Y voir clair.

Write by Farida IB


**** Deux semaines plus tard ****


Salifou DIOMANDE…


Kismat : papa pourquoi maman est si bizarre depuis qu'elle est rentrée de l'hôpital ?


Moi (cherchant une échappatoire) : quelle idée ma fille ! Maman est juste un peu malade.


Kismat : c'est pour ça qu'elle est devenue si méchante ? Elle crie tout le temps.


Moi : elle n’est pas devenue méchante, c’est parce que vous l’avez énervé. Maintenant mange ton plat avant que ça ne refroidisse.


Elle pique une frite qu'elle mâche soigneusement avant de reprendre.


Kismat : c’est parce qu’elle a perdu le bébé hein ? 


Moi haussant un sourcil : qui t’a parlé de ça ?


Kismat : j’ai entendu Fayez le dire à Islam.


Moi (inspirant profondément) : non ce n’est pas à cause de cela princesse, maman est juste un peu malade. 


Kismat boudant : moi, je n’aime pas quand maman se fâche et qu’elle crie. Avant qu’elle n’aille à l’hôpital, elle était tout le temps gentille, c’est le méchant docteur qui lui a fait ça. Il a rendu ma maman méchante.


Je l’incite à venir s’asseoir sur moi.


Moi (jouant avec ses tresses) : écoute moi princesse maman ira mieux et puis tout sera comme avant d’accord ? (elle acquiesce.) Maintenant vas finir ton plat, il y a des cupcakes au chocolat pour le dessert.


Kismat contente : yeah !! 


Elle s’exécute.


Je lui sers le dessert comme convenu lorsqu’elle finit de manger et attends encore quelques minutes avant de débarrasser. Je m’occupe de la vaisselle et lui donne ensuite son bain et veille à ce qu’elle se brosse les dents. On reste une trentaine de minutes devant la télé puis lorsque vient l’heure du coucher, je la berce et la mets au lit, bien heureux de savoir ses frères en sortie scolaire. Je fais le tour pour m’assurer que tout est fermé, ceci fait, je m’affale à nouveau dans le fauteuil, devant la télévision sans y prêter attention. Normalement, je dois aussi prendre mon bain et me coucher, mais là, je n’ai pas du tout envi de croiser le visage endeuillé de Mariam. Sa sortie d’hôpital a eu lieu, il y a plus d’une semaine, elle est encore tourmentée par la tragédie, mais ça va niveau santé. Par contre, la communication entre nous se fait de façon laconique, lorsqu’elle ne pas pleure pas, c’est qu’elle défoule toute sa frustration sur les enfants et c’est quelque chose qui pèse beaucoup sur eux. Ce qu’elle ignore, c’est que je suis autant affecté par cette histoire qu’elle, elle n’imagine pas comment je me suis senti quand il a fallu enterrer mon fils (soupir). Tous ces mois d’angoisses que nous avons passés pour en sortir bredouille. Tout ça à cause de cette sorcière de Fatim, elle, je vais bientôt régler son cas. Je voulais tenir ma femme au courant de la situation, mais, après son accouchement, je voulais bien faire les choses. Il fallait que Fatim vienne à nouveau démontrer sa cruauté, elle est vraiment décidée à me pourrir la vie. Pourtant, j’ai cru m’échapper de ses griffes il y a dix-huit ans pfff !!!  


Je finis par me rendre dans la chambre, il faut quand même que je veille à ce qu’elle se nourrisse et qu’elle prenne bien ses médicaments. Je la retrouve près du placard en train de mettre des vêtements à elle dans une valise.


Moi : Mariam qu’est-ce tu fais ?


Mariam : …


Moi : réponds-moi quand je te parle.


Mariam (la voix inaudible) : tu vois bien.


Moi : oui, je vois que tu fais une valise, mais c’est pour quoi ?


Mariam : je veux partir.


J’ouvre grandement les yeux et la bouche et la regarde étourdi un moment avant de parler. 


Moi : partir ? Partir où ça ? Tu n’as nulle part où aller, en plus il fait nuit.


Mariam (refermant la valise) : peu importe Salifou, je veux m’en aller loin de toi.


Je la retiens par le bras lorsqu’elle passe devant moi, elle se dégage de mon emprise, mais j’arrive à temps à fermer la porte et enlever la clé de la serrure. Je reste près de la porte pendant qu’elle tourne en rond dans la chambre.


Moi : chéri écoute moi s’il te plaît, je suis désolé pour tout ce qui s’est passé et de la manière dont tu as appris l’existence de Maï mais je te jure qu’il y a une bonne explication à tout cela.


Mariam avec humeur : garde tes explications Salifou, tout ce que je sais, c’est que j’ai perdu mon bébé par votre faute. (la voix tremblante) Mon pauvre bébé.


Elle se remet à pleurer chaudement, je marche tout doucement vers elle en parlant tout bas.


Moi : je comprends que tu aies mal, je comprends tes réactions et ça m’afflige tout autant. Néanmoins, c’est la volonté de Dieu, on y peut rien.  Ce qu’il y a lieu de faire maintenant, c’est de chercher à aller de l’avant.


