Tout se perd

Write by imalado

La nuit fut terriblement longue, et elle la passa éveillée. Repensant à Brian et à ce qu’elle pouvait faire. Allongée sur le lit, elle fixait le plafond en bois de sa chambre, depuis deux bonnes heures déjà. Elle se demandait comment l’annoncer à Marie. Elle serait folle de rage. Envers Christopher qu’elle n’appréciait guère à l’époque où elle l’avait surnommé Mrs X, mais surtout et encore plus envers elle, Elisabeth. Parce qu’à la question : « Pourquoi as-tu dit non ? », elle devra répondre. Plus de mensonge. Elle craignait de briser cette si belle amitié qu’est la leur. Marie ne pourra pas comprendre. Essayant de se mettre à sa place, Elisabeth se sentait mal. Marie avait été tout pour elle, elle avait été tout pour Marie. Comment lui expliquer que c’était de Christopher, dont elle était tombée amoureuse et qu’il lui avait brisé le cœur. Qu’elle était tombée enceinte de lui, et qu’elle a commise l’erreur de sa vie, d’avorter…Et que pour toutes ces raisons, elle avait quitté Londres…

         Elle se leva et se dirigea vers la fenêtre. Elle n’avait pas vu le temps passer, le soleil était réapparut. Elle aperçut à travers quelques branches d’arbres qui cachaient la vue à travers la fenêtre, Christopher et Brian, se promenant et rigolant. Un pincement au cœur. Ils représentaient à ses yeux, les seuls hommes qu’elle ait aimés. Et ils étaient frères.

         Brian semblait heureux. Deux frères qui s’étaient retrouvés. Christopher reçut un appel et s’éloigna un peu plus loin, laissant Brian seul, qui resta à admirer le paysage. Elisabeth enfila une veste et retira son écharpe pour le retrouver dehors. Elle ne perdait rien à lui parler encore une fois.

  • Enfin un peu de soleil. Je peux m’assoir ?

  • Oui, bien sûr. Je pensais à Venise. Dan dit que c’est charmant là-bas. Je pourrais prendre un congé, j’en ai besoin je crois.

  • Oui, ça te ferait du bien. Brian… Je voulais te dire, pour l’autre jour…

  • Tu as dit « non ». Lise… Comment te dire ça. Je ne pense pas avoir la force de te demander pourquoi tu l’as fait. Mais surtout je ne veux pas.

  • Je te comprends. Je suis désolée… Brian, mais j’espère aussi un jour avoir la force de te l’expliquer pour qu’enfin tu me pardonnes.

Il se retourna vers elle et sourit. Pris ses mains dans les siennes. Et la regarda longuement.

  • On ne peut aimer une personne, et ne pas lui pardonner. J’espère juste, peu importe la raison, que ça en vaut la peine Lise. Que ça vaut tout ce qu’on a vécu ou traversé ensemble. Parce qu’à mes yeux, rien ne vaut plus que mon amour pour toi. Mais ça, ça n’a pas suffi…

Il essuya une larme des délicates joues d’Elisabeth. Détournant son regard du sien, Elisabeth aperçut Marie. Elle se tenait au seuil de la porte, un pull gris et un jean bleu ciel. L’air frais lui avait manqué depuis l’accouchement. Souriante, elle leur fit signe de la main, n’osant pas s’approcher, pour ne pas déranger. Mais Brian se leva aussitôt, et la rejoignît. Plus de suite pour cette conversation, et elle l’avait compris. Ne rien savoir, sa manière de panser sa blessure.

         Le lendemain, Christopher s’excusa de ne pas rester. Il avait énormément de travail au bureau. Promettant à Marie de ne pas manquer le baptême de Claire prévu dans une semaine, s’il revenait d’Angleterre assez tôt. Marie le trouva fort charmant, il avait été obligé de laisser son travail pour conduire Brian au chalet. « Quelle chaleureuse attention » disait-elle. Brian en profita pour regagner l’hôpital, il s’était trop longtemps absenté.

         Elisabeth quant à elle, resta deux jours de plus. Rien ne pressait à la galerie à Paris, elle l’avait laissée entre de bonnes mains, celle de Florence, son assistante. Elles avaient prise toutes les dispositions nécessaires pour le voyage. Deux jours sans voir les frères Crawford, assez pour se mettre les idées en place. Mais rien de tel. Elle quitta le chalet sans trop savoir que faire de la situation dans laquelle elle se trouvait. Et Marie qui toujours ne savait rien. Après le baptême de Claire, peut-être, sans y être absolument préparée.

