, il faut reconnaitre qu'il était loin d'être un canon de beauté. Mince et sec mais avec les traits du visage grossiers, il n'était vraiment pas agréable à l'œil. Mais comme il faisait des tournées générales au foyer du lycée et qu'il roulait en 4x4 le soir dans toute la ville, toutes les filles lui tournaient autour, et il ne se faisait pas prier pour en profiter. Malgré les « interdits » que lui imposait sa religion, elles étaient toutes passées sur son lit. Toutes sauf...Une. Marie Evouna. Il avait usé de toutes les parades pour la conquérir mais rien n'y avait fait. D'ailleurs, aucun garçon du lycée n'avait réussi à la séduire, elle les avait tous envoyés balader avec une classe qui détonnait complètement avec les habitudes des filles de la place. Rien qu'à cause de tous les retours que j'avais sur elle je l'admirai beaucoup, sans pour autant avoir envie de l'approcher. Je ne tenais pas spécialement à prendre de râteau, et de toute façon les filles ne m'intéressaient pas plus que ça alors elle...
Mais un soir aux alentours de 19h, alors que je sortais de révision pour préparer le brevet, j'entendis des sanglos près d'un arbre dans l'obscurité. Me rapprochant pour voir d'où venais le bruit, je l'aperçu recroquevillée essayant de se couvrir du mieux qu'elle pouvait avec ses vêtements qui semblaient être déchiré. Ne cherchant pas à savoir ce qui lui était arrivé, je m'approchais doucement d'elle pour la recouvrir avec mon pull. Elle était complètement paniquée et mis un certain temps avant d'accepter que je l'approche. Sans un mot, je la raccompagnai en taxi chez elle à la cité verte et sans que je ne m'y attende, elle m'embrassa avant de me quitter. Sur le coup je ne compris rien à son geste. Comment une fille qu'on venait d'agresser et qui semblait traumatisée, pouvait faire une chose pareille? Ce n'est que quelques semaines plus tard, quand elle m'avoua qu'elle avait toujours eu un faible pour moi que tout s'éclaira.
Le jour où je l'avais rencontré elle avait eu un différent avec une autre fille du lycée et elles avaient décidés de régler ça en "one-one". Mais ce qu'elle n'avait pas prévue c'était de se retrouver en " one-five ".
Ah les filles...
Bref ! Depuis qu'elle m'avait fait son aveu auquel je n'avais bien évidement pas répondu, au grand dam de mes amis, elle n'arrêtait pas de me faire des appels de phares. Mais... je ne suis pas un garçon facile moi. Il faut me mériter !
C'est ainsi qu'après deux ans à avoir fait des pieds et des mains pour me conquérir, on se mit ensemble. Deux longue années ! Oui, c'est bien ce qui lui a fallut pour me prouver qu'elle méritait d'être la futur Madame Tchikaya. Parce qu'il faut dire que je suis un homme sérieux moi, un futur responsable de ce pays. Et comme j'avais compris très tôt qu'une réputation, ça se construit dès le plus jeune âge, il ne fallait pas que je prenne les choses à la légère.
Après l'obtention de notre Bac, Marie, dont le père avait les long bras a réussi à obtenir une bourse pour la France malgré le fait qu'elle ne respectait pas tous les critères d'attribution. Et moi, avec mes excellents résultats, je n'avais pu avoir qu'une place à Mbaya (3). C'est donc la mort dans l'âme que nous dûmes nous séparer en nous faisant toutes sortes de promesses que nous pensions à l'époque être en mesure de tenir, surtout moi. Mais ce que je n'avais pas mesuré c'était l'ampleur avec laquelle l'USTM (4) allait me transformer. Brimade, humiliation et désinhibition ont eu raisons de mes bonnes mœurs.
Ce qui se passe à Mbaya, reste à Mbaya.
Tout ce que je peux vous dire c'est que le Prince qui est sortie de cette école de la vie 4 ans plus tard, n'avait plus rien à voir avec celui qui y était rentré. J'avais mûrit et ne me faisait aucune illusion sur ce que le monde extérieur me réserverait. J'étais prêt, prêt à tout subir pour atteindre le but que je m'étais fixé : Compter parmi les grands de ce pays.
C'est donc avec les petites économies de mes parents et l'adresse d'un de mes cousins congolais chez qui je devais habiter quelques jours le temps de trouver un logement à moi, que j'atterris à Paris un soir de septembre 2005.
Personne ne s'étant déplacé pour moi, je dû monter dans le taxi qu'un frère africain me proposa gentiment, pensai-je à l'époque ne sachant pas qu'il s'agissait d'un taxi clandestin. Arrivé à l'adresse indiquée, mon cousin étant absent, je dû attendre dans le hall de son immeuble, au milieu des odeurs d'urine et des rats, jusqu'au petit matin. Lorsqu'il se pointa sur les coups de 6h du matin complètement ivre, il ne me reconnu même pas dans l'immédiat. Il fallut que je lui montre la photo de ma mère pour qu'il accepte enfin de me faire entrer dans son « humble demeure ».
