Prologue: Like Kurt Cobain*?

Write by Iriselom

                             Seattle, 2 Février 20..


-Allo!


-Allo, bonjour Mattia, comment vas tu?


-Bah!


-Mais attends, j'ai failli raccrocher!


-Et pourquoi donc?


-J'étais convaincu de m'être trompé de numéro; une fois tu répondais Mattia... Et maintenant juste allo?


-Tu t'y habitueras.


-Je viens de me réveiller, j'étais de garde. On se voit?


-Si tu veux passer chez moi.


-Ok, je ramène quelque chose?


-Si tu as besoin de quelque chose.


- (Hésitation) Ok.



J'entends un bip qui signale la fin de la conversation et me perds dans la contemplation de mon téléphone.


Je n'arrive même plus à décliner mon identité, nuance, je ne sais même plus qui je suis.


Pourquoi moi ? Fallait que ça tombe sur quelqu'un! Pourquoi un autre plutôt que moi?



Peut être devrais je prendre une douche, l'autre ne tardera pas à arriver.


Je suis sous la douche quand j'entends: And if you save yourself...**


C'est la sonnerie de mon téléphone, qu'est ce qu'ils ont tous à m'appeler? Ils me feront casser mon n-ième téléphone.


Quand je finis, je vois deux appels et un message de mon frère.


Message : Mattia, maman s'inquiète. Fais signe!


Nous sommes deux alors, je m'inquiète aussi, c'est pas pour autant que je vous harcèle.



J'enfile prestement un bermuda et un débardeur, vais ouvrir à Roger qui vient de sonner.


Je le fais entrer et le stoppe quand il veut s'assoir sur mon canapé.


Moi : Roger, tu es le seul qui vient ici, à part les filles. Ou nous allons dans la grange ou tu promets de tout nettoyer avant de partir.


Roger : Lead the way!


Nous arrivons dans la grange, j'allume.


Roger : Mattia et ta dame de ménage?


Moi : Je n'en veux plus. Tu as ramené un Ardbeg? Tu sais où sont les verres, à toi de remonter. On pourra les laisser ici. Les filles n'utilisent pas ça.


Il va chercher les verres et revient.


Moi :Et les glaçons?


Il y retourne, je lui crie : N'oublie pas la carafe d'eau et deux autres verres.


Roger est le seul dont je supporte la vue en ce moment. Il n'est même pas un ami, nous nous sommes juste rencontrés dans un restaurant. 


J'étais à un diner d'affaires ici à Seattle, il connaissait l'un de mes partenaires. Nous avons parlé et partagé un digestif. A l'époque, j'habitais à Aberdeen.


Je l'ai revu 8 mois plus tard à l'hopital où il travaille, il est pédiatre. On a gardé le contact juste comme ça.


Il ne me juge pas, il vient une fois par semaine partager un digestif et un bon cigare.


Nous sommes aussi des cigar aficionado.

Croyez moi, les plus grandes affaires ne se concluent pas pendant un bon repas mais au digestif. Ta bravoure est évaluée tenant compte de ton abilité à couper un cigare, j'ai donc été obligé de me cultiver.


Il nous sert et à coté nous avons nos verres d'eau fraiche : le whisky ne se boit pas avec des glaçons qui diluent trop et gâchent la température. Au maximum, dilué directement avec quelques gouttes d'eau.


Nous sommes tous les deux assis en silence, perdus dans nos pensées.


And if you save yourself...

Roger sursaute un peu.


Mon frère!


Je réponds, faudrait pas que la vieille nous fasse une crise cardiaque.


Moi : Allo


-Mattia, je serai à Seattle dans 12 heures de temps, nous rentrons à la maison.


Moi : Je ne rentrerai pas, ça ne résout rien!


-Tu veux tuer maman?


Il n'a pas osé.


Je lui raccroche au nez.


Et je lance mon téléphone contre le mur, il se fracasse.



Je m'assois !



15 minutes dans le silence, heureusement que j'ai débranché le fixe.



Roger : Mattia permets moi! Tu devrais rentrer.


Moi : Je suis déjà rentré!


Roger : Tu as fait un mois. Je parle de rentrer définitivement.


Moi : Et perdre tout ce que j'ai construit?


Roger : Non Mattia, essayer de sauver ce qui reste. Tu as une famille qui a besoin de toi.


Moi : Non.


Roger : Tu n'as pas le droit de faire ce que tu es en train de faire.


Moi : Je n'ai pas non plus le droit de rentrer pour une durée indéterminée. Je risque de perdre mon travail.


Roger : Tu as déjà perdu ton travail, je te connais maintenant. Tu n'iras plus là bas.


Moi : Roger, je suis fini.