         Elle retourna dans son appartement dans le quartier 1 Dock Road de Londres. Et resta tout de même très occupée. Florence lui rendait compte chaque fin de journée. Les tableaux se vendaient bien, et étonnamment défiait toute attente. De nouvelles expositions étaient prévues et ce projet d’une nouvelle galerie à Londres. Elle remercia Florence, qui lui enlevait une épine des pieds, elle va pouvoir se concentrer sur celle de Londres.

         Pour le week-end, elle retourna le passer chez son père. Le pauvre se sent terriblement seul dans cette maison. Il avait proposé à Elisabeth de réaménager avec lui, ce qu’elle refusa au paravent… « Brian se sentirait gêné de venir ici à chaque fois » Mais maintenant que plus rien ne la retenait, elle y songeait d’avantage. Ce ne serait pas si mal. Que de beaux souvenirs à revivre dans cette maison, sa maman. Toute la maison débordait du vide qu’elle y a laissé. Si seulement, elle pouvait être là…

         Le jour du baptême vint. Claire avait légèrement pris du poids. Un beau bébé. Elle avait hérité des magnifiques yeux marron de Marie. Le baptême s’était parfaitement déroulé. Une belle cérémonie à la cathédrale de St. Paul, là même où Dan et Marie s’étaient mariés. Puis ensuite, une belle réception dans la maison familiale de Dan. L’occasion pour Christopher d’aborder Elisabeth. Ce n’était pas l’endroit, mais jusque-là, il n’est connu que comme le « frère de Brian ». Pourquoi ne pas en profiter ?

         Elisabeth portait une petite robe jaune, serrée à la taille et une paire d’escarpins rouges, assortie à la couleur de son rouge à lèvres. Ses cheveux soigneusement lisses, étaient relâchés sur ses épaules, et elle portait de magnifiques boucles d’oreilles en perles. Christopher s’approcha un verre à la main, elle se tenait près du buffet.

  • Tu es magnifique Mme Crawford.

  • Oh pitié, tu n’as pas d’autres invités à déranger ?

  • Non malheureusement, tu es en tête de ma liste et la seule je crois bien. Ce n’est pas de chance, tu vas devoir me supporter.

  • Tant qu’il y’aura de l’alcool pour se saouler pas vrai ?

  • Peux-tu un instant m’être agréable Elise ?

  • Je ne m’appelle pas ainsi.

  • J’ai gardé quelques habitudes, ce petit surnom en particulier… Ne m’en veut pas que pour ça.

Portant son verre à la bouche…

  • Hélas pour toi, que ce ne puisse être la seule raison pour laquelle je t’en veux.

  • Je t’ai aimé Elisabeth.

  • Au diable ton amour empoisonné. Maintenant laisse-moi tranquille s’il te plait Christopher. Eloigne-toi de moi, le plus loin possible.

  • Tu vas épouser Brian. Mon seul frère, ma seule famille. Je ne peux pas faire comme si de rien n’était, même si à ce jeu tu excelles. Il faut qu’on parle.

Elle se mit à rire, vida son verre et le déposa tout doucement sur la table.

  • Tu as le culot de me dire qu’il faut qu’on parle ? Tu n’as pas eu le courage de le faire des années plus tôt aujourd’hui si ? Tu t’es payé une conscience tout ce temps ?

  • Je n’ai jamais pensé que tu puisses toujours me détester.

  • Non, mon cœur aurait lâché si c’était le cas. Je me porte bien. J’aime ton frère Christopher. Je l’aime de tout mon être. Son amour seul a donné un nouveau souffle à mon cœur, il bat plus fort. La haine n’y a plus de place. Même pour ça, toi tu n’y peux rien… Maintenant excuse-moi je vais me chercher un autre verre. J’ai la gorge sèche à force de te parler.

Cette dernière attention de Christopher pour son frère était bien normale. Et il avait raison. Il fallait qu’ils parlent, mais elle ne trouvait pas la force de revivre tout ce qu’elle avait laissé derrière. Tout ce que Brian avait réussi à dissiper dans ce petit nuage qu’il créa tout autour d’elle, avec tout son amour. « Ne doute jamais, je serais là toujours là… »

         Lui, Brian n’a jamais douté. Il se voyait vivre avec elle, vivre heureux et avec de beaux enfants et de l’amour plein le cœur. C’est la seule chose qu’il ait vraiment désiré.

