17- Les couleurs de nos amours
Ecrit par lpbk
Mais qu’est-ce qu’elles ont toutes à me regarder ainsi ? C’est peut-être ma nouvelle coloration qui leur fait de l’effet. C’est vrai que ma coiffure est sublime et que cette couleur est divine.
Je surprends quelques regards à mi-chemin entre le vice et perversité s’attarder sur les courbes minimalistes de ma silhouette. Je respire un bon coup avant de rejoindre le petit groupe de femmes devant moi.
« Bonsoir Tina. »
« Bonsoir ! Tu as vu l’heure ? J’ai bien cru que tu allais encore jouer à l’intéressante en brillant par ton absence. »
Un bien joli jeu de mot pour un reproche absurde. Je me contente de lui plaquer une bise sur la joue et de saluer poliment sa cour.
Tina traine toujours autour d’elle un impressionnant essaim humain. Je me rappelle encore de toutes ces fois où l’on m’a demandé pourquoi je ne lui ressemblais pas. C’est vrai qu’à bien y regarder, nous sommes tellement différentes que si on ne me l’avait pas dit, je n’aurai jamais pu imaginer que nous puissions être parentés encore moins des sœurs.
Je reste cinq minutes à l’écouter raconter pour la nième fois la grande et romantique histoire de la demande en mariage de Tristan son parfait fiancé. Je la connais déjà par cœur cette histoire et elles aussi pourtant elles ont toujours les yeux en cœur. Je m’éclipse discrètement en direction de ma grand-mère et de ma mère.
« Bonsoir maman ! »
J’embrasse ma grand-mère sur le front.
« Bonsoir Nowa ! »
Ma mère me regarde de haut en bas. Examinant chaque pli et chaque ourlet de ma tenue avant de décoller enfin ses lèvres.
« Tu aurais pu mettre une robe ? »
Grand-mère fait la grimace et moi je souris. C’était tellement prévisible. J’aurai mis une robe qu’elle m’aurait parlée d’une jupe. Elle a dû s’apercevoir de notre amusement à grand-mère et moi car elle enchaine à nouveau.
« Elle aurait pu faire un effort ! C’est le … »
« Oui maman, j’aurai bien voulu mettre ma robe mais voilà, j’ai pris quatre kilos du coup je n’ai réussi à enfiler aucune de ma garde-robe tout à l’heure. »
Mamie réprime un petit rire. Je lui fais un clin d’œil ce qui met maman en colère.
« Ne me prends pas pour une idiote Nowa NYANE. » lance-t-elle en nous abandonnant.
« Moi je te trouve très belle mon amour. Et je suis sûre que je ne suis pas la seule. Regarde ce jeune homme là-bas, il n’arrête pas de se retourner. »
On nous annonce le début dîné. Nous sommes invités à prendre place autour des tables installées dans le jardin. J’attrape le bras de grand-mère.
« C’est peut-être toi qu’il regarde. »
« Tu crois qu’il aime les vielles ? Oh mon Dieu, comment tu trouves mes jambes ? »
« Allez ma vieille coquine, on y va. »
Je suis installée entre un des potentiels garçons d’honneur dont j’ai oublié le nom et Iris. Un regard sur le carton devant lui et je peux lire son prénom. Ah c’est ça, il s’appelle Dean.
« Tu dois être une excellente danseuse toi aussi. »
Tiens donc, mon filet de veau est tellement savoureux que j’avais fini par l’oublier celui-là.
« Pardon ? »
« Ta sœur, elle a fait de la danse classique petite alors je me disais que toi aussi. »
Comme toujours, tout est en rapport direct ou indirect avec Tina.
« Je n’ai pas pris de cours de danse. Du moins pas de danse classique. Je préfère le twerk, c’est bien plus entrainant. »
« Pourquoi ? »
De quoi il se mêle ? Ce n’est pas parce que ma sœur va épouser ton ami que nous sommes obligés d’être des amis.
L’absence de toute réponse le laisse sans voix. Dean avale une gorgée d’eau puis se racle la gorge. Et moi, je plonge définitivement mon nez dans mon assiette alors que maman ne manque pas une occasion de raconter pour le plus grand plaisir des invités des anecdotes ô combien élogieuses sur sa fille chérie. Je me demande si elle fait exprès ou s’il est vrai que la vie de ma sœur n’a aucune tâche. Je l’écoute avec un faux sourire accroché à mes lèvres.
