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Ecrit par anomandaris

J'ai appelé mon petit frère, mais il ne décrochait pas. Tout en relançant l'appel, je m'avançai doucement vers le portail, histoire de traverser d'un bond le type sans le réveiller. Le temps que Phil ne me raccroche au nez pour venir m'ouvrir, j'étais à deux pas des pieds nus du type. Et là il s'est levé.


Elle étouffa un sanglot. Quand elle reprit la parole, elle avait une voix haute perchée.


— Il n'avait que la peau sur les os, et son visage était parfaitement ovale. Comme un œuf cuit. Je n'ai pas pu voir son crâne, parce qu'il avait une capuche qui la couvrait, mais il n'avait pas l'air d'avoir un poil sur la tête, sinon ils auraient dépassé du capuchon. Ses yeux… il n'en avait pas. Ses orbites étaient deux grands trous vides dans un petit crâne chauve. Et il sentait la viande pourrie, comme un rat décomposé dans une vieille valise. Je ne sais pas ce qu'il ma fait — et c'est même une des raisons de ma venue ici —, mais dès que je l'ai regardé, c'était comme si on m'avait changé en statue. Je n'ai même pas pu expirer. Encore moins crier, ou m'enfuir. En revanche, mes yeux pouvaient encore bouger. J'ai suivi son mouvement de levée les yeux grands ouverts, qui s'embuaient déjà sous l'exposition au vent. La créature me dépassait d'au moins deux têtes et sa… carcasse s'est penchée sur moi… sur mes lèvres. Il m'a embrassé. Avec la… langue.


Cyrus ouvrit les yeux et vit qu'Hilary, les yeux fermés, retenait à grand peine ses larmes. Un frisson lui parcourut le corps, et il ne sut si c'était de l'empathie ou de la terreur qui venait de le saisir à la vue de cette jeune fille qui avait vécu tout cela. Il referma ses yeux avant qu'elle se rende compte qu'il l'observait. Elle poursuivit au bout d'un moment :


— Jai senti quelque chose entrer en moi avec ce contact. Quelque chose de très chaud, un peu comme si j'avais avalé une bouffée de vapeur d'incendie d'une vieille maison à deux cent degrés sans me brûler les papilles ou l'estomac. Je n'ai pas su sur le coup combien de temps il m'a cloué comme ça, mais quand mon frère m'a trouvée, j'étais inconsciente sur le gravier. J'avais une vilaine bosse au front et mon nez saignait, les deux premiers endroits que le sol avait sans doute heurtés. Mon frère m'a demandé depuis quand je buvais à en devenir soûle comme une bourrique. Plus tard, en comparant l'heure où Kyle m'avait laissé et celle de ma montre dans ma chambre, jai estimé que cette… ça m'avait volé une dizaine de minutes de ma vie dont je ne me souviendrai jamais exactement, puisque j'ai passé ce temps inconsciente ou envoûtée. Je ne sais quoi penser jusque maintenant. Je suis rentrée chez moi néanmoins ce jour-là, les jambes en coton, un peu confuse, mais rassurée d'avoir survécu. J'avais juste halluciné, sans doute. Je l'ai pensé jusqu'au lendemain soir.


Le cauchemar est le même à chaque fois que je m'endors pendant la nuit. Je me vois debout dans ma chambre, et il fait une chaleur de four dans la pièce. Les rideaux de ma fenêtre, au lieu d'être beiges, sont violets. Mais malgré ça, sans avoir à les tirer, je sais qu'il fait nuit. Et il est couché au pied de mon lit, avec la même cape que ce jour-là, toujours pieds nus. À son emplacement, mon tapis est complètement brûlé, et l'odeur de brûlé m'irrite les narines. Mais malgré tout ça, je m'avance vers lui. On ne peut pas vraiment contrôler ses gestes, dans ses rêves.


Elle s'arrêta de parler si longtemps que Cyrus rouvrit les yeux, et Yvan s'apprêtait à dire quelque chose quand elle dit :


— Et là il m'embrasse. Puis je vois mes jambes se liquéfier comme si c'étaient des bâtons d'esquimaux qu'on venait de jeter au micro-ondes. Sauf que même mes os fondent. Je vois l'inconnu depuis un point de plus en plus bas, jusqu'à ce qu'il ne me reste plus que la tête. Et je ne vous parle pas de la sensation de brûlure. À chaque fois, je me réveille avec un cri. Je sais que mes parents commencent à sentir que quelque chose ne va pas, mais je ne sais pas quoi leur dire pour ne pas paraître folle.


Après son récit, le silence couvrit la pièce comme un châle, rompu juste par le léger grésillement de la télé mise en sourdine. Cyrus se rendit compte une fois ses yeux ouverts qu'il avait crispé sans le savoir ses doigts sur le bord de son fauteuil, et Yvan tenait son stylo suspendu au-dessus de son carnet, captivé par la détresse de sa cliente, incapable de dire, de faire quoi que ce soit. Puis il échangea un coup d'œil avec Cyrus, et la perspective que ce à quoi ils pensaient soit vrai fit déglutir en silence le roux.


Yvan Richmond et le...