SENI KADIRI
Write by Phénix
L’appel du muezzin
me réveille comme tous les matins. Je ne perds pas de temps à m’étirer
paresseusement. Je vais faire mes ablutions puis me met sur mon tapis de
prière. Fervent musulman de mon état, je fais ma prière avec dévotion. Je
prends dix minutes personnelles pour un cœur à cœur avec mon créateur. Je lui
confie mes affaires, ma famille. Puis, je me lève et vais à la douche. Mariama
viendra ranger le tapis avant même que je sorte de mon bain. Je suis anxieux ce
matin. Où plutôt préoccupé. Ma fille est en âge de se marier. Elle a quinze
ans. Et il y a trois familles qui sont déjà venus demander sa main. En toute
honnêteté j’ai déjà fait mon choix. Mais je ne sais pourquoi, je n’arrête pas
d’y penser. Bref, tout ce que j’attends , c’est qu’elle passe son Bepc. Qu’elle
soit admise ou pas, elle devra se marier et quitter sous mon toit. Je n’ai
jamais été d’accord qu’elle aille à l’école. Mon grand frère l’a décidé quand
nous étions encore dans la grande maison familiale. Il était le chef de famille
et on devait se plier à ses recommandations. Et un matin, je ne sais pas ce
qu’il a eu, ou qui lui a dit quoi, mais il nous a convoqué pour nous dire que
désormais toutes les filles de la concession en âge d’aller à l’école devront
être inscrites dès la rentrée prochaine. Je n’étais pas le seul à ne pas être
d’accord. Mais le chef avait parlé. De mauvaise grâce, nous avons dû inscrire
nos enfants et acheter des fournitures, la robe kaki, etc. Bref, des dépenses
inutiles. A un moment donné j’ai catégoriquement refusé de payer les frais de
scolarité ainsi que les fournitures. Ça
a créé des tensions avec mon frère. Je lui ai dit le fond de ma pensée. A
savoir, que c’est ma fille et je décide de ce que je veux ou pas qu’elle fasse.
S’il n’était pas d’accord eh bien je m’en foutais royalement. La tension dans
la maison était devenue invivable alors j’ai déménagé avec ma famille.
J’ai toujours voulu avoir beaucoup d’enfants pour m’aider
dans mes travaux champêtres. Mais cette femme que j’ai eu le malheur d’épouser
est une stérile. Parce que je ne considère pas le fait d’avoir fait une fille
comme un geste de maternité. Même les vaches mettent bas plusieurs fois au
cours de leur vie. Mais elle, moins qu’une brebis, n’a fait qu’un singleton
d’enfant, et quel enfant encore ? Une fille ? A quoi va me servir une
fille au champ ? Pourra t-elle abattre le travail d’un homme ? Je
suis un homme en colère. Je sais que la religion m’autorise à prendre jusqu’à quatre
femmes mais dans mes plans de vie, jamais je n’ai rêvé être polygame. Même si
je sais qu’elles savent se débrouiller pour s’occuper de leur enfants.
Bref, j’ai abandonné les travaux champêtres. Aujourd’hui,
je traine à l’assemblée (Lieu de rencontre des hommes pour jouer et discuter
pour tuer le temps)
Je sors de la douche et tombe nez à nez avec Mariama. Surpris
et par réflexe je lui attribue une gifle qui l’envoie au sol.
Mariama : pardon baba, je ne savais pas que tu étais
encore à la douche.
Moi : (en colère) tu n’es qu’une moins que rien. Tu ne
sers absolument à rien dans cette maison. Tu ne vaux rien. Tu as intérêt à ne
pas m’énerver ce matin.
Mariama : Pardon baba.
Je la dépasse en la poussant avec mon pied. Elle vient de
me saper le moral.
Je ressors de ma chambre quelques instants plus tard et
vais m’asseoir pour prendre mon petit déjeuner. Je la laisse me servir en
suivant ses faits et gestes. Elle sait que la moindre petite erreur sera
sévèrement puni.
Mariama : Bon appétit baba.
Elle s’assoit en face de moi. Elle n’a pas le choix. Même
si elle ne mange pas, elle doit rester à table quand je mange, pour me servir
au besoin.
Moi : Mariama.
Elle : Oui baba,
Moi : Qu’est-ce que je t’ai dit à propos de l’huile
dans mes repas ? Hein ?
Elle : (se levant) que tu n’en veux pas beaucoup.
Moi : (lui renversant la sauce au visage) Et c’est
quoi ça ? Hein !? C’est quoi ça ? Tu me cherches dan cette
maison non ? Tu me cherches ?
Elle : (se nettoyant le visage avec son pagne) Pitié
baba. Pardonne-moi.
Moi : tu n’es qu’une incapable. Pourquoi tu ne comprends
pas quand on te parle ? A ton âge tu continues de te comporter comme un
enfant ? Ah j’aurais dû réfléchir plus longtemps avant de t’épouser. Comme
je regrette.
Elle se met à pleurer silencieusement pendant que je la
dépasse pour sortir de la maison, très en colère.