« Mais pourquoi elle ne raconte pas cette fois où Tina m’a couverte de peinture noire parce qu’elle n’assumait pas que je sois plus claire qu’elle ? Et quand elle m’a coupé les cheveux parce qu’ils étaient plus longs que les siens ? »
« Elle avait dit qu’elle n’avait pas fait exprès. »
« Et tu l’as cru Iris ? Ce qui est marrant avec elle, c’est qu’elle n’a jamais rien fait exprès. »
« Pas du tout ! Mais ils ont bien repoussé tes cheveux et puis pour la peinture, tu n’as qu’à te dire que c’était un masque. »
Je lui écrase le pied sous la table.
« Aïe ! Désolée ! Ma langue a fourché. »
« Eh bien, mon pied a glissé. »
Dean interrompt notre gentille petite conversation avec un compliment niais.
« J’aime ta coiffure. »
Je le remercie timidement et je me tourne à nouveau vers Iris.
« Il raconte quoi ? »
« Je n’en sais rien. »
« Attends, je vais lui demander. »
Je n’ai pas le temps de lui exprimer ma désapprobation qu’elle est déjà à moitié étalée sur la table offrant au monsieur d’en face une vue agréable sur son décolleté. Visiblement mal à l’aise, il s’essuie le visage et me lance un petit sourire. Et pendant ce temps, Iris échange avec Dean.
« Tu es sûre que tu ne veux pas venir à ma place là ? »
« Mais pourquoi ? »
« Parce que j’ai l’impression de vous gêner. »
« Non ! Non ! T’inquiètes, je suis bien là. »
Tin tin tin tin
Pauvre verre ! Il doit être en train de souffrir le martyr de se faire taper ainsi. Me voici toute ouïe.
« Eouctons donc ce que miss parfait a à nous annoncer. »n dis-je à voix très basse.
« Bonsoir,
Tristan et moi, nous tenions à vous remercier de votre présence ce soir. Nous sommes heureux de savoir que nos familles et nos amis nous accompagnent. Comme vous devez déjà le savoir, Tristan est l’homme de ma vie … »
« Et Tina est la femme de ma vie. », la coupe-t-il pour dire.
Comme le dit quelqu’un « chouba ! »
Il se partage un bisou avant qu’elle ne se décide à continuer.
« Pour faire court, nous prévoyons de nous marier dans exactement un an. »
Petits chuchotements dans la salle. Des « houra » et des applaudissements.
« Il peut se passer des choses en un an ! », dis-je.
« Pardon ? », me demande Dean.
« Rien. J’ai juste pensé à haute voix. »
« Nous comptons donc sur toutes les personnes présentes ici pour nous aider dans l’organisation de cet évènement. Je ne veux pas me vanter mais ça risque d’être le plus beau mariage de la famille NYANE. Merci à tous. »
Les applaudissements fusent de partout.
« Elle est trop prétentieuse ! », m’informe Iris.
« C’est ta cousine ! »
Raclement de gorge. Tristan a quelques mots à ajouter et moi je veux me tirer une balle.
« Je tiens à remercier mon adorable belle-mère Moëra et mon beau père pour ce diner. Mais encore plus, je les remercie d’avoir construit pareille femme. Nous avons tous de la chance de l’avoir dans nos vue. Je t’aime. »
Nouveau baiser. J’ai la gerbe devant tant de minauderies.
La musique peut repartir.
« Regarde ta mère. », me lance Iris.
Maman à l’air très heureuse ce soir. Elle est particulièrement maquillée ce qui fait ressortir le vert de ses yeux. Il va sans dire que c’est une belle femme. L’air de flotter, elle se déplace d’un coin du jardin à un autre en demandant aux convives s’ils ne manquent de rien.
« Puis-je dire deux mots à ma sœur ? »
« Evidemment ! », lui répond Iris.
« En privé s’il te plait. », rétorque Tina.
« Bon sang Tina, c’est ta cousine aussi. »
« Laisse tomber Nowa. Fais donc Tina. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Iris s’éloigne de nous. Tina et moi, nous cherchons un coin calme.
« C’est quoi tout ce cinéma Tina ? Qu’as-tu à me dire ? »
Elle s’arrête et me fait face. Je réaliser que je fais deux centimètres même en talons.
