Souffle
Write by Saria
*** Tanwolbougou à 200 km de Ouagadougou-Burkina-Faso***
Kompoh prend les cheveux et les ongles qui lui ont été apportés, les mélange avec une poudre grisâtre dans le creux de sa main droite. Elle plonge son regard alerte dans celui de la dame en face d’elle :
Kompoh : Je le fais ?
La dame : oui !
Kompoh : Si c’est une âme noble, la mémoire finira par lui revenir mais tu seras atteinte de folie ! Ce sera le prix à payer ! Je le fais ?
La dame : Fais-le !
Kompoh se tourne vers le vent et commence une longue mélopée, le poing fermé. Elle hurle un ordre.
Kompoh : Kader !!!!! Kader Sidibé ! Kader !!!! Lève-toi ! Maintenant ! Tourne-toi vers le vent !
Elle tend brusquement le bras et ouvre la paume de sa main ; alors la poudre s’éparpille, s’envole. Elle souffle dessus et ordonne :
- Va-t’en ! Va au loin ! Comme cette poudre, suis le vent ! Oublie tout et ne reviens jamais ! Va au loin… Peut-être qu’un jour t’en souviendras-tu ?! Seulement quand tout sera accompli ! En attendant va ! Suis le vent !
***Au même moment à Ouagadougou***
***Ouaga 2000***
***Chez les Kanaté***
Un homme se redresse, se chausse et traverse toute la maison. C’était encore l’aube, il n’y avait personne dans la cour de la grande villa luxueuse. Il marche assez vite, presque au pas de charge… Il dirige ses pas vers la sortie de la ville avec hâte, comme si une force surhumaine le poussait. Un autre drame venait de frapper la famille riche et puissante des Kanaté !
***Treize mois plus tard***
***Cotonou-Bénin***
***Fidjrossè***
***Selma***
Je sors ma voiture presque rageusement, une fois encore des problèmes de plomberies. J’en ai marre de tout ça vraiment ! Je venais de rentrer du boulot quand j’ai remarqué qu’il y avait de l’eau qui fuyait. Je devais ressortir et aller chercher le plombier à l’autre bout de la ville ! Ah Wologuèdè, ce n’est pas l’autre bout de la ville ? En attendant, j’avais fermé tout ce qu’il y avait comme robinets d’arrêt dans ma demeure. Hum… et dire que papa m’avait bien avertie en m’offrant la maison. Il hésitait vu l’étendue des travaux, disait-il : elle avait besoin d’être retapée. Moi j’étais tellement enthousiaste, j’ai balayé toutes ses résistances du revers de la main.
Je ne savais même pas dans quoi je m’embarquais, ça va bien au-delà d’une couche de peinture çà et là... Bref j’y suis, j’y reste et je fais face ; c’était mon leitmotiv pour tenir car même si cette maison me revient chère, j’y ai de bons souvenirs. Distraite, j’entends un bruit mat… Anh ! Etrange, j’avance et je recule la voiture, c’est un cri de douleur qui m’interpelle… comme si… oh mon Dieu ! Je coupe le contact et descends précipitamment de voiture. Je vois une forme allongée dans la pénombre. Oh God, j’ai tué quelqu’un !
Je m’agenouille dans le sable et commence à palper la forme humaine allongée en criant, presque hystérique :
Moi : Eh Dieu ! Eh maman ! J’ai tué quelqu’un oh ! Qui m’a envoyée ! Oh mon Dieu ! J’ai tué l’enfant de quelqu’un !
Inconnu (agacé) : Arrêtez de me donner des baffes… Vous ne m’avez pas tué puisque je ne suis pas mort !
Les mots mettent du temps à parvenir à mon cerveau paniqué. Soulagée, je m’assoie par terre pour voir ma « victime » se redresser péniblement. Hum... Je ne l’avais pas tué mais c’est sûr que je lui ai fait mal à voir la grimace qu’il fait en se frottant le coude. Mais où avais-je la tête, Seigneur ?!
- (ton acerbe) vous comptez passer la soirée par terre ?
Je ramasse le peu de dignité qui me reste et me redresse. J'époussette le sable fin qui me collait partout. Même avec mes hauts talons je lui arrivais à peine à l’épaule. Eh oui, il était grand, baraqué et… sale. Etrangement son apparence négligée ne collait pas avec son port de tête princier, son élocution distinguée. Troublée, je recule d’un pas.
Moi : Euh désolée ! Je…Je vous ai fait mal ?
Inconnu (sèchement) : Non, vous m’avez caressé le coude ! Quelle question ! Bien-sûr que vous m’avez fait mal !
Moi : Excusez-moi, s’il vous plaît ! Montez dans la voiture et je vous emmène à l’hôpital…
Inconnu (abrupt) : Non !
Moi : Je vous en prie ! Je serai plus tranquille après !
Après plus de quinze minutes d’argumentaire, il finit par céder. Je referme le portail de la maison, appelle le plombier pour annuler… Ce n’est pas ce soir que je vais régler mes soucis d’eau. Il monte et je l’emmène à la clinique Meldis dans le quartier.
Quelques minutes plus tard, il était pris en charge par l’équipe de nuit. Pendant qu’on lui faisait les soins, je peux le détailler tranquillement : le gars est plutôt un beau spécimen tout en muscles, avec des abdos wow ! Il est d’un noir d’ébène ; même l’infirmière qui lui faisait un pansement semblait perturbée. Il avait une couronne grisonnante… étrange sur un homme qui paraît jeune.
Inconnu : Vous aimez ce que vous voyez ?
Je sursaute comme s’il m’avait giflée. Gênée, je détourne mon regard. Ce mec me mettait vraiment mal à l’aise. Ce sont les questions de l’infirmière qui m’interpellent.
Infirmière : Comment vous appelez-vous ?
Inconnu : Kader Diaby
Infirmière : Votre âge et ce que vous faites dans la vie ?
Kader : 40 ans… Je crois.
Infirmière : On avertit qui ?
Kader : Je ne sais pas.
Infirmière : Mais ?
Kader (exaspéré) : Ecoutez madame, je n’en sais rien ! Je n’arrive pas à m’en souvenir… Donc je ne sais pas !
La dame dépassée me jette un regard, certainement pour que j’intervienne. Je lève les bras en signe d’impuissance.
Moi : En fait… euh… Je lui suis rentré dedans… On n’a vraiment pas eu le temps de faire connaissance.
- (Inquiète) : vous ne pensez pas que c’est le choc ?
Infirmière : On va faire des bilans plus approfondis
Kader : Ecoutez, je suis en pleine forme… Courbatu mais je vais bien !
Moi : Je vous en supplie, il vaut mieux qu’on vérifie… Je vous en prie !
Il me fixe longuement, je prends sur moi pour soutenir son regard. Il lâche un soupir ; fais