Pourquoi cette femme est bête comme ça ? Rien de ce
que je lui dis ne rentre dans son cerveau. A la fin c’est chiant. Est-ce que
c’est difficile à faire ? Ne pas mettre de l’huile dans une sauce ?
Mais la villageoise insiste et persiste qu’elle doit en mettre.
Je récupère ma moto dans la cour et démarre en grognant de
rage contre elle. Eh Allah, pardon j’ai fait quoi pour que tu me punisses avec
une pareille femme ?
Quand j’arrive à l’assemblée, presque tous les “députés” sont
déjà présents. Je salue tout le monde en souriant un peu. Elle a gâché ma bonne
humeur .
Tarik : eh Séni, tu as piétiné caca de krousou (
cochon) ce matin ?
Moi : Assafroulaye !
Tarik : ahahahah ? Regarde comme tu es vilain
quand tu serres ta mine ! On dirait quelqu’un t’a frappé.
Moi : (essayant de ne pas m’énerver) Tarik, je ne suis
pas d’humeur.
Tarik : oh sa majesté Séni de yebou bééri n’est pas
d’humeur ! Mais nous on s’en fiche de ça !
Tout le monde se met à rire. Je ne répond pas et vais
m’asseoir sur un banc un peu isolé. Je jette un coup d’œil à la vendeuse de
watché (mélange de riz et de haricot) qui justement venait vers nous.
La vendeuse : frère, nansouba !(frère, bonjour)
Moi : Nansouba, mètè mètè ? (Bonjour, c’est
comment ?)
Elle : A nan Irikpè saabu. ( Je rend grâce à notre
créateur)
Moi : Watché nééra a sè. Wé taaki nan maka, wagassi
for, ham fo. Hari yenon for. ( Vends moi du Watché. Deux cents francs avec
macaroni, un fromage, une viande. Un sachet d’eau.) Tè tanman ! (Fais
faire)
Elle s’en va en remuant ses petites fesses devant moi.
C’est une jeune fille d’à peine seize ans qui vend avec sa tante. Ne suivez
pas. Tout ce que j’ai dit c’est pour brouiller les pistes. Je vais manger
proprement mais je ne paierai pas cinq francs, parce que la petite est grave
amoureuse de moi. Tout ce qu’elle veut c’est que je lui accorde du temps. Et en
retour, même l’argent de sa tante elle me donne parfois. La vie est trop belle
quand on s’appelle Séni KADIRI.
Quelques instants plus tard, elle revient avec un plat de
Watché bien garni avec des morceaux de viande et de poisson. Je soupire d’aise
en tournant le dos aux autres.
Tarik : eh frère, tu ne peux même pas nous
inviter ? Pourquoi tu es avare comme ça même ? Tu nous tournes
carrément le dos ?
Moi : Je vais t’inviter pourquoi ? Tu vas payer
l’argent avec moi !? Si tu as faim, la vendeuse est là, sors ton argent
pour acheter.
Tarik : Lahila ! Faut changer un jour Séni.
Est-ce que je l’écoute ? Non. Je commence à manger mon
repas en soupirant d’aise. Oui, il faut l’avouer, cette dame sait préparer.
Rien à voir avec la calamité qui me sert de femme. Si seulement je pouvais
avoir une femme comme cette vendeuse. Au lieu de boire l’huile, j’allais manger
de bons repas sains.
Je déguste mon plat au point de récurer le bol avec mon
doigt. J’avais vraiment faim alors !
Ensuite, je me nettoie les mains avant de rejoindre les
autres autour de la table. Ma journée peut enfin démarrer.
Tarik : voilà Moussa qui arrive là-bas.
Dès que j’ai entendu cela, je me suis levé comme si j’avais
été piqué par une fourmi. Il ne faut surtout pas que ce type me trouve ici.
Sinon, c’est la honte sur moi. Je veux quitter la table. Mais les autres ne
l’entendent pas de cette oreille.
Abdou : Mais Séni, c’est ton tour, joue non ? Y a
quoi ?
Moi : Je sens que j’ai envie de me soulager. Je vais
rapidement aux toilettes. Je jette mes cartes sur la table et presse le pas en
m’éloignant d’eux. Moussa c’est un type
très colérique. D’habitude, je m’en fous de ses états d’âme. Mais il se passe
que je lui dois Soixante mille francs depuis six mois. J’ai acheté l’argent en
fait. Et chaque fin du mois, ca doit générer vingt mille d’intérêt. J’étais
d’accord au moment de prêter les sous. Mais une fois que j’ai fait ce pourquoi
j’avais emprunté cet argent, je me suis rendu compte que ses intérêts étaient
exorbitants. J’ai emprunté soixante milles francs. Mais six mois après, c’est
cents quatre vingt mille, soit plus du
double de la somme que je dois rembourser. Où vais-je trouver cette
somme ? Je suis obligé de fuir chaque fois que j’entends Moussa quelque
part. Et lui n’arrête de me chercher dans la ville. Plus de trois fois il était
chez moi à la maison ce mois. Mariama arrive à le calmer et le faire partir
mais je sens qu’il commence à saturer. Je me cache dans un coin non loin et
regarde vers l’endroit que je viens de déserter. Je vois Moussa arriver et
discuter avec les membres autour de la table. A voir les grands gestes qu’il
fait avec ses mains, on comprends aisément qu’il est colère. Il reste au moins
cinq minutes à crier et gesticuler. Il se retourne et je soupire en le voyant
partir. Mais le type revient et sans
rien dire, il se saisit de ma moto. Les gens veulent l’en empêcher. Je vois Tarik
et Abdou s’y opposer. Mais au final, ils n’y arrivent pas. Et je le vois partir
en trimballant ma moto. J’ai envie de sortir de ma cachette et d’aller
l’arrêter. Mais ce serait vraiment la honte pour moi. Ce gars ne connait que la
violence. Et je n’ai vraiment pas envie de faire un scandale. En colère, je le
laisser partir. Quand je suis sûr qu’il est complètement parti, je sors de ma
cachette et rejoint les autres.