Elle m'esquive en reculant d'un pas.


Mariam (me fixant avec dédain) : rien ne me fait plus mal d’apprendre que tu as un enfant adultérin alors que tu voulais m’empêcher d’en avoir. Rien ne me fait encore plus mal de savoir que tu me l’as caché durant tout ce temps. (des larmes ruisselant sur ses joues) Cet enfant a presque l’âge de Fayez. Salifou, tu m’as caché ceci toutes ces années, mon Dieu que j’ai été stupide. Je me suis fourvoyée toute ma vie avec l’illusion d’avoir un mari fidèle. Tellement je croyais en toi Sal. 


Moi (me rapprochant encore plus) : je ne t’ai pas trompé chéri, je te jure sur ma vie que je ne t’ai pas trompé. J’ignorais l’existence de cet enfant, je l’ai su dans la période où tu m’as annoncé ta grossesse. 


Mariam s’écriant : foutaise !!


Moi (d’un geste de la main) : laisse-moi t’expliquer s’il te plaît, j’avais écourté mon voyage à l’époque lorsque mon avocat m’avait appris la nouvelle. Je suis rentrée dans l’intention de te le soumettre, mais je ne savais pas comment aborder le sujet surtout lorsque tu m’as parlé de ta grossesse. Je ne voulais pas que ça t’ébranle, c’est pour cela que j’avais pris mes distances pour y réfléchir. Ensuite, tout est parti dans tous les sens.


Mariam : si cette vieille a un enfant de toi, c’est qu’à priori, vous avez couché ensemble. Même si ce n’est pas récent vous l’avez fait d’une manière ou d’une autre. En plus de tes entourloupes, tu veux me prendre pour une maboule, c’est ça ? L’enfant serait peut-être tombé du ciel !!


Moi : il serait judicieux de me laisser te raconter toute l’histoire.


Mariam : non Salifou, j’en ai assez attendu. Tout compte fait, je veux m’en aller d’ici. Du moins pour quelques jours.


Moi soupirant : on en parlera lorsque tu seras plus calme, je te réserve un séjour dans un lieu de ton choix si tu veux. Je comprends que t’es besoin de te retrouver.


Mariam : non merci, je me débrouillerai. 


Elle prend une couverture et un drap puis se dirige vers la porte.


Mariam : ouvre-moi la porte s'il te plaît, je vais dormir dans la chambre d’amis ce soir.


Moi : Mariam…


Mariam (me stoppant d’un geste de la main) : je ne vais pas me répéter DIOMANDE.


Je m’exécute.


Mariam (tenant la porte) : lorsque tu fais tes erreurs, prends au moins tes responsabilités. Cette fille n’a pas demandé à naître, assume ton rôle de père envers elle.


Elle referme la porte et je m’écroule au sol la tête entre les mains.


…….


Le lendemain, je me retrouve avec Kismat devant Saint-Exupéry (lycée) pour récupérer mes fils. Je l’ai emmené avec moi pour laisser sa mère se reposer, je l’ai entendu pleurer toute la nuit. Cette situation me chauffe la tête, je dois vite trouver un compromis avant que Mariam ne se décide à me quitter. Une idée qui me rebute rien qu’à y penser parce que je ne sais pas ce que je ferai sans elle dans ma vie. Je ne sais pas comment rattraper le tir pour le moment, je finirai par trouver une idée.


Nous prenons place dans un glacier en face du lycée en attendant que les bus arrivent, je surveille la route et écoute Kismat qui mange ses glaces en me racontant ses dessins animés d’une oreille discrète. Les bus arrivent finalement vingt minutes plus tard et nous ne tardons plus à rentrer. Le trajet vers la maison se passe dans une ambiance de questions-réponses entre les garçons et leur sœur. J’émets des commentaires et intervient de temps à autre dans leur dispute jusqu’à ce que nous arrivons à la villa. Les garçons récupèrent leurs affaires et courent vers à l’intérieur en appelant leur mère. Kismat attend que je verrouille la voiture et la tient par la main pour qu’on rentre ensemble. C’est pendant qu’on rentré dans le hall que Fayez ouvre la porte d’entrée essoufflé.


Moi le grondant : Fayez, je vous ai dit qu’on ne court pas dans la maison.


Fayez : papa, maman, elle est où ?


J’arque un sourcil.


Moi : comment ça elle est où ? Elle est dedans non ?


Islam (sortant à son tour) : non, elle n’est pas là, j’ai regardé dans toutes les chambres, elle n’y est pas.


Je rentre dans la maison et me rends d’abord dans la chambre d’amis où je vois le lit bien dressé avant de me diriger vers notre chambre. Le premier constat, c’est que la valise d’hier a disparu donc je me hâte vers le placard et quand je l'ouvre, je commence à me rendre compte de l’évidence. Je rassure d’abord les enfants qu’elle serait peut-être partie faire des courses avant de me saisir de mon téléphone pour l’appeler. Je le débrouille et remarque aussitôt une notification d’un message sur lequel j’appuie automatiquement.


SMS Mariam : ne me cherche pas, je reviendrai quand je verrai plus clair dans cette histoire. Prend soin des enfants.


