QUAND LA VIE VOUS RATTRAPE...
Write by Chelso
'' J'entends des voix.. Qui me tirent de la torpeur dans laquelle j'étais enfoncée.
Quelques gouttes d'eau glacée atterrissent sur mon visage. Et me font sursauter.
Lorsque mes yeux s'ouvrent, petit a petit, je distingue quelques détails autour de moi.
Je reconnais le décor de notre salon ; je suis allongée dans le canapé du fond. Puis ensuite je regarde autour de moi, et je remarque mon frère, les yeux rouges et l'air épuisé. Et tout me revient.. Je me suis évanouie après avoir appris les incartades de mon père. Je comprends pourquoi Imdad est aussi sombre. Il a dû sérieusement paniquer quand il m'a vue m'effondrer. Mon pauvre frère.. Le ciel lui tombe sur la tête alors qu'il n'a jamais rien demandé.
Puis ensuite, je vois ma mère, qui a l'air... Je ne sais pas, elle a l'air bizarre. Elle se gratte le corps, ne tient pas en place, et regarde souvent autour d'elle. Comme si elle cherchait quelqu'un, ou quelque chose. Quand elle me demande si je vais bien, je ne peux m'en empêcher, ma réponse fuse :
- Ça t'intéresse vraiment, de savoir si je vais bien ? On ne dirait pas...
Je sais, je suis hargneuse, et je parle mal alors qu'il y a juste quelques instants j'ai décidé de redevenir celle que j'étais avant. Mais chassez le naturel, il revient au galop...
Maman a l'air vexée, mais pas étonnée. Ce qui me trouble... Serais-je devenue si invivable que mes écarts n'étonnent plus personne ?
De toute façon, j'avais raison. Les instants qui suivent me le prouvent, lorsque je lui déclare
- Je vais bien, maman, tu peux y aller. Imdad restera avec moi. On fera a manger pour toit le monde.
A peine ces paroles ont-elles eu le malheur de traverser ma bouche que maman pivote, attrape son écharpe, et fonce vers l'entrée, en bredouillant des excuses, et en marmonnant un truc que j'ai du mal a saisir, par rapport a une '' fichue période d'ovulation ''.
Je n'ai même pas le temps d'essayer de comprendre.
Quelques instants plus tard, elle est partie. Mon frère et moi nous nous regardons pendant quelques secondes, puis, dans un ultime effort pour le décrisper, je tente un pauvre sourire, qui est accueilli par un regard torve, sans vie. Je suis en train de perdre mon petit frère...
J'essaie de me relever, et mes yeux accrochent le regard d'un homme que je n'avais pas remarqué jusque là. Assis dans le fauteuil en face de moi, immobile, scrutateur, Monsieur MAMA, dans toute sa splendeur. . La réalité me rattrape et me gifle violemment, les paroles entendues avant de m'évanouir me reviennent, comme un kaléidoscope d'images retrouvées, de scènes se rejouant sous forme de vidéos brèves, preuves que je n'avais pas rêvé.
Puis une question me turlupine. Où est passé mon père ?? Maintenant que j'y songe, je ne l'ai pas vu depuis sept jours. De toute façon, il dort de moins en moins a la maison, et ça m'aurait étonné qu'il revienne juste pour mon anniversaire. Mais c'est la première fois qu'il découche aussi longtemps.
Toutefois, vu les dernières révélations, je commence a me demander s'il n'est pas plutôt occupé par une table de jeu plutôt que par une autre femme, comme je le pensais.
J'avais vraiment hérité du pire prototype de père, apparemment.
Le problème, c'est qu'a cet instant là, je ne savais pas à quel point j'avais raison...
Après deux heures de pourparlers, de supplications, de promesses, j'ai réussi a obtenir de Monsieur MAMA, un sursis. Je lui avais demandé cinq jours, pour rassembler nos affaires, et essayer de trouver un autre endroit où rester, serait-ce que provisoirement.
Sur un dernier regard d'avertissement, il quitta enfin les lieux. Le silence assourdissant qui régna a ce moment s'abattit sur moi comme une chape de plomb. Mon frère était prostré a côté de moi. Après avoir hésité un moment, je le pris dans mes bras. Je ne peux dire combien de temps ça a duré, mais au moins, nous avions puisé mutuellement des forces en nous. Pour nous permettre de tenir.