« Nowa, tu sais que je t’adore et que je n’aurais jamais voulu avoir une autre pour sœur … »
« Tu peux sauter cette étape ? »
Tu m’aimes sans doute parce que je te rappelle à quel point tu es meilleure en tout.
« Pourquoi tu es toujours sur la défensive ? »
« Parce que toi Tina NYANE, tu es toujours en mode attaque. Avec toi tout est calculé, planifié. On dirait un sniper en plein Kaboul. Donc, vas-y droit au but. »
« OK ! Tu ne feras pas parti des demoiselles d’honneur. »
Je la regarde sans sourciller.
« Ni ma dame de compagnie. »
Je tourne mes talons ceci dans le but d’aller continuer ma soirée. Elle me retient par l’épaule.
« Quoi encore ? Je ne suis même pas invité ? »
« Nowa, je te parle de quelque chose de sérieux et toi, tu te comportes comme une gamine à tirer la tronche … »
« Il y a quelques mois, tu m’aurais dit ça que j’aurai ressenti un pincement dans mon cœur mais là, ça ne me fait rien. Si je ne réponds pas aux critères en ce qui concerne tes demoiselles d’honneur que puis-je bien faire ? »
Mon téléphone vibre dans ma main, il fait un halo lumineux qui nous enveloppe. C’est R.E.
« Tu fais quoi ? »
« Je veux prendre cet appel. Je peux ? »
« Tu ne cherches même pas à savoir pourquoi tu ne seras pas demoiselle d’honneur ? Nowa, je suis quand même ta sœur. Tu ne peux pas faire un effort pour être une femme normale ? ».
« Tu as gagné, il a raccroché. Tu es contente ? »
Je lui dis ça et je me tourne, bien décidé à rejoindre les autres invités. Puis, je me retourne et je lui lance.
« Tu aurais voulu que je crie, que je fasse une scène Tina ? Dommage ! Je suis trop à l’honneur dans ma propre vie. »
Je rejoins Iris en pleine dégustation d’un baba au rhum. Je lui pique la cerise qu’elle avait pris soin de réserver dans un coin de son assiette. Je regarde papa esquisser quelques pas de danse avec une amie de Tina.
« Tiens ! Ça pourrait bien être Solange sa nouvelle conquête. », dis-je en donnant un coup à Iris.
« Tu rigole ou quoi ? C’est vrai que son truc c’est les sugar daddy mais de là à sortir avec le père de sa copine ! Je ne pense pas. »
Elle a raison. Solange ne serait pas assez stupide pour s’attaquer à Tina de cette façon.
Un peu avant minuit, le jardin se vide. Papa est quelque part avec Tristan. Ils partagent un dernier verre et sans doute qu’il lui fait part de sa longue expérience d’homme adultérin. Pendant ce temps, maman, Tina, Iris et moi rangeons sommairement.
« C’est bientôt l’anniversaire de Calvin et je ne sais pas ce que je pourrai lui offrir. », lance Iris en ramassant deux verres à vin.
« Et pourtant ce ne sont pas les idées qui manquent. »
« Genre ? »
« Parfum, montre, restaurant et nuit de folie, pourquoi pas un diner en tête à tête chez toi ? »
Elle redépose les verres et tire une chaise.
« Je voudrai sortir de l’ordinaire. Je n’ai pas envie de faire comme les ont faits. »
J’éclate de rire en prenant la direction de la cuisine où elle me rejoint rapidement.
« Pourquoi pas un week-end en amoureux ? »
« Si moi je lui offre un week-end pour son anniversaire, il a intérêt à prévoir un mois en amoureux pour le mien. »
« Ne sois pas pingre Iris. Pourquoi tu veux faire comme si tu étais dans la même situation que moi c’est-à-dire sans aucune source de revenus et clairement sans espoir d’en avoir. »
J’étais loin de m’imaginer que ma mère et sa fille chérie étaient derrière moi en disant cette dernière phrase.
« Ça veut dire quoi ça Nowa ? », crie-t-elle en frappant des mains.
Je reste silencieuse, décidée à ne rien lui dire. Il s’agit de ma vie privée si je n’abuse.