Roger : Non, tu te rappelles de Kossi, ce gars qui disait que le retour en Afrique est la solution?


Moi :Oui, entre temps, il est six pieds sous terre.


Roger : Ne finis pas comme lui, il faut que tu t'en sortes! Essaie pour un an, tu as tellement d'idées! Si ça ne marche pas , reviens.


Moi : Je n'en ai pas la force.



Silence.



Roger : Si tu n'avais pas cassé ton téléphone, je l'aurais cassé moi même. Bro, you're getting worse. Nirvana*** man!?


Moi : Why not? I'm just like Kurt Cobain*, I come from Aberdeen and Seattle isn't working for me. (Pourquoi pas? Je suis comme Kurt Cobain, je viens d'Aberdeen et Seattle ne me réussit pas.)


Roger : Chez nous on dit « Né omounya fiko leyio, odoo lanya fikeye osso » (Si tu ne sais pas où tu vas, tu dois savoir d'où tu viens). Tu ne viens pas d'Aberdeen bro, tu viens du Togo.


Moi :...



Nous restons encore dans notre mutisme pour deux heures de temps et il s'en va.



Je suis dans ma grange avec mon sac de couchage.



Je suis réveillé par le bruit insistant de la sonnette de la porte. Je regarde sur le moniteur: le dauphin du roi, mon frère dans toute sa splendeur.


Je suis tenté de le laisser dehors mais je ne suis pas assez fou, on est en février et il neige.


Ma réflexion me fait sourire: je ne suis pas assez fou, ça résume bien ma situation, fou mais pas assez.


Je lui ouvre, je porte ses bagages dans la chambre d'amis et il prend ses aises. Nous n'avons pas encore échangé un seul mot.



Il va se rafraichir, se change et revient regarder dans le frigo.



Ah mon frère s'appelle Léon (lire Léonne come en espagnol).


Léon : Tu ne manges plus Selom?


Moi assis dans mon rocking chair :...


Léon : Lève toi et commande nous quelque chose à manger.


Je me lève.


Il va s'assoir dans mon rocking chair.


Je n'en doutais pas.


J'appelle le Canlis****, qu'ils me ramènent ce qu'ils veulent pour 4.


Oui, on mange pour 4. En temps normal pour 5 mais je ne me sens pas d'attaque, ces deniers temps.



Il me demande des nouvelles, parle de ses enfants, du roi qui vieillit.



Nos plats arrivent, nous mangeons.


Il va ouvrir ma vitrine à liqueurs.


Moi : Pas d'alcool avant 17 heures.


Léon : Gbowo mléa? (Je suis chez toi?)


Je le regarde et réprime mon envie de dire oui.


Je le regarde boire.


Léon : Tu ne bois pas?


Moi : Même si je sombre, j'ai gardé quelques règles.


Léon : C'est exactement pour ça que je suis là, tu as trop de règles.


Moi : You're a good one to talk about Rockville! (c'est l'hopital qui se moque de la charité)


Léon : Yes, I am! I was there.


Moi:...


Léon: Rentre avec moi!


Moi : Mon boulot!


Léon : Tu n'en as pas besoin. Il ne définit pas ta personnalité.


Moi : Les filles?


Léon : Tu les vois à peine, tu ne parles même plus avec ton fils.


Moi avec un pincement au cœur: Je suis déjà rentré, ça n'a pas marché. Et puis j'ai besoin d'être suivi.


Léon : Tu seras suivi. Tu étais à Dzogbégan, viens à la maison ! Je te parle d'un nouveau départ.



Je me lève et vais m'enfermer dans ma grange.


C'est facile pour eux, un nouveau départ.


Après tous mes sacrifices, diplômes sur diplômes.


Plus d'heures supplémentaires que règlementaires !


Je me retrouve à 40 ans sans travail, divorcé, sans famille, sans réputation.


J'ai toujours un travail mais je n'arrive pas à y retourner.


Cette situation perdure depuis presque 3 ans.


Il y a 3 ans, le verdict est tombé : physiquement apte mais inapte.


Fatigue, irritabilité, insomnie, puis un jour douleurs, céphalées.


Au début, on ne savait pas.


Trimballé de médecin à médecin, diagnostiques les plus fous.


Puis un jour, ce psychologue m'a regardé dans les yeux et a dit : BURNOUT.






* Kurt Cobain: célèbre guitariste et chanteur rock des années 90.


** Début de la chanson "sappy* des Nirvana


*** Nirvana: groupe fondé par Kurt Cobain et Krist Novoselic en 1987.


**** Canlis: restaurant huppé de Seattle.


Les parties expliquées dans le texte sont en mina (dialecte majoritairement parlé au Togo)

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