Le lendemain, je me réveillai tôt, pour aller en ville chercher un logis. Et un second travail. Si je voulais assurer l'avenir de mon frère convenablement, un seul travail n'allait pas me suffire. Lui assurer un avenir, et nous assurer le pain de chaque jour, le toit de chaque jour, et tant d'autres besoins.
Et ma mère n'était pas rentrée.
Et mon père n'avait pas donné signe de vie.
Et mon frère s'était muré dans un silence infernal.
Ce jour là j'ai écumé les entreprises pour déposer des copies de mon CV. N'ayant pas d'argent a gaspiller, j'ai marché d'un lieu a un autre. J'ai prié et supplié le ciel de daigner me lancer un regard. Mais a chaque fois, les réponses étaient les mêmes :
<< Nous ne pouvons augmenter nos effectifs, mademoiselle. >> << Nous garderons votre dossier a l'oeil, mademoiselle. >>
Je n'étais pas stupide, je savais que je n'allais pas être prise comme ça, du jour au lendemain, juste parce que j'en avais besoin. D'autant plus que je n'avais pas sélectionné des entreprises, je rentrais plutôt a tout-va dans chaque immeuble que je voyais. Le désespoir que je refoulais depuis le matin m'envahissait peu a peu. Il était 19h, depuis 07h j'étais dehors, a pieds, en talons, chemise et jupe noires, et je n'avais reçu aucune réponse positive. Si la première journée se passait ainsi, j'avais du souci a me faire...
Tête baissée, souffle erratique, dégoulinante de sueur et de tristesse, je n'avais plus la tête a quoi que ce soit, et surtout pas a regarder où je mettais les pieds. C'est au moment où je trébuchai que je m'en rendis compte. Et non, contrairement a ce que vous pourriez penser, aucun prince charmant ne m'a rattrapée, attirée vers lui et captivée avec un regard de braise, en me murmurant a l'oreille un mot galant. Non. Je me suis simplement étalée de tout mon long sur le sol pavé, ma tête a bien heurté le sol et je suis restée sonnée un bon moment.
Lorsque les étincelles autour de moi s'éteignirent et que je cessai d'entendre des cris d'oiseaux dans ma tête, je me relevai, doucement. Le regard que les passants m'adressaient était plein de pitié, de compassion, mais je remarquai aussi des grimaces.
Des grimaces ?
Des grimaces, oui. De douleur.
Et je sentis un liquide chaud me passer sur le visage. Je crus d'abord que c'était l'eau d'une flaque, puis ensuite j'espérai que ce n'était que des fientes d'oiseau.
Et je compris. Du sang.
Je m'étais cognée si violemment que j'étais blessée a la tête.
Je devais vite rentrer pour me soigner.
Accélérant mes pas, j'essayai de me retrouver. Le vertige me saisit, et je tanguai. Une main me rattrapa au moment où j'allais encore tomber, et crever sûrement.
Celui qui m'avait rattrapée devait avoir une quarantaine d'années, et assez de force, vu la manière dont il me souleva. Je faillis crier, mais a quoi bon ? S'il me lâchait là, j'allais mourir au bord de la voie ? Non, je n'étais pas désespérée a ce point. Alors je pris sur moi.
Il se dirigea vers un magnifique immeuble que j'avais remarqué entre temps, mais que je n'avais pas eu le culot de pénétrer, et s'y engouffra.
A peine entré, il héla la dame de l'accueil, et lui demanda une certaine Sandrine, avant de continuer au pas de course vers une porte au fond du hall. Je compris que c'était une infirmerie quand il y entra et que je reconnus l'atmosphère blanche et stérile d'un lieu médical. Il me déposa sur un lit, et recula.
Une femme que je n'avais pas remarquée a son entrée se dirigea vers moi, et me demanda de m'allonger. Sandrine, donc.
Alors, récapitulons :
J'ai passé une journée horrible, a courir de gauche a droite pour essayer de me faire recruter quelque part, mais nada. Ensuite je me suis retrouvée a terre, ensanglantée, et sauvée de la mort par un inconnu qui ne s'est pas contenté de me faire me relever, mais qui m'a amenée me faire soigner dans un graaaaaand immeuble que je n'avais pas osé fouler de mes pieds de profane.
Okeyyy
Dites au grand monsieur qui vit dans le ciel que je ne comprend plus rien a ma vie et que j'aurais bien besoin d'un coup de main..