« Tina dit à ta sœur que c’est à elle que je parle. »
« No… »
« Je crois que je ne suis pas encore sourde Tina. Maman, je n’ai rien à te dire. Depuis des années, je vis ma vie sans rien te demander. Ce n’est pas ce soir que tu vas faire comme si tu t’y intéresse beaucoup. »
« Je vais te gifler si tu continues à me manquer de respect comme ça petite insolente. Ne crois pas que ton père est le seul bienfaiteur dans ta vie. Tout ce qu’il a m’appartient à moitié alors quand il te signe ces chèques c’est parce que je suis d’accord. »
« Je vous avais prévenu quand elle a voulu faire son école d’art. », renchérit Tina toujours derrière sa mère.
« Oh la ferme toi ! Tu sais quoi maman ? Dorénavant tu n’auras plus à te soucier de ces chèques. »
J’entends la porte du bureau de papa claquer et des pas rapides. Tristan apparait et à sa tête, je suis presque sûre qu’il était loin de se douter que tout partirait en live ce soir.
« Qu’est-ce qui se passe ici mon cœur ? », dit-il en attirant Tina près de lui.
« Mais c’est Nowa qui comme d’habitude met maman dans tous ses états. Apparemment madame … »
C’est au tour de Luis de faire son apparition. Il ne manque plus que mamie et tout le monde sera là.
« Il est pratiquement 01h du matin et vous êtes là à vous chamailler comme de vieilles casseroles ? »
« Mais demande à ta fille. Il parait qu’elle ne travaille plus. »
« As-tu considéré un seul jour que je travaillais ? Tu es drôle maman. »
Iris ne dit pas un mot. Je suis sûre que son cœur est en train de faire les pompes tellement elle transpire. Papa me regarde et je crois voir un sourire se dessiner sur ses lèvres.
« Tu veux bien nous expliquer Nowa ? »
Je croise les bras et je fais la moue. Ils se prennent pour qui ?
Bammmm
Papa vient de frapper sur le plan de travail. J’ai bien cru que les murs ont tremblé.
« Nowa, tu as interet à ouvrir ta petite bouche là tout de suite. Sinon tu vas comprendre que quand je dis à gauche ce n’est pas à droite ou devant. »
Mais de quoi est-ce qu’il parle ?
« Tu comprends ce que je dis ? Je ne suis pas ton camarade de maternelle ma chère. Alors quand je te demande quelque chose j’entends que tu le fasses et dans de brefs délai. »
« Luis, tu parles trop ! Moi je veux savoir si elle est vraiment sans emploi au jour d’aujourd’hui et depuis combien de temps. »
Ah ok ! Papa parle de cette histoire concernant Mimi. Il ne sait pas encore à quelle peste il a à affaire.
« Nowa dit quelque chose. »
« Papa ! Tu tiens vraiment à ce que je parle ? On pourrait bien exposer ta gauche et ta droite ici devant cette belle et grande famille. Tu es sûr que c’est ce que tu veux ce soir ? »
Il se racle la gorge de façon mécanique. Maman et Tina nous regardent toutes les deux sans comprendre quoique ce soit à ce que je viens de dire. Ce soir moi, je suis bien décidée à tout leur avouer. Pourquoi il faut toujours que ce soit moi la plus nulle, la plus ingrate, la plus tout ? Mon père est un infidèle notoire. On pourrait en parler une bonne fois pour toute.
« Papa… Tu as quelque chose à dire ? »
« Humm… Moëra, raccompagne Tina et Tristan à leur voiture. Iris, va dans la chambre de ta grand-mère voir si nous ne l’avons pas réveillé. »
« Luis ! », lance maman sur un ton de défit.
« Ah Moëra, fait ce que je te dis. Est-ce qu’elle va s’envoler ? »
Je les regarde tous s’en aller occuper leurs nouveaux postes et je reste là avec papa. Quand il est sûr que nous sommes seuls, il ouvre enfin sa bouche. Cette bouche qui trompe, abuse et embrasse à la fois. Il me donne envie de vomir.
« Nowa, tu … »
« Ne t’avise plus jamais de lever le ton sur moi sinon, tu auras besoin d’un test d’ADN pour te convaincre que je suis bien ta fille papa. Bonne nuit. »
Je tourne mes talons, le plantant là dans la cuisine.
A travers les carreaux de verre de la porte, je peux voir la tête qu’il fait. Je crois qu’il va faire une attaque cette nuit.