Abdou : Ah Séni, te voilà. Où étais-tu ?
Moi : J’ai dit que j’allais me soulager non ?
Abdou : Oui, mais pendant ton absence Moussa était
venu faire le bruit ici, que tu le fuis depuis des mois.
Moi : (jouant les étonnés) Moi Séni ? Je vais le
fuir pourquoi ? Ce gars vraiment, il ne se prend pas pour n’importe quoi
hein ! S’il me voit même il peut me parler ? On s’est vu ce matin, il
ne m’a rien dit. Et il profite que je ne sois pas là pour mentir sur mon
compte ?
Tarik : (me fixant) tu lui as remboursé ce que tu lui
dois ?
Moi : je lui dois quoi ? Dis-moi ? Je lui
dois quoi ? Il t’a dit que je lui dois ?
Tarik : Ce n’est pas mon problème Séni. Il est parti
avec ta moto. Il a dit de venir chez lui chercher.
Moi : (haussant le ton) tu l’as laissé emporter ma
moto ? Ça ne va pas chez toi ?
Tarik : (se levant) déjà baisse d’un ton parce que je
ne suis pas ton enfant. Et puis, tu m’avais confié ta moto en partant ? Tu
fuis quand tu vois le type arriver et tu veux nous prendre pour des cons ?
Va rembourser tes dettes frère.
Moi : (le poussant) tu te prends pour qui pour me
parler de la sorte ? Hein ? Tu sais qui je suis ?
Tarik : (me poussant la poitrine) et tu es qui ?
Je m’en fous de qui tu es. Va rembourser ce que tu dois au lieu de fuir chaque
fois. On dirait un voleur.
Moi : ne me confonds pas à toi s’il te plaît. Tout le
sait ici que c’est toi le voleur. Tu n’as pas honte. A ton âge tu continues de
voler. Espèce de braqueur.
Tarik : Comme c’est avec toi que je vais souvent
opérer là. Tout ce que je te demande est simple. Va payer ce que tu dois et
arrête de nous prendre pour des idiots.
Bam ! Je lui ai donné un coup. Je n’ai vraiment pas
réfléchi. C’est la colère qui m’a fait faire ça
La bagarre est partie de là. On s’est jeté l’un sur
l’autre.
Les autres se sont écartés en formant un cercle autour de
nous, au lieu de nous séparer. C’est quel comportement ça !?
J’avais oublié que je n’avais pas de force et que Tarik est
un vrai sauvage. Je lançais mes mains à l’aveuglette mais le type me donnait
les vrais coups à des endroits très sensibles. C’était beaucoup plus une correction
qu’une bagarre, façon le type m’a mis KO. Je priais que quelqu’un vienne le
soulever de mon corps, mais ces traîtres étaient occupés à regarder et lancer
des « arrêtez ça ! »
Je n’allais pas
tarder à m’évanouir si personne ne me sauve. Petit coup que je lui ai mis là,
on dirait que le gars me cherchait depuis longtemps. Il n’a même pas fait
semblant de se battre avec moi. La honte de ça !
Finalement, quelqu’un a exaucé ma prière en le soulevant.
Tarik : Laissez-moi ! Laissez-moi je vous
dis ! Je vais le tuer aujourd’hui.
Moi : (courageux, m’asseyant au sol) toi tu peux me
tuer ? Fallait attendre. J’allais te montrer la vie. Tu n’es qu’une
tapette. Idiot
Farouk : ah tais toi aussi Séni. Tu es suicidaire ou
quoi ?
Moi : (me mettant sur mes jambes en titubant) pourquoi
me taire ? Il a la chance et on nous a séparé. Façon j’allais finir avec
lui aujourd’hui, il n’allait pas me reconnaître.
Tarik : Ooorrrr, laissez-moi. Laissez-moi s’il vous
plaît.
Farouk : calme-toi Tarik. Oublie-le. Sinon tu vas faire
la prison.
Tarik : (me fixant) ce n’est pas fini Séni. Ça ne fait
que commencer. Tu comprends ?
Moi : tu penses que j’ai peur de toi ? C’est
quand et où tu veux. Idiot.
Les gars réussissent à l’éloigner. Moi, je vais m’asseoir
sur un banc en essuyant ma bouche en sang. Le sauvage ! Il m’a vraiment
amoché.