Dès les premiers pas mis chez lui, je me souviens m'être dit : Je préfère encore dormir dans la cabane ''dit tché je tombe'' du vieux Ondjali de St Hilaire la, plutôt que de rester ici.
Il n'y avait pas de mot assez fort pour décrire l'état d'insalubrité et de saleté de son appartement. Les murs étaient recouverts de traces qui donnaient l'impression qu'un meurtre avait été commis en ces lieux. Le mélange de poussière et de crasse qui avait recouvert les quelques meubles qui étaient disposés ça et la, laissait comprendre que le ménage n'avait pas été fait depuis un certain temps. Le canapé lit qu'il me proposa avait une odeur d'urine tellement forte que je n'eu pas d'autre choix que dormir à même le sol.
Qui aurait pu imaginer en le voyant toujours vêtu de costard cintrés, griffés et chaussures en peau de serpent ou de crocodile qu'il vit dans le même environnement que ces animaux ?! Personne ! Comment peut on pousser le « matuvutisme » au point où sa propre santé est reléguée au second plan ?
Enfin, bref. Après un mois à avoir mis toutes les peines du monde à trouver un logement (sans garant, ni moyens suffisants pour payer plusieurs mois de loyer d'avance), je me mis en colocation avec mon meilleur ennemi, j'ai nommé...
- Ah ! Tu es déjà réveillé ? Me demanda Marcus qui me rejoignit sur la terrasse en enfilant son peignoir. Tu es matinal hein ! Un samedi matin comme ça tu te lèves tôt pour aller où ?
- Salop ! Répondis-je en le checkant. Quand vous faites vos choses là, vous ne pouvez pas être plus discret ? Vous m'avez réveillé !
- Rhhoo, mais il fallait nous rejoindre ! Pourquoi tu bloques le bol ?
- N'importe quoi ! Je ne trempe pas mon biscuit n'importe où. Toi tu es un pain sec donc même l'eau sucrée ça passe !
Il éclata de rire.
- Pff un pain reste un pain ! Au beurre, au chocolat à l'huile ou à la confiture tout ça c'est pareil. Moi je suis un biscuit, je ne suis pas à la porté de tous ! toi-même tu sais comment ça coûte chère au pays non...
- Prince, Prince, toi tu portes bien ton nom hein. Tu ne te prends vraiment pas pour de la merde toi. Petit prince de LU!
- Oui, oui même petit prince ce n'est pas grave. Si je ne me donne pas de la valeur, je ne vois pas qui va le faire à ma place. Je ne sors pas avec n'importe qui...
- Ouai, ouai c'est bon je connais la chanson. N'empêche que depuis qu'on vie ensemble, je n'ai pas encore vu la tête de la femme capable de te faire plier hein...enfin à part...
- ... A part elle, le coupai-je sèchement.
- Oui...
Une petite gène s'installa. C'est toujours comme ça à son évocation.
Il se racla la gorge pour briser le silence et repris:
- Mais plus sérieusement, il faut que tu penses à te caser. Même si tu n'as que 25 ans, si tu veux avoir une chance d'accéder aux hautes fonctions auxquelles tu aspires, tu sais qu'il ne va pas falloir que ton annulaire reste vide. Et compliqué comme tu es dans tes choix, s'il te faut mettre 10 ans avant de te décider...
- Oui, oui je sais t'inquiète. J'y travaille, j'y travaille.
- Ah ! Excellente nouvelle ! J'ai hâte de la voir alors !
- Hum... bon je vais me changer je dois aller en salle de sport, tu viens,
- Ah non, toi aussi ! J'ai déjà tout donné la!
- Ouai, c'est vrai j'oubliai, grommelai-je en me levant, le laissant seul à l'extérieur.
Je me dirigeai vers ma chambre, enfilai mes baskets et rangea mon sac. Une longue journée m'attendait. En longeant le couloir desservant les chambres et la porte d'entrée, la porte de la chambre de Marcus s'ouvrit et mon regard croisa le sien. La stupeur passé, elle baissa les yeux en prononçant du bout des lèvres :
- Bonjour Prince...
- Bonjour Marie, répondis-je sèchement avant de poursuivre ma route.
Marcus! C'est carrément dans la boue qu'il est allé tremper son pain sec!
Pff n'importe quoi ce mec.
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(1) Makaya: L'homme du bas peuple
(2) CIRMF: Centre International de Recherche Médical de Franceville
(3) Mbaya: Quartier de Franceville dans lequel a été construit l'université des Sciences
(4) USTM: Université des Sciences et Techniques de Masuku