Le temps que je finisse de me morfondre et de réfléchir, je me retrouve avec un bandage de fortude sur le crâne, et des perfusions de nutriments dans les bras.
Je me retourne alors vers mon sauveur du jour, et si j'en crois son air amusé, il doit se lire sur mon visage la plus grande incompréhension du monde ..
- Bonsoir mademoiselle. Je me présente : Joshua KASSA. J'aurais pu commencer par là, entre temps. J'ai juste cru comprendre que vous aviez besoin d'un petit coup de main au plus vite...
- Bonsoir monsieur KASSA. Je m'excuse de vous retarder ainsi. Et je vous remercie d'avoir pris la peine de me venir en aide. Je m'appelle HOUSSOU Axuefa.
- Tout le plaisir est pour moi, mademoiselle. Quand vous êtes tombée, j'ai vu votre CV s'éparpiller un peu partout sur le trottoir. Si ce n'est pas trop indiscret, vous cherchiez un emploi ?
- Oui, effectivement. Mais apparemment, personne n'a besoin d'une bouche supplémentaire a nourrir, alors j'étais en train de retourner chez moi.
- Si je puis me permettre... Vous devriez essayer ici. J'ai vu vos qualifications, vous m'avez l'air prête pour le poste qui vient de se libérer. Si vous pouvez revenir demain, le Directeur Général sera là, et vous en discuterez. Mais je lui ferai part de mes impressions sur vous, qui sont assez bonnes pour le moment. Vous êtes d'accord ?
D'abord choquée, je le regarde, je le dévisage, et j'essaie de deviner a quel niveau est la plaisanterie. Puis je comprends qu'il est sérieux.
Et je comprends aussi que je le regarde comme une idiote depuis trop longtemps, et qu'il attend ma réponse. Gênée, je toussote et je me reprends :
- Bien sûr que je suis d'accord ! Je vous promets que vous ne serez pas déçu ! Demain matin, première heure, je suis ici !
J'ai un grand sourire sur le visage, et quand je rentre enfin a la maison vers 22h, je suis épuisée, comblée, angoissée, excitée, et je n'arrive pas a me calmer.
A la maison, maman est a la cuisine. Tiens, elle a reparu ? J'ai envie de la passer a tabac mais je me retiens. Rien ne me gommera ma joie actuelle.
Papa est toujours aux abonnés absents. Ça ne m'étonne même pas.
Je cours voir mon frère, a qui je raconte avec force détails et gestes, tout ce qui s'est passé aujourd'hui. Il finit par sourire, et c'est mon plus beau cadeau de la journée.
Je lui promets de nous sortir de là. Même si je dois piétiner ma vie pour ça.
Je ne me fais pas d'illusions, papa ne reviendra pas. Même si je ne le dis pas, je le sais. Je le sens. Il ne reviendra pas. Il a déjà tout perdu. Perdu tout ce qu'on avait. Il ne prendra pas le risque de se faire massacrer s'il revient.
C'est sur cette pensée que je m'endors, après avoir réglé mon portable sur 05h30.
Le lendemain, je suis morte de peur. Assise dans le hall, j'attends le boss avec lequel je dois discuter.
Comment se passera l'entretien ?
Quelles questions on me posera ?
J'espère que je ne ferai pas de bourdes...
Et si mon CV ne l'imoressionnait pas ?
Quel genre d'homme est-ce, même ?
Les questions, les suppositions, le scepticisme, l'angoisse, tout se mélangeait dans ma tête. Et lorsque l'hôtesse de l'accueil décrocha son téléphone et me regarda, je sus que ma dernière heure était arrivée..
Joshua KASSA descendit de son bureau pour m'escorter jusqu'à celui du Directeur.
Avoir un visage familier dans cette mare d'incertitude me faisait du bien. L'ascenseur montait, mon coeur battait, Joshua me souriait. Lui, décidément, il n'a pas de soucis...
Je lui retournai un sourire tellement crispé qu'il éclata de rire. Je me renfrognai.
Et j'entendis un Ping. Nous étions arrivés. Mon coeur descendit dans mon intestin, automatiquement.
J'avais un mauvais pressentiment.
Joshua toqua a la porte, et quelqu'un a l'intérieur cria : Entrez !
Cette voix...
A peine mon petit doigt de pied est rentré dans l'espace luxueux que j'ai reconnu l'homme assis derrière le grand bureau neuf en bois verni. Il leva les yeux.
Yves.
Décidément... ''