Je lis le message, plusieurs fois, les sourcils froncés, je décide de rappeler, mais elle répond aux abonnés absents. Je redémarre en trombe en laissant des consignes aux enfants. Des hôtels 5 étoiles aux Tchoklooos (bas quartier), aucune trace d'elle. Très tard, dans la nuit, je rentre avec l'espoir de continuer mes recherches le lendemain. S'il faut que je remue la terre entière, je le ferai, l'essentiel que je la retrouve.


*

*

Nihad ANOUAM…


C’est plus que déterminée à lever le voile sur les évènements dans la vie de ma mère que je me pointe au bureau ce matin. Il faut dire qu’une commande importante nous a empêché d’avoir notre conversation jusque-là, elle a dû se rendre à Pog pour superviser les travaux. À peine, je dépose mon sac à main et mon cartable pour ordinateur que je reprends le dédale de couloirs qui mène vers l’ascenseur. Je monte et me rends à deux étages au-dessus, je prends ensuite par la droite pour me retrouver devant le bureau de sa majesté, l’unique sur l’angle droit du bâtiment. Elle était assise derrière son bureau concentrée sur son ordinateur lorsque la porte s’ouvrit.


Moi (prenant place sur l'une des chaises visiteur) : maman, il faut qu’on parle.


Maman (levant à peine les yeux sur moi) : jeune fille, toi et moi n’avons pas dormi sur le même lit.


Moi : bonjour maman, pouvons nous avoir enfin cette discussion qui m’exaspère si tant.


Elle lève les yeux sur moi avant de reporter son attention sur l’écran de l’ordinateur.


Maman : je ne vois pas ce qu’il y a d’exaspérant dans le fait que je sois en couple.


Moi : pardon ? En couple ? Et c’est comme ça que tu me l’annonces ?


Maman (me fixant droit dans les yeux) : que je devais te l’annoncer comment ? Il faut organiser une réception pour ça ?


Moi abasourdie : maman la bienséance voudrait que tu m'en parles et que tu me le présentes. Tu es en couple et il faut que je l'apprenne sur le tas!!


Elle rabat l’ordinateur portatif, enlève ses verres avant de me fixer à nouveau.


Maman : voilà toute l’histoire, il s’appelle Jean-Marc Nnang. Nous nous sommes rencontrés à en France durant les vacances de l’année dernière. Le hasard a fait qu’on s’est revu sur ce vol en direction de l’Asie cette année, nous avons décidé de faire plus d’amples connaissances. (rêvassant) Nous avons passé des moments tellement extatiques et exaltants que j’ai dit oui sans hésiter lorsqu’il m’a fait sa demande en mariage. 


L’information fait un bref chemin dans ma cervelle alors que je la regarde complètement perdu.


Moi : pardon ??? Tu t’es mariée ?


Maman : oui, sur une péniche à Baltimore.


Moi choquée : tu t’es mariée sans m’avertir ?


Maman : mouff ! Je suis majeure et vaccinée, je n’ai pas besoin de ta permission pour prendre ce genre de décision.


Moi (plus que dépassée) : je pensais sincèrement qu’il y avait une complicité entre nous.


Maman : avant de dire les gros mots attend d’abord la suite de l’histoire. Il y a une explication à tout ceci.


Moi : mais encore ?


Maman : en fait, j’ai omis de lui parler de toi, ses propres enfants l’ont spolié et humilié comme du n’importe quoi donc en ce moment, il a horreur d’entendre parler de mômes. 


Moi (arquant le sourcil) : tu dis quoi même ?


Maman s’expliquant : c’est pour te protéger que je le fais, je ne veux pas t’impliquer dans une vie où tu ne serais pas heureuse.


Moi m'insurgeant : non mais allô quoi ! Qui t'oblige à rester avec lui ?


Maman : écoute, je me suis mariée et je préfère que tu restes loin de nous. De toute façon, tu n’habites plus chez moi depuis belle lurette. Il suffirait d’éviter de venir chez moi, nous nous verrons soit au boulot soit chez toi le temps que les choses se tassent entre Jean-Marc et moi.


Moi abasourdie : maman, tu es sérieuse là ?


Maman : c’est une faveur que je te demande.


Moi : ça, c’est plus fort que moi, il faut encore que j’arrive à y croire.


Maman : pense au bonheur que j’ai enfin retrouvé, avec lui, j’ai l’impression de vivre et si c’est la seule condition pour qu’il reste, je veux bien faire ce sacrifice.


Moi outrée : au nom de quoi ?


Maman : ANOUAM ta vieille mère sait ce qu’elle fait, fais moi confiance.


pense au bonheur que j’ai enfin retrouvé, avec lui, j’ai l’impression de vivre et si c’est la seule condition pour qu’il reste, je veux bien faire ce sacrifice. Non mais je rêve, quelle mère fera faire ce genre de sacrifice à son enfant ? 


Sitôt arrivée dans mon bureau, je reprends mes affaires et vais chercher ma voiture pour me rendre à la plage. Un bol d’air frais, c’est ce dont j’ai besoin en ce moment.  




Amour & Raison