         Elisabeth fit le tour de la salle, sans savoir trop quoi faire. Elle n’avait plus trop de connaissances à Londres, et la plus part du temps, elle se trouvait aux bras de Brian. Promenant son regard, elle l’aperçut. Chemise bleue, entouré de deux jeunes femmes. Ils bavardaient, riaient quelques fois. Elle se retourna et aspira profondément. Elles étaient jeunes et belles. C’était la première fois qu’elle le voyait aussi heureux depuis leur séparation. Jalouse ? Elle ne pouvait plus se le permettre, mais elle l’était. Tout son être en était figé. Jusque-là, elle n’avait pas réalisé. Sa décision n’affectait pas seulement Brian, elle aussi en était profondément touchée. Il lui manquait. Comment se faire à l’idée de le voir avec une autre ? Elle but le reste de sa coupe d’une gorgée, et chassa ses idées de sa tête. Elle serait égoïste d’exiger de lui quoique ce soit…

          Ce fut une belle réception. Après le départ des invités, Marie proposa à Elisabeth de rester pour déballer et ranger les cadeaux de la petite Claire, qui dormait profondément. Brian avait quitté la fête avec les autres invités.

         Un verre de limonade à la main, elle déboula dans le séjour, le sourire au visage.

  • Mon Dieu, je suis tellement heureuse. Quelle journée ! Merci d’avoir organisé cette magnifique réception Lise, je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

  • Je l’ignore aussi crois-moi. L’important c’est que ça se soit bien passé, et que tu t’es bien amusée…

  • Oui c’était le cas, et toi ? Tu t’es bien amusée ?

  • Oui, le vin était exquis.

  • Tu m’étonnes, je l’ai aimé aussi. Elisabeth, tu étais seule et triste. Je te voyais un verre à la main, te promenant près du buffet ou tantôt dans le jardin. Qu’est-ce qui ne va pas ?

  • Je suppose que ce ne devait pas être mon jour.

  • Arrête de rigoler. Brian et toi, est-ce que ça va ? Il est rentré accompagner d’une des jeunes femmes avec qui, il bavardait.

  • Tu viens de me l’apprendre. Je peux avoir un autre verre ?

  • Tu as assez bu, tu ne crois pas ?

  • Oui, tu as raison, je devrais rentrer… Excuse-moi Marie.

  • Non reste, écoute, peu importe ce qui se passe entre Brian et toi, je suis sûre que tout ira bien.

Elle passa sous silence ses pensées. Tout ce qui lui revenait, c’étaient des larmes… Si seulement Marie pouvait avoir raison.

  • J’ai dit non. Il m’a demandé en mariage et j’ai dit non.

Marie ne comprenait pas. Elle quitta son canapé pour s’assoir près de son amie, le visage noyé de larmes.

  • Oh mon Dieu, Lise… Pourquoi ?

  • C’est compliqué. Je ne suis pas prête c’est tout.

  • Tu n’es pas prête ? Et c’est tout ? Si cet homme t’avait demandé de tout lâcher, d’aller au bout de monde, ou même de partir en guerre, qui sait ? Toi, Elisabeth Anne Marie Lans tu aurais fait n’importe quoi pour lui, parce que tu l’aimes et ça je le sais. Alors dis-moi si tu étais prête pour tout ça. Pourquoi dire non ?

  • Je ne suis pas prête c’est tout Marie.

  • Elisabeth tu mérites ce bonheur. Tu sais pourquoi je suis convaincue que c’est le bon pour toi ? Je l’ai vu chaque jour qui passe faire l’impossible pour te rendre heureuse. Quand tu as perdu ta maman, il était là. Il t’a sauvé quand tu sombrais dans la dépression. Tu n’étais plus toi-même, mais jamais, jamais il ne t’a lâché la main. Je suis ta seule amie, mais je n’avais pas la solution. Son amour t’a sauvé Lise, votre amour t’a permis de faire face. Tu étais heureuse. Ne me dis pas que tu n’es pas prête. Je sais qu’il y’a autre chose. Tu n’aurais pas aussi facilement pu renoncer à lui…

Elle regarda son amie, et posa sa tête sur son épaule. Marie avait les mots durs mais elle ne pouvait rien lui cacher… Et l’amour ne se cache pas. Elle l’aime, et ça rien ni personne n’y pouvait quelque chose. Même pas Christopher…

         Et c’est vrai, il lui a fallu beaucoup de temps pour accepter la mort de sa mère. Elle aurait voulu être à ses côtés dès le début de la maladie, présente pour elle. Au lieu de ça, elle était à des kilomètres, fuyant tant bien que mal les fantômes de son passé…

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