13 - Edinson

Ecrit par ACLIRL

Je ferme la porte de la maison après une longue séance passée avec tonton. Nous avons beaucoup parlé aujourd’hui. Aborder des sujets aussi sensibles que la mort et les maladies m’a mis à cran. J’ai bien besoin d’une pose morale. 

Une fois mes chaussures essuyées et retirées, je m’avance de manière machinale vers le frigo histoire de me procurer un remontant. Non, je ne parle pas d’alcool. Qui a dit que la nourriture n’était pas un guérisseur pour l’esprit ? J’aperçois un gâteau que Zana a dû faire dans la journée. Il est derrière 2 pots de yaourt. Réellement Gilda ? Tu pensais que sa fonctionnerai ?

Je le retire et me redresse en me dirigeant vers la chaise de bar qui se trouve près du plan de travail. Je m’installe confortablement et allume la petite télévision qui se trouve devant moi. Mes yeux sont fixement dirigés vers l’écran. Ma posture est on ne peut plus droite. Mes mains sont devant moi, une cuillère en main. Je m’empare d’une part et la dévore en un rien de temps. Pourtant, malgré ma posture, malgré le silence de la maison, je n’entends pas les informations. Malgré l’excellente note qu’ont chacun de mes deux yeux, je ne vois pas ce que l’écran projette. Malgré les talents culinaires de Zana, mes papilles ne ressentent pas le frémissement habituel qu’elles ont au contact du chocolat.

Je me sens replonger dans un trou noir que je refusais de traverser. Depuis près de deux ans maintenant je m’étais interdit de redescendre cette pente. A y repenser je n’ai plus fin. Je replace ce qu’il reste de la petite assiette dans le frigo. Une fois la cuillère lavée, essuyée et rangée, je me dirige vers ma chambre et m’y enferme.

« La mort n’est pas quelque chose dont on doit avoir peur, mais que l’on doit accepter comme la fin d’une aventure. Il est donc en notre devoir d’en faire la plus belle aventure qui soit. » m’a-t-il dit. Comment avoir un pareil discours lorsque l’on se sait mourant ? C’est sur ces mots que je l’ai quitté, le laissant dans sa chambre sans savoir si je prendrais note de ces paroles.

J’ai entendu dire que l’on passait par plusieurs phases lorsque l’on est en deuil. J’ai pu comprendre de mon expérience qu’il y avait l’incompréhension, le déni, la colère et la volonté de plonger dans l’oubli. D’autres disent qu’il y a une acceptation à terme. Peut-être arrive-t-elle après la dévastation. Jamais je ne pense y arriver puisqu’en ce qui me concerne, j’ai simplement choisi de ne pas y penser. Pas d’oublier, pas de me mettre en colère, bien que je sois passé par cette phase. Je refuse tout simplement de plonger dans la dévastation. Ça m’anéantirait de nouveau.

Je m’allonge sur le matelas, et, pour la première fois depuis plusieurs mois, je me permets de penser à maman. Si elle était là, tout de suite, je serais sûrement à la maison et Baba aussi. On serait réunis là-bas, autour d’un repas qui serai délicieux comme toujours. Si elle était toujours là, j’aurais ce qui me manque le plus au monde : l’amour d’une famille, la mienne.

Je me dirige vers ma valise et la vide pour me rendre compte que j’ai oublié mon car. C’est le nom que je donne à mon carnet. J’en ai rayé les dernières lettres lorsque maman me l’a donné. Elle disait qu’une fois que ça serait terminé, je devrai écrire dedans et que ça m’aiderait. Ce qu’elle ne comprend pas, c’est que la seule chose qui pourrait m’aidé, c’est aussi la chose que j’ai perdue.

Je cherche une seconde fois dans mes affaires et ne le vois pas. Je vérifie désespérément. Il n’y est pas.

Je lâche un soupir qui éteindrai une bonne dizaine de bougies, me disant qu’elle m’aurait fait vérifier tous mes bagages avant de fermer cette satanée de valise. 

La porte se ferme. Quelqu’un entre. Je tente ma chance en criant : « Gilda ? » Mais c’est Zana qui me répond « C’est moi ».

Je me lève alors et part la saluer. Nous rangeons les courses. Je remarque qu’elle a pris soin de m’acheter des jus de fruits bio. Elle et Gilda ont toujours été branchées boisson. Papa ne parlait pas souvent de ses parents mais j’imagine bien que son addiction au sucre venait de l’un deux, ce qui a déteint sur Zana également. Un petit sourire me vient aux lèvres à la pensée que d’un côté, je tiens peut-être plus de maman. Ça fait partie de ce que l’on définit comme être proche de quelqu’un de lui ressembler, non ?

 Zana me regarde, et vu son expression cela doit faire un moment. Je ne me suis pas rendu compte que j’avais arrêté de bouger. Le paquet de yaourt que j’ai saisi est toujours dans mes mains et je me trouvais en direction du placard au lieu d’aller vers le frigo. Elle plisse légèrement les yeux et se mordille l’intérieur de la joue. Ce regard m’est bien trop familier. Ok, c’est partie pour un tour.

-       Tu es calme Edinson, me dit-elle. Quelque chose ne va pas.

-       Non Tata, tout va bien merci.

-       Ce n’était pas une question. Tu veux en parler ? s’enquit-elle.

-       Oui. Enfin non ! m’embrouillais-je. Je peux emprunter ta voiture ? J’ai oublié quelque chose chez Papa.

Elle me regarde, hésitante. Son regard se dirige vers la pendule au-dessus du plan de travail.

-       Tu ne veux pas attendre demain ? Il y avait du monde sur la route en rentrant du travail, répond-elle.

-       Je peux au-moins monter à la maison dans ce cas ? insisté-je.

-       Edinson, je viens de te dire que…

Soudain impatient, je ne la laisse pas terminer.

-       Ce n’est pas de là-bas dont je parle.

Un silence s’installe soudain entre nous. Zana baisse les yeux vers le sol, comme si on venait de lui demander si elle préférait s’assoir sur du feu ou de boire de l’acier fondu. Tant mieux, comme ça elle ne voit pas mes deux globes rouler à l’arrière de la tête.

-       Je ne sais si c’est une bonne idée. 

Je m’apprête à répliquer, mais fini par trouver l’idée de placer le moindre mot complètement stupide. Alors que je suis à deux doigts de tourner les talons et m’enfermer elle ré-ouvre la bouche pour continuer,

-       Mais tu es assez grand pour prendre tes propres décisions. Mon manteau est sur le porte manteaux. Les clés y sont.

Elle s’en va vers sa chambre sans me dire de ne pas tarder. Je sais alors que nous devrons en discuter de nouveau. Peu importe j’ai besoin de me ressourcer.

 

***

La brise est au rendez-vous. Elle provoque de petites vagues vers l’étant. Les ‘flops’ sont les seuls bruits que j’entends. Rien de tel que de venir ici pour prendre un bol d’air frais. Le soleil est presque complètement couché. J’époussète mes habits qui ont ramassés un tas d’herbe. Mon état d’esprit m’empêchait de penser rationnellement. Je n’ai pas pris de nappe. Je n’imagine pas à quoi doivent ressembler mes cheveux en ce moment même. Et pour être franc, je n’en ai rien à foutre.

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