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Ecrit par anomandaris

La deuxième cliente du cabinet de tradi-praticien d'Yvan Richmond était venue plus tôt que ne l'avait pensé Cyrus, puisque le lendemain de son appel, la voilà qui était assise, à huit heures, au milieu du petit salon, attendant que les deux hommes de la maison finissent de déjeuner. Elle avait la vingtaine, une poitrine peu rebondie sous un tee-shirt fleuri, et le teint clair des métisses afro-eurasiens. Cyrus distinguait, depuis sa chaise sur la table à manger, au-dessus de ses lèvres qui tentaient de sourire, des yeux cernés de noir que la jeune fille n'avait pas pris la peine de maquiller, ou qu'elle avait très mal maquillés. Yvan avait fait les présentations plus tôt, et Cyrus se dit qu'Hilary le maki, comme surnom, n'était pas trop mauvais pour se souvenir d'elle.


— Alors, dit-elle après qu'ils eurent déjeunés et éteint la télé pour l'écouter, vous êtes tous les deux prêtres ?


— Moi j'ai l'intention de le devenir, répondit Cyrus. Lui… c'est compliqué.


— Merci de répondre pour moi, maugréa Yvan.

Il avait piqué un papier et un crayon sur la table en verre du salon en partant éteindre la télévision, l'air aussi professionnel que possible avec son débardeur blanc et son gros short kaki. Hilary lui dédia un sourire jaune :


— Alors, vous allez relever ma déposition ?


— Cest lui qui se prend pour l'inspecteur Derrick africain, objecta Cyrus. Moi j'ai encore de bonnes oreilles. Et ce n'est pas une déposition, s'il te plaît !

Le faux air offusqué de Cyrus la fit sourire. Son premier vrai sourire depuis son arrivée.


— Daccord, répondit-elle. Mais… vous savez, je ne voudrais pas que mon histoire se retrouve ébruitée comme celle de la maison que vous avez exorcisé dernièrement.


— La maison de Mamoun Kassab ? Fit Yvan.


— C'est vrai que ça a fait pas mal de grabuge en ville, admit Cyrus.

Cet exorcisme jugé impossible par les autres prêtres de Sharkpool était leur première affaire officielle depuis leur arrivée dans la ville insulaire.


— Le bouche à oreilles n'a pas que du mauvais, dit Cyrus. La preuve, te voilà. Mais ne t'inquiète pas, nous serons plus discrets avec ton cas.


— Tu pourrais même péter ici que je ne dirai rien à tes amis, maintenant que tu as notre discrétion, ajouta Yvan, pince-sans-rire.


Hilary et Cyrus s'esclaffèrent de concert, et Cyrus se demanda quel âge la jeune fille leur donnait. Quand ils n'utilisaient pas leurs pouvoirs de lévitants, ils ne vieillissaient presque pas. Malgré ses vingt-quatre ans réels, Cyrus avait à peine un duvet de poils roux sous le menton, son âge apparent ne dépassant pas les seize ans. Yvan quant à lui, qui s'était rasé son crâne brun d'afro-melcénien, avait l'air un peu plus jeune que les vingt-deux ans apparents qu'on pouvait lui donner d'habitude, alors qu'il avait plus de trente ans. Ce rajeunissement involontaire était une des raisons pour lesquelles Cyrus cherchait depuis le début de sa formation avec Yvan n'importe quel prétexte pour quitter son corps physique, et ainsi rattraper son retard de croissance, au moins pour avoir l'âge de draguer des filles comme Hilary.


Quand Hilary commença son récit, Cyrus s'affaissa encore plus dans son fauteuil, face à Hilary, puis ferma les yeux pour se concentrer.


— C'est samedi surpassé que toute cette histoire a commencé, pour tout vous dire. C'était mon dernier jour de fête avant un bon bout de temps. Cest que… vous voyez, il y a les exams d'été dans deux semaines, et c'était le début de nos mini-congés de préparation. Moi et mes deux copines avons donc décidé d'en finir une bonne fois pour toutes avec les fêtes, jusqu'à ce qu'on lise toutes les trois nos noms sur la liste des admis au niveau deux. Bon bref, c'était LA FÊTE à ne pas manquer.


— La fête a été finalement moins bien que prévu, et mon petit ami  s'est même battu. En bref, les copains nous ont raccompagné chez nous une à une. Kyle — mon petit ami — m'a ramené à la maison en dernier lieu pour… (Elle baissa les yeux et sourit en coin) passer un peu plus de temps avec moi. Et calmer ses nerfs le temps de conduire les autres chez eux. Je n'étais pas habillée très couverte, donc je me suis empressée de traverser la route pour notre portail. Je savais que mon frère était encore éveillé à cette heure. Kyle est resté m'observer un petit moment, puis j'ai entendu sa voiture s'éloigner dans mon dos. Je me suis tournée pour lui faire un bai… pour lui dire au revoir. Il me répondit d"une main et tourna à droite au carrefour des Palmiers, me laissant seule devant mon allée.


Elle énonça les mots suivants à un débit plus lent, grave :


— Il y avait quelqu'un couché devant le portail, sur l'allée gravillonnée de notre entrée. Quelqu'un que je n'avais pas vu avant m'être tournée pour voir Kyle s'en aller. Il était couvert d'un grand manteau sombre et était couché en boule inerte, une sorte de bâton sombre non loin de lui. Seulement, quand je l'ai vu, au lieu de ressentir de la pitié pour lui, j'ai senti les poils de mon cou se hérisser. J'ai lancé un coup d'œil à côté de notre allée ; ça ne faisait pas une semaine que la compagnie de jardinage était passée pour tailler la pelouse autour du portail. Ça arrive qu'on trouve des SDF endormis dans l'herbe tôt le matin, et ils s'en vont toujours sans qu'on n'ait à les chasser. Pourtant celui-ci avait choisi d'aller se coucher en travers de la route qui menait au portail, comme s'il… cherchait des noises aux gens qui habitaient dans la maison.


Yvan Richmond et le...