Street Wear
Write by Fortunia
J’ai lu un jour dans un magazine que le premier moyen de vendre un produit aux autres, c’est de le vendre d’abord à soi-même. Pour que ceux qui nous entourent puissent adopter quelque chose, il faut leur montrer que ça vaut le coup, à quel point nous l’aimons et qu’on ne peut pas vendre de la merde alors que nous-mêmes nous en consommons.
Dans le domaine de la mode, ce conseil en valait pour dix.
Depuis toute petite, je rêve de voir de sublimes mannequins défiler avec mes vêtements ou des célébrités me faire honneur de quérir mes services. Lorsque j’ai obtenu mon Baccalauréat G dans un lycée de la place, j’ai opté pour une formation en design assez méconnu mais aux résultats très prometteurs.
Ma mère me répétait sans cesse à cette époque : « Nadia, ma fille, je sais que tu veux faire ce que tu aimes, mais dans ce pays, on vit difficilement de sa passion ». Et elle savait de quoi elle parlait, ma mère, elle qui avait dû abandonner la danse pour le secrétariat parce que ça ne mettait pas de nourriture dans son assiette.
Mais je ne l’ai pas écoutée.
J’ai poursuivi ma formation et j’ai pu échanger avec des personnes de tout horizon qui pourchassaient le même rêve que moi, parfois bien malgré eux. Après avoir obtenu un diplôme qui certifiait que j’avais les capacités de n’importe quel styliste, je me suis lancée à mon compte.
Ma petite chambre dans la maison familiale était devenue mon atelier. Mon propre lit disparaissait sous les tissus, les pagnes et autres accessoires. Sur mon bureau étaient parsemés des dizaines de croquis et de patrons. J’avais passé des mois enfermée dans cette pièce à ne faire que deux choses : dessiner et coudre.
Le sourire aux lèvres, je transformais en réalité des images qui sommeillaient en moi depuis des années. Une collection. Des tenues de ville. Des vêtements que j’aurais aimé trouver sur le marché à une époque. Colorés, agréables à regarder, faciles à porter, partout et pour tout. J’étais persuadée qu’ils se vendraient comme des petits pains.
J’en avais parlé à toute ma famille, tous mes amis. Je racontais à qui voulait bien l’entendre que je fabriquais des vêtements, qu’ils pouvaient me contacter, que je leur ferais des prix. Mais à force d’attendre, mes créations ont pris la poussière. Ce que j’ignorais et que personne n’a pris le soin de me rappeler, c’était que je suis en réalité aussi insignifiante qu’un journal une fois la journée écoulée. Ce fut ma première leçon. Et la seconde a été de ne pas compter sur mes proches.
Bien sûr, ma mère et mon père m’ont aidée du mieux qu’il ont pu en me fournissant le matériel et parfois même en passant des commandes que je refusais de leur facturer. Mais les autres… Ils m’ont inondée de paroles d’encouragement, de félicitations, pour que tout cela ne soit au final rien de plus que de belles paroles.
Personne n’achetait mes vêtements, personne ne passait de commande ou tout au moins, ne désirait payer pour en avoir. Je refusais d’admettre que je pourrais finir dans une de ces merceries négligées, à repriser des jupes, à refaire l’ourlet de pantalons ou à cintrer des chemises.
J’ai fait une dépression. J’ai toujours cru qu’une fois que je me serais lancée, les gens se jetteraient sur les vêtements et les accessoires que j’aurais fabriqués. Après tout, qui n’en tomberait pas amoureux, me répétais-je. Mais je n’étais qu’une énième couturière parmi des milliers, une goutte d’eau dans l’océan.
Et puis je suis tombée sur ce magazine. Je me suis posée la question : pourquoi les gens devraient acheter mes vêtements ? Parce qu’ils sont plus géniaux que ceux des autres ? Parce qu’ils m’apprécient ? Parce que je les aurais suppliés ? Non.
Parce qu’ils en auraient envie.
Et cette envie, je devais la leur donner.
A la base, je n’étais qu’une jeune femme de vingt-et-un ans assez timide. Je n’aimais pas me faire voir, préférant rester dans mon coin avec une feuille et un crayon pour faire des croquis, ou alors avec ma petite machine à coudre portable offerte par mon père. Je préférais habiller les autres plutôt que moi-même. Mais je n’avais pas d’autre choix que de briser cette coquille. Comme l’avait suggéré le magazine, j’allais d’abord vendre mes créations à la personne le plus à même de les faire valoir : moi-même.
Je me suis mise à concevoir des vêtements sur-mesure avec des coupes qui mettaient en valeur mes formes. Devant le miroir, je me suis entraînée à donner l’impression d’être une femme qui a confiance en elle et en ce qu’elle porte. Une femme qui sait qu’elle est bien habillée et qui met le reste du monde au défi de faire comme elle. Ensuite, je sors. Je fais le tour de la ville. Je rencontre des amis, participe à des événements, découvre de nouvelles choses et de nouvelles tendances qui font virevolter mon âme de créatrice
Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, mais je fais confiance aux regards qui se posent sur moi. Aujourd’hui, une connaissance m’a fait remarquer : « Wouah, Nadia, tu as acheté tes habits ci où ? ». Je n’ai pas pu retenir un large sourire en lui répondant que je les ai faits moi-même et que c’est mon métier, concevoir et fabriquer des vêtements.
Je viens peut-être de franchir une étape.
Quelqu’un m’a dit un jour que les bénédictions viennent de la bouche des autres. Cette personne a bien raison. Je me suis peut-être leurrée en pensant que ce se serait facile. Après tout, qu’est-ce qui est facile en ce monde ? Mais l’important, c’est de ne pas abandonner, pas vrai ?
En attendant que de sublimes mannequins se disputent mes créations, je défilerai moi-même. Les rues de Douala seront mon podium et ses habitants mes spectateurs.
Qu’ils ne croient pas que j’abandonnerai mes rêves.
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Hey, vous connaissez des Nadia dans votre entourage ? Même si ce n'est qu'une fois, passez commande chez elles. Elles ne vous le diront pas, mais elles ont besoin de vous. Mais après, il faut aimer le produit hein. La solidarité, c'est bien, mais la solidarité dans le faux, c'est à proscrire